(Dossier établi par J.D.Jumeau-Lafond)
Ayant voulu faire, selon ses propres mots,
"la part du Rêve" dans la série des Rougon-Macquart,
il était normal qu'Emile Zola souhaite confirmer ce choix dans la première
édition illustrée en volume du Rêve, qui devait paraître
en 1893. Il n'est donc guère surprenant que l'écrivain et l'éditeur
Flammarion aient cherché un dessinateur capable de compléter le
texte par une illustration qui tranche, elle aussi, avec le reste de l'univers
zolien. Loin des milieux naturalistes, c'est chez un jeune artiste suisse vivant
depuis peu à Paris, Carlos Schwabe (1866-1926), qu'ils trouvèrent
ce qu'ils cherchaient, ce mélange de féerie et de naïveté
susceptible de caractériser par l'image un texte qui devait lui-même
pouvoir être mis "entre toutes les mains".
Schwabe, né en 1866, et donc tout juste âgé de 25 ans, était
à l'aube de sa carrière mais celle-ci devait être fulgurante
à la faveur d'un événement qui eut lieu en mars 1892 alors
qu'il travaillait encore à l'illustration du Rêve : le premier
Salon de la Rose + Croix du Sâr Péladan, manifestation idéaliste
qui fit courir tout Paris et que Zola lui-même visita, se déclarant
"intéressé" et "charmé". L'écrivain
avait déjà pu voir les oeuvres de Schwabe, mais il fut sans doute
confirmé dans son jugement en voyant au Salon les aquarelles pour L'Evangile
de l'Enfance, véritable "clou" de l'exposition ; simplicité
du regard mais dessin aigü et primitif conféraient à ces
oeuvres une sorte de "naïveté voulue", selon les commentateurs,
et un archaïsme moyenâgeux, non pas dans le genre du pastiche si
fréquent à l'époque, mais dans une sorte d'authentique
mysticisme visionnaire. Contrairement à ce qu'on a pu dire parfois, Zola
appréciait donc l'art de Schwabe ; n'écrivit-il pas à Flammarion
qu'il "tenait beaucoup" à l'artiste pour ce travail, ajoutant
: "je suis certain que nous aurons avec lui une oeuvre très artistique
et très originale".
On peut affirmer que Zola ne s'était pas trompé, non seulement parce que l'illustration du Rêve conçue par Schwabe occupe une place à part dans le corpus des images zoliennes, mais aussi parce qu'en effet l'artiste poussa très loin l'originalité, donnant naissance à une création à part entière et qui, selon les critiques, révolutionna l'art de l'illustration, faisant du Rêve une référence pour l'art symboliste.
Certes, Schwabe ne put achever son travail, non par mésentente avec Zola,
mais parce que, surestimant ses forces, et souhaitant produire une suite marquante,
il prit un retard qu'il ne put rattrapper. Sa longue et unique lettre à
Zola montre ce souci "de faire aussi une oeuvre" et de se démarquer
par rapport à l'illustration contemporaine, banale et souvent commerciale.
L'achèvement du travail par Lucien Métivet, artiste médiocre
et sans grande imagination, donne comme une démonstration exemplaire
de ce voeu, la comparaison des deux illustrations étant accablante pour
Métivet.
Il est cependant exact qu'Emile Zola fut surpris par le travail de Schwabe,
y découvrant "tant de choses qu'il ne se souvenait pas d'avoir mises
dans le livre" ; c'est que Schwabe, artiste symboliste et visionnaire,
ne se contenta pas de répéter la narration par une image descriptive.
Il interpréta, transcrit, spiritualisa les objets, matérialisa
les pensées, extrapola et symbolisa par un monde onirique, merveilleux
et étrange, les ressorts psychologiques et le sens profond du texte ;
ne parvient-il pas donner un visage à l'Hérédité,
ce thème majeur du monde zolien, allant ainsi très au-delà
de ce que l'écrivain avait imaginé possible ?
Par la création d'un monde imaginaire, situé en marge de l'action,
mais l'expliquant et lui donnant sens, Schwabe fit de l'édition illustrée
du Rêve un véritable dialogue entre le texte et l'image.
Il jeta ainsi bas les conventions du genre au profit d'une nouvelle conception
: on ne le lui avait pas demandé, ainsi qu'il l'écrivit lucidement
à Zola, mais il en avait fait une question d'honneur et avec raison si
l'on en juge par le succès du livre et sa postérité. Zola,
dans Le Docteur Pascal, aura beau s'inspirer de dessins de Schwabe pour
fustiger l'Idéalisme et la fuite devant le réel, il est peu probable
qu'il eut à regretter d'avoir choisi le jeune artiste, lequel, mieux
que quiconque, avait pu l'aider à réaliser son souhait : "montrer
que tout est un rêve".
(outre ces aquarelles il existe quelques autres dessins préparatoires et/ou aquarelles dans des collections particulières).
(à partir de la page 281 les illustrations sont de Lucien Métivet)
Certaines illustrations sont sous-titrées d'un extrait du texte retenu
ici comme titre.
D'autres ont un titre traditionnel dans la bibliographie, repris ici.
D'autres ne sont pas titrées.
Illustrations en pleine page et principaux culs-de-lampe narratifs (45 images + en gras les suggestions de reproduction d'aquarelles originales en rapport (3) soit au total 48 images) :