À propos de l’œuvreRoger Musnik

Champavert : contes immoraux

Ce recueil, sous-titré Contes immoraux (en référence aux Contes moraux de Marmontel, grand succès du XVIIIe siècle) paraît en 1833 chez l’éditeur Renduel. Ces sept contes relatent des histoires variées mais ancrées dans la barbarie et l’injustice : un séducteur amène sa Belle à l’échafaud, un mari trompé finit pas disséquer le corps de sa femme et de ses amants, un sorcier jamaïquain est exécuté, une juive est violée et assassinée, un poète tue son amante par-dessus la tombe de son enfant mort-né qu’il vient de déterrer, etc. Elles traversent différents pays et villes  ̶  Paris, Lyon, Madrid, Cuba, Jamaïque  ̶   et survolent les époques  ̶  Moyen-Âge, Renaissance, Premier Empire ou époque contemporaine. Malgré cette diversité, on retrouve les mêmes motifs : l’adultère, le crime, la femme violée ou assassinée, le suicide. Car ces Contes immoraux empruntent beaucoup à la « littérature frénétique », genre en vogue à cette époque, qui recherche le hideux, le sanglant, l’atroce. Ces histoires démontrent que la violence et la cruauté engendrées par les passions humaines restent inchangées quelle que soit le temps ou le lieu. Et, toujours en toile de fond, le suicide, rêvé ou effectué, est présenté comme un des rares moyens d’échapper à la chape sociale qui lie et avilit. Le suicide est au centre du recueil, puisque Petrus Borel affirme dans sa préface qu’il est en fait Champavert le Lycanthrope, le héros d’un de ses contes qui s’est déjà donné la mort. Ce qui fait de l’auteur un personnage de fiction dans la fiction.
 
Borel utilise beaucoup l’humour noir, en mélangeant les niveaux de langages (jusqu’au grotesque, telle la demande de Passereau l’étudiant « Je désirerais ardemment que vous me guillotinassiez »), et en utilisant des répliques de mélodrames (juste avant d’être tué par son amant, Flava s’exclame : « Frappe moi, que je meure la première ! … Tiens, frappe-là, c’est mon cœur ! »), et des termes bizarres  (des latinismes et anglicismes, des épigraphes obscurs et des références cryptiques). L’ensemble casse les conformismes littéraires, rendant ce livre difficile à inscrire dans un genre précis.
 
Champavert, édité trois fois au XIXe siècle, a connu un (relatif) succès à notre époque, tant par ce qu’il annonce (le roman criminel, le fantastique et l’horreur, le récit parodique) que par sa singularité.