1836, naissance de "La Presse" d'Emile de Girardin

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Il y a 180 ans naissait La Presse d’Emile de Girardin, premier véritable journal de l’époque contemporaine. Les débuts de ce titre sont indissociables de son fondateur, jeune patron de presse aux méthodes atypiques et porté par des idées novatrices. Il crée en 1836 le principe du quotidien bon marché et modifie le rapport entre la presse et son public.

Caricatures d'Emile de Girardin pour La Nouvelle lune du 7 novembre 1880 et le Panthéon Nadar

Emile de Girardin (1806-1881) n’a que 22 ans lorsqu’il fonde son premier périodique en 1828, Le Voleur. Il y reproduit sans autorisation préalable une sélection d’articles parus dans des revues et des journaux de province. En 1829 il lance La Mode. Avec ses gravures en couleur de Gavarni et ses chroniques mondaines, ce nouveau journal souhaite intéresser un large public féminin. En 1831 Girardin crée Le Journal des connaissances utiles, qui veut « indiqu[er] à tous les hommes qui savent lire leurs devoirs, leurs droits, leurs intérêts… ». Deux ans après son lancement, ce titre à vocation éducative et documentaire compte déjà plus de 100 000 abonnés.

 

Publicité, roman-feuilleton et diffusion de masse

Lorsque le 1er juillet 1836, Girardin lance La Presse  (un numéro pilote sort le 15 juin 1836), il souhaite mettre à profit ses différentes expériences pour proposer un quotidien d’un genre nouveau. Il s’appuie sur plusieurs idées qui bouleversent les pratiques journalistiques en cours sous la monarchie de Juillet. Le modèle dominant est alors celui d’une presse d’opinion réservée à un lectorat limité et aisé, dont Le Constitutionnel et le Journal des débats sont les principaux représentants. Girardin baisse de moitié le prix de l’abonnement, qui passe de 80 à 40 francs. Il introduit progressivement la publicité pour compenser cette perte et ouvre largement ses colonnes au roman-feuilleton pour élargir et fidéliser son public.

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Deux exemples de publicité en dernière page de La Presse le 5 et le 15 décembre 1836

Jusque-là le « feuilleton » était une rubrique de bas de page dévolue à la critique littéraire et théâtrale. Girardin substitue à ces chroniques journalistiques des œuvres de fiction. Il fait appel aux auteurs les plus prometteurs de son époque. La Comtesse de Salisbury d’Alexandre Dumas paraît du 15 juillet au 11 septembre 1836. La vieille fille de Balzac du 23 octobre au 30 novembre 1836. De nombreuses œuvres vont bientôt être écrites en tenant compte des règles de découpage imposées par la publication en feuilleton.

Cependant le « feuilleton » en tant que rubrique critique ne disparaît pas mais alterne désormais avec la fiction. Théophile Gautier est ainsi responsable de la critique artistique de 1836 à 1837. Il continue à collaborer au journal pendant vingt ans, notamment en tant que critique dramatique.

La détermination, la réussite et le franc-parler de Girardin froissent les susceptibilités de certains confrères. Dès les premières semaines d’existence du journal, la situation s’envenime au point de déboucher sur un duel entre Girardin et Armand Carrel du National. Celui-ci succombe à ses blessures quelques jours après. Son décès fait l’objet d’un entrefilet dans La Presse du 26 juillet 1836. Le Siècle lui rend de son côté un hommage appuyé dans son édition du 25 juillet 1836.

 

Faillite du titre après un siècle d'existence

Cet épisode tragique vaut à Girardin des inimitiés tenaces. L’illustration de Rigobert, montrant Girardin une hotte de chiffonnier sur le dos, fouillant dans un tas de vieux papiers dénommés : « ordures, calomnies, saletés, rancunes » et datant de 1848 en témoigne.

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La Presse du 10 mai 1927

Les polémiques autour de sa personne n’empêchent pas Girardin de réfléchir et d’exposer ses idées sur le métier de journaliste, et ce, dès les débuts de La Presse. Dans un article du 9 octobre 1836, il évoque ainsi certaines règles de conduite susceptibles d'améliorer l'exercice de la profession. Il est souhaitable, selon lui, de « ne rien négliger pour recueillir des nouvelles promptes et sûres ». Ironiquement, le non-respect de ce principe provoque au siècle suivant la disparition du journal : le 10 mai 1927, La Presse annonce imprudemment que les deux aviateurs « Nungesser et Coli ont réussi », alors que ceux-ci disparaissent lors de leur tentative de traversée de l’Atlantique. Cette fausse nouvelle provoque un discrédit qui fait chuter le nombre de lecteurs de La Presse. Le titre survit jusqu'en 1952 en paraissant de manière irrégulière.