Violette Morris, parcours d’une scandaleuse

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Vitesse, excès, émancipation, lesbienne, parisienne, sportive, débauche, luxure, Années Folles sont autant de mots qui, assemblés, évoquent une créature née de la gestation de nouveaux idéaux diffusés dans les années 10 par les mouvements féministes : la Garçonne. Cette femme nouvelle, moderne, s’émancipe des hommes, ne porte plus de corset, emprunte au vestiaire masculin ses pantalons confortables et pratiques, fume comme un homme, a les cheveux courts et gominés.

Si l’on connaît aujourd’hui le terme « garçonne » pour parler d’une coupe de cheveux ou d’un vêtement, peu d’entre nous connaissent les frasques des plus sulfureuses représentantes du mouvement. L’une d’elle, Violette Morris, est particulièrement représentée dans les collections de la Bibliothèque nationale de France : photographies d’agences de presse, mais aussi coupures de presse ou ouvrages consacrés à son parcours. Les campagnes de numérisation de Gallica permettent de découvrir, au fur et à mesure de leur mise en ligne, de nouvelles sources jusqu’à lors inconnues pour qui n’a pas épluché minutieusement toute la presse. Revenons sur la vie de Violette Morris, une femme au parcours hors du commun.

Émilie, Paule, Marie, Violette Morris nait le 18 avril 1893 dans une famille bourgeoise : son père, un capitaine de cavalerie en retraite, est le baron Pierre-Jacques Morris. Selon la tradition des bonnes familles, elle est élevée par des sœurs au couvent de l’Assomption de Huy. En 1914, elle épouse Cyprien Gouraud, dont elle divorce en 1923. Son goût pour la liberté et son caractère bien trempé lui viennent peut être de la Première Guerre mondiale. Elle y a en effet joué le rôle d’ambulancière pour la bataille de la Somme et d’estafette pour celle de Verdun. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’elle a commencé à porter des vêtements masculins. Bisexuelle affichée, elle et Raoul Paoli – sportif de haut niveau – montrent leur amour au grand jour alors qu’ils ne sont pas mariés.

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Sportive accomplie au physique imposant (elle mesure 1.66 mètres pour 68 kg), sa carrière s’étale de 1912 à 1935. Aucune discipline ne lui fait peur, aussi elle aurait prononcé à certains de ses détracteurs : « Ce qu’un homme fait, Violette peut le faire ! ». Violette enchaîne donc les victoires et les records en course automobile, aviation ou athlétisme. Elle devient même chanteuse de music-hall en 1926 ! Toujours sous couvert de sa devise, elle affronte les hommes en boxe dans des tenues légères qui laissent apparaître toute sa physionomie féminine ! Apparaît alors un double scandale : une femme se mesure à un sport viril, dans une tenue inappropriée et dans un cercle exclusivement masculin … et dès 1913 ! Le sport est en effet une institution sexuée réservé à l’établissement de la masculinité des hommes par l’apprentissage de la force, de la domination et de la compétition, que l’on oppose à la mollesse, la faiblesse et la vulnérabilité attribuées aux femmes. La construction de l’ordre social du genre social masculin par la masculinisation des corps et l’apprentissage de la masculinité par le sport en font alors une activité sexuante réservée aux hommes. Violette Morris transgresse donc son genre et son statut de femme par la pratique de sports qui ne sont pas « adaptés » à sa « féminité » selon les principes d’éducation de l’époque. Cette question est soulevée dans l’article du journal La Presse du 23 janvier 1929.

En 1927, alors que Violette Morris se préparait à participer aux premiers Jeux Olympiques féminins organisés en 1928, la Fédération française sportive féminine lui refuse le renouvellement de sa licence. Son attitude masculine, son habitude de s’habiller en complet d’homme, et ses cheveux courts sont considérés comme une atteinte aux bonnes mœurs. Violette Morris porte plainte contre la fédération en 1928, mais son attitude n’a pas changé. Pire, elle subit une double mastectomie pour pouvoir conduire aisément sa voiture de course, ce qui ne manque pas de faire couler beaucoup d’encre. En 1930, Yvonne Netter, l’avocate de la Fédération française sportive féminine, évoque l’ordonnance de la Préfecture de Police de Paris du 16 brumaire an IX – 7 novembre 1800 – qui interdit aux femmes de porter le pantalon, sauf dans certains cas très règlementés. Passons sur le fait que cette ordonnance n’a été annulée qu’en mars 2013 ! Le tribunal condamne donc Violette à payer 10 000 francs de dommages et intérêts à la Fédération. Son histoire sportive inspire de nombreux écrits dans les années 1930. En invoquant des idéaux religieux, Les Cahiers de la santé publique jugent sa double mastectomie contre nature.

La fin de la vie de Violette Morris est tout aussi « scandaleuse ». A partir de 1937, on la soupçonne d’être une espionne pour l’Allemagne nazie. Elle aurait été recrutée aux Jeux Olympiques de Munich en 1936. A partir de 1940, elle travaille pour l’Allemand Helmut Knochen. Elle est ensuite chargée des interrogatoires des femmes résistantes pour la Gestapo de la rue Lauriston, puis responsable de secteur dans les organigrammes de la rue des Saussaies de 1942 à 1944. Surnommée « Hyène de la Gestapo », elle est condamnée à mort par le Bureau central de renseignement et d’action ou par l’Intelligence Service. Ironie du sort : elle meurt au volant de son bolide, exécutée par le groupe normand Surcouf, le 26 avril 1944.

Claire Lemesle, département des Estampes et de la photographie

Bibliographie :

Bard, Christine, Les garçonnes : modes et fantasmes des Années Folles, Paris : Flammarion, 1998

Bonnet, Marie-Jo, Violette Morris, histoire d'une scandaleuse, Paris : Perrin, 2011

Gury, Christian, L'Honneur ratatiné d'une athlète lesbienne en 1930, Paris : Kimé, 1999

Lemesle, Claire, Les Garçonnes. A la tête de la marginalité dans les Années Folles, Mémoire d’étude de l’Ecole du Louvre présenté sous la direction de Denis Bruna, mai 2013

Neaumet, Jean-Emile, Violette Morris, la Gestapiste, Paris : Fleuve Noir, coll. « Crime Story », 1994