Promenade au fil de la Seine

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Au promeneur parisien du XXIe siècle, la surface de la Seine peut paraitre bien calme, quand autrefois, mille et une activités se déroulaient sur le fleuve, façonnant la physionomie des berges. Grâce à Gallica, remontez l’histoire de la Seine guidé par la gallicanaute Joh Peccadille.

Aux siècles passés, Paris était beaucoup moins étendu qu’il ne l’est aujourd’hui. Longtemps, l’entrée de la ville en aval du fleuve se situait à la hauteur de l’actuel pont des Arts. Sur chaque rive, une tour, appartenant à l’enceinte de Paris élevée au début du XIIIe siècle par Philippe Auguste. Coté Louvre, la tour dite "du coin", puisqu’elle occupait le "coin" de la forteresse. Rive gauche, la tour Philippe Hamelin, connue sous le nom de tour "De Nesle" et qui a marqué l’imaginaire parisien, bien qu’elle ait été détruite dès 1665 pour laisser place au Collège des Quatre Nations, actuel Institut de France. Cette tour, que l’on trouve représentée avec plus ou moins de fantaisie et de pittoresque dans de nombreuses illustrations disponible sur Gallica, a donné lieu à d’innombrables légendes : c’est ici que les brus de Philippe Le Bel auraient donné rendez-vous à leurs amants, se rendant ainsi coupables d’adultères. C’est aussi là qu’aurait officié une reine nymphomane, qui, non contente de séduire les étudiants du Quartier latin, les jetait de la Tour à l’issue d’une unique nuit d’amour… Autant de bruits, de rumeurs, d’affabulations qui ont inspiré les écrivains, dont Frédéric Gaillardet et Alexandre Dumas. Leur pièce, La Tour de Nesle, sera jouée 700 fois avant d’être interdite pour immoralité en 1853. Grâce à Gallica, le lecteur pourra juger lui-même du contenu… ou simplement frissonner devant l’affiche de la reprise, en 1882 au théâtre de la Gaité.

Mais portons-nous un peu plus loin, à la hauteur du désormais mal nommé Pont Neuf…c’est en fait le plus ancien pont (encore debout !) de Paris, les autres ayant depuis longtemps été emportés ou simplement détruits. Le titre de "Pont Neuf" est resté, mais l’ouvrage a failli se dénommer "pont des pleurs" : en effet, le jour de la pose de la première pierre, Henri III, très affecté, ne pouvait retenir ses larmes en pensant à ses deux mignons morts lors d’un duel, quelques jours plus tôt.

Commencés en 1578, les travaux ne seront achevés qu’en 1607, sous Henri IV. Cet ouvrage rassemble alors de nombreuses nouveautés : même s’il s’appuie sur l’île, il est le seul à franchir dans son entièreté et d’une traite le lit de la Seine ; il est également le premier pont de la capitale dépourvu de maisons, ce qui fait qu’on peut y admirer le paysage. Enfin, comble du luxe, il est pourvu de trottoirs qui protègent les piétons des dangers de la circulation… en théorie, car en pratique, les trottoirs et demi-lunes furent vite envahis de marchands. Les embarras du Pont Neuf, sa foule et son agitation devinrent un motif récurrent de la littérature et de l’imagerie de Paris, comme en témoignent ces extraits du Tableau de Paris, publié par Sébastien Mercier en 1781 ou bien encore certaines estampes fort amusantes.

À l’extrémité du pont, un bruit de fond ne manquera pas d’intriguer le promeneur provincial, peu familier du spectacle de la capitale. Il émane d’une grosse construction qui borde l’ouvrage : c’est la pompe Samaritaine, qui puise l’eau de la Seine pour alimenter les fontaines des alentours. Eh oui, le parisien boit l’eau du fleuve, réputée pour sa qualité… puisqu’elle est aérée par les remous de l’eau et l’intense activité qui se déroule à sa surface !
La pompe Samaritaine, construite au cours de la première décennie du XVIIe siècle, est la première machine élévatrice d’eau dans Paris. Son nom lui vient de la statue qui l’ornait : Jésus et la Samaritaine auprès du puit. Fort utile au quotidien de Paris, cette pompe fut reconstruite en 1712 par Robert de Cotte et restaurée par Soufflot et Gabriel en 1771. De ces travaux du XVIIIe siècle, le Gallicanaute pourra consulter tous les plans et coupes. Ils sont si précis que vous pourrez même vous lancer dans la reproduction en maquette !

Le nom de Samaritaine est resté grâce au grand magasin installé à la fin du XIXe siècle sur la rive droite de la Seine, mais la pompe, elle, fut détruite au lendemain de la révolution. Une autre pompe, en revanche, était toujours visible des Parisiens : il s’agit de la pompe Notre-Dame, construite en 1676 sur le pont du même nom, et qui disparut en 1853 lors de la rénovation du pont. Plusieurs artistes, dont le célèbre Charles Meryon, ont laissé de beaux témoignages de son aspect quelques années avant sa destruction.

Si une telle construction, accrochée au pont, peut paraître à nos yeux contemporains bien curieuse, c’était une chose tout à fait familière aux Parisiens d’autrefois qui pouvaient franchir le fleuve sans même apercevoir son eau puisque les ponts étaient, depuis le Moyen-Age, couverts de maisons ! Ainsi le pont au Change doit-il son nom aux changeurs d’or et aux orfèvres qui y avaient élu domicile.
Un tel emplacement n’était pas sans risque : plusieurs incidents émaillent l’histoire des ponts de maisons parisiens : les colères du fleuve, crues, débâcles (quand les glaces se brisent et emportent tout sur leur passage) étaient une menace permanente pour les maisons, qui pouvaient s’écrouler sous la menace de l’eau. C’est ce qui arriva, pont Marie, en 1658, quand le fleuve arracha deux piles du pont et les maisons qu’elles supportaient, tuant dans la catastrophe 55 personnes. Ces maisons ne furent pas reconstruites, laissant une large trouée sur le fleuve depuis le pont restauré.

Penchons-nous donc sur le parapet pour admirer la vue et observer l’agitation des quais. Ne soyez pas surpris de ne pas les voir entièrement construits ! En bien des endroits, la berge présente sa pente douce aux bateaux. Voyez comme on s’y active : les bateaux accostent, les déchargeurs besognent. Eh oui, à l’époque, Paris est un gigantesque port ! Chaque port a son nom et sa spécialité : ici les pierres, là le vin, là-bas, le foin, plus loin encore le blé. Voyez les chevaux qui se baignent, à deux pas du port au blé, ou encore ces lavandières qui étendent de grands draps : la Seine a toutes ses utilités  et il n’est pas rare qu’on y trouve des embouteillages !

Observons maintenant ensemble un morceau du plan Turgot, cette immense vue à vol d’oiseau, élevée par Louis Bretez à la demande de Michel Étienne Turgot, autour de 1734-1739. Reconnaissez-vous cette île, un peu en amont de l’île Saint-Louis ? Non, elle ne vous dit rien ? C’est normal : l’île Louviers a depuis longtemps disparu, rattachée à la rive pour former le quai (et le boulevard) Morland. Les drôles de formes que l’on y voit dessinées sont des chantiers de bois, nom que l’on donnait au lieu où l’on rangeait le bois destiné à la construction et au chauffage. L’île était, pour ce stockage, fort pratique, car l’on ne craignait pas la propagation dangereuse d’incendie.
 
Notre promenade imaginaire au bord du fleuve s’achève ici, mais mille documents vous attendent sur Gallica pour la prolonger en toute autonomie. N’hésitez pas à profiter des Sélections consacrées à Paris pour vous faciliter ce voyage !