Zola et la presse

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Dans le cadre du cycle de manifestations sur les écrivains et la presse, le blog Gallica publie deux billets sur l’œuvre journalistique d'Emile Zola pour préparer la rencontre avec Adeline Wrona et Alain Pagès, le 8 mars. Le second billet sera consacré à Zola et l'affaire Dreyfus.

 

Le Radical publie La Débâcle, affiche publicitaire, 1892
 

Si nombre d’hommes et femmes de lettres de la fin du XIXe siècle firent de la presse un lieu d’expression privilégié, peu d’entre eux le firent de façon aussi marquante et régulière qu’Émile Zola (1840-1902). Véritable écrivain-journaliste, il mena de front les deux activités pendant une vingtaine d’années, d’abord par nécessité économique avant que son succès littéraire ne soit assuré, mais également par conviction.

Zola proposa ses premiers articles à des journaux à partir de 1863, époque où, écrivain en herbe de condition modeste, il souhaitait se faire connaître tout en cherchant des sources de revenus. L’époque la plus active pour le journaliste Zola se situa dans les années charnières entre le Second Empire et la IIIe République naissante. Ses contributions, sous forme d’articles, critiques ou de romans publiés en feuilleton, furent très nombreuses, notamment pour LÉvènement (où il s’engagea en défense de la peinture d’Édouard Manet), Le Voltaire, et plus tard Le Figaro ; ou bien encore des titres régionaux comme Le Sémaphore de Marseille et Le Bien public de Dijon.


Zola par M. Desboutin (1875) et caricaturé par Nadar
 
Durant la décennie 1860, c’est un Zola encore peu connu du public qui écrit, principalement tourné vers la critique littéraire et artistique. Il évolua cependant rapidement vers des articles politiques au ton volontiers batailleur. Qualifiant le Second Empire de « curée » dans La Cloche du 13 avril 1870, il fonda par ailleurs un journal patriotique éphémère, La Marseillaise, en pleine guerre franco-prussienne. C’est ensuite depuis les bancs de l’Assemblée.réfugiée à Versailles qu’il se fit chroniqueur politique. Hostile à l’insurrection communarde, il précisa que le « bain de sang » de la Semaine sanglante « était peut-être d’une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres » (Le Sémaphore de Marseille, 3 juin 1871). Cette prise de position – semblable à celle de nombreux autres écrivains du temps – ne l’empêcha pas d’être critique de Thiers et des tendances réactionnaires de la Chambre. Il s’engagea ensuite dans le soutien aux Communards amnistiés et notamment à Jules Vallès.
 

« J 'accuse », carte postale, 1902, Bibliothèques de la Ville de Paris
 

Écrivain naturaliste cherchant la vérité des êtres et des sentiments dans le détail, Zola fit preuve dans son écriture d’une acuité proprement journalistique, tout en considérant son activité dans la presse comme un réel pan de son travail d’écriture. Les deux facettes de l’homme furent ainsi étroitement liées. « Nous sommes tous les enfants de la presse », affirme-t-il d’ailleurs dans Le Figaro du 22 septembre 1881, où il annonce ses « adieux » au journalisme tout en précisant la façon dont il voit la presse, à savoir le lieu privilégié de la bataille des idées, le moyen pour l’écrivain de mettre tout son poids dans la défense de ses convictions.
 

À tout jeune écrivain qui me consultera, je dirai : « Jetez-vous dans la presse à corps perdu, comme on se jette à l’eau pour apprendre à nager. »

Il est du reste étonnant de constater que la « retraite journalistique » temporaire de Zola coïncida avec l’année de promulgation de la grande loi sur la liberté de la presse, comme si l’écrivain quittait le champ de bataille une fois la victoire acquise.


Zola photographié par Nadar (1910) et dessiné par Lemercier de Neuville (vers 1900)
 

Provisoirement retiré des joutes politiques par voie de presse, Zola s’inquiète en 1894, dans Les Annales politiques et littéraires, de « l’état de surexcitation nerveuse dans lequel le journalisme actuel tient la nation ». Il est évidemment étonnant de mettre en regard cette vive critique avec l’état de surexcitation bien réel dans lequel Zola plongea la France un certain 13 janvier 1898, date où le célébrissime « J’accuse ! » publié dans L’Aurore de Georges Clemenceau le plaça au centre de l’attention et marqua le moment où le rôle de « l’intellectuel » devint central dans le débat public. Cet épisode bien connu illustre tout le savoir-faire d’un homme rodé au fonctionnement de la presse, parfaitement conscient du retentissement qu’allait provoquer sa tribune. « L’Affaire », suivie en direct et au jour le jour par les journaux, fit de Zola l’un des principaux protagonistes d’une controverse judiciaire et politique. Volontiers accusateur, Zola s’attira tout au long de sa vie de solides inimitiés, comme l’Affaire le rappela avec emphase, à une époque où les organes de presse se faisaient le reflet d’antagonismes politiques particulièrement durs. « M. Zola a publié ce matin […] un factum injurieux dans lequel il lance les plus venimeuses accusations », lit-on ainsi par exemple dans La Croix du 14 janvier 1898.


"Zola à l'Académie", caricature de Charles Gilbert-Martin, Gil Blas (15 juillet 1890)

Devenu romancier reconnu avec la parution progressive des vingt romans du cycle des Rougon-Macquart, Zola vit de fait son œuvre commentée à foison dans la presse littéraire (comme dans le supplément du Figaro, en 1890, pour la parution de L’Argent). Il devint également un argument de vente pour les journaux, comme l’attestent les annonces et publicités sous forme d’affiche des différents quotidiens : Le Cri du peuple annonce ainsi la publication de Germinal en 1885, Le Journal annonce celle de Paris en 1897 ; tandis qu’en 1899, L’Aurore fait de même pour Fécondité. Citons aussi L’Omnibus, journal illustré où furent notamment publiés Pot-Bouille  et L’Assommoir, ou bien encore Gil Blas.

Funérailles de Zola au Panthéon, Agence Rol, 1908

Figure majeure de la vie littéraire et politique du XIXe siècle, Émile Zola fit en toute logique la une des grands quotidiens au moment de sa mort. Ses obsèques furent annoncées et suivies plusieurs jours durant dans L’Aurore : « Tout un grand peuple va accompagner Émile Zola à sa dernière demeure, lit-on dans l’édition du 5 octobre. « Un grand romancier vient de disparaître, la postérité le jugera », annonce pour sa part La Charente du 2 octobre. Dans Le Gaulois du 30 septembre, le ton est beaucoup plus violent : « M. Zola est mort de façon presque soudaine ; il n’a pas eu le temps de reconnaître et de regretter le mal qu’il a fait à la France ». Même après sa mort, Zola continuait ainsi d’illustrer les déchirures de la société française.

Pour aller plus loin :

Voir la bibliographie "Les écrivains et la presse"