Article « Religion »Voltaire, Dictionnaire philosophique, 1764

 

Quatrième question

Lorsqu’une fois une religion est établie légalement dans un État, les tribunaux sont tous occupés à empêcher qu'on ne renouvelle la plupart des choses qu'on faisait dans cette religion avant qu'elle fût publiquement reçue. Les fondateurs s'assemblaient en secret malgré les magistrats ; on ne permet que les assemblées publiques sous les yeux de la loi, et toutes associations qui se dérobent à la loi sont défendues. L'ancienne maxime était qu'il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes ; la maxime opposée est reçue, que c'est obéir à Dieu que de suivre les lois de l'État. On n'entendait parler que d'obsessions et de possessions, le diable était alors déchaîné sur la terre : le diable ne sort plus aujourd'hui de sa demeure. Les prodiges, les prédictions étaient alors nécessaires : on ne les admet plus. Un homme qui prédirait des calamités sur les places publiques serait mis aux Petites-Maisons. Les fondateurs recevaient secrètement l'argent des fidèles ; un homme qui recueillerait de l'argent pour en disposer sans y être autorisé par la loi serait repris de justice. Ainsi, on ne se sert plus d'aucun des échafauds qui ont servi à bâtir l'édifice.

 

Cinquième question

Après notre sainte religion, qui sans doute est la seule bonne, quelle serait la moins mauvaise ?
Ne serait-ce pas la plus simple ? Ne serait-ce pas celle qui enseignerait beaucoup de morale et très peu de dogmes ? celle qui tendrait à rendre les hommes justes sans les rendre absurdes ? celle qui n'ordonnerait point de croire des choses impossibles, contradictoires, injurieuses à la Divinité et pernicieuses au genre humain, et qui n'oserait point menacer des peines éternelles quiconque aurait le sens commun ? Ne serait-ce point celle qui ne soutiendrait pas sa créance par des bourreaux, et qui n'inonderait pas la terre de sang pour des sophismes inintelligibles ? celle dans laquelle une équivoque, un jeu de mots et deux ou trois chartes supposées ne feraient pas un souverain et un dieu d'un prêtre souvent incestueux, homicide et empoisonneur ? celle qui ne soumettrait pas les rois à ce prêtre ? celle qui n'enseignerait que l'adoration d'un Dieu, la justice, la tolérance et l'humanité ?