Figaro préserve la nouvelle supercherie du Comte

Acte III, scène 11

Le Comte Almaviva

LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, DON BAZILE

ROSINE, effrayée, à part. Don Bazile !…
LE COMTE, à part. Juste Ciel !
FIGARO, à part. C’est le diable.
BARTHOLO va au-devant de lui. Ah ! Bazile, mon ami, soyez le bien rétabli. Votre accident n’a donc point eu de suites ? En vérité, le seigneur Alonzo m’avait fort effrayé sur votre état ; demandez-lui, je partais pour vous aller voir, et s’il ne m’avait point retenu…
BAZILE, étonné. Le seigneur Alonzo ?
FIGARO frappe du pied. Eh quoi ! toujours des accrocs ? Deux heures pour une méchante barbe… Chienne de pratique !
BAZILE, regardant tout le monde. Me ferez-Vous bien le plaisir de me dire, Messieurs… ?
FIGARO. Vous lui parlerez quand je serai parti.
BAZILE. Mais encore faudrait-il…
LE COMTE. Il faudrait Vous taire, Bazile. Croyez-Vous apprendre à Monsieur quelque chose qu’il ignore ? Je lui ai raconté que vous m’aviez chargé de venir donner une leçon de musique à votre place.
BAZILE, plus étonné. La leçon de musique !… Alonzo !…
ROSINE, à part, à Bazile. Eh ! taisez-vous.
BAZILE. Elle aussi !
LE COMTE, bas, à Bartholo. Dites-lui donc tout bas que nous en sommes convenus.
BARTHOLO, à Bazile, à part. N’allez pas nous démentir, Bazile, en disant qu’il n’est pas votre élève, vous gâteriez tout.
BAZILE. Ah ! ah !
BARTHOLO, haut. En vérité, Bazile, on n’a pas plus de talent que votre élève.
BAZILE, stupéfait. Que mon élève !… (Bas.) Je Venais pour vous dire que le comte est déménagé.
BARTHOLO, bas. Je le sais, taisez-Vous.
BAZILE, bas. Qui Vous l’a dit ?
BARTHOLO, bas. Lui, apparemment.
LE COMTE, bas. Moi, sans doute : écoutez seulement.
ROSINE, bas, à Bazile. Est-il si difficile de vous taire ?
FIGARO, bas, à Bazile. Hum ! Grand escogriffe ! il est sourd !
BAZILE, à part. Qui diable est-ce donc qu’on trompe ici ? Tout le monde est dans le secret !
BARTHOLO, haut. Eh bien, Bazile, votre homme de loi ?
FIGARO. Vous avez toute la soirée pour parler de l’homme de loi.
BARTHOLO, à Bazile. Un mot : dites-moi seulement si Vous êtes content de l’homme de loi ?
BAZILE, effaré. De l’homme de loi ?
LE COMTE, souriant. Vous ne l’avez pas Vu, l’homme de loi ?
BAZILE, impatienté. Eh ! non, je ne l’ai pas vu, l’homme de loi.
LE COMTE, à Bartholo, à part. Voulez-Vous donc qu’il s’explique ici devant elle ? Renvoyez-le.
BARTHOLO, bas, au comte. Vous avez raison. (A Bazile.) Mais quel mal vous a donc pris si subitement ?
BAZILE, en colère. Je ne Vous entends pas.
LE COMTE lui met à part une bourse dans la main. Oui, Monsieur vous demande ce que vous venez faire ici, dans l’état d’indisposition où vous êtes ?
FIGARO. il est pâle comme un mort !
BAZILE. Ah ! je comprends…
LE COMTE. Allez vous coucher, mon cher Bazile : vous n’êtes pas bien, et vous nous faites mourir de frayeur. Allez vous coucher.
FIGARO. Il a la physionomie toute renversée. Allez vous coucher.
BARTHOLO. D’honneur, il sent la fièvre d’une lieue. Allez vous coucher.
ROSINE. Pourquoi êtes-vous donc sorti ! On dit que cela se gagne. Allez vous coucher.
BAZILE, au dernier étonnement. Que j’aille me coucher !
TOUS LES ACTEURS ENSEMBLE. Eh ! sans doute.
BAZILE, les regardant tous. En effet, Messieurs, je crois que je ne ferai pas mal de me retirer ; je sens que je ne suis pas ici dans mon assiette ordinaire.
BARTHOLO. A demain, toujours : si vous êtes mieux.
LE COMTE. Bazile, je serai chez vous de très bonne heure.
FIGARO. Croyez-moi, tenez-vous bien chaudement dans votre lit.
ROSINE. Bonsoir, monsieur Bazile.
BAZILE, à part. Diable emporte si j’y comprends rien ! et sans cette bourse…
TOUS. Bonsoir, Bazile, bonsoir.
BAZILE, en s’en allant. Eh bien ! bonsoir donc, bonsoir.
Ils l’accompagnent tous en riant.

 

Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1799), Le Barbier de Séville, 1775.
> Texte intégral : Paris, Laplace, Sanchez et Cie, 1876