LA MEMOIRE INVOLONTAIRE

Nittis, Petit déjeuner dans le jardin Dès les premières ébauches du Contre Sainte-Beuve, en 1909, le thème de la mémoire involontaire fait son apparition dans le cadre du réveil du Narrateur. Au sortir du sommeil profond de la nuit, les sensations physiques qu'il éprouve le font se remémorer les lieux où il a dormi autrefois. A partir de ce moment, le récit se développe et va donner naissance au roman dont sortira la future Recherche. Proust continuera en effet d'exploiter ce thème et, dès le début de Du côté de chez Swann, le fameux épisode de la "madeleine trempée dans du thé" par le Narrateur ressuscite aussitôt "Combray et ses environs" et par là même, toute son enfance.

Dans le Temps retrouvé, les souvenirs liés la mémoire involontaire jouent un rôle déterminant dans la vocation du Narrateur. Revenu à Paris, après la guerre, il va revivre son passé, grâce à une série de réminiscences de ce type, lors de la matinée chez la Princesse de Guermantes.

Lorsqu'il bute dans la cour de son hôtel sur des pavés "mal équarris", il éprouve une félicité comparable à celle qu'il avait ressentie par l'intermédiaire de la madeleine. Cette fois, c'est Venise où il avait trébuché sur deux dalles inégales du baptistère de Saint-Marc qui lui est restituée dans sa totalité.

Ensuite, dans la bibliothèque de la Princesse de Guermantes, il entend le bruit fait par un maître d'hôtel en heurtant une cuiller contre une assiette. Aussitôt, la sensation de félicité revient, liée à une rangée d'arbres entrevus au moment d'une panne du train dans lequel il se trouvait, en rase campagne, et qu'un employé avait réparée en donnant des coups de marteau dont le bruit était proche de celui de la cuiller frappant contre l'assiette.

Enfin, une réminiscence tactile provoquée par le contact d'une serviette de table ayant le même "genre de raideur et d'empesé" que celle de la serviette de toilette donnée par une maître d'hôtel de Balbec, fait revivre pour un instant le premier séjour au bord de la mer.

Après ces résurrections de Venise, de la campagne et de Balbec, le Narrateur, constate que l'œuvre d'art est le seul moyen d'analyser les sensations Cette interprétation est d'ailleurs confirmée par la lecture, dans la bibliothèque, d'un passage de François le Champi de George Sand qui le replonge dans son enfance où il revit la scène du baiser du soir maternel contrariée par la présence de Swann, relatée dans Combray. Or Le Temps retrouvé s'achève sur le départ des invités de la matinée de la Princesse de Guermantes qui évoque aussitôt le tintement de la clochette annonçant le départ de Swann qui permettait enfin à la mère du Narrateur de venir l'embrasser.

La boucle est donc bouclée. Le Narrateur se rend compte alors qu'il doit remonter le Temps pour réaliser enfin sa vocation d'écrivain.