La Bible de Gutenberg est dans Gallica : acte 2

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25 janvier 2017

Après les richesses de l'exemplaire imprimé sur peau de vélin, découvrons dans ce nouveau billet celles du second exemplaire de la Bible de Gutenberg conservé par la BnF : l'exemplaire imprimé sur papier.

Mention manuscrite de Heinrich Cremer en fin d'exemplaire (vol. 2), renseignant sur la date d'impression de la Bible (voir infra)

La Bibliothèque nationale de France conserve en effet deux exemplaires de la Bible de Gutenberg, rare privilège qu’elle partage avec trois institutions seulement dans le monde : le Gutenberg-Museum de Mayence, la British Library à Londres et la Pierpont Morgan Library à New York.

En dépit d’une apparence plus modeste que l’exemplaire sur vélin, il est d’une importance historique capitale : il porte en effet l’une des rares mentions susceptibles de préciser la date de l’impression.

La Bible de Gutenberg, à l’image des manuscrits médiévaux et comme nombre d’imprimés du XVe siècle, ne comporte pas de page de titre. Elle n’est ni signée, ni datée. L’habitude de faire figurer en fin de volume, en un court paragraphe appelé colophon, lieu d’impression, nom de l’imprimeur, date de publication, se manifestera plus tard. Et ce n’est que très progressivement que ces informations trouveront leur position définitive, en tête de livre, sur la page de titre. Or l’exemplaire sur papier de la BnF livre aux spécialistes l’une des rares mentions historiques susceptibles de préciser la chronologie de l’impression. Heinrich Cremer, vicaire à la collégiale Saint-Etienne de Mayence, signe en effet de son nom, en août de l’année 1456, les travaux de peinture, de rubrication et de reliure des deux volumes de l’exemplaire :

"Et sic est finis prime partis Biblie sc[ilicet] Veteris Testamenti. Illuminata seu rubricata et ligata p[er] Henricum Albch alius Cremer, anno d[omi]ni M° CCCC° LVI°, festo Bartholomei ap[osto]li. Deo gratias. Alleluia." (vol. 1)
[= Ainsi s'achève la première partie de la Bible, à savoir l'Ancien Testament. Peinte, rubriquée et reliée par Heinrich Albch dit Cremer, en l'an 1456, à la saint Barthélémy, apôtre (=  24 août 1456)].

"Iste liber illuminatus, ligatus et completus est p[er] Henricum Cremer, vicariu[m] ecclesie collegate sancti Stephani Maguntinis, sub anno d[omi]ni millesimo quadringentesimo quinquagesimo sexto, festo Assumptionis gloriose virginis Marie. Deo gratias. Alleluia." (vol. 2)
[= Ce livre a été peint, relié et complété par Heinrich Cremer, vicaire de la collégiale de S. Stéphane de Mayence, en l'an mille quatre cent cinquante six, à l'Assomption de la glorieuse vierge Marie (= 15 août 1456)].

Ces notes manuscrites datées sont connues des spécialistes du monde entier, car elles permettent de mettre un terme incontestable aux travaux d’impression : ceux-ci ont nécessairement été achevés plusieurs mois avant août 1456.

L’exemplaire sur papier a souffert de mutilations affectant particulièrement les incipit, susceptibles d’être porteurs de décors plus soignés. Demeurent néanmoins de belles lettres ornées, peintes et filigranées, dans un style bien différent de celui de l’exemplaire sur vélin.

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Lettres peintes aux incipit de III Rois, II Chron.

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Lettre peinte à l'incipit de I Esd. 

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Lettre peinte à l'incipit de Ps (37)

Il comporte également de nombreuses notes de lecture, portées en marge, dans une écriture cursive (XVIe siècle, une main semblant majoritaire). Consistant en un bref commentaire ou une paraphrase du contenu, elles témoignent d’une lecture active, fondée sur la réflexion et l’interprétation, et d’un usage personnel, très différent de l’usage conventuel de l’exemplaire sur vélin. Il est arrivé avec une certaine récurrence que l’annotateur transcrive en chiffres arabes les adjectifs numéraux cardinaux. Alors que les chiffres, de valeur parfois élevée, avaient été développés dans le texte en toutes lettres, de manière à favoriser la lecture orale, l’annotateur semble avoir eu recours à la notation chiffrée pour se les approprier mentalement.

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II Rois [= II Samuel], 23 : « octingenta milia virorum fortium qui educerent gladium » transcrit en : « 8 000 000 bellatores » (au lieu de 800 000).

L’exemplaire sur papier, rubriqué comme on l’a vu à Mayence même, a appartenu à l’église de Grossostheim, près d’Aschaffenburg. Au XVIIIe siècle, sa présence est attestée au séminaire de Mayence, où Jean-Baptiste Maugérard (le même qui avait acquis l’exemplaire sur vélin) l’acquiert en 1789. Cet exemplaire est entré à la Bibliothèque Nationale en 1792.