Le 24 juin 1917 : Les Mamelles de Tirésias

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23 juin 2017

Le 24 juin 1917, le drame surréaliste Les Mamelles de Tirésias de Guillaume Apollinaire est joué pour la première fois au théâtre Renée Maubel, rue de l’Orient (aujourd’hui rue de l’Armée d’Orient dans le XVIIIème arrondissement). Organisé par Pierre Albert-Birot, le directeur de la revue SIC (SONS, IDEES, COULEURS, FORMES), les décors et costumes sont de Serge Férat et la musique de Germaine Albert-Birot. Louise-Marion, Marcel Herrand, Edmond Vallée sont les principaux acteurs, le chœur est dirigé par Max Jacob.

Apollinaire photographié dans le jardin du théâtre Renée Maubel le 24 juin 1917 et dessins de Serge Férat

La trame est la suivante : Thérèse refuse d’obéir à son mari et se transforme en homme. Devenu Tirésias, elle part faire la guerre, pendant que Le mari, changé en femme, décide se faire des enfants tout seul.

Le sous-titre de la pièce, « drame surréaliste », reprend un terme utilisé pour la première fois par Apollinaire dans Excelsior lorsqu’il présente Parade. Ce ballet sera créé au Théâtre du Châtelet, le 18 mai 1917, au cours d’une matinée des Ballets russes dirigé par Diaghilev (musique d’Erik Satie, décors et costumes de Picasso, sur un livret de Cocteau.)

Une revue de presse de Guillaume Apollinaire

Guillaume Apollinaire a conservé et annoté les coupures de presse de cette représentation et Pierre Albert-Birot en tire une revue de presse publiée dans SIC. Elle est composée de nombreux extraits d’articles qui ne sont pas encore consultables dans leur version intégrale sur Gallica : Victor Basch dans Le Pays, Guillot de Saix dans La France, Louis Faure-Favier et Paul Souday dans Paris-Midi, La Vache enragée, La Griffe, Nord-Sud, L’Heure, Les On dit, La Semaine de Paris ou Le Petit Bleu.

La grande presse n’est pratiquement pas représentée. Dans L’Intransigeant, un court article anonyme est très négatif et, selon les notes manuscrites d’Apollinaire, écrit par Fernand Divoire. L’Œuvre insiste sur la perplexité du public : « Les spectateurs se sont efforcés de comprendre cette fantaisie outrancière » et l’atmosphère tumultueuse : « Jusqu’au bout ils sont restés très divisés et prêts à en venir aux mains ». Seul Le Radical est élogieux.

Dans Le Carnet de la semaine, René Wisner souhaite plus d’audace, alors qu’un autre article décrit le public, « des gens bizarres », donne une liste de noms aujourd’hui inconnus, parmi lesquels se trouve André Breton, cite les commentaires de Rachilde sur la couleur du rideau, énumère les cocasses instruments de musique et conclut : « La séance fut tumultueuse. Bref, on se sépara après deux heures de folie… ». Un troisième article propose un autre acronyme pour SIC : « Société incohérente de charlatanisme ». Les semaines suivantes, le même journal rapporte la rupture avec les cubistes et la rivalité avec le ballet Parade.

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Caricature de E. Brod dans le Carnet de la semaine, 1er juillet 1917

Jean de Gourmont dans le Mercure de France ne se prononce pas : « C’est une date littéraire, peut-être ». La Rampe donne deux photographies et décrit le public plus que la pièce : « On se tord, on applaudit, on trépigne. Quelques cris d’animaux. Rachilde hurle “Allez chercher des agents, il y a des loufoques dans la maison” ! ». Dans La Grimace, Léo Poldès juge qu’« il eut été sage de rester muet sur cette exhibition déplorable ». En août, une courte note dans L’Intransigeant reproduit un poème de La Vache enragée sur la même page qu’un article sur les « marmites norvégiennes ».

En complément du recueil d’Apollinaire, nous pouvons trouver dans Gallica : le texte de Paul Souday dans Le Siècle (déjà publié dans Paris-Midi). Il s’interroge sur la vision « un peu réactionnaire » de la femme émancipée chez Apollinaire. Le Cri de Paris publie un court billet très critique, avec une couverture consacrée au sujet de la repopulation. Quelques jours plus tard, La Presse se demande « comment passer sous silence un scandale qui souleva tant d’indulgence ou d’admiration ».

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Photographie de la première représentation (La Rampe, 12 juillet 1917)

La presse et les journalistes dans Les Mamelles de Tirésias

La presse est aussi un thème récurrent. Dans l’acte I, le kiosque (joué par Yeta Daesslé) fait partie des personnages, chante et se déplace. Il propose Le Journal, L’Action Française, Le Pays, Paris-Midi, Le Bonnet Rouge et L’Echo de Paris. Et lorsque Thérèse devient un homme, sa première action est d’acheter le journal « pour savoir ce qui vient de se passer ».

Dans l’acte II, Le mari vient de faire 40.049 enfants en un seul jour. A côté d’un berceau vide, se trouvent une bouteille d’encre, un porte-plume et une paire de ciseaux. Un journaliste parisien vient interroger Le mari dans la scène 2 et finit par lui demander de l’argent ; « Le mari chasse le journaliste à coup de pieds ».

Dans la scène 3, Le mari décide de faire un enfant journaliste, qui aura «  De la cervelle pour ne pas penser / Une langue pour mieux baver ». Le fils journaliste, à peine né, se comporte en maître chanteur avec son père, donne les nouvelles, et part imaginer les prochaines. Enfin, dans la scène 5, Le mari reçoit des dépêches et regrette de s’être fié « à la Presse ». Selon le compte rendu de SIC, les journalistes se sentirent visés.

Lorsque Francis Poulenc mettra en musique Les Mamelles de Tirésias (enregistrement) en 1947, la presse restera un élément de mise en scène (Décors, final) :

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Mises en scène à Bâle en 1957 et Aldeburgh en 1958

Le 1er janvier 1918, la pièce paraît en volume et Apollinaire dans sa préface se défend de certaines critiques, en particulier celles de Victor Basch. Aragon raconte dans SIC la représentation du 24 juin 1917 et c’est la première mention de la présence de Jacques Vaché ( Le Figaro en 1923 y fait allusion). Dans Le Journal, Lucien Descaves s’excuse de ne pas avoir vu l’unique représentation. L’Eventail de Genève fait l’éloge de la pièce et soutient Apollinaire. Le même titre publie en novembre les souvenirs d’André Breton : « une pièce de bonne humeur où j'ai trouvé soulageant de rire sans arrière-pensée. Je sais qu'Apollinaire tient le secret d'une gaieté moderne, à la fois plus profonde et tragique, et que c'est volontairement qu'il ne l'a pas engendrée. »

En 1926, Le Rappel cite les souvenirs de Philippe Soupault, souffleur, publiés dans La Revue européenne et La Semaine à Paris, ceux de Gaston Picard en 1934.

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Photographie de la première représentation (La Rampe, 12 juillet 1917)

Le programme de cette représentation, et des photographies des représentations des Mamelles de Tirésias mis en musique par Francis Poulenc peuvent être consultés dans Gallica intra muros.