La presse a été l’objet de contrefaçons humoristiques dès qu’elle a représenté une forme de pouvoir. Ainsi quelques parodies de la Gazette (1631) de Théophraste Renaudot sont publiées dès 1632 : Le Courrier veritable ou la Gazette et nouvelles ordinaires de divers pays loingtains, qui copient principalement les contenus et le style. Si on trouve encore au XVIIIe siècle le Journal-singe (1776) ou le Journal de la cour du Palais (1788), pastiche des Affiches de Rouen, c’est dans la seconde partie du XIXe siècle que ce genre paraît le plus prolifique.
Essai de typologie
Trois ensembles de pastiches se côtoient, avec parfois des frontières assez floues.
Tout d’abord les parodies d’un titre de presse existant, célèbre ou nouveau. La Fronde publie, par exemple, un pastiche de L’Univers dans son numéro du 20 septembre 1874, comme L’Éclipse l’année suivante.
À quoi les reconnaît-on ?
Dès le bandeau, le lecteur sait qu’il lit un pastiche. Le titre, le sous-titre, les informations du bandeau (prix, nom du rédacteur en chef, adresses de la rédaction et de l’administration) fourmillent de calembours et autres jeux de mots qui ne laissent aucun doute.
Le rédacteur en chef de
La Revue pessimiste se nomme Tristan de Doublenoir, celui du
Journal des Demoiselles et des garçons Cupidon.
L’épigraphe, le détail des abonnements, les règles pour les articles non insérés ou les annonces sont généralement cocasses. L’épigraphe du
Constitutionègre « dévoué mais stupide » ;
Le Trottoir libre « Avec de l’ordre, de l’économie, du travail et une mauvaise conduite, une femme peut arriver à tout. Gil-Blas. » ou celui du
Guignon : « Rien pour le peuple ni par le peuple » renversent les principes mêmes de la presse.
Le texte d’intention annonçant traditionnellement le programme d’un nouveau journal dans le n°1 est lui aussi parodié, par exemple dans
Le Procureur ou
Le Communard :
La page entière peut être le texte d’intention (
Le Journal des Filous).
Toutes les rubriques (feuilleton, faits divers, nouvelles à la main, programme des spectacles, etc.), ainsi que les annonces et publicités font partie du pastiche, avec quelques décalages dans les titres et le style.
Le Nihiliste publie des « Faits d’hiver » et le
Premier-Paris y devient le « Premier Nihil ». Dans
Le Procureur, c’est le « Premier trottoir ».
Le Journal des Merdeux accumule rubriques, programme des théâtres et publicités.
Ses « suppléments » pourraient même constituer une réclame humoristique pour le journal. Certains journaux poussent la plaisanterie en proposant des séries dans un seul numéro.
La Fronde en offre deux à ses lecteurs dans son numéro du
20 septembre 1874 : « tout acheteur de ce numéro extraordinaire aura droit à un exemplaire de l’
Univers et de l’
Événement. »
L’Éclipse du 4 avril 1875 propose « 8 journaux pour 2 sous », alors que
Le Tintamarre avec le
Journal des Traits. propose « Tous les canards en un ».
Les journalistes en créant des pastiches se moquent bien sûr de la presse et du système médiatique, mais aussi d’eux-mêmes.
Après les neuf numéros du
Constitutionègre,
Le Tintamarre feint de se ridiculiser en publiant une lettre de Joseph Citrouillard alors qu’il attendait un 10
e numéro du journal haïtien : « Si vous m’avez cru réellement le rédacteur du
Constitutionègre, vous êtes des huîtres ».
Joseph Citrouillard est un des pseudonymes de
Jean Commerson, lui-même directeur et rédacteur en chef du
Tintamarre.
D’ailleurs, un journal peut se pasticher lui-même, ainsi le
Figaro et Fi-ga-ro en avril 1858 ou
L’Éclipse en avril 1875.
Ces contrefaçons sont la plupart du temps des numéros uniques, même si la mention de la numérotation peut aussi être
farfelue. On peut relever quelques exceptions (
Le Nihiliste, deux numéros ;
Le Journal des Poivrots et des marchands de vin, deux numéros ;
L'Autre monde, journal des trépassés, six numéros ;
Le Contitutionègre, neuf numéros ; le
Journal des Assassins, dix numéros) ou des pastiches qui n’en sont plus comme
Le Moustiquaire qui, avec trente-six numéros, semble avoir d’autres cibles.
Enfin les objectifs sont avant tout de faire rire les lecteurs, certains sujets (
Émile Zola,
l’affaire Dreyfus,
les femmes,
les hommes,
la mort, etc.) sont récurrents.
Marie-Ève Thérenty dans son article « Parodies de journaux ou journaux pour de rire » souligne que
« Le rire se produit donc lorsque la transgression contre le dieu journal accompagne un discours immédiatement connoté comme impossible et donc quand le décrochage référentiel est le plus évident. [...] Les parodies de journal les plus amusantes sont fondées sur des discours carnavalesques, des phénomènes de mundus inversus ou de monde délirant qui se nourrissent de l’effet-support. »
Ce panorama n’est bien sûr pas exhaustif et ne donne que quelques tendances. Attention cependant à ne pas confondre ces pastiches avec d’autres numéros uniques, parfois involontairement comiques, dont la publication servait aux éditeurs pour conserver la
propriété d’un titre. Par exemple,
Le Journal de la femme, son costume, sa parure et son rôle.
Pour aller plus loin, voir l’article de Marie-Ève Thérenty, « Parodies de journaux ou journaux pour de rire », Le Rire moderne, Presses universitaires de Paris-Nanterre, 2013.
Remerciements à Dominique Wibault, Marie-Ève Thérenty, Pierre Drouhin, Paul Aron et Jean-Didier Wagneur.