Le lac de CômeStendhal
Le château de Grianta de la famille del Dongo se situe au bord du lac de Côme, lieu de plaisantes balades en barque mais aussi moyen de fuir sans être vu. Après le décès de son premier époux, le comte Pietranera, la tante de Fabrice quitte Milan pour vivre au château de Grianta et jouit de la beauté du paysage. Stendhal traduit ici ses propres émotions, qu’il avait une première fois décrites dans son récit de voyage Rome, Naples et Florence.
La comtesse se mit à revoir, avec Fabrice, tous ces lieux enchanteurs voisins de Grianta, et si célébrés par les voyageurs : la villa Melzi de l’autre côté du lac, vis-à-vis le château, et qui lui sert de point de vue ; au-dessus le bois sacré des Sfondrata et le hardi promontoire qui sépare les deux branches du lac, celle de Côme, si voluptueuse, et celle qui court vers le Lecco, pleine de sévérité : aspects sublimes et gracieux que le site le plus renommé du monde, la baie de Naples, égale mais ne surpasse point. C'était avec ravissement que la comtesse retrouvait les souvenirs de sa première jeunesse et les comparait à ses sensations actuelles. Le lac de Côme, se disait-elle, n'est point environné, comme le lac de Genève, de grandes pièces de terre bien closes et cultivées selon les meilleures méthodes, choses qui rappellent l'argent et la spéculation. Ici, de tous côtés je vois des collines d'inégales hauteurs, couvertes de bouquets d'arbres plantés par le hasard, et que la main de l'homme n'a point encore gâtés et forcés à rendre du revenu. Au milieu de ces collines aux formes admirables et se précipitant vers le lac par des pentes si singulières, je puis garder toutes les illusions des descriptions du Tasse et de l'Arioste. Tout est noble et tendre, tout parle d’amour, rien ne rappelle les laideurs de la civilisation.
Stendhal, La Chartreuse de Parme, 1839. Chapitre II
> texte intégral dans Gallica : Paris, Conquet, 1883