Le docteur Girard-Mangin était une femme !

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9 mars 2021

Gallica poursuit les festivités autour des 8 millions de documents numérisés. Pendant 8 jours, découvrez 8 trésors qui esquissent une histoire des femmes du XVIe au XXe siècle. Aujourd'hui, les travaux médicaux de Nicole Girard-Mangin. Au début du XXe siècle, les femmes-médecins semblaient enfin devenir les égales des hommes. Mais cela allait-il se vérifier avec la mobilisation générale, en août 1914 ?

29-3-14, meeting des suffragettes manifestation féministe de la rue Montmartre / Agence Rol.

Nicole Mangin est née à Paris en 1878. En 1896, à 18 ans, elle entame des études de médecine et est admise à l'externat des hôpitaux de Paris en 1899. Mais Nicole Girard-Mangin épouse un producteur de champagne et interrompt son cursus pour travailler à ses côtés. Après son divorce en 1903, elle reprend ses études. En 1909, elle soutient sa thèse de médecine sur les Poisons cancéreux, mais elle oriente ensuite ses recherches vers une autre pathologie.

Le dispensaire du 54, avenue Secretan (19e Paris), la consultation, 1921  / Agence Meurisse

La tuberculose, véritable fléau

En effet, dès le début du XXe siècle, le corps médical se trouve confronté à un véritable fléau : la tuberculose à laquelle on impute 200 000 décès chaque année. Le collaborateur de Pasteur, le professeur Albert Calmette, imagine alors  un nouveau modèle de dispensaire qui cherche à s’adapter au caractère social de la maladie en intégrant des notions d’assistance, de prophylaxie et d’éducation.

Essai sur l'hygiène et la prophylaxie antituberculeuses au début du XXe siècle
par Mme le Dr Nicole Girard-Mangin, 1913.

En 1914, la déjà médiatique docteur Girard-Mangin assure la direction du dispensaire antituberculeux de l’hôpital de Beaujon sis à l’époque dans le 8e arrondissement de Paris. Elle rédige un Guide antituberculeux dont la presse salue les qualités pédagogiques.

Le vestiaire de l'Office antituberculeux de Beaujon

Mobilisée suite à un erreur 

En août 1914, lorsque la première guerre mondiale éclate, le docteur Girard-Mangin est mobilisée suite à une erreur du service de santé des armées qui croit alors envoyer un homme sur le front. Elle se garde bien de dissiper le malentendu et est d'abord nommée à l'hôpital militaire de Bourbonne-les-Bains. Son arrivée intempestive y crée des remous vite effacés par l'afflux des blessés : il n'est plus temps de la renvoyer. Cependant, réalisant son erreur, l'administration militaire pousse le cynisme jusqu'à la rémunérer comme un infirmier de deuxième classe, autrement dit elle travaille quasiment à titre bénévole. 

Quelques mois plus tard, la doctoresse fait valoir lors d'une inspection sa spécialisation en maladies contagieuses. De ce fait, on l'envoie dans une unité de soins des typhiques à Verdun : le typhus est une épidémie concomitante aux périodes de guerre avec ses mouvements de populations. Mais ce n'est pas pour autant que les autorités militaires rectifient sa situation. Au prétexte qu'il n'existe aucun décret autorisant l'affectation d'une femme à ce poste, la praticienne est assimilée à 'une infirmière militaire permanente et en reçoit les émoluments. Cependant, le courage et le dévouement dont elle fait preuve lorsqu'elle refuse d’abandonner ses patients intransportables lors de l’évacuation de la zone de Verdun détruite par les bombardements, sont salués dans la presse. C'est pourquoi le service de santé des armées lui concède enfin le grade de médecin aide-major en 1916.

Nicole Girard-Mangin est ensuite mutée à l'ambulance de Vadelaincourt comme assistante d'un chirurgien pour les opérations les plus lourdes  ; elle pratique elle-même la chirurgie quand il s'agit de gestes simples. Elle y est d'ailleurs légèrement blessée : son visage est éraflé par l'éclat d'un obus.

Après la visite d'un inspecteur surpris de la présence d'une femme à un poste si avancé sur le front, elle part vers une zone du Nord de la France moins exposée.
Elle fut donc la seule femme-médecin française envoyée sur le front pendant la Grande guerre. En effet, bien que la doctoresse Collard-Huard - engagée comme infirmière -  soit citée à l'ordre de l'armée, celle-ci n'a jamais validé ses diplômes professionnels. En 1918, une circulaire ministérielle régularise enfin la situation des femmes médecins travaillant dans les hôpitaux militaires en leur accordant le grade et la solde d'aide-major de deuxième classe. 

N. Girard-Mangin, médecin en chef et sa chienne Dun

Quelques années plus tard, commentant cette photographie, Nicole Girard-Mangin déclare :

Je dois à ma casquette d'avoir gardé une coiffure correcte, même en dormant sur des brancards ; d'avoir tenu des heures sur un siège étroit sans gêner un conducteur [ …] Je dois à mes caducées et à mes brisques le prestige qu'il m'a fallu parfois auprès des ignorants ou des sots. »

Fin 1916, la voici nommée à la tête du nouvel hôpital-école Edith Cavell rattaché au Val de Grâce à Paris et dont la mission est de former rapidement des infirmières militaires professionnelles. On en manque cruellement à l’époque du conflit, même si la Croix-Rouge avait dispensé des formations sanitaires à ses 68 000 infirmières bénévoles. En effet, l’Etat-major prend conscience tardivement en 1912 de l’insuffisance de son service de santé aux armées et pallie les sous-effectifs avec l’emploi d’infirmières temporaires dans les hôpitaux militaires pendant toute la durée du conflit.

Inauguration de l'hôpital-école Edith Cavell, 64 rue Desnouettes à Paris, le 11 octobre 1916 / [Agence Rol]

Femme-médecin et suffragette, même combat 

Les démêlés de la jeune femme avec la Grande muette ne sont probablement pas étrangers à sa vocation naissante de féministe. Après la guerre, elle donne des conférences à la Croix-Rouge sur le rôle des femmes en 1914-1918 ; son parcours professionnel est d'ailleurs cité dans l'argumentaire des suffragettes qui militent pour le vote des femmes. Alors que la presse a pu invoquer pudiquement une embolie, Nicole Girard-Mangin est probablement victime de ce que l’on n’appelait pas encore un « burnout ». Nerveusement épuisée, elle se donne la mort en avalant des médicaments à l’âge de 41 ans. 

Les doctoresses Nicole Girard-Mangin, Blanche Edwards-Pilliet, Suzanne Noël, Madeleine Pelletier, Constanza Pascal ont un dénominateur commun : elles furent activistes ou sympathisantes du mouvement des suffragettes. Premières femmes à faire carrière dans ce milieu particulièrement misogyne, elles affrontèrent en vrac tracasseries administratives, pétitions,  hostilité, mépris, voire injustice. Comment s'étonner qu'elles soient devenues féministes ?

Billet de blog paru en 2019 et remis à jour en 2021 dans le cadre du Forum Génération Egalité.
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