Marie Robert Halt, de son vrai nom Marie Malézieux Vieu, a connu le succès au tournant du XIXème siècle et du XXème siècle avec pas moins de quinze romans publiés. Comment expliquer que son nom soit totalement oublié aujourd'hui ?
Nous vous proposons de redécouvrir son oeuvre, romans pour la jeunesse ou romans scolaires, à travers les numérisations de Gallica.
De sa vie, on sait très peu de choses. Fille d’un artiste peintre (comme le personnage d’Histoire d’un petit homme), elle est née en 1849 à Saint-Quentin. La Picardie tient une large place dans son œuvre avec sa riche terre agricole, l’industrie des filatures et les flamiches. Épouse de Louis-Charles Vieu, un ancien professeur du secondaire qui a quitté l’enseignement sous le Second Empire pour des raisons politiques, elle adopte le même pseudonyme d’écriture que son mari : Robert Halt. Il fut l’un des principaux collaborateurs de La République des travailleurs, organe des sections Batignolles et Ternes de l’Internationale, dont faisait aussi partie Elisée Reclus, de janvier à février 1871. Durant la Commune, il collabore à L’Action et au Mot d’ordre. Les époux signent ensemble certains romans : Ladies et gentlemen. Battu par des demoiselles. Les Suites d'un Cook's tour (1885), récits qui se déroulent dans le monde anglo-saxon qu’ils semblent bien connaître. Le couple est très impliqué dans le camp républicain : Marie-Robert Halt fait partie du comité des Dames de la ligue de l’enseignement. Elle dirige les travaux de la mutualité féminine (elle est citée pour cette raison dans la Fronde de Marguerite Durand).
De son œuvre, on peut presque tout lire grâce aux numérisations de Gallica. Elle a obtenu la reconnaissance du public et de ses pairs. Histoire d’un petit homme qui a reçu le prix de l’Académie française en 1883, est même recommandé par la Neuphilologische Mitteilungen (revue de philologie allemande) en 1899, preuve que sa notériété a franchi les frontières. La série des Suzette (Suzette, livre de lecture courante à l'usage des jeunes filles ; L’enfance de Suzette, Le ménage de Mme Sylvain) publiée entre 1885 et 1905 fait partie des manuels scolaires les plus vendus de la Troisième République : plus d’un million et demi d’exemplaires de Suzette ! Les rééditions sont très nombreuses. La Bibliothèque nationale de France conserve ainsi un exemplaire du 52e tirage de Suzette de 1915 et une édition recomposée par Madeleine Lasserey en 1933. Les livres pour la jeunesse sont retenus dans les listes de prix des commissions ministérielles.
Ses romans, publiés par la librairie Marpon et Flammarion sont régulièrement salués par la presse, comme dans L’Intransigeant. Marie Robert Halt est régulièrement citée à côté d’Hector Malot, Alphonse Daudet ou Walter Scott.
La petite Lazare est considérée par la Jeune France comme un Gavroche féminin : n’est-ce pas la consécration littéraire ?
Cette œuvre n’est effectivement pas dénuée de qualités : elle aurait pu rester dans les mémoires au même titre que celle d’Hector Malot ou G. Bruno, l’autrice du célèbre Tour de la France par deux enfants. Le style est souvent vif voire alerte. Marie Robert Halt manie dans certains romans l’ironie mordante, en particulier à l’égard des Anglais. Battu par des demoiselles se moque gentiment des méthodistes et de la place considérable et quelque peu hypocrite qu’ils laissent à la religion.
Mais, attention ! dans les églises d'Angleterre, les bancs sont des sièges très perfectionnés, larges, fermés, de vraies loges. Et entre toutes brillent les loges des chapelles méthodistes.
Là, s'étale la gloire du confort : tapis, coussins, tabourets, cases pour les livres, toute l'instrumentation d'une piété sérieuse et bien assise.
Elle sait, comme on le voit, ménager la chute afin de créer une connivence plaisante avec le lecteur. Plus généralement, elle joue avec les préjugés que les Français et les Anglais peuvent entretenir. La bonne anglaise dans Histoire d’un petit homme considère même les Français comme des mangeurs de grenouilles anthropophages dans un glissement curieux entre les deux pratiques :
« Dans son idée anglaise, son maître n’était venu en Angleterre que pour s’y blanchir et y chercher un refuge contre l’anthropophagie de ses compatriotes, qui, ne se contentant pas toujours de grenouilles, se mangeaient fort bien entre eux, quand celles-ci leur manquaient ».
Ses personnages vivent de nombreuses aventures. Dans Histoire d’un petit homme, Étienne part sur les routes pour subvenir aux besoins de sa famille. Comme dans Sans famille, le héros fait de multiples rencontres, devient tour à tour figurant, garde d’enfant, serrurier, mécanicien. Convaincu par son ancien maître, il part faire son Tour de France. Mais les belles heures du compagnonnage sont passées et il ne reçoit pas l’accueil escompté. Suite à une rocambolesque histoire d’escroquerie, il se retrouve en Angleterre où il est accueilli par un ancien ami de son père. Après la défaite de Sedan, alors qu’il n’a que dix-huit ans, il décide de revenir en France pour défendre sa patrie. La fin est heureuse : blessé, il rentre dans sa famille, se marie et gère la filiale française de l’usine de mécanique anglaise.
Les romans destinés aux filles, moins trépidants, peuvent être très touchants. La Petite Lazare raconte l’histoire d’une fillette, orpheline à dix ans, qui doit quitter l’école qu’elle aimait tant pour rejoindre des parents paysans chez qui elle est bonne à tout faire. La petite fille doit affronter la misère mais aussi la perte et l’angoisse. Comme elle a glané du blé sans en avoir l’autorisation, elle se retrouve enfermée dans un cagibi pendant des heures. La petite a des visions angoissantes :
Ce motif de terreur enfantine, que l’on retrouve jusque dans Harry Potter, est décrit avec beaucoup de justesse : c’est tout l’art de Marie Robert Halt que de savoir adopter le point de vue de l’enfant, de ses besoins comme de ses peurs ou de ses joies. Après quelques péripéties, elle peut suivre les cours d’une institution pour jeune fille et devenir institutrice dans le village où elle a grandi. Elle préfère cette profession à un mariage avantageux. Elle récolte des fonds pour permettre aux enfants de venir à l’école, d’être nourris et habillés convenablement et constituer une petite bibliothèque scolaire. L’enfance malheureuse est remarquablement décrite. Lazare aurait pu être l’une de ces enfants martyrs que l’on trouve chez Zola mais la petite fille surmonte les difficultés pour devenir une adulte accomplie. Le jeune lecteur peut s’identifier facilement aux héros de ces romans d’apprentissage qui n’édulcorent pas les épreuves de la vie.
La science, sœur cadette de la morale .
Le lien entre morale et hygiène est récurrent. L’absence de soin, la négligence sont à l’origine du mal, vice ou maladie :
la science montra que, dans la saleté qui naît de notre paresse, de notre désordre, pullulent presque tous les germes de mort ; que, notamment, dans ces crachats, grossièrement abandonnés par de simples indifférents manquant d’éducation, se cache le microbe de la tuberculose
La science apporte le progrès par l’hygiène ou la vaccination. Dans Suzette, l’institutrice lutte contre les superstitions qui peuvent attenter à la santé des enfants. Le jeune François se fait une écorchure qui s’infecte et que la maisonnée soigne en appliquant dessus des toiles d’araignée puis un cataplasme de fiente de pigeons ! On peut en imaginer l’effet. Les leçons qui accompagnent le récit mettent en garde les enfants contre les « remèdes de bonne femme » et les charlatans.
Marie Robert Halt milite en particulier contre l’alcoolisme. Le Droit chemin, roman scolaire également destiné aux filles, présente les planches classiques des effets de l’alcool sur le corps :
Mais les conséquences sociales sont également bien décrites : la déchéance, la brutalité, la misère et la honte. Le Droit chemin, Assommoir didactique ? L’alcoolisme est un thème récurrent dans son œuvre : il fait des ravages dans le peuple mais pas seulement. Elle aborde sans tabou l’alcoolisme féminin chez une dame de la bonne société méthodiste dans Battu par des demoiselles : la mère parvient à guérir de l’addiction grâce au soutien d’un ancien alcoolique. Pas de fatalité : la guérison demeure possible. Surtout l’éducation peut prévenir ce fléau. Dans Le Droit chemin, les enfants préfèrent la « boisson des lions » à la liqueur. L’eau est ainsi dotée d’un nouvel attrait. Les jeunes filles du roman se donnent comme mission en vacances à la campagne d’expliquer aux paysans qu’il ne faut pas habituer les tout petits à l’eau de vie. Le monde présenté aux enfants est sombre mais plein d’espoir.
La foi dans le progrès ne repose pas uniquement sur la science mais aussi sur les transformations de la société. Histoire d’un petit homme décrit avec subtilité les évolutions du monde du travail. De même que Zola, dans Au bonheur des dames, oppose le déclin des petits commerces et l’émergence du monde nouveau des grands magasins, Marie Robert Halt montre à travers le personnage du vieux compagnon du devoir la disparition de l’artisanat au profit du monde industriel. Si le narrateur regrette la perte du savoir-faire et l’excessive segmentation du travail, il contrebalance ce défaut par les bienfaits que le progrès apporte à toute la population.
Supposons qu'on n'ait jamais rien changé dans la manière de se loger, de se vêtir, de travailler, de se nourrir, etc., etc., où on serions-nous aujourd'hui ? Nous couvririons notre corps de peaux infectes ; nous ferions notre nourriture des fruits âpres des bois ou de la chair crue des animaux ; nous cultiverions la terre comme les sauvages avec un os ou un morceau de bois durci ; enfin, nous nous abriterions et nous coucherions soit sous les arbres, soit dans les cavités humides et sombres des rochers.
Et même si nous nous reportons à une époque à peine éloignée de nous d'un demi-siècle, nous n'userions ni des machines qui fabriquent les étoffes â un bon marché fabuleux, ni des chemins de fer, ni des télégraphes électriques, ni de ces procédés qui, en cinquante ans, ont doublé la production de blé dans notre beau pays de France.
La sphère est modeste mais savante. La leçon de vaisselle que Mme Sylvain donne à sa fille est aussi un cours de chimie. La petite ne fera pas la vaisselle idiote !
« Les travaux intérieurs et les soins qui sont à la charge de la mère de famille se rapportent :
l° Aux enfants ; — 2° à la tenue de la maison ; — 3° à la préparation des aliments; — 4°à l’entretien du linge et des vêtements. Il s’y ajoute à la campagne, la direction de la basse-cour et la culture d'une partie du jardin.
(…) Son rôle, en un mot, est de s’oublier et de se sacrifier pour tous.»
« les femmes qui ont charge du marché, de la cuisine, c’est-à-dire de la vie de la famille, ne donneraient peut-être pas de mauvais conseils aux hommes qui font les lois. »
« Parmi les femmes célèbres qui ont figuré avant Brunehaut et sa sœur dans l'histoire de France, nous citerons : les druidesses, qui soutinrent le courage des Gaulois dans leur lutte contre J. César ; — Eponine, si connue par son dévouement envers Sabinus, son époux ; —Blandine, qui périt à Lyon, martyre de sa foi ; — sainte Geneviève, qui releva le courage des Parisiens, lors de l'invasion d'Attila; — Clotilde, femme de Clovis, à qui l'on attribue la conversion de son époux. »