Venise, machine à effacer le tempsJulien Gracq
Car Venise, n’est pas, comme Rome, une machine à remonter le temps, mais plutôt une machine à l’effacer, un embarcadère vers des limbes temporels, où un appesantissement immobile frappe d’insignifiance les vagues évènements d’une histoire marchande et d’une communauté réduite aux acquêts. Où toute une succession de siècles, banalisés par l’anonymat du trafic, nonobstant les dépouilles dont ils ont enrichi distraitement la ville, sous la succion de la ligne plate de la lagune semblent avoir eu pour destinée de venir s’engloutir l’un après l’autre à vau-l’eau.
Julien Gracq (1910-2007), Autour des sept collines, José Corti, 1988.