1918… Les avions de la paix recouvrée

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A l’occasion de la commémoration de la Grande Guerre, le blog de Gallica et le Musée Air France vous proposent une nouvelle série sur la naissance de l’aviation civile. Analysons dans ce premier épisode les enjeux d’après conflit et la reconversion des avions de guerre en avions de paix.

Les premiers avions sont créés au début du 20e siècle ; l’armée française s’y intéresse comme outil d’observation. En 1914, on compte dans les effectifs 216 avions répartis en 27 escadrilles. Jusqu’alors sous-estimé, l’immense potentiel de cette nouvelle invention est rapidement révélé dans la guerre. A la fin du premier conflit mondial, l’aviation militaire possède 336 escadrilles dans lesquelles ont servi plus de 51 000 avions dont 1000 hydravions pour 17 390 pilotes militaires brevetés dont 1250 tués au combat. En 1918, l’industrie aéronautique française a produit 24 652 avions et 44 563 moteurs. 4 500 avions et 1000 hydravions sont en service sur tous les fronts français (plus 5 000 appareils prêts à être mis en ligne et 2 500 sont dans les écoles). En comparaison, la production américaine totalise en 1918 10 980 avions dont 7 800 pour les écoles.

Mais la guerre terminée laisse une France endeuillée et endettée. L’avènement de la paix réduit fortement l’intérêt de la production aéronautique militaire. Les moyens financiers apportés par l’État pendant la guerre sont très fortement réduits. En ce qui concerne l’aviation militaire métropolitaine, le parlement décide de réduire de 277 à 127 escadrilles l’effectif opérationnel nécessaire aux activités du temps de paix (y compris les forces participant à l’occupation en Allemagne).

En conséquence, il faut réduire la cadence des fabrications. Les usines doivent s’adapter et rediriger leur production vers le marché civil général, mais les besoins aéronautiques civils sont bien moindres que ceux de l’armée. Inévitablement, la production d’avions connaît un net ralentissement, s’accompagnant d’une baisse de la main d’œuvre et des moyens de productions consacrés à cette activité. Beaucoup de petits industriels voient leurs contrats annulés. C’est le cas de Latécoère, dont la chaine de montage de Salmson 2A2 qui devient sans emploi. Voisin, par exemple, cesse la fabrication d’avions au profit des automobiles.
Le fabricant de bicyclette Alcyon – avant la guerre – a augmenté sa production pendant les hostilités et s’est aussi spécialisé dans la réparation des avions endommagés par le conflit
Le nombre de types d’avions mis à disposition des escadrilles maintenues est aussi réduit. Comme dans le cas des logiques de production, l’uniformisation des matériels utilisés permet de réduire les coûts d’entretiens. Au sortir de la guerre, l’armée emploie un grand nombre de types d’appareils différents. Cette diversité ne fait que complexifier leur entretien et donc les chaînes logistiques qui y sont liées, augmentant le coût de la maintenance. L’accord de réduction du nombre de type se fait sur 11 modèles à fabriquer : Nieuport 29, Dewoitine D1, Spad 20 pour la chasse, Breguet 19, Breguet 14 et 16, Spad 15 pour l’observation, Farman 50 pour le bombardement de jour et Voisin 10 pour le bombardement de nuit et pour l’aviation d’escorte : le Caudron R11. En 1922 ce nombre est à nouveau réduit à 7 : chasse : Nieuport 29, Spad 2, bombardement : Breguet 14 et 16, Breguet 19, Farman 60 et ses dérivés.
En même temps, les stocks sont réduits. De même que pour l’entretien rendu difficile par la diversité des modèles, maintenir un stock important d’avions en service nécessite d’y consacrer un budget important, tant en matériel et pièces détachées qu’en hommes affectés à cette tâche. Décision est donc prise de freiner les réparations au bénéfice des réformes du matériel.
Malgré ce "régime", il reste dans les parcs un nombre important d’appareils immobilisés qui finissent par être réformés.

Le matériel excédentaire est donc absorbé par la création d’escadrilles d’outre-mer (Aviation d’Afrique), versé aux missions militaires à l’étranger, cédé aux compagnies naissantes de transport aérien (Salmson, Breguet 14, …), ou vendu aux aéroclubs ou aux particuliers (Sopwith, Caudron G-3, HD4).

La reconversion des avions pour un usage civil.

Les bombardiers sont vidés de leur armement ; l’espace auparavant destiné aux bombes est désormais occupé par des sièges. Les supports de mitrailleuses sont démontés et les recharges de munitions sont supprimées, ce qui allège les appareils. Le siège du tireur devient un siège passager ou un espace pour ranger les sacs de courrier, parfois les deux.
Le Farman F50, utilisé en 1918, puis devenu civil pour 4 ou 5 passagers est mis en service par la Compagnie des Grands Express Aériens en 1920 (2 exemplaires).

"Spacieuse, décorée avec une élégance sobre, d'un goût parfait, bien éclairée par de vastes baies qui permettent de voir aisément les aspects du paysage terrestre et aérien, munie de sièges vastes et commodes et d'ingénieux dispositifs d'aménagement intérieur, la cabine du nouveau « Goliath » [Farman 60] construit par les Etablissements Farman donne une idée du confort offert, dès maintenant, aux passagers aériens de plus en plus nombreux, par nos grands avions d'aéro-transports."
L’Aérophile n° 13-14 – 1er-15 juillet 1919.

Le Farman F-60, prévu comme bombardier mais construit pour le civil, voit son nombre de fenêtres augmenter et des fauteuils en osier l’équipent, ce qui lui permet d’emporter jusqu’à 11 passagers. Il est sorti à plus de 60 exemplaires civils, utilisés jusqu’en 1933.
 
Le Salmson 2A2, entré en service en 1918, connait une transformation plus poussée dite limousine, la place arrière se voit améliorée d’une cabine fermée pour deux personnes. La Compagnie Latécoère en utilisera 17, la Compagnie Franco-Roumaine 14, la Compagnie Ernoult 14.
Le Breguet 14 connait lui aussi plusieurs modifications : sous 3 variantes civiles dont certaines ont eu des coffres installés sous les ailes pour le transport du courrier. Une version Berline est créée avec une cabine aménagée dans le fuselage et une autre dite "limousine".


"L’aérobus Caudron C. 23 est allé de Paris à Bruxelles le 10 février [1919] et en est revenu le surlendemain. C'est un ancien avion de bombardement non [encore] aménagé pour le tourisme."
La Vie au grand air, 15 mars 1919, p.5 et p.6.
 

Le Caudron C23 est un bombardier lourd de février 1918 transformé en avion civil (ligne Paris-Bruxelles) pour 12 passagers, dont le C23 bis est à cabine fermée.

Actions commerciales et exploits sportifs.

Les avions nés de la guerre ne tardent pas à démontrer leurs capacités dans des actions commerciales ou des raids sportifs. Ainsi, le 25 décembre 1918 le premier avion à but commercial avoué quitte Toulouse pour Barcelone en faisant escale à Perpignan, il s’agit d’un Breguet 14 directement issu de la guerre. La ligne régulière n’est établie que le 1er septembre 1919.
Le 25 janvier 1919 le lieutenant Roget décolle de Marseille pour Alger et revient dans la même journée avec un Breguet 14 militaire qui reçut pour seule modification l’ajout d’un réservoir de carburant supplémentaire.
Le 8 février 1919, un Farman F60, prototype de bombardier reconverti en transport de passagers, explore le trajet Paris-Londres avec 11 passagers militaires ; la libre circulation n’étant pas rétablie. La ligne Paris-Londres est ouverte le 29 mars 1920 par la Compagnie des Grands Express Aériens avec des Goliath (F60).
Le 10 février, un Caudron C23, ex bombardier ouvre la ligne Paris Bruxelles (voir ci-dessus).

En mars 1919, Latécoère annonça sa visite au maréchal Lyautey, au Maroc, et parti de Toulouse le 19 mars 1919, il atterrissait à Rabat le 23, après relais à Barcelone, Alicante. Malaga et Tanger. 
Le 3 avril, c’est un Breguet 14 encore avec sa livrée de guerre, auquel est ajouté un réservoir supplémentaire, qui effectue un raid Paris-Rome.
 
Ces premiers voyages démontrent l’utilité des avions et ouvrent une nouvelle ère de l’aéronautique : l’ère des Grands Raids qui donnera naissance à tant de grands noms de l’aviation et l’émergence de nombreuses compagnies aériennes.

Vital Ferry

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