La Maison du docteur Blanche

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20 juin 2018

Tout en haut de la colline de Montmartre, au numéro 22 de la rue Norvins, se trouve la Folie Sandrin. En 1806, le Docteur Pierre-Antoine Prost la transforme en maison de santé destinée aux insensés. Ses successeurs, les docteurs Blanche père et fils, reprennent ce concept. Mais ce sont eux dont la postérité a retenu le nom. 

Maison de santé du Docteur Blanche rue Norvins, aspect sur le jardin, photographie de Jean Roubier. Collection BHVP
 

Un courant moral et philanthropique

Construite en 1774 par le propriétaire éponyme, la folie Sandrin est une maison de campagne sise dans ce qui est encore le village de Montmartre. En 1806, le docteur Prost, adepte des théories de Philippe Pinel, la rachète à un marchand de vin pour y expérimenter un traitement prenant en compte le bien-être des aliénés issus de milieux aisés. Voici ce que le praticien écrit dans son ouvrage paru en 1807 : Deuxième coup d’œil sur la folie ou Exposé des causes essentielles de cette maladie ; suivi de l'indication des divers procédés de guérison :

 J’ai donc formé un établissement pour le traitement des maniaques et de toutes les affections nerveuses. Cet établissement est fait dans une maison très spacieuse située à Montmartre, peu éloignée de la barrière de Paris. Un jardin fort étendu et des plus agréables, une distribution intérieure des plus convenables, un aspect qui présente les scènes douces et variées de la nature :  tout m’a paru se réunir pour le but que je me propose, et auquel l’expérience m’a prouvé qu’on n’arrive point si l’on néglige de s’entourer d’un appareil de choses disposées avec intelligence, et préparées pour l’usage que les divers états de la maladie prescrivent[...] le traitement moral est quelquefois plus efficace que les secours de l'art[…]. Etre médecin n’est donc point assez auprès d’un fou ; il faut être par caractère disposé à cette douce bienveillance, qui ne se démentant jamais, inspire et fixe la confiance du malade et l'amène à faire sans effort ce qui convient à son état.

Il en vient à la conclusion  :

Celui qui se consacre à la direction d’un pareil établissement  doit être à la fois le médecin, l’infirmier, l’ami, le consolateur, le confident de ses malades.

En réalité, Prost s'inspire du traitement moral prôné par Philippe Pinel puis son élève Etienne Esquirol.  Presque tous les aliénistes contemporains vont s'en revendiquer. Même si d'aucuns tournent parfois en dérision le "traitement calmant" comme Edgar Allan Poe dans Le système du docteur Goudron et du professeur Plume.

D'autres établissements analogues

Prost avait cependant été devancé par le docteur Belhomme qui dès 1768 avait ouvert rue de Charonne un établissement pour les aliénés issus des milieux aisés.  Etienne Esquirol, médecin à la division des folles de la Salpêtrière, puis à l’Asile de Charenton, crée parallèlement en 1817 sa propre maison pour aliénés riches d’abord rue de Buffon à Paris, puis à Ivry-sur-Seine. En 1818, il rédige d’ailleurs un rapport où il se livre à un état des lieux saisissant  Ce document eut par la suite un grand retentissement et contribua grandement à attirer l’attention sur  la situation faite à ces malheureux. Cependant, l’établissement de Prost périclite...

Collection BIU Santé

Une dynastie d'aliénistes

La dynastie des Blanche illustre parfaitement l’endogamie qui caractérise le milieu médical des XVIIIe et XIXe siècle. En effet, le père d’Esprit, Antoine-Louis, maître en chirurgie est chargé par la République naissante de se pencher sur le sort des insensés à Rouen. Mais c’est au frère d’Esprit, Antoine-Emmmanuel, reçu docteur en 1807, qu’il incombe de créer le premier établissement pour aliénés dans cette même ville. On peut donc supposer toute la famille partie prenante dans la médicalisation progressive des structures accueillant les aliénés. Esprit - dont le fils Emile perpétuera l'oeuvre - décide de gagner la capitale où il rachète au docteur Prost sa maison de santé.

La maison de santé de Montmartre

Le Docteur Blanche se révèle plus habile que son prédécesseur : sous sa houlette, l’établissement se forge une bonne réputation et attire une clientèle huppée, notamment des écrivains et des artistes. Cela n'empêche pas le praticien d'accueillir gratuitement les patients désargentés. Par une nuit de carnaval, Gérard de Nerval, poète emblématique de la génération romantique, est retrouvé nu dans une rue. De mars à novembre 1841, il est interné à la clinique et y fait plusieurs séjours avant de se suicider. L’acteur Monrose figure aussi parmi les patients d'Esprit Blanche.

Gérard de Nerval : [photographie] / [Adrien Tournachon et Félix Nadar]

Le médecin adepte des thèses de Pinel, au lieu d’isoler les aliénés, les place au sein d’une nouvelle famille. Dans son ouvrage paru en 1839, Du Danger des rigueurs corporelles dans le traitement de la folie, il donne à voir les résultats étonnants auxquels il parvient tout en critiquant le régime d’intimidation appliqué par son confrère François Leuret : en effet, ce dernier menace les fous récalcitrants de la douche froide à gros débit.

Un an plus tard, il fait paraître un autre ouvrage De l'état actuel du traitement de la folie en France.

Déménagement à Passy

La maison de Montmartre étant devenue trop petite pour accueillir ses nombreux patients, Esprit Blanche acquiert en 1846 la maison de campagne de la Princesse de Lamballe à Passy.
A la mort de son père en 1852, son fils Emile reprend l’établissement. Personnage mondain,  "le docteur Trois-Etoiles" se forge une réputation de générosité et de dévouement à l’égard de ses patients aristocrates et grands bourgeois parfois célèbres, tels que les compositeurs Fromental Halévy et Charles Gounod, Théo Van Gogh (le frère du peintre), Guy de Maupassant. La maladie du romancier, qui résulte des séquelles d’une syphilis, semble parvenue à un stade trop avancé pour pouvoir être réellement traitée à la clinique, et il y meurt 18 mois après y être entré. 
Au bout de 20 ans, Emile Blanche abandonne la direction de la maison de santé à un confrère. Bien qu'il n'y soit plus que médecin-consultant, c'est son nom qui restera attaché à la célèbre clinique.

 

 Portrait de Emile-Antoine Blanche par Henri Gervex. Collection Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine

 En ce milieu du XIXe siècle, 50 ans avant la révolution freudienne, ce sont donc deux conceptions du traitement des pathologies mentales qui s’opposent. Dans le secteur public, malgré la promulgation de la loi de 1838, l'enfermement et le manque d'humanité généreraient encore violence et chahut, face au secteur privé où règneraient empathie et bienveillance dans un environnement calme, calqué sur le modèle d’une pension de famille.

Pour aller plus loin :