L’Anti-gaspillage alimentaire selon Auguste Escoffier

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Auguste Escoffier (1846-1935), Chef emblématique de la gastronomie française, a principalement effectué sa carrière dans des palaces prestigieux tels que le Savoy et le Carlton Hôtel de Londres. Bien qu’il côtoyait l’élite mondiale, il n’a jamais oublié ses origines modestes et a œuvré toute sa vie pour aider les plus démunis.

Portrait, Souvenirs inédits : 75 ans au service de l'art culinaire, Auguste Escoffier, J. Laffitte, Marseille, 1985

Toujours dans la recherche de l’optimisation, dans le travail notamment par la création du système de brigade, il faisait preuve d’ingéniosité pour éviter toute perte alimentaire, le gaspillage étant le résultat d’une mauvaise gestion.

Avant-gardiste, il met en place un réseau de redistribution entre le Savoy et l’association des Petites Sœurs des Pauvres. Chaque matin, Auguste Escoffier leur remettait le marc de café, les feuilles de thé peu infusés et le pain provenant de parures de toast. Lorsque des cailles étaient servies au souper des clients la veille, pour lesquels il prélevait uniquement les blancs de poitrine, il réservait, en prenant soin de les conserver convenablement au sortir de la salle du restaurant, les restes qu’il ajoutait aux provisions des sœurs le lendemain.

J’avais pris intérêt à cette œuvre. Je pris à cœur que tout ce que l’hôtel pouvait leur donner fût particulièrement soigné et d’une propreté exemplaire [...]."

Mémoires d’un cuisinier de l’armée du Rhin n°5, L’Art Culinaire, 31 oct. 1894, n°20, p.227

Au-delà de son origine modeste, Auguste Escoffier connut également le manque et la privation lors de la guerre franco-prussienne de 1870. Fait prisonnier à Mayence puis Wiesbaden, il livre un précieux témoignage de cette période sombre dans ses articles « Mémoires d’un cuisinier de l’armée du Rhin » dans la revue L’Art Culinaire de 1894 à 1895.

Infanterie française de la guerre de 1870-1871, estampe, Pellerin, 1874

En tant que cuisinier pendant la période du siège de Metz, Auguste Escoffier a fait preuve d’une gestion raisonnée des denrées alimentaires. Prévoyant, il rationna les provisions qui se faisaient rares :

Dès notre entrée dans Metz, j’eus l’intuition de ce qui allait advenir et, prenant mes précautions en conséquence, j’avais réuni dans une basse-cour située au fond d’un jardin où nul que moi ne pouvait pénétrer, une cinquantaine de poulets, quelques oies, canards et dindes, une demi-douzaine de lapins, deux petits cochons, un mouton et une chèvre." 

Il mit également de côté quatre jarres de confiture de mirabelle qui lui servirent par la suite pour remplacer le sucre qui avait totalement disparu. Il fit de même avec 20 kilos de sel qui lui furent très utiles étant impossible de s’en procurer. Ce sel, pour certains, était remplacé par des produits chimiques fabriqués par les pharmaciens.

De cette époque, je m’appliquais à économiser le plus possible, tout en donnant toujours, à la table de mes officiers, une certaine abondance, et ce en prévision de l’avenir."

De toute évidence, aucune denrée n’était jetée :

Le déjeuner était presque toujours composé des reliefs du dîner de la veille, et, certes, je m’élevai alors à des hauteurs inconnues jusqu’alors dans l’art d’accommoder les restes […]."

C’était, comme on le voit, l’économie et l’utilisation des débris poussés à leurs plus extrêmes limites."

La soupe au camp, dessin de Froment, L’Art Culinaire, 31 janvier 1895, n°2, p.23

Fort de son expérience, Auguste Escoffier consacre la troisième partie de ses mémoires en proposant des solutions pour optimiser "L’Alimentation du soldat en campagne". Dans les articles n°17 et 18, il liste les provisions que devraient posséder chaque soldat, explique la nécessité de créer des usines de conserves sur le territoire français et de supprimer les troupeaux de bestiaux à la suite des armées. Il pressent qu’une prochaine guerre éclatera et qu’elle sera terrible. Ainsi, il faut profiter de ce temps de paix pour maximiser nos chances de victoire :

Si vis pacem, para bellum."

Aujourd’hui, la France fait toujours face au problème du gaspillage alimentaire avec une perte de 10 millions de tonnes de produits par an. Afin de lutter contre ce fléau, le gouvernement a mis en place plusieurs mesures au fil des décennies, la dernière loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire datant de 2016. Cette dernière vient compléter les dispositions de la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Justine Escudero et Michel Escoffier,
Musée Escoffier de l'Art Culinaire de Villeneuve-Loubet