Jugements et critiques

Alfred de Musset

Gustave Flaubert

« Musset restera par ses côtés qu’il renie. Il a eu de beaux jets, de beaux cris, voilà tout. Mais le parisien chez lui entrave le poète ; le dandysme y corrompt l’élégance ; ses genoux sont raides de ses sous-pieds. La force lui a manqué pour devenir un maître ; il n’a cru ni à lui (?) ni à son art, mais à ses passions ».
(Correspondance à Louise Colet, 30 mai 1852)
 

Gustave Flaubert

« Ton long récit de la visite de Musset m’a fait une étrange impression. En somme, c’est un malheureux garçon. On ne vit pas sans religion. Ces gens-là n’en ont aucune, pas de boussole, pas de but. On flotte au jour le jour, tiraillé par toutes les passions et les vanités de la rue. Je trouve l’origine de cette décadence dans la manie commune qu’il avait de prendre le sentiment pour la poésie.
Le mélodrame est bon où Margot a pleuré
Ce qui est un très joli vers en soi, mais d’une poétique commode. « Il suffit de souffrir pour chanter », etc… Voilà des axiomes de cette école ; cela vous mène à tout comme morale et à rien comme produit artistique. Musset aura été un charmant jeune homme et puis un vieillard ; mais rien de planté, de rassis, de carré, de serein dans son talent ni sa personne (comme existence j’entends). C’est que hélas ! le vice n’est pas plus fécondant que la vertu ».
(Correspondance à Louise Colet, 26 juin 1852)
 

Gustave Flaubert

« Si en la menant [sa vie] il faisait de bonnes œuvres ; si, préoccupé de tant de misères, il restait malgré cela grand comme poète, là serait pour nous l’embêtement objectif. Mais non, plus rien ! Son génie, comme le duc de Glocester, s’est noyé dans un tonneau et, vieille guenille maintenant, s’y effiloche de pourriture ».
(Correspondance à Louise Colet, 27-28 juin 1852)
 

Arthur Rimbaud

« Musset est quatorze fois exécrable pour nous, générations douloureuses et prises de visions que sa paresse d’âme a insultées ! O les contes et les poèmes fadasses ! O les Nuits, ô Rolla, ô Namouna, ô la Coupe ! … Printanier, l’esprit de Musset ? Charmant, son amour ? En voilà de la peinture à l’émail, de la poésie solide ! Tout garçon épicier est en mesure de débobiner une apostrophe rollaque… ».

(Lettre à Paul Demeny, 15 mai 1871, dans Le Correspondant, n° 1547 du 10 mars 1927, Le Jardin des lettres)
 

 Emile Zola

« O Paris ingrat ! S’il te faut des gloires littéraires, où est la statue de Musset, ce grand poète du siècle, le plus humain et le plus vivant ? »
(Figaro, 6 décembre 1880)
 

Maurice Barrès

« Pourtant à bien voir, ces poèmes sublimes, ils sont l’expression des plaintes, des souffrances, et des sentiments les plus intimes d’un débauché (et d’un débauché qui ne laisse pas dans son délire d’être méchant). Toute cette haute poésie jaillit des remords et des rancœurs de la bête assommée qui cuve ses ivresses ».
(Le Gaulois du dimanche « Quelques opinions sur A. de Musset », 3 décembre 1910)
 

Réné Doumic

« Il était le poète de la jeunesse et de l’amour, le fantaisiste, le paradoxal, le brillant causeur en vers et en prose […]. Tout cela, plus ou moins, nous laisse aujourd’hui, indifférents. Si Musset est pour nous un grand poète […], c’est que de toute son œuvre poétique, une partie éclipse le reste, la partie de souffrance. […] Ce désespoir-là, quelle en a été pour Musset la cause ou l’occasion ? Peu importe. Il l’a connu. Il l’a éprouvé en lui. Il l’a traduit tel qu’il l’éprouvait, dans toute sa plénitude et toute son intensité. Tous ceux que la vie a blessés à mort y reconnaissent leur propre tourment. C’est en cela que je le tiens pour un classique. Il a écrit et fixé une fois pour toutes un chapitre de l’histoire du cœur. Il est le classique du désespoir ».
(Le Gaulois du dimanche « Quelques opinions sur A. de Musset », 3 décembre 1910)
 

Charles Baudelaire

« Et quant à l’autre [Musset], ce n’est pas dans ses nobles attitudes qu’elle [la jeunesse] s’appliquera à l’imiter mais dans ses crises de fatuité, dans ses fanfaronnades de paresse, à l’heure où, avec des dandinements de commis voyageur, un cigare au bec, il s’échappe d’un dîner à l’ambassade pour aller à la maison de jeu ou au salon de conversation ».
(Les Martyrs ridicules de Léon Cladel, préface, 1861)