Parler avec l’accent

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20 mars 2018

En cette Semaine de la langue française et de la francophonie, dont le thème est cette année la parole, plongeons-nous dans l’histoire et la querelle des accents, au moins aussi vieille que celle de l’orthographe !

L’accent du pays où l’on est né demeure dans l’esprit et dans le cœur, comme dans le langage »

François de la Rochefoucault, Réflexions ou sentences et maximes morales, 1664

 

La Touraine, berceau du bel accent ?

La diversité des accents n’est pas propre au français. L’allemand de Hanovre est vanté par les germanophones, les anglophones quant à eux, ont pour anglais de référence celui d’Oxford. En France, c’est la Touraine et plus particulièrement Tours qui est citée comme le berceau du bon accent français.
Alfred de Vigny l’exprimait déjà en 1826 dans Cinq mars ou une conjuration sous Louis XIII : « Leur langage [les Tourangeaux] est le plus pur français, sans lenteur, sans vitesse, sans accent ; le berceau de la langue est là, près du berceau de la monarchie. »

Bien avant Vigny, Rabelais faisait dire à Panurge en 1532 dans Pantagruel :

 

En effet,  au 15ème siècle, Tours était la capitale officieuse du royaume. Charles VII avait fui Paris en 1420 et jusqu'au 16ème siècle, les rois successifs séjournèrent dans la vallée de la Loire (Louis XI à Tours et Amboise, Charles VIII à Amboise...), accompagnés de la Cour bien sûr. Le pouvoir était là, le centre intellectuel et littéraire aussi. Rappelons que les poètes de la Pléiade étaient originaires de la région (Pierre de Ronsard ou Joachim Du Bellay qui vantait « la douceur angevine »). La langue de la Cour ayant toujours été considérée comme un modèle, c’est celle qui servit d’étalon. De plus la Touraine, située loin des régions frontalières qui captent davantage les accents étrangers, n’était quasiment pas affectée par ces déformations.
 

En 1539, l’ordonnance de Villers-Cotterêts donne un nouvel élan à la langue française au détriment du latin. Elle ordonne de « prononcer et rédiger tous les actes en langue française. […] » et stipule : « Nous voulons que dorénavant tous les arrêts ainsi que toutes autres procédures, […] soient prononcés, publiés et notifiés aux parties en langue maternelle française ».
L’exactitude de la prononciation tourangelle se répand à l’étranger. Les aristocrates allemands ou anglais exécutant leur Grand Tour afin de parfaire leur éducation et de s’ouvrir aux pays voisins, choisissent cette région pour apprendre le français auprès de maîtres de langues. En 1644, dans son Diary, le mémorialiste anglais John Evelyn indique, lors de son premier voyage en France, qu’il s’installe à Blois « where the language is exactly spoken ». Il séjourne ensuite à Bourges où il note : « The french tongue is spoken with great purity in this place ».
Cette réputation perdure jusqu’au début du 20ème siècle : « la Touraine et le Blaisois, la patrie, comme l’on sait, du plus pur « accent français », et « où c’est un enchantement pour l’oreille, d’entendre parler même les paysans et les gens du peuple ».
 

Cependant, lorsque la cour et l’aristocratie reviennent en Ile de France, Tours cesse (presque) d’être la référence au profit de …Paris.
 

Le fond de la prononciation française, c'est à Paris qu'il faut le chercher »
Rousselot, 1902

Et c’est bien la Cour qui donne le la. Vaugelas par exemple proclame dès 1647 dans ses Remarques sur la langue françoise, utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire : « Le bon usage est la façon de parler la plus saine de la Cour ».
Vaugelas sera un personnage déterminant dans cette uniformisation du français commencée dès le 16ème siècle et attachée non seulement à l’accent, mais aussi au vocabulaire et à la syntaxe. Dans ce souci, les premiers dictionnaires apparaissent et l’Académie française est fondée en 1634.
Plus tard, au 19ème siècle, on persiste dans cette norme, comme le détaille  longuement le philologue allemand Adolf Mende en 1880, citant le dictionnaire Larousse qui définit ainsi l’accent : « la prononciation des gens de province s’appelle accent, par opposition à celle des habitants de la capitale ».
En 1902, l’abbé Rousselot dans son Précis de prononciation  française, rétrécit un peu plus le cercle : « Un bon nombre de villes en France affichent la prétention de posséder la meilleure prononciation. Cependant, il ne saurait y avoir de doute sur ce point : le fond de la prononciation française, c'est à Paris qu'il faut le chercher. […] Toute langue a son accent. Celui de Paris est en général le bon. Le français à conseiller à tous est celui de la bonne société parisienne […]. Existe-t-elle ? Oui, elle existe, et il n'est pas impossible de trouver des familles où depuis trois générations au moins il n'y a pas eu d'alliances provinciales ».
 

Beaucoup pensent à une communauté plus petite encore : la Comédie française. « Cela est fort exagéré. […] En réalité, si l’on voulait codifier rigoureusement le bon accent français, il faudrait tenir compte de la Comédie-Française, plus encore de celle de l’Académie française et des bons auteurs et conférenciers, et plus encore de celle des salons de la bonne compagnie parisienne ». L’auteur ne précise pas, contrairement au précédent, comment identifier cette bonne compagnie parisienne.
Hélas, dans ce souci de définition du bon accent, l’entreprise d’uniformisation et d’unification de la langue française en cours depuis des siècles, se heurte à la résistance des patois régionaux : non seulement ils sont encore largement parlés au début du 20ème siècle, mais ils « entachent » la prononciation du français standard. On se moque férocement des accents régionaux. Dans Élite des bons mots et des pensées choisies, recueillies avec soin des plus célèbres auteurs, et principalement des livres en Ana, publié en 1704 par un auteur anonyme, on peut lire : « Les Gascons aiment leur accent jusqu’à le garder à la cour même, où il est ridicule de le garder. Le premier duc d’Epernon en était si entêté qu’il aurait plutôt choisi de perdre la fortune que de perdre son accent. Il y mettait son honneur, comme un Espagnol à conserver sa moustache. En vain le Cardinal de Richelieu lui en faisait la guerre, il ne s’en corrigeait point. Les Normands plus sages, n’aiment point leur accent, et il s’en voit peu qui ne le perdent à Paris et à la Cour. La raison qu’on peut rendre c’est que l’accent normand est trop grossier pour favorise la vanité de l’esprit et que l’accent gascon la favorise beaucoup […] ».
 

En 1906 dans le Traité euphonique à l'usage des méridionaux, on s’étonne que « le progrès, cet éclatant manifeste de l’activité humaine, n’a pas encore étendu ses rameaux dans le midi de la France, en ce qui concerne l’étrangeté de son dialecte », « une originalité rien de moins que ridicule », tranche-t-on. On peut avoir un aperçu de la prononciation méridionale en 1822 dans cet extrait. Ou écouter Fernandel parler de l’accent du nord.
Les autres régions de France ne sont pas en reste : Le Lillois a un accent «  guttural, traînant et blanc », l’Auvergnat l’a qui « sombre et chuinte ». Ici, on notera la prononciation lyonnaise.
Et l’accent parisien, n’existe-t-il pas ? Si, les journaux nous apprennent qu’un mauvais accent parisien existe bel et bien, non moins caractérisé que celui des autres régions, qui transforme table en tabe, guerre en guarre, aujourd’hui en aujord’hui (celui-ci a fait florès) et plus grave encore… Paris en Péris. En témoigne l’actrice Arletty, restée célèbre pour sa réplique d’hôtel du Nord : « Atmosphère, atmosphère ? Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère », et dont on peut écouter l’accent parisien dans cet extrait de la chanson « la Java ».
 

 
Au 20ème siècle, le français standard, le « bon » accent parisien donc, est transmis par les ondes. Les radios puis les chaînes de télévision ayant leur siège à Paris, c’est l’accent qui s’est naturellement répandu sur le territoire et qui fait actuellement autorité. 
 

Et à l’étranger ?

S’il y a une telle diversité d’accents à l’intérieur d’un pays relativement uniforme de 60 millions d’habitants, qu’en est–il de la vaste communauté des 274 millions de francophones à travers le monde ? Ils possèdent bien sûr eux aussi un accent !
On a coutume de dire que les Québécois possèdent l’accent qu’avaient les Français au moment de leur émigration vers le 17ème siècle. Effectivement, de nombreux voyageurs français au Canada indiquent que les colons parlent « parfaitement bien, sans mauvais accent », et que « les paysans canadiens parlent très bien le français ». Mais vers 1850, la présence d’« archaïsmes de vocabulaire » et la divergence d’accent se font sentir : Jean Henri Grandpierre relate ainsi que le parler canadien ressemble « à s’y méprendre, au langage des paysans normands ou bretons ». Car il semblerait que ce soit le français parlé en France qui ait changé.
Il existe aussi un accent belge, un accent suisse, un accent maghrébin.
Mais tout comme des variations existent d’une région française à une autre, il existe des variations d’une région francophone à une autre. Il y a ainsi plusieurs accents québécois, ivoiriens, etc… Ainsi la page « mon accent, ma fierté » donne à écouter les divers accents de Suisse romande : l’accent gruérien, genevois, vaudois, valaisan…
Ainsi, 274 millions de francophones parlent français avec un accent.
 
 

Pour aller plus loin

Site Le français de nos régions :
Le parisien tel qu’il se parle (Gallica)
D'où viennent les accents régionaux ? / Philippe Boula de Mareüil. Paris : Éd. le Pommier, 2010
Le français des dictionnaires : l'autre versant de la lexicographie française / Claudine Bavoux. Bruxelles : De Boeck, 2008