Collection anthropologique du Prince Roland Bonaparte, 1875. Société de géographie L'Afrique dans les Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris : 1859-1890

Les articles concernant l'Afrique publiés dans les bulletins de la Société d'anthropologie constituent un ensemble significatif des préoccupations scientifiques et idéologiques qui ont animé et opposé les membres de cette société dans la seconde moitié du XIXe siècle. Une cinquantaine d'articles sont signalés ici, la plupart signés par les plus éminents sociétaires : publications d'instructions, en particulier pour l'Afrique du nord ; analyses des matériaux ramenés par les voyageurs ; "observations sur le vivant", au Jardin d'acclimatation, des "spécimens représentatifs" des différentes races... Ces articles constituent des sources importantes pour l'histoire de l'anthropologie française.

La Société d'anthropologie est fondée par Paul Broca en 1859. Dès l'origine, elle est dominée par les médecins, Jacques Bertillon, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Louis-Pierre Gratiolet, ou Paul Topinard un peu plus tard. Cette forte composante de naturalistes déterminera la perspective de ses travaux, du moins jusqu'aux années 1890. Les bulletins témoignent du souci constant des sociétaires de doter l'anthropologie d'un programme, d'une problématique spécifique, de règles d'observation précises, d'instruments méthodologiques, privilégiant l'étude des caractères physiques de l'homme au détriment des manifestations intellectuelles et morales. On est frappé par la place donnée, dans une perspective comparatiste, à la craniologie, aux observations anatomiques, depuis la forme du visage des paysans bretons, les proportions du corps des Lapons, la nature des cheveux des Berbères, jusqu'aux Hottentotes stéatopyges. L'ethnographie y occupe en effet une petite place, laissée aux non professionnels, voyageurs, missionnaires, commerçants, agents consulaires…Une véritable hiérarchisation des fonctions est instaurée par les savants. Il s'agit en effet pour l'anthropologie physique, comme pour l'ethnographie, de faire des recommandations standardisées, pour pouvoir collecter des matériaux homogènes qui pourront être étudiés par les anthropologues. Le voyageur n'est plus un aventurier abandonné à sa curiosité vagabonde, mais "l'oeil de la science". De leur côté, médecins, militaires, correspondants se sont souvent tournés vers les sociétés pour obtenir des instructions. Ce souci de guider les voyageurs sur le terrain, qui répond d'ailleurs aussi aux besoins du colonisateur, est marqué par la création au sein de la société d'une commission permanente pour les Instructions. Bertillon, Lagneau, Topinard seront chargés de l'Afrique ; le commandant Duhousset et le général Faidherbe seront associés pour l'Algérie.

Loin du terrain, mais s'efforçant de passer au crible les matériaux ramenés par les voyageurs [l'article de Thulié], les bulletins sont restés fermés aux collaborations extérieures, servant de tribune aux seuls membres de la société. Ainsi les articles d'Antoine d'Abbadie sur l'Abyssinie, celui de l'explorateur allemand Schweinfurth, un des premiers grands observateurs des Pygmées, héritier de Barth, demeurent des cas isolés. Ce n'est que dans les années 1880 que le courant ethnographique gagnera en audience, bien que représenté par des personnalités occupants des positions idéologiques opposées, Dally, Deniker, Letourneau, Hamy. Ce dernier, directeur du Musée d'ethnographie, membre de la Société de géographie, sera le seul à garder contact avec les voyageurs. Son réseau lui permit d'enrichir considérablement les collections ethnographiques africaines du Musée, grâce aux dons d'Henri Duveyrier, Alfred Marche ou de Paul Soleillet.