Remède à la migraine des femmes
Méditation XXVI
Dans la Méditation XXVI, « Des différentes armes » utilisées par les femmes à l’encontre de leurs maris, où Balzac annonce sa future « Pathologie de la vie sociale », il réserve un traitement de choix à la migraine.
Voilà la migraine, vraie ou fausse, impatronisée chez vous. La migraine commence alors à jouer son rôle au sein du ménage. C'est un thème sur lequel une femme sait faire d'admirables variations, elle le déploie dans tous les tons. Avec la migraine seule, une femme peut désespérer un mari. La migraine prend à madame quand elle veut, où elle veut, autant qu'elle le veut. Il y en a de cinq jours, de dix minutes, de périodiques ou d'intermittentes.
Vous trouvez quelquefois votre femme au lit, souffrante, accablée, et les persiennes de sa chambre sont fermées. La migraine a imposé silence à tout, depuis les régions de la loge du concierge, lequel fendait du bois, jusqu'au grenier d'où votre valet d'écurie jetait dans la cour d'innocentes bottes de paille. Sur la foi de cette migraine, vous sortez ; mais à votre retour, on vous apprend que madame a décampé !... Bientôt madame rentre fraîche et vermeille : – Le docteur est venu ! dit-elle, il m'a conseillé l'exercice, et je m'en suis très-bien trouvée !...
Un autre jour, vous voulez entrer chez madame. – Oh ! monsieur ! vous répond la femme de chambre avec toutes les marques du plus profond étonnement ; madame a sa migraine, et jamais je ne l'ai vue si souffrante ! On vient d'envoyer chercher monsieur le docteur.
– Es-tu heureux, disait le maréchal Augereau au général R...., d'avoir une jolie femme ! – Avoir ! reprit l'autre. Si j'ai ma femme dix jours dans l'année, c'est tout au plus. Ces s... femmes ont toujours ou la migraine ou je ne sais quoi !
La migraine remplace, en France, les sandales qu'en Espagne le confesseur laisse à la porte de la chambre où il est avec sa pénitente.
Si votre femme, pressentant quelques intentions hostiles de votre part, veut se rendre aussi inviolable que la charte, elle entame un petit concerto de migraine. Elle se met au lit avec toutes les
peines du monde. Elle jette de petits cris qui déchirent l'âme. Elle détache avec grâce une multitude de gestes si habilement exécutés qu'on pourrait la croire désossée. Or, quel est l'homme assez peu délicat pour oser parler de désirs, qui, chez lui, annoncent la plus parfaite santé, à une femme endolorie ? La politesse seule exige impérieusement son silence. Une femme sait alors qu'au moyen de sa toute-puissante migraine elle peut coller à son gré au-dessus du lit nuptial cette bande tardive qui fait brusquement retourner chez eux les amateurs affriolés par une annonce de la Comédie-Française quand ils viennent à lire sur l'affiche : Relâche par une indisposition subite de mademoiselle Mars.
O migraine, protectrice des amours, impôt conjugal, bouclier sur lequel viennent expirer tous les désirs maritaux ! O puissante migraine ! est-il bien possible que les amants ne t'aient pas encore célébrée, divinisée, personnifiée ! O prestigieuse migraine ! ô fallacieuse migraine, béni soit le cerveau qui le premier te conçut ! honte au médecin qui te trouverait un préservatif ! Oui, tu es le seul mal que les femmes bénissent, sans doute par reconnaissance des biens que tu leur dispenses, ô fallacieuse migraine ! ô prestigieuse migraine !
Honoré de Balzac, Physiologie du mariage, 1829.
> Texte intégral dans Gallica : Paris, Furne, 1842-1848