Cathéchisme conjugal

Méditation V

 

Dans la Méditation V, « Des prédestinés », l’auteur présente aux « jeunes gens à marier » et aux maris prédestinés… au cocuage un « Catéchisme conjugal », prémisses, après la Physiologie du goût de Brillat-Savarin, d’une « Physiologie du plaisir ».
 
Tous les hommes ressentent le besoin de la reproduction, comme tous ont faim et soif ; mais ils ne sont pas tous appelés à être amants et gastronomes. Notre civilisation actuelle a prouvé que le goût était une science, et qu'il n'appartenait qu'à certains êtres privilégiés de savoir boire et manger. Le plaisir, considéré comme un art, attend son physiologiste. Pour nous, il suffit d'avoir démontré que l'ignorance seule des principes constitutifs du bonheur produit l'infortune qui attend tous les prédestinés :
C'est avec la plus grande timidité que nous oserons hasarder la publication de quelques aphorismes qui pourront donner naissance à cet art nouveau comme des plâtres ont créé la géologie ; et nous les livrons aux méditations des philosophes, des jeunes gens à marier et des prédestinés.

CATÉCHISME CONJUGAL.

XXVII.
Le mariage est une science.

XXVIII.
Un homme ne peut pas se marier sans avoir étudié l'anatomie et disséqué une femme au moins.

XXIX.
Le sort d'un ménage dépend de la première nuit.

XXX.
La femme privée de son libre arbitre ne peut jamais avoir le mérite de faire un sacrifice.
 
XXXI.
En amour, toute âme mise à part, la femme est comme une lyre qui ne livre ses secrets qu'à celui qui en sait bien jouer.

XXXII.
Indépendamment d'un mouvement répulsif, il existe dans l'âme de toutes les femmes un sentiment qui tend à proscrire tôt ou tard les plaisirs dénués de passion.

XXXIII.
L'intérêt d'un mari lui prescrit au moins autant que l'honneur de ne jamais se permettre un plaisir qu'il n'ait eu le talent de faire désirer par sa femme.

XXXIV.
Le plaisir étant causé par l'alliance des sensations et d'un sentiment, on peut hardiment prétendre que les plaisirs sont des espèces d'idées matérielles.

XXXV.
Les idées se combinant à l'infini, il doit en être de même des plaisirs.

XXXVI.
Il ne se rencontre pas plus dans la vie de l'homme deux moments de plaisirs semblables, qu'il n'y a deux feuilles exactement pareilles sur un même arbre.

XXXVII.
S'il existe des différences entre un moment de plaisir et un autre, un homme peut toujours être heureux avec la même femme.

XXXVIII.
Saisir habilement les nuances du plaisir, les développer, leur donner un style nouveau, une expression originale, constitue le génie d'un mari.

XXXIX.
Entre deux êtres qui ne s'aiment pas, ce génie est du libertinage ; mais les caresses auxquelles l'amour préside ne sont jamais lascives.
 
XL.
La femme mariée la plus chaste peut être aussi la plus voluptueuse.

XLI.
La femme la plus vertueuse peut être indécente à son insu.

XLIl.
Quand deux êtres sont unis par le plaisir, toutes les conventions sociales dorment. Cette situation cache un écueil sur lequel se sont brisées bien des embarcations. Un mari est perdu s'il oublie une seule fois qu'il existe une pudeur indépendante des voiles. L'amour conjugal ne doit jamais mettre ni ôter son bandeau qu'à propos.

XLIII.
La puissance ne consiste pas à frapper fort ou souvent, mais à frapper juste.

XLIV.
Faire naître un désir, le nourrir, le développer, le grandir, l'irriter, le satisfaire, c'est un poëme tout entier.

XLV.
L'ordre des plaisirs est du distique au quatrain, du quatrain au sonnet, du sonnet à la ballade, de la ballade à l'ode, de l'ode à la cantate, de la cantate au dithyrambe. Le mari qui commence par le dithyrambe est un sot.

XLVI.
Chaque nuit doit avoir son menu.

XLVII.
Le mariage doit incessamment combattre un monstre qui dévore tout : l'habitude.

XLVIII.
Si un homme ne sait pas distinguer la différence des plaisirs de deux nuits consécutives, il s'est marié trop tôt.

XLIX.
Il est plus facile d'être amant que mari, par la raison qu'il est plus difficile d'avoir de l'esprit tous les jours que de dire de jolies choses de temps en temps.

L.
Un mari ne doit jamais s'endormir le premier ni se réveiller le dernier.

LI.
L'homme qui entre dans le cabinet de toilette de sa femme est philosophe ou un imbécile.

LII.
Le mari qui ne laisse rien à désirer est un homme perdu.

LUI.
La femme mariée est un esclave qu'il faut savoir mettre sur un trône.

LIV.
Un homme ne peut se flatter de connaître sa femme et de la rendre heureuse que quand il la voit souvent à ses genoux.
 
 
Honoré de Balzac, Physiologie du mariage, 1829.
> Texte intégral dans Gallica : Paris, Furne, 1842-1848