Sur les traces du Paris d’Atget

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Faire surgir les images du Paris d’hier dans les rues d’aujourd’hui ? C’est l’expérience que nous vous proposions à l’automne lors de Rendez-vous Gallica en compagnie de Joh Peccadille, blogueuse et Gallicanaute. Ce billet vous permettra de refaire à volonté la promenade, téléphone ou tablette en main !

Passage du Perron : photographies d’Eugène Atget (1906) et de @monsieurkaplan (2017)
 

Dans les dernières années du XIXe siècle, Eugène Atget, comédien à la carrière laborieuse, cherche un moyen de gagner plus aisément sa vie. À 40 ans, il se saisit d’un appareil photo, qui sera, vingt ans durant, son fidèle compagnon. Deux décennies à photographier inlassablement la capitale, à inventorier chaque rue et chaque détail d’intérêt des vieux quartiers de Paris.
 
Dans cette patiente quête, au cours de laquelle il générera plus de 8000 clichés, ses pas le mèneront souvent dans le quartier Richelieu, non seulement pour en photographier les bâtiments dignes d’intérêt, mais aussi pour vendre ses tirages.
 
Car la clientèle du photographe est constituée en partie de bibliothèques, et la plus importante d’entre elles, la Bibliothèque nationale, se situe justement en plein cœur du quartier Richelieu.
 
Du vivant d’Atget, le département des Estampes et de la Photographie de la BnF lui a acheté près de 4 300 clichés, destinés à enrichir les albums topographiques, ces lourds volumes qui rassemblent des milliers d’images classées par lieux.
 
Cent ans plus tard, la même BnF a procédé à la numérisation de ces photographies, qui étaient parmi les premières à rejoindre la toute jeune bibliothèque numérique Gallica. Parmi elles, une centaine illustre les abords mêmes de la bibliothèque sur le site Richelieu, dans le 2e arrondissement.
 
Confortablement installé dans un canapé et à l’aide de Google Street Map, ou arpentant les rues munies de l’application Gallica, tout le monde peut s’amuser à jouer au jeu des différences en comparant les lieux photographiés en son temps par Atget et ceux que nous fréquentons aujourd’hui.
 

 
Rue Colbert, à l’exception du discret mascaron aujourd’hui muselé, rien ne laisse deviner que coulait ici autrefois une fontaine. En 1908, le bâtiment abritait le service municipal des eaux de Paris, dont quelques employés avaient tenu à prendre la pose devant l’objectif du photographe. Il faut cependant avouer que c’est probablement plus le caractère original de la construction, qui remonte au XVIIIe siècle, que la physionomie de ces bonshommes qui intéressait Atget. D’ailleurs, le photographe, qui ne manquait pas d’immortaliser les "ornements de Paris", a tiré le portrait du mascaron seul sur un autre cliché.
 

 
Au bout de la même rue Colbert, quel flâneur remarque cette amorce de voûte encore visible sur la façade mutilée de l’hôtel de Nevers ? C’est un témoignage de l’aspect ancien de ce bâtiment, dont la galerie enjambait la rue avant son amputation rendue nécessaire par les travaux d’agrandissement de la Bibliothèque nationale par Labrouste.
 

 
Atget a photographié plusieurs fois les vestiges de cet hôtel. À l’époque, une vespasienne s’appuyait sur sa muraille, et un tableau était réservé à l’affichage administratif : on reconnait leur caractère officiel au papier blanc sur lequel ces annonces étaient imprimées et qui leur était réservé. En zoomant au maximum, le Gallicanaute peut presque distinguer le contenu des affiches : le programme des cours des écoles de la ville de Paris, un avis relatif à l’agrandissement d’une avenue, etc.
 

 
Parfois, l’enquête sur les infimes détails des photographies d’Atget peut être poussée beaucoup plus loin : ainsi, pour qui est intrigué par telle ou telle enseigne, une recherche dans les annuaires du commerce, dont plusieurs exemplaires sont disponibles sur Gallica, peut éclairer sur la nature de la boutique. Prenons par exemple ce cliché de la rue du Jour, en 1907. À l’angle de l’artère, face à l’église Saint-Eustache, se dresse un haut immeuble, couvert d’annonces – "vieux papiers", "fabrique de sacs", "papiers pour la pâtisserie" – : c’est la maison Toury Mêlés, dont l’annuaire du commerce nous apprend qu’elle a pour spécialité les "parchemins et papiers pour bouchers, charcutiers et marchands de beurre…". Détail amusant glané au hasard des navigations sur Gallica : en 1938, la famille qui tient ici commerce passe une petite annonce dans la presse pour se séparer de sa voiture, une Renaud familiale.
 

 
De même, face à un mur couvert d’affiches, le Gallicanaute patient peut chasser en ligne chacun des modèles d’affiches qui y est collé… car on trouve, toujours sur Gallica, plusieurs milliers de belles réclames colorées, numérisées par les soins du département des Estampes.
 

 
Ailleurs, il s’amusera à observer l’immuabilité d’un lampadaire, rescapé depuis plus d’un siècle des travaux d’aménagement de voirie. Ou, au contraire, un cliché ancien lui révélera les importants remaniements subis par une façade… quand ce n'est pas une rue tout entière qui a disparu !
 
Atget, arpentant la capitale, focalise son intérêt sur les vieux quartiers, les rues anciennes et les bâtiments pittoresques, souvent guidé par l’ouvrage du Marquis de Rochegude, le Guide pratique à travers le Vieux Paris dont notre lecteur contemporain peut également se munir, puisqu’il est numérisé sur Gallica. Dans son inventaire, Atget savait que le temps de certaines artères et hôtels était compté, car promis à une destruction certaine. Ici, notre homme s’inscrit dans la suite des photographes et aquafortistes qui, depuis le milieu du XIXe siècle, s’étaient donné la mission d’immortaliser le "Paris qui s’en va".
 

Pour autant, quand il photographie la rue Coquillière, promise depuis 1860 à la destruction, Atget ignore certainement que cette artère lui survivra encore dix ans : elle n’est abattue qu’en 1936 pour laisser place à un nouveau pavillon des Halles.
 
Rue du jour, au contraire, il arrive trop tard : les vieilles maisons ont laissé place à une flambante caserne de pompiers depuis 1897. Dans la parcelle voisine, les démolitions se poursuivent…
 
 

Dans cette machine à remonter le temps, on pourrait passer des heures, si nombreuses sont les photographies disponibles en ligne. Et si vous repreniez le flambeau pour nous montrer ce qui a changé – ou non – dans votre quartier depuis qu’Atget est venu le photographier ?
 
Pour mener à bien votre quête, voici quelques astuces. Sur Gallica, il est possible d’accéder à l’œuvre photographique d’Atget de plusieurs manières. La plus simple est de passer par le menu Sélections, en haut à droite de la page, et de choisir "Images" puis "Photographes et photographies" et enfin "Accès par auteur". Un lien vous permettra d’accéder aux 3 967 documents de la Bibliothèque nationale de France dus à Atget. Mais d’autres photographies du même auteur, conservées par des bibliothèques partenaires, sont également disponibles dans Gallica ! Aussi n’hésitez pas à taper "Atget" directement dans le moteur de recherche. Vous pourrez ensuite filtrer par type de document ("Image") et ainsi accéder à près de 6 000 clichés. Pour vous retrouver dans cette masse, n’hésitez pas à affiner votre recherche en inscrivant le nom d’une rue ou le numéro d’un arrondissement dans le champ prévu à cet effet, dans la colonne de gauche. Les clichés originaux appartenant au département des Estampes sont, pour leur exemplaire physique, classés dans des boîtes par arrondissement. En consultant la notice détaillée, vous pouvez repérer la cote du quartier qui vous intéresse et relancer la recherche sur cette cote uniquement.

 
Ultime astuce : sur Gallicarte, l’application lauréate du premier hackathon de la BnF, vous pourrez consulter une partie des clichés d’Atget géolocalisés automatiquement. Bonne navigation !