Petits choux et grands décors : le gâteau de mariage au XIXe siècle

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23 juin 2016

Si la prédominance de la pièce montée choux-caramel s’est imposée dans la France des années 1950, le XIXe siècle s’autorise des desserts alliant créativité et gigantisme. A l’origine de ces œuvres monumentales : la pâtisserie d’art française et le wedding cake anglais.

Paul Kaufmann, Le repas de noce, 1902 (BNUS)

L’essor du régionalisme et le goût pour le particularisme folklorique des territoires français permet dès les années 1830 de collecter récits et tableaux sur les noces provinciales. Constitué d’un ensemble de rites de passage marquant l’évolution du statut de la mariée, le mariage intègre le gâteau de préférence avant et après le repas. Symbole du lien entre les futurs époux, sous la forme d’une tarte ronde ou d’une brioche bombée rappelant la nécessaire fécondité de l’épousée, les pâtisseries se déclinent à l’infini selon ingrédients et croyances locales. Si une coutume répandue veut qu’un morceau de gâteau glissé sous l’oreiller permette de contempler en rêve le visage de son futur époux, les jeunes filles doivent également accepter de casser le biscuit nuptial sur leur tête et d’en partager les morceaux avec l’assemblée.

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Urbain Dubois, Grand livre des pâtissiers et des confiseurs (4e édition), 1896

Dans les cuisines de l’élite parisienne, le mariage prend une fonction sociale. Contrat privé entre deux familles, il est l’enjeu d’un processus de négociations complexes, dont les mariés sont absents mais que leur repas copieux ainsi que leur gâteau se doit d’illustrer, par le biais d’une création monumentale, dénuée souvent de toute connotation conjugale. Antonin Carême, théoricien de la pâtisserie d’art propose donc un Casque romain sur socle, idéal pour un mariage agrémenté de quelques fleurs. Gustave Garlin impose déjà une version complexe de la corne d’abondance, qui peut être remplacée par un Chalet Beauséjour ou un Château de Maintenon en pastillage, allusion sucrée au futur logis des époux, tandis qu’Urbain Dubois imagine une pyramide en sucre poli, véritable travail d’orfèvre. Partie intégrante de la dot et du trousseau de la mariée, ce symbole de la réussite bourgeoise se goûte du regard et c’est au maître d’hôtel d’en orchestrer un éventuel partage.

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Antonin Carême, Le pâtissier national parisien, ou Traité élémentaire et pratique de la pâtisserie ancienne et moderne : suivi d'observations utiles au progrès de cet art (Tome 2), 1879

Ces œuvres d’arts sucrées aux motifs infinis, à condition d’être grandioses, cohabitent dès les années 1895 avec un concurrent anglais, mis à la mode par le jubilé du mariage du prince Albert et de la Reine Victoria : le Wedding Cake. Déclinant des origines médiévales, ce gâteau prend de la hauteur au tournant du siècle sous l’influence des chefs continentaux et s’habille d’une glace royale à la blancheur virginale, inspirée du pastillage français. Si son temps de préparation et de conservation anormalement long en fait un objet symbolique fort, ils sont surtout l’occasion pour la presse française de s’étonner et de commenter la course au gigantisme lancée par leurs voisins d’outre-manche. Les expositions culinaires se font le reflet de cette rivalité sucrée en révélant au grand public la pièce record de 100kg de la biscuiterie Huntley and Palmers.  

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Repas de mariage des époux Hegmann, 1899 (BM Dijon)

Si presse culinaire et livres de recettes comme le Dictionnaire de Cuisine de Joseph Favre en 1900 relayent cette coutume anglaise, la Baronne Staffe ne peut que déconseiller ce gâteau lourd et un brin vulgaire, en dépit de son adoption par toutes les têtes couronnées du siècle. Guides de bonnes mœurs et traités d’éducations recommandent pièces montées et entremets légers, à l’image du repas de noce d’Emma Bovary, préparés par un pâtissier traiteur comme Henry ou dégusté au restaurant. Si la haute bourgeoisie urbaine intègre progressivement ce menu, la province continue d’y associer des pâtisseries locales, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.