Les manuels Roret

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Les Manuels Roret ont été publiés de 1822 à 1939. Riche de près de 400 titres, cette collection éditoriale constitue une encyclopédie des savoir-faire et des techniques professionnelles d’une grande variété.

 

Ouvrages pratiques de vulgarisation, de qualité, bon marché, d’un format de poche, de bonne impression et de lecture facile, illustrés de planches dépliantes ou parfois d’un atlas, les manuels rencontrèrent très vite un vif succès et les rééditions, réimpressions et traductions furent nombreuses, jusqu’à nos jours. (Voir l’article « Manuels Roret » du Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse de 1866-1876)
À ce jour, environ 350 manuels sont numérisés et disponibles en ligne sur Gallica (environ 220 titres différents, car pour un même titre, plusieurs éditions sont parfois disponibles).
 
C’est Nicolas-Edme Roret (1797-1860) libraire et éditeur, qui eut l’idée de ces ouvrages pratiques, techniques sur les sciences, les arts et métiers… appelés après sa mort Encyclopédie Roret et Manuels Roret. Originaire de Champagne, venu pour son apprentissage à Paris en 1813, breveté libraire-taille-doucier en 1820, il s’installa à son compte en 1821 sous le nom de « Librairie de Roret », rue Pavée puis 12 rue Hautefeuille. 
Si quelques titres sont des traductions, la plupart sont des publications nouvelles, pour lesquelles Roret fit appel à de nombreux auteurs, professionnels et spécialistes du métier ou du sujet, auteurs qu’il hébergeait le temps de la rédaction, afin de réduire les délais et faciliter la mise en page. Roret se chargeait de l’édition et de la diffusion (librairie), mais non de l’impression.
À la mort de Nicolas-Edme Roret, 315 titres ont été publiés.

Les manuels peuvent être regroupés en grands domaines (selon Anne-Françoise Garçon) :

Des manuels techniques (quelques exemples)
- Nouveau manuel complet du petit four ou pâtisserie légère,
- Manuel du charcutier ou L'Art de préparer et conserver les différentes parties du cochon, d'après les plus nouveaux procédés,
- Manuel du limonadier et du confiseur
- Nouveau manuel complet du parfumeur
- Nouveau manuel complet du brasseur
- Manuel complet du vétérinaire
- Manuel du mécanicien fontainier, pompier, plombier
- Manuel du tanneur, du corroyeur et de l’hongroyeur
- Manuel théorique et pratique du tailleur
 

- Bibliothéconomie ou Nouveau manuel complet pour l'arrangement, la conservation et l'administration des bibliothèques
- Manuel du ferblantier et du lampiste

- Manuel des officiers municipaux : nouveau guide des maires, adjoints et conseillers
- Manuel de l'orthographiste, ou Cours théorique et pratique d'orthographe
- Manuel complet du bijoutier, du joaillier, de l'orfèvre, du graveur sur métaux et du changeur (Tome 1, Tome 2)
 

Des manuels artistiques (quelques exemples) :
- Manuel de miniature et de gouache
 

- Manuel du fleuriste artificiel, ou L'art d'imiter d'après nature toute espèce de fleurs,…suivi de L'art du plumassier
 -  Nouveau manuel complet du relieur dans toutes ses parties
- Manuel complet de la danse
 

- Manuel de Calligraphie et son atlas
- Manuel du mouleur en médailles
- Manuel du peintre et du sculpteur
 
Des manuels scientifiques (quelques exemples) :

- Manuel de météorologie, ou Explication théorique et démonstrative des phénomènes connus sous le nom de météores...
 -  Nouveau manuel complet de géologie
 -  Nouveau manuel complet d'astronomie
- Manuel de physique
- Manuel d'arithmétique démontrée

Des manuels culturels (savoir-vivre) (quelques exemples) :
- Nouveau manuel complet de la bonne compagnie, ou Guide de la politesse et de la bienséance...
 

- Manuel des jeunes gens, ou Sciences, arts et récréations qui leur conviennent, et dont ils peuvent s'occuper avec agrément et utilité (Tome 1, Tome 2)

 

Élisabeth-Félicie Bayle-Mouillard. Nouveau manuel complet de la bonne compagnie, ou Guide de la politesse et de la bienséance. Paris : Roret, 1839
 

- Manuel des dames, ou L'art de l'élégance, sous le rapport de la toilette, des honneurs de la maison, des plaisirs, des occupations agréables 
- Manuel des jeux de calcul et de hasard
- L'art de se coiffer soi-même enseigné aux dames

À la mort de Nicolas-Edme Roret, Edme Roret, son fils (1834-1894), breveté libraire taille-doucier en 1852, prit la suite de l’entreprise devenue « Librairie encyclopédique de Roret » et poursuivit la publication des désormais « Manuels Roret ». Il respecta le format et la couleur et apposa la signature de son père sur la page de garde, contre les imitations.
Pendant cette période les sujets traités ne cessèrent d’augmenter et les manuels connurent une diffusion toujours plus vaste.
 

À la mort d’Edme Roret l’entreprise fut vendue à une ancienne collaboratrice qui créa la Librairie Mulo : La Nouvelle encyclopédie Roret comptera une vingtaine de nouveaux titres, parmi lesquels :
le Nouveau manuel complet du graveur en creux et en relief…; suivi de la fabrication du papier-monnaie, des timbres-poste et des cartes à jouer Tome 1, Tome 2
À la suite d’un nouveau rachat par Edgar Malfère (Société française d’éditions littéraires et techniques) en 1929, la Nouvelle encyclopédie Roret fut rebaptisée « Agriculture et élevage » et la collection des manuels « Industrie, arts et métiers ». Les derniers volumes furent publiés vers 1939.
Depuis, des réimpressions ont été réalisées par Dunod, puis Larousse ; par la Librairie Léonce Laget (plus d’une centaine de reprints pendant les années 70-80), les Editions Inter-Livres (une vingtaine dans les années 90) et les éditions Émotion primitive aujourd’hui.
 
Dans une période de renouvellement technique lié à l’industrialisation, les manuels Roret ont constitué une grande entreprise de vulgarisation, un outil de mise à disposition des découvertes et des nouveautés, un levier d’intégration de l’invention, des procédés et des savoirs nouveaux pour les petites et moyennes entreprises. Ils permettent l’apprentissage des savoirs de base, du vocabulaire, des procédés et des améliorations récemment apparues.
Les manuels adoptent un discours descriptif (descriptions des brevets, notices de constructeurs…) mais proposent aussi des appréciations directes et critiques des techniques expérimentées (compte rendus de fonctionnement, indications de processus neufs…) qui soulignent les améliorations et points forts. C’est l’apport le plus intéressant pour le lecteur. Le style est dynamique, très compréhensible, parfois familier pour animer les descriptions.
 
Conçue pour la divulgation de la nouveauté et l’ordonnancement des savoirs, la collection des manuels Roret apparaît rétrospectivement comme un conservatoire des pratiques anciennes et permet de retracer notamment l’histoire des sciences et des techniques, (avènement de l’électricité, procédés modernes d’imprimerie…) au cours du XIXe siècle :
Manuel du constructeur des chemins de fer, Nouveau manuel complet des machines à vapeur appliquées à l'industrie tome 1 tome 2, Nouveau manuel complet des installations électriques particulières, contenant sonneries, lumière, ventilateurs, téléphones d'intérieur
Ainsi constitue-t-elle une encyclopédie des pratiques et des métiers et des « archives de l’invention » (A.-F. Garçon) ; les manuels de savoir-vivre disparaissant au cours du temps.
 
Les manuels Roret ont connu un grand succès et leur renommée est toujours actuelle. Chaque titre a souvent fait l’objet de plusieurs rééditions, refontes, tirages, traductions, dédoublements,…qui attestent de l’évolution des métiers. Entreprise commerciale, les manuels Roret devaient être rentables et donc s’adapter aux goûts et besoins du public. Le Nouveau manuel complet des gardes nationaux de France et le Nouveau manuel complet du sapeur-pompier sont les titres qui ont connu le plus grand nombre d’éditions et de tirages et donc la plus grande diffusion. 
Le public des manuels Roret était composé de professionnels et d’amateurs souhaitant s’informer et se perfectionner : entrepreneurs, responsables publics, bricoleurs, ingénieurs civils… qui n’avaient pas recours à la littérature originale. Toujours utilisés, les manuels sont recherchés par des artistes, artisans, antiquaires, bricoleurs, restaurateurs, historiens, industriels, chercheurs en sciences humaines,…et aussi par des collectionneurs et bibliophiles.
 
Autre indice de l’importance des manuels Roret : le Réalisme littéraire s’est emparé d’eux. Zola les a utilisés pour étoffer ses romans. Flaubert ne se contente pas d’utiliser cette collection de référence comme documentation dans la genèse de ses fictions (42 volumes figurent dans son inventaire après-décès et on en trouve mention dans sa correspondance, ses carnets de travail et dans les « dossiers Bouvard et Pécuchet »). Il la met aussi en scène dans son roman Bouvard et Pécuchet et la cite plusieurs fois avec ironie : p. 7, p. 41, p. 103 : « Ils furent stupéfaits d'apprendre qu'il existait sur des pierres des empreintes de libellules, de pattes d'oiseaux ; et, ayant feuilleté un des manuels Roret, ils cherchèrent des fossiles. »
Il y cite aussi des titres particuliers :
-L’Architecte des jardins (dont la 3ème édition (1847) est numérisée dans Gallica) est cité p. 55
 

- le Manuel complet d'éducation physique, gymnastique et morale d'Amoros est cité p. 244-247 : « Satisfaits de leur régime, ils voulurent s'améliorer le tempérament par de la gymnastique. Et ayant pris le manuel d’Amoros, ils en parcoururent l'atlas. Tous ces jeunes garçons, accroupis, renversés, debout, pliant les jambes, écartant les bras, montrant le poing, soulevant des fardeaux, chevauchant des poutres, grimpant à des échelles, cabriolant sur des trapèzes, un tel déploiement de force et d'agilité excita leur envie. », p. 272
 

- le Manuel théorique et pratique d'hygiène, ou L'art de conserver sa santé de Morin est cité  p. 94
 
(voir aussi le billet de blog Gallica : Bouvard et Pécuchet : les historiens du XIXe siècle bousculés)
 
Pour aller plus loin
- Bibliographie des manuels Roret ou Essai bibliographique contenant l'art de faire découvrir les différents métiers, d'enrichir son savoir technique et scientifique / Bruno Fieux, 2008
- Stéphanie Dord-Crouslé. « Flaubert et les Manuels Roret ou le paradoxe de la vulgarisation. L'art des jardins dans Bouvard et Pécuchet » Dans : Lise Andries. Le partage des savoirs (XVIIIe-XIXe siècles), Presses universitaires de Lyon, pp.93-118, 2003.
- Anne-Françoise Garçon. « Innover dans le texte. L'Encyclopédie Roret et la vulgarisation des techniques, 1830-1880 ». Dans : Colloque Les Archives de l'Invention, May 2003, Paris, France.
- Joost Mertens. « Éclairer les arts : Eugène Julia de Fontenelle (1780-1842), ses manuels Roret et la pénétration des sciences appliquées dans les arts et manufactures ». Dans : Documents pour l’histoire des techniques, 18 | 2e semestre 2009.