Zoonoses ou les liaisons dangereuses : La morve

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Le nom de la morve vient du latin morbus qui signifie maladie. Celle-ci, d’origine microbienne, contagieuse, est due à un agent pathogène : Burkholderia mallei, le bacille de la morve. C’est Walter H. Burkholder de l’Université Cornell (New-York, États-Unis), spécialiste des maladies des plantes, qui décrit cette bactérie dans les années 1950 et lui donne son nom. Elle infecte majoritairement les chevaux et est transmissible à l’homme, notamment à ceux qui travaillent à leurs côtés.

Coupe de tête de cheval : le septum nasal présente des ulcères / Richir, peinture-aquarelle, [s.d.], BIUS

La morve à travers l’histoire

Elle est connue des auteurs grecs et latins des IV et Ve siècles avant J.-C. Aristote la décrit comme une maladie propre à l’espèce chevaline. Les romains, la nomme malleus, terme qui regroupe plusieurs maladies du cheval. Elle sévit dans toute l’Europe depuis des temps immémoriaux mais s’intensifie pendant les guerres jusqu’au début du XXe siècle du fait de l’utilisation des chevaux dans les cavaleries.
En 1669, Jacques de Solleysel (1617-1680), écuyer français, parle de la contagiosité de la morve et d’une maladie proche du farcin qui en est la manifestation cutanée.
Sur le plan épidémiologique, la maladie est présente en Europe, Russie, Proche-Orient, Turquie, Asie (Inde, Chine, Japon), Afrique du Nord et Amérique du Sud. Elle reste inconnue en Australie.
Pendant les guerres du XIXe siècle, elle décime la cavalerie des armées. De 1891 à 1901, on abat, en France, en moyenne 1000 à 1200 chevaux par an. Quelques foyers subsistent pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale.

Nature et symptômes de la morve

La morve est une maladie très contagieuse. Elle atteint particulièrement les équidés. Transmissible à l'homme, elle se caractérise par des lésions nodulaires et ulcératives de la peau, des muqueuses surtout nasales et des poumons.
La bactérie, Burkholderia mallei, pénètre par voie cutanée ou les muqueuses. L’incubation varie de 1 à 14 jours, selon les formes cliniques.
La maladie se manifeste par un écoulement nasal du mucus dû à l’engorgement des glandes lymphatiques, avec inflammation ou ulcération de la muqueuse et parfois enflure des ganglions. S’ajoutent à ces symptômes une fièvre d’intensité variable parfois accompagnée de nodules, boutons, abcès et ulcérations de la peau. L’intensité de ces manifestations varie en fonction de la forme de la maladie, chronique ou aiguë.
Chez le cheval, c’est la morve chronique qui prédomine, caractérisée par des accès de fièvre, de la toux, des troubles respiratoires et des inflammations des ganglions lymphatiques. Au XIXe siècle, elle est considérée comme incurable.

Transmission du cheval à l’homme

Les réservoirs de la morve sont les équidés (âne, cheval, mulet). Mais les chiens, les chats ou les chèvres peuvent aussi la contracter. Les plus exposés  sont ceux qui travaillent avec les chevaux ou les soignent, comme les palefreniers, les cochers, les cultivateurs, les charretiers, les vétérinaires, les soldats.
L’agent infectieux de la morve se transmet de plusieurs façons : par l’intermédiaire des muqueuses de solipèdes, par inhalation, par le biais d’aérosols, par contact direct avec l’écoulement nasal, les sécrétions des ulcères, le pus, le mucus contaminé ou encore via de minuscules blessures de la peau.
La maladie est souvent transmise par l’eau. Autrefois, hommes et chevaux partageaient les mêmes abreuvoirs. Or l’eau conserve les germes pathogènes. Contaminée, elle transmet alors aisément la pathologie aux chevaux sains ou aux hommes. Ainsi, la morve s’est beaucoup développée dans les régiments de cavalerie.

 La morve se communique du cheval à l’homme par infection miasmatique. Il est fâcheux que ce ne soit pas assez connu des cultivateurs, ils hésiteraient moins à tuer leurs chevaux dès qu’ils seraient morveux.

Il est aussi possible que le fourrage donné aux chevaux puisse transmettre la maladie.
Au XIXe siècle, les médecins sont divisés quant aux causes des épidémies. Les contagionnistes croient que la maladie se transmet par contact physique ; les miasmatistes pensent que les miasmes - du grec μίασμα signifiant pollution - qui sont des particules présentes dans l’air, transmettent la maladie. La théorie des miasmes a été infirmée dans la seconde partie du XIXe siècle par la microbiologie dont les principaux pionniers sont John Snow, Louis Pasteur, Joseph Lister et Robert Koch. Les travaux du médecin Pierre-François-Olive Rayer (1793-1867) en 1837, sur la transmission de la morve du cheval à l’homme, ont permis de prendre des mesures préventives contre la contagion de la morve.

Traitement

Des mesures prophylactiques sont adoptées telles que l’isolement, l’abattage des chevaux malades. Les chevaux morveux doivent être séparés des chevaux sains.
Au XIXe siècle, des remèdes de type « potion magique » sont préconisés comme celui-ci pour guérir les chevaux :

Il faut prendre égales parties de vin blanc et d'eau fraîche, trois limaçons rouges qui sont sans coque, et les faire bouillir dans cette liqueur jusqu'à diminution du tiers. On donne ce brevage au cheval morveux.

En 1882, le microbe de la morve est isolé et cultivé en France par Bouchard, Capitan  et Charrin, et dans le même temps, en Allemagne par Loeffler et Shuetz. En 1890-91, d'importants travaux sont publiés par les vétérinaires russes Helmann et Kalning qui mettent au point la malléine permettant de déceler la maladie. Edmond Nocard (1850-1903) et Emile Roux (1853-1933) confirment les propriétés de la malléine et précisent son utilisation. D’autres études vont permettre d’élargir son utilisation.
La malléine est extraite de cultures stériles du bacille de la morve. Des ganglions hypertrophiés ou du mucus nasal du cheval sont cultivés sur la pomme de terre en tubes. Pour diagnostiquer la morve chez le cheval, on lui injecte dans le derme la malléine. En cas de réaction positive, le cheval a de forte chance d’être malade. La malléine sert de complément à un diagnostic plus général dans les formes latentes de la maladie. C’est grâce à la malléine que la maladie a pu être conjurée.

Guerres biologiques : mythe ou réalité ?

Elle aurait servi d’arme biologique ou bactériologique pendant la Première Guerre mondiale pour déclencher des épidémies. Des agents allemands auraient même essayé d’infecter des chevaux avec des bacilles  de  la  morve  et  du  bétail  avec  des  bacilles du charbon, à Bucarest en 1916. A cette époque, la bactérie a été utilisée chez les chevaux et les mules russes sur le front Est, afin de gêner la progression des troupes. D’autres sabotages allemands visèrent à disséminer la maladie du charbon et la morve derrière les lignes ennemies en Europe lors de la Grande guerre.
Bien que l’Allemagne ait été accusée d’avoir mené de nombreuses attaques par le moyen d’agents infectieux durant la Première Guerre mondiale, les pays alliés ne sont pas en reste et recourent également à ces pratiques.
Toutefois, selon l’historienne des sciences, Anne Rasmussen qui a étudié la "Grande guerre bactériologique", les rumeurs sur les tentatives de l’ennemi de répandre la morve ou d’autres agents infectieux auprès des chevaux pour affaiblir les troupes relèvent de la désinformation ou sont du moins très exagérées. Elles semblent liées à la peur des populations face à la science, aux épidémies et à l’incertitude. Il est cependant admis que les maladies ont occasionné plus de morts que les combats pendant les conflits du XIXe siècle. Les trois quarts des hommes tombés l’ont été par maladies, les conditions sanitaires déplorables ayant accentué cette tendance.
L’introduction de germes infectieux dans les conflits reste difficile à prouver. L’utilisation d’armes biologiques est, en principe, interdite par le protocole de Genève de 1925.

La disparition des chevaux dans les domaines militaire et agricole ou comme moyen de locomotion a entraîné un très net recul de la morve dans la plupart des pays. Toutefois, la langue française garde toujours en mémoire cette maladie par le biais de l’adjectif morveux qui signifiait un cheval atteint de la morve. Il désigne aujourd’hui, de manière familière, un enfant prétentieux.

Pour aller plus loin :
Les billets de blog sur les zoonoses

Pour en savoir plus :
Épidémies : il était une fois la maladie  (France Culture)
Rasmussen Anne, « 9. Du vrai et du faux sur la Grande Guerre bactériologique. Savoirs, mythes et représentations des épidémies », dans : Christophe Prochasson éd., Vrai et faux dans la Grande Guerre. Paris, La Découverte, « L'espace de l'histoire », 2004, p. 189-207. Consultable sur Cairn.