Chateaubriand et la presse : une littérature éphémère ?

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On se souvient aujourd’hui de François-René de Chateaubriand comme d’un précurseur du Romantisme, auteur des Mémoires d’Outre-Tombe. Canonisé « grand écrivain », il nous fait vite oublier un aspect fondamental mais bien plus éphémère de sa plume : l’écriture dans la presse. Petit parcours d’une vie de journaliste agitée, avec ses deux volets : cette semaine, le journalisme littéraire, la semaine prochaine le journalisme politique.

Scènes du Génie du Christianisme, estampe de 1854

Un début de carrière littéraire par la presse

Né à Saint-Malo en 1768, le cadet de la famille noble de Chateaubriand n’est pas destiné à la carrière des Lettres. Seule sa sœur Lucile partage avec lui des aspirations sensibles et littéraires. Il publie son premier texte en 1790 dans l’Almanach des Muses, première étape presque obligée dans la carrière d’un jeune aspirant à la littérature. Il s’agit, dans la tradition des Belles-Lettres, d’un poème nommé « L’amour de la campagne ». Jeune, il se rêve donc poète et non prosateur.
 

 
Page de titre de l’Almanach des Muses et début du premier texte publié de Chateaubriand

 

Loin des fracas de la Révolution dont il ne voit que les États-Généraux avant de partir en Amérique, il revient en France pour se battre auprès des royalistes puis s’enfuit en Angleterre : c’est là-bas qu’il entamera une véritable carrière de journaliste sous le patronage d’un Breton, Peltier, connu pour Les Actes des Apôtres. Dans Paris pendant l’année ***, un journal des exilés publié à Londres, le jeune Chateaubriand, qui vit en donnant des cours et en faisant des traductions, donnera notamment quelques critiques littéraires parmi lesquelles une attaque violente de la Guerre des dieux de Parny et une défense de son ouvrage, l’Essai sur l’origine des Révolutions.

Le temps de Napoléon : un retour en France par la littérature

Ces premières publications sont souvent considérées comme de simples prémisses, et c’est de son expérience dans le Mercure de France que l’on fait dater son entrée dans le journalisme et dans la littérature.
 

Gravure représentant François-René de Chateaubriand

 

En 1800, il y publie un premier article, critiquant De la littérature de Germaine de Staël. Il s’agit d’une prise de position littéraire, mais aussi et surtout politique. Liée au groupe des Idéologues et au journal La Décade philosophique, Staël est proche d’une réflexion républicaine issue des Lumières.

Le Mercure de France est sous le patronage du pouvoir (il a été créé grâce à Lucien Bonaparte) et est tenu par Fontanes, un ami de Chateaubriand rencontré en Angleterre. Cet article et les suivants sont en réalité une main tendue vers le pouvoir afin d’être rayé de la liste des émigrés, ce qui fonctionne… Chateaubriand y affirme sa foi catholique qui va dans le sens du Concordat, et y met en scène le Génie du Christianisme encore à paraître. Cet ouvrage, connu désormais pour René et Atala, connaît un vif succès. L’auteur se fait le précurseur d’un usage publicitaire de la presse qui montera en flèche au XIXe siècle. Ginguené, breton lui aussi mais de tendance idéologue, répond dans la Décade par une critique assassine de l’ouvrage.

« Notre auteur est peu difficile en transitions ; après avoir épuisé tout ce qui regarde la croyance et le dogme, il déclare que ce sujet le mène naturellement à parler des effets du christianisme dans la poësie, la littérature et les beaux-arts. Naturellement ou non, cette partie qu’il intitule, Poëtique du Christianisme, est la principale […]. »

Médaille de 1950, le Vicomte d’un côté et une scène du Génie du Christianisme de l’autre

 

Ici, apparaît une vérité particulièrement présente sous l’Empire : la littérature est en réalité politique. Ainsi, dans ce journal où il ne publie pas à proprement parler d’articles politiques – d’ailleurs interdits – les écrits qu’il propose sont tout de même engagés. Sa carrière de journaliste politique commence en 1807, nous y reviendrons la semaine prochaine. 

Le journalisme littéraire sous un monarque

En 1815, intervient la Restauration des Bourbons et le retour à une monarchie légitime. Chateaubriand devient Pair de France – il siège au Sénat – et joue un rôle politique actif. Mais cette longue période d’engagement ne signifie pas qu’il n’écrit que des articles politiques. De nombreux textes de sa main, repris ou inédits, souvent des extraits d’œuvres plus longues, font l’objet d’une publication dans les Annales romantiques et d’autres revues dont la plupart se revendiquent romantiques telles que le Mercure au dix-neuvième siècle.

Il ne cessera d’écrire régulièrement dans les journaux qu’après la Révolution de Juillet, car il refuse de reconnaître le nouveau régime. Sa présence dans les journaux se fait moins politique : il apporte son approbation à la création et au fonctionnement de nouveaux journaux comme la Revue de l’Armorique ou encore La Mode. Il est une figure d’autorité, ce qui amène son lot de moqueries et de références en sous-entendu. Alors qu’il vieillit et disparaît lentement de la scène publique, ses textes politiques et littéraires sont souvent republiés, sous la forme d’extraits, par de nombreux journaux.

La fin de sa vie ne coïncide d’ailleurs pas tout à fait avec la fin de sa carrière de journaliste. En effet, pour financer sa vieillesse et son tombeau il a vendu ses mémoires au journal La Presse : cet ouvrage fait donc l’objet, à partir de 1848, d’une publication en feuilleton. Cela achève de le faire entrer dans une ère nouvelle du journalisme, celle du roman-feuilleton.

   
Tombeau de Chateaubriand, sur le Grand Bé à Saint-Malo, et première page du feuilleton des Mémoires d’Outre-Tombe

 

Dans les journaux et revues, Chateaubriand est donc un symbole intéressant de son temps : il commence sa carrière littéraire de manière tout à fait classique pour le XVIIIe siècle et l’Ancien Régime en publiant un poème dans l’Almanach des Muses. Il la finit en acceptant de publier son œuvre majeure dans le « rez-de-chaussée » d’un quotidien populaire, La Presse, symbole du journalisme triomphant du XIXe siècle. De quoi rendre bien vivante cette publication d’outre-Tombe, pas si éphémère d’ailleurs… !