Des devoirs d’un prince par rapport à la miliceMachiavel, Le Prince, chapitre XIV, 1532
Un prince donc ne doit avoir autre objet ni autre pensée, ni prendre autre matière à cœur que le fait de la guerre et l’organisation et discipline militaires ; car c’est le seul art qui appartienne à ceux qui commandent, ayant si grande puissance que non seulement il maintient ceux qui de race sont princes, mais bien souvent fait monter à ce degré les hommes de simple condition ; en revanche on voit que quand les princes se sont plus adonnés aux voluptés qu’aux armes, ils ont perdu leurs États. Or, la principale chose qui te les peut faire perdre, c’est ne tenir compte de cet art, et la cause qui t’en fera gagner d’autres, c’est d’en faire métier. François Sforza, pour avoir pris les armes, d’homme privé devint duc de Milan ; et ses enfants, pour avoir fui la peine et le travail des armes, de grands seigneurs et ducs sont redevenus simples particuliers. C’est que, entre autres maux qui t’adviennent pour n’être pas aguerri, tu deviens un objet de mépris, ce qui est un des mauvais renoms desquels un prince se doit garder, comme je dirai ci-après. Car, de l’homme armé à un qui ne l’est point, il n’y a nulle comparaison ; et la raison ne veut pas qu’un bien armé obéisse volontiers à celui qui est désarmé, ni qu’un homme désarmé puisse être en sûreté entre ses serviteurs armés ; parce que, régnant chez les uns le mépris, chez l’autre la crainte, il n’est pas possible qu’ils s’accordent ensemble. Par quoi le prince qui ne s’entend point au fait de la guerre, outre les autres inconvénients que j’ai déjà dits, jamais ne sera fort estimé de ses soldats ni ne pourra se fier à eux.