La complainte de Saint-Nicolas a été recueillie par Gérard de Nerval dans la province du Valois en 1842. Cette légende nous raconte comment le bon saint Nicolas, évêque de Myre, ressuscita trois petits innocents victimes d'un boucher cupide et comment il devint le saint protecteur des enfants. Le département de l'Audiovisuel vous propose d'écouter en ce jour du 6 décembre cette chanson interprétée par la soprano Irma Nordmann.
Légende de Saint-Nicolas - partition, 1913
► La légende de Saint-Nicolas / Irma Nordmann, soprano des Concerts Colonne
En 1842, Gérard de Nerval publie dans le journal La Sylphide le texte de la Complainte de Saint-Nicolas, recueillie par ses soins dans la province du Valois. Ce texte sera à nouveau publié en 1856 dans Les Filles du feu : chansons et légendes du Valois.
Ces publications mettent à la mode dans les salons parisiens cette ancienne légende populaire et celle-ci est de nouveau objet d'intérêt et de curiosité. Le compositeur Armand Gouzien en proposera la version la plus modifiée dans Légendes campagnardes, transformant la mélodie et plusieurs couplets du texte recueilli par Nerval. La version de Gouzien sera largement diffusée par les frères Lionnet dans les milieux littéraires parisiens mais aussi ceux populaires. Le poète Gabriel Vicaire écrira également une féérie religieuse mettant en scène de cette complainte. Le texte de Nerval est repris dans plusieurs ouvrages, comme celui des Romancéro de Champagne, publiée par Prosper Tarbé, le recueil de chansons populaires d'Eugène Rolland ou bien encore dans Fêtes et dévotions populaires de l'abbé Berthoumieu.
Quelques rares versions populaires seront collectées, notamment dans la vallée de la Meuse, par Nozot, ainsi qu'en Lorraine, par Charles Sadoul en 1904 à Seichamps, près de Nancy.
Il s'avère parfois difficile de distinguer quelle aura été l'influence réelle des versions littéraires, très diffusées dans les campagnes, sur des versions plus traditionnelles et certainement plus naïves.
Quoiqu'il en soit, cette complainte, connue également sous le titre de Saint Nicolas et les enfants au saloir, est bien éloignée de la douce et gaie chanson enfantine de saint Nicolas, patron des écoliers.
Entre points communs et points divergents, la chanson narre toujours la macabre mésaventure de trois innocents demandant asile pour la nuit à un boucher ou à un aubergiste. Ce dernier, de lui-même ou sur les conseils de sa femme, décide de les tuer, de les découper et de mettre au saloir leurs chairs préparées, par souci d'économie. Le crime reste impuni jusqu'à la venue de saint Nicolas, averti par des anges, sept années après. Nicolas demande à son tour un souper à l'assassin qui lui propose différentes viandes, toutes refusées par le saint homme. Saint Nicolas désigne alors le saloir où sont conservés les corps des petites victimes et le boucher s'enfuit. Saint Nicolas ressuscite les trois enfants qui croient alors s'éveiller d'un long sommeil.
Saint Nicolas devient ainsi, après avoir été le patron des pauvres, des mariniers et des délaissés, le protecteur des enfants.
► La légende de Saint-Nicolas / Irma Nordmann, soprano des Concerts Colonne
(Méthode de langue Louis Weill, enr. entre 1911 et 1921)
ll était trois petits enfants
Qui s'en allaient glaner aux champs.
S'en vont au soir chez un boucher,
"Boucher, voudrais-tu nous loger?
Entrez, entrez petits enfants,
Il y a de la place assurément."
La version interprétée ici par la soprano Irma Nordmann correspond presque en tous points à celle de Gérard de Nerval et plus précisément au texte que l'on peut découvrir sur une partition éditée en 1913 par Sénart. Le chant suit cette version du texte, bien qu'un peu raccourcie : les couplets 5, 6 et 7 ne sont pas chantés, éludant la partie du texte où le boucher est démasqué et s'enfuit. Cette version ajoute le couplet 8 où saint Nicolas s'adresse directement aux enfants, couplet absent de la version de 1842.
La Complainte de Saint-Nicolas.
Gérard de Nerval, Les Filles du feu : chansons et légendes du Valois, 1856
Cette légende est également connue sous les titres de la Légende des trois clériaux ou bien encore du Miracle de saint Nicolas, chantés sous la forme de cantique à la fin du XVIe siècle. Plusieurs études ont analysé ces différents textes et ont reconstitué la naissance de cette légende, narrée puis chantée.
Le style de la chanson, dans ses versions les moins littéraires, atteste que cette dernière ne peut être antérieure au XVIIe siècle. Mais ce sont plusieurs textes et documents iconographiques qui ont permis de comprendre comment saint Nicolas, évêque de Myre, est devenu l'acteur de ce nouveau miracle et un saint patron aussi célébré en Europe.
La légende de saint Nicolas a été compilée par Métaphraste et de multiples fois transcrite par les hagiographes du Moyen Age : mais aucun d'eux n'évoque l'histoire de jeunes clercs ou d'enfants dépecés et mis au saloir...
L'introduction du culte de saint Nicolas en Europe ne commence qu'à la fin du XIe siècle : cette légende s'est donc élaborée au cours de la première moitié du XIIe siècle et certainement à partir d'un autre miracle du saint, cette fois-ci bien connu : invoqué par des marins perdus en pleine tempête, le saint leur apparaît et les sauve d'une mort certaine. Le miracle est illustré, parfois de manière fort simple : trois petits personnages, pouvant être pris pour des enfants, sont représentés sur l'eau salée, dans une barque ayant la forme simple d'un bac, forme pouvant rappeler celle des saloirs.
Nouvelle acquisition française 15942, fol. 18v. Miracle de saint Nicolas : la tempête
D'un côté, Saint Nicolas étant thaumaturge, un pouvoir de résurrection peut lui être alors facilement associé ; de l'autre, de nombreuses légendes locales aiment à raconter les pratiques douteuses et macabres des aubergistes, bouchers ou pâtissiers ayant tendance à cuisiner de la chair humaine par souci d'économie ou en période de disette... L'interprétation erronée d'un imagier naïf associée aux légendes populaires vivaces laissent à penser que La complainte de Saint-Nicolas est l'aboutissement de ces deux éléments combinés. Un nouveau miracle de saint Nicolas était né.
Les grands saints des petits enfants : légendes en images / par Et. Moreau-Nélaton, 1896
Les premières traces de la légende des trois innocents au saloir remonte au XIIe siècle : le trouvère Robert Wace consacre un de ses poèmes au miracle de saint Nicolas, de façon très sommaire, mais qui suppose l'existence préalable d'un conte pieux. Cette histoire est ensuite développée dans un court mystère latin dans un recueil du XIIIe siècle, où les victimes sont trois jeunes clercs. Dans un sermon attribué à saint Bonaventure, les personnages des clériaux deviennent ceux de deux écoliers nobles et riches tués par un aubergiste de la ville de Myre. L'histoire des trois innocents et de saint Nicolas est enfin représentée sur les chapiteaux ou les vitraux de plusieurs édifices religieux, comme sur les verrières des cathédrales de Bourges ou de Chartres, ou bien encore dans les nombreux manuscrits enluminés contenant une Vie de saint Nicolas.
Qu'ils soient clériaux, étudiants en voyage ou simples petits enfants insouciants surpris par la nuit, la trame de ce récit macabre est la même (la chanson des trois clériaux coexistera avec celle des petits enfants au saloir). Mais on peut supposer que les chansonniers populaires ont préféré le motif des enfants à celui des clercs et qu'une influence des contes populaires peuplés de dévorateurs et d'enfants en danger ne doit pas être ignorée pour comprendre la forme qui nous est parvenue de cette complainte. Cette chanson sera utilisée comme chanson de quête par les enfants de chœur jusqu'à la moitié du XIXe siècle.
Aujourd'hui, la fête de la Saint-Nicolas prend un aspect beaucoup plus léger, bien que symboliquement "punitive" : le bon saint Nicolas vient récompenser les enfants sages et leur offrir des sucreries et des présents, tandis que, dans son ombre, surgit le Père Fouettard, chargé de punir les garnements. Ce Père Fouettard, que l'on connaît sous différents noms ou aspects selon les pays d'Europe n'apparaît seulement qu'au XIXe siècle dans le folklore des Pays-Bas. A l'origine, saint Nicolas était seul, ou accompagné du diable.
Mais la légende n'est jamais bien loin : le Père Fouettard est encore parfois appelé en France ... le Boucher.
Le Grand St-Nicolas : légende. Musique de Georges Fragerolle, dessins de H. Callot
Editions Mazo, 1912, Paris