Le roi boit ! La galette des rois au XIXe siècle

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9 janvier 2016

Entre deux dégustations de frangipane, découvrez comment écrivains et caricaturistes du XIXe siècle s’approprient les symboles de cet innocent gâteau de fête. Pièces de théâtre, poèmes, articles de presse et livres de recettes témoignent de la dimension politique et sociale de la cérémonie du choix du roi.

Le Gâteau des rois (1850)

Le XIXe siècle débute bien mal pour consommateurs et fabricants de galettes. Accusés en 1793, par le président du Conseil révolutionnaire, de prosélytisme royaliste, les pâtissiers ont pour interdiction de mettre la patrie en danger en vendant ces gâteaux aux intentions liberticides. L’Empire restaure dès 1805 le droit pour tous d’être couronné roi le temps d’une soirée, mais les anecdotes du Petit Nicolas, presse illustrée pour la jeunesse, brocardent avec humour la permanence de ce titre séditieux en période républicaine.

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Les grands jours des petits enfants : légendes et récits sur l'origine et la signification des fêtes de famille, d'Élisabeth Müller (1867)

Les débordements en tous genres, autorisés par le fameux verre levé en l’honneur du gagnant : « Le Roi boit ! », sont contés avec humour par la presse satyrique, sous la plume ironique de Charles Herouard. La littérature enfantine s’en empare également mais sous un angle moralisateur. Pièces de théâtre, contes et manuels de savoir-vivre éduquent les jeunes filles à savoir recevoir et tenir leur maison à l’occasion de cet évènement social. Les plus jeunes se doivent d’apprendre chansons et compliments pour régaler leurs parents de couplets de circonstances avant de pouvoir déguster le gâteau. Ces mêmes ouvrages conseillent aux futurs fiancés de profiter de la symbolique du couple royal pour se déclarer publiquement. Tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins, dans la limite de la rigueur bourgeoise. Les pâtissiers et publicitaires viennent au secours des jeunes promis en déclinant dès 1815 des galettes en forme de coeur, des fèves en demoiselle ou en dame de coeur.

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"La galette des rois", F. Fabiano (1908-1916)

Cachées dans la galette, ces dernières peuvent par malheur se dissimuler dans la part du pauvre, tradition charitable consistant à laisser de côté un morceau pour les nécessiteux. Désespérés de manquer une si belle occasion, certains mettent ladite part aux enchères afin de l’acquérir, enrichissant ainsi la dot ou la « galette » de la future mariée.

Si enfants et jeunes adultes sont au coeur de ce cérémonial, les grands de ce monde ne sont pas en reste. Louis XIV célébrait, selon le Mercure de France, l’Epiphanie plusieurs fois par an pour le simple plaisir de remporter chaque tirage au sort. A la table de Louis XVIII, c’est le duc d’Orléans qui à défaut de la couronne française, remporte une fève qui lui semble bien amère, tandis que M. Thiers s’autorise une tricherie pour récupérer le précieux butin. Les pamphlets en vers et la caricature, depuis Lemire en 1773, s’emparent également de la cérémonie du partage comme allégorie politique. Assis autour d’une table, les puissants se répartissent le gâteau du monde, espérant tomber sur une fève qui les rendra maître de tous, comme lors du congrès de Vienne en 1815 ou du partage des états polonais en 1850. Malheur aux retardataires ! Tout comme les enfants trop gourmands ou les domestiques voleurs, ils passent leurs tours et savourent du regard pâte feuilletée et crème frangipane.

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Le Gâteau Des Rois, Tiré au Congrès de Vienne en 1815

Une recette traditionnelle qui fait néanmoins débat, car bien que les parisiens la dégustent ainsi, il n’en va pas de même dans le reste de la France. Si le siècle redécouvre progressivement la cuisine régionale, le nationalisme revanchard de la dernière décennie permet la diffusion au grand public de nombreuses spécialités pâtissières locales. Les chefs et auteurs comme Lacam se font les apôtres de ce patrimoine culinaire méconnu en diffusant dès 1900 les recettes de la brioche Romane au gâteau de Limoux, esquissant ainsi une France gourmande aux traditions sucrées millénaires.