Les tombeaux de PompéiAlexandre Dumas
Dumas raconte le voyage qu’il effectue de Rome à Naples en 1835 avec le peintre Louis Godefroy Jadin. Il visite les ruines de Pompéi.
Cette rue des tombeaux est un magnifique péristyle pour entrer dans une ville morte ; puis tous ces monuments funèbres placés aux deux côtés de la route consulaire au bout de laquelle s’ouvre béante la porte de Pompeïa, ne dépassant pas la couche de sable qui les recouvrait, se sont conservés intacts comme au jour où ils sont sortis des mains de l’artiste : seulement le temps a déposé sur eux en passant cette belle teinte sombre, ce vernis des siècles qui est la suprême beauté de toute architecture.
Joignez à cela la solitude, cette poétique gardienne des sépulcres et des ruines.
Que serait-ce donc, je le répète, si l’on n’avait point passé par Herculanum ! Qu’on se figure, sous un soleil ardent, ou, si l’on aime mieux sous un pâle rayon de la lune, une rue large de vingt pas, longue de cinq cents, toute sillonnée encore par les roues des chars antiques, toute garnie de trottoirs pareils aux nôtres, toute bordée, à droite et à gauche, par des monuments funéraires, au-dessus desquels se balancent quelques maigres et tristes arbustes poussés à grand peine dans cette cendre ; offrant à son extrémité, comme une grande arche à travers laquelle on ne voit que le ciel, cette porte par laquelle on allait de la ville des morts à celle des vivants ; qu’on entoure tout cela de silence, de solitude, de recueillement, et on aura une idée bien incomplète encore, de l’aspect merveilleux que présente le faubourg de Pompeïa, appelé par les anciens le bourg d’Augustus Felix, et par les modernes la rue des Tombeaux.
Nous nous arrêtâmes, ne songeant plus à ce soleil de trente degrés qui nous tombait d’aplomb sur nos têtes, moi pour prendre le nom de tous ces monuments, Jadin pour faire un croquis de cette vue. On eût dit que nous avions peur de voir disparaître tout ce panorama d’un autre âge, et que nous voulions le fixer sur le papier avant qu’il s’envolât comme un songe ou qu’il s’évanouît comme une vision.
Alexandre Dumas (1855-1870), Le Corricolo, 1843
> texte intégral dans Gallica : Paris, Boulé, 1846