Au cours de la IIIe république, la France connaît une fièvre nationaliste. Sous son influence se développe moins de xénophobie - quoique dans ses déclarations colonialistes Jules Ferry évoque les " races supérieures " et les " races inférieures " - qu'un antisémitisme virulent qui conduira à l'affaire Dreyfus. Cet événement redoutable pour la paix sociale est le moment où la catégorie des "intellectuels" prend position et s'inscrit parmi les élites. Sur le plan politique, l'Affaire Dreyfus provoque une importante recomposition des forces politiques selon la traditionnelle ligne de fracture gauche-droite. Bien que les choses ne soient pas systématiques, la droite entraînée par son aile nationaliste se révèle antidreyfusarde tandis que la gauche, à l'exception de certains militants socialistes ou anarchistes qui voient dans le "Juif" Dreyfus un représentant du grand capital, soutient Zola et les intellectuels.
Petite chronologie de l'Affaire Dreyfus
Décembre 1894. Comparution du capitaine Alfred Dreyfus devant un Conseil
de guerre qui siège à huis-clos. Il est condamné à
la déportation le 22 décembre pour espionnage sur la foi d'un
" dossier secret " fabriqué de toutes pièces par la Section de
statistique et transmis aux jurés lors de leur délibération.
Alfred Dreyfus est dégradé dans la cours de l'Ecole militaire.
Le frère de Dreyfus, assisté par Bernard Lazare (1865-1903) s'évertue
dès lors à faire réviser le procès pour irrégularité.
1er septembre 1896. Le nouveau chef de la Section de statistique,
le colonel Picquart qui est convaincu de la culpabilité du chef de bataillon
Esterhazy demande à sa hiérarchie dans une note secrète
de permettre la révision du procès Dreyfus. Il est muté
en Tunisie par l'Etat-major.
2 novembre 1896. Le colonel Henry rédige un faux document pour empêcher
la réouverture du dossier.
6 novembre 1896. Bernard Lazare publie La Vérité sur l'affaire
Dreyfus (Bruxelles).
Juillet 1897. L'avocat Leblois informe le vice-président du sénat
Auguste
Scheurer-Kestner (1833-1899) de l'affaire. Ce dernier se rallie aux dreyfusards.
11 janvier 1898. Acquittement d'Esterhazy par le Conseil de guerre.
13 janvier 1898 Publication de " J'accuse " dans L'Aurore par Emile Zola.
L'écrivain dénonce l'Etat-major. L'article est l'étincelle
qui met le feu aux poudres : La révision du procès Dreyfus devient
l'Affaire. Poursuivi, Zola reçoit le soutien des "intellectuels" qui
prennent sa défense par voie de pétition.
31 août 1898. Le faux d'Henry est découvert, il se suicide dans
la cellule où il est enfermé.
3 juin 1899. La Cour de cassation casse le jugement de 1894. Dreyfus est renvoyé
devant le Conseil de guerre de Rennes qui le juge coupable avec les circonstances
atténuantes. Conseil
de guerre de Rennes. Compte-rendu sténographique. - Paris, P.-V.
Stock, 1899.
19 septembre 1899. Interné depuis cinq ans au bagne de Guyane, Dreyfus
est gracié par le président Loubet. La
Révision du Procès Dreyfus. Débats de la cour de cassation,
rapport de M. Ballot-Beaupré, conclusions de M. le procureur général
Manau, Mémoire et plaidoirie de Me Mornard, Arrêt de la Cour
- Paris, P.-V. Stock, 1899.
12 juillet 1906. Réhabilitation du capitaine Dreyfus, et du colonel Picquart,
par la Cour de cassation.
Si elle est l'expression de l'antisémitisme, l'affaire Dreyfus n'est
pas la première manifestation du racisme : dès 1835, le diplomate
Arthur
de Gobineau (1816-1882) avait entamé la publication de son Essai
sur l'inégalité des races qui justifiera longtemps la défense
du racisme en tant que doctrine scientifique. D'un point de vue idéologique,
nombreux sont ceux qui font profession de foi de leur antisémitisme :
le fouriériste Alphonse
de Toussenel (1803-1885) publie Les Juifs, rois de l'époque
(Marpon et Flammarion, 1886. 2 vol.) , bientôt suivi de son disciple Edouard
Drumont (1844-1917) qui s'en fera une spécialité, notamment
avec La France juive, essai d'histoire contemporaine (Savine, 1886, 2
vol.) ou Les Juifs contre la France... (Librairie Antisémite,
1899) et sera à l'origine de la création de la Librairie Antisémite
et le fondateur de La Libre parole.
Edouard Drumont est, à vingt ans, employé à l'Hôtel
de ville de Paris. Il quitte ce poste pour se lancer dans le journalisme et
entre au Diable à quatre, un journal de Villemessant. Il collabore
parallèlement à L'Inflexible, un organe antirépublicain
où il dévoile les secrets de Villemessant qui le congédie.
Avant de porter la bannière de l'antisémitisme français,
Edouard Drumont avait fait les oraisons funèbres d'Emile Pereire - qu'il
comparait à Napoléon – et de son frère Isaac. C'est la
publication en 1886 de La France juive par l'éditeur Savine et
la création en 1892 de La Libre Parole, journal où il défend
des thèses socialistes qui lui ouvrent la voie du succès. En tant
que journaliste, son premier coup d'éclat fut la révélation
du scandale de Panama. Il sera élu en 1898 député d'Alger.
Georges Darien a laissé de lui un portrait dans son roman Les Pharisiens
(1891) où sont retracées les figures de Drumont (l'ogre) et de
son éditeur.
Sources
J.-M. Mayeur, "Affaire Dreyfus" in M.
Ambrière (dir.), Dictionnaire du XIXe
siècle européen. - Paris, PUF, 1998, pp. 344-345.
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