Marie Robert Halt, une écrivaine de son temps

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23 mars 2021

Marie Robert Halt, de son vrai nom Marie Malézieux Vieu, a connu le succès au tournant du XIXème siècle et du XXème siècle avec pas moins de quinze romans publiés. Comment expliquer que son nom soit totalement oublié aujourd'hui ?
Nous vous proposons de redécouvrir son oeuvre, romans pour la jeunesse ou romans scolaires, à travers les numérisations de Gallica.

La petite Lazare, 1885

De sa vie, on sait très peu de choses. Fille d’un artiste peintre (comme le personnage d’Histoire d’un petit homme), elle est née en 1849 à Saint-Quentin. La Picardie tient une large place dans son œuvre avec sa riche terre agricole, l’industrie des filatures et les flamiches. Épouse de Louis-Charles Vieu, un ancien professeur du secondaire qui a quitté l’enseignement sous le Second Empire pour des raisons politiques, elle adopte le même pseudonyme d’écriture que son mari : Robert Halt. Il fut l’un des principaux collaborateurs de La République des travailleurs, organe des sections Batignolles et Ternes de l’Internationale, dont faisait aussi partie Elisée Reclus, de janvier à février 1871. Durant la Commune, il collabore à L’Action et au Mot d’ordre. Les époux signent ensemble certains romans : Ladies et gentlemen. Battu par des demoiselles. Les Suites d'un Cook's tour (1885), récits qui se déroulent dans le monde anglo-saxon qu’ils semblent bien connaître. Le couple est très impliqué dans le camp républicain : Marie-Robert Halt fait partie du comité des Dames de la ligue de l’enseignement. Elle dirige les travaux de la mutualité féminine (elle est citée pour cette raison dans la Fronde de Marguerite Durand).
De son œuvre, on peut presque tout lire grâce aux numérisations de Gallica. Elle a obtenu la reconnaissance du public et de ses pairs. Histoire d’un petit homme qui a reçu le prix de l’Académie française en 1883, est même recommandé par la Neuphilologische Mitteilungen (revue de philologie allemande) en 1899, preuve que sa notériété a franchi les frontières. La série des Suzette (Suzette, livre de lecture courante à l'usage des jeunes filles ; L’enfance de Suzette,  Le ménage de Mme Sylvain) publiée entre 1885 et 1905 fait partie des manuels scolaires les plus vendus de la Troisième République : plus d’un million et demi d’exemplaires de Suzette ! Les rééditions sont très nombreuses. La Bibliothèque nationale de France conserve ainsi un exemplaire du 52e tirage de Suzette de 1915 et une édition recomposée par Madeleine Lasserey en 1933. Les livres pour la jeunesse sont retenus dans les listes de prix des commissions ministérielles.
Ses romans, publiés par la librairie Marpon et Flammarion sont régulièrement salués par la presse, comme dans L’IntransigeantMarie Robert Halt est régulièrement citée à côté d’Hector Malot, Alphonse Daudet ou Walter Scott.
 


L'Intransigeant, 9 juin 1887.

La petite Lazare est considérée par la Jeune France comme un Gavroche féminin : n’est-ce pas la consécration littéraire ?
 


 La Jeune France, 1er janvier 1885.

Cette œuvre n’est effectivement pas dénuée de qualités : elle aurait pu rester dans les mémoires au même titre que celle d’Hector Malot ou G. Bruno, l’autrice du célèbre Tour de la France par deux enfants. Le style est souvent vif voire alerte. Marie Robert Halt manie dans certains romans l’ironie mordante, en particulier à l’égard des Anglais. Battu par des demoiselles se moque gentiment des méthodistes et de la place considérable et quelque peu hypocrite qu’ils laissent à la religion.

Mais, attention ! dans les églises d'Angleterre, les bancs sont des sièges très perfectionnés, larges, fermés, de vraies loges. Et entre toutes brillent les loges des chapelles méthodistes.
Là, s'étale la gloire du confort : tapis, coussins, tabourets, cases pour les livres, toute l'instrumentation d'une piété sérieuse et bien assise.

 Elle sait, comme on le voit, ménager la chute afin de créer une connivence plaisante avec le lecteur. Plus généralement, elle joue avec les préjugés que les Français et les Anglais peuvent entretenir. La bonne anglaise dans Histoire d’un petit homme considère même les Français comme des mangeurs de grenouilles anthropophages dans un glissement curieux entre les deux pratiques :

« Dans son idée anglaise, son maître n’était venu en Angleterre que pour s’y blanchir et y chercher un refuge contre l’anthropophagie de ses compatriotes, qui, ne se contentant pas toujours de grenouilles, se mangeaient fort bien entre eux, quand celles-ci leur manquaient ».

Ses personnages vivent de nombreuses aventures. Dans  Histoire d’un petit homme, Étienne part sur les routes pour subvenir aux besoins de sa famille. Comme dans Sans famille, le héros fait de multiples rencontres, devient tour à tour figurant, garde d’enfant, serrurier, mécanicien. Convaincu par son ancien maître, il part faire son Tour de France. Mais les belles heures du compagnonnage sont passées et il ne reçoit pas l’accueil escompté. Suite à une rocambolesque histoire d’escroquerie, il se retrouve en Angleterre où il est accueilli par un ancien ami de son père. Après la défaite de Sedan, alors qu’il n’a que dix-huit ans, il décide de revenir en France pour défendre sa patrie. La fin est heureuse : blessé, il rentre dans sa famille, se marie et gère la filiale française de l’usine de mécanique anglaise.

Les romans destinés aux filles, moins trépidants, peuvent être très touchants. La Petite Lazare raconte l’histoire d’une fillette, orpheline à dix ans, qui doit quitter l’école qu’elle aimait tant pour rejoindre des parents paysans chez qui elle est bonne à tout faire. La petite fille doit affronter la misère mais aussi la perte et l’angoisse. Comme elle a glané du blé sans en avoir l’autorisation, elle se retrouve enfermée dans un cagibi pendant des heures. La petite a des visions angoissantes :
 


Marie Robert Halt, La petite Lazare, 1885

Ce motif de terreur enfantine, que l’on retrouve jusque dans Harry Potter, est décrit avec beaucoup de justesse : c’est tout l’art de Marie Robert Halt que de savoir adopter le point de vue de l’enfant, de ses besoins comme de ses peurs ou de ses joies. Après quelques péripéties, elle peut suivre les cours d’une institution pour jeune fille et devenir institutrice dans le village où elle a grandi. Elle préfère cette profession à un mariage avantageux. Elle récolte des fonds pour permettre aux enfants de venir à l’école, d’être nourris et habillés convenablement et constituer une petite bibliothèque scolaire. L’enfance malheureuse est remarquablement décrite. Lazare aurait pu être l’une de ces enfants martyrs que l’on trouve chez Zola mais la petite fille surmonte les difficultés pour devenir une adulte accomplie. Le jeune lecteur peut s’identifier facilement aux héros de ces romans d’apprentissage qui n’édulcorent pas les épreuves de la vie.


Marie Robert Halt, La Petite Lazare, 1885.

 

Malgré toutes ces qualités, alors que le Tour de la France par deux enfants et Sans famille font partie du patrimoine national, les romans de Marie Robert Halt sont tombés dans l’oubli. Comment l’expliquer ?
Contemporaine du naturalisme, elle partage de nombreux points communs avec ce mouvement littéraire : description réaliste de la société, attention portée aux plus pauvres, analyse des différences sociales, référence à la science et inspiration positiviste. Mais contrairement à la plupart des œuvres naturalistes, les romans de Marie Robert Halt, plutôt destinés à la jeunesse, sont toujours optimistes et incarnent sa foi dans le progrès. Grande républicaine, elle est parfaitement de son époque. Peut-être trop pour lui survivre ?
L’œuvre de Marie Robert Halt comporte des romans de formation et des manuels destinés à l’école primaire. Elle a écrit en effet plusieurs romans scolaires, genre didactique qui a disparu après la Première Guerre mondiale. Ils étaient légions au XIXème siècle, même si l’histoire n’en a retenu qu’un. Le roman scolaire rassemblait toutes les disciplines enseignées à l’école : chaque chapitre était suivi de questions et d’exercices. Suzette, s’adressant aux filles, comportait également de nombreuses leçons d’économie domestique et de travaux ménagers. Le but était de susciter l’attention de l’enfant par une histoire et d’éveiller sa curiosité, preuve d’une riche réflexion pédagogique sur les modes d’apprentissage des enfants. L’école primaire n’étant pas suivie pour la plupart des élèves d’études secondaires, l’enfant devait être préparé à la vie à l’âge de treize ans. On comprend l’intérêt de cours pratiques sur l’achat des produits ou la gestion d’un budget. Et ces romans sont les reflets de la vie de l’élève : histoire d’enfants pauvres qui sont précocement jetés dans le monde des adultes. Ils doivent très tôt s’occuper d’un foyer ou contribuer aux revenus de la famille. La vie décrite est dure mais comme dans les contes, l’enfant surmonte les épreuves et parvient après ces différents rites initiatiques à trouver sa place dans la société. Mais ce ne sont pas des contes de fées. En bonne positiviste, Marie Robert Halt rejette le merveilleux, trop proche des superstitions qui ralentissent la marche du progrès dans les campagnes. Si le merveilleux est remplacé par le registre réaliste, la morale est toujours présente, très présente. Cet aspect moralisateur répond bien aux programmes de l’école primaire de 1882 qui place en tête des disciplines l’enseignement de la morale.
De la morale laïque, comme il se doit. Aucune mention de Dieu ou de la religion dans ces manuels, ce qui lui est reproché par les milieux catholiques :
 

 

La morale enseignée consiste dans le respect des autres, la solidarité, le courage, le patriotisme, mais aussi une hygiène de vie qui permet à une famille de vivre modestement mais avec dignité.
Le Droit chemin, roman scolaire qui raconte l’histoire d’une famille qui fuit la misère et la honte engendrées par l’alcoolisme du père en s’installant à Paris, fait l’éloge de la science moderne et des bienfaits qu’elle apporte :

 La science, sœur cadette de la morale .

Le lien entre morale et hygiène est récurrent. L’absence de soin, la négligence sont à l’origine du mal, vice ou maladie :

la science montra que, dans la saleté qui naît de notre paresse, de notre désordre, pullulent presque tous les germes de mort ; que, notamment, dans ces crachats, grossièrement abandonnés par de simples indifférents manquant d’éducation, se cache le microbe de la tuberculose 

La science apporte le progrès par l’hygiène ou la vaccination. Dans Suzette, l’institutrice lutte contre les superstitions qui peuvent attenter à la santé des enfants. Le jeune François se fait une écorchure qui s’infecte et que la maisonnée soigne en appliquant dessus des toiles d’araignée puis un cataplasme de fiente de pigeons ! On peut en imaginer l’effet. Les leçons qui accompagnent le récit mettent en garde les enfants contre les « remèdes de bonne femme » et les charlatans.
Marie Robert Halt milite en particulier contre l’alcoolisme. Le Droit chemin, roman scolaire également destiné aux filles, présente les planches classiques des effets de l’alcool sur le corps :
 

Mais les conséquences sociales sont également bien décrites : la déchéance, la brutalité, la misère et la honte. Le Droit chemin, Assommoir didactique ? L’alcoolisme est un thème récurrent dans son œuvre : il fait des ravages dans le peuple mais pas seulement. Elle aborde sans tabou l’alcoolisme féminin chez une dame de la bonne société méthodiste dans Battu par des demoiselles : la mère parvient à guérir de l’addiction grâce au soutien d’un ancien alcoolique. Pas de fatalité : la guérison demeure possible. Surtout l’éducation peut prévenir ce fléau. Dans Le Droit chemin, les enfants préfèrent la « boisson des lions » à la liqueur. L’eau est ainsi dotée d’un nouvel attrait. Les jeunes filles du roman se donnent comme mission en vacances à la campagne d’expliquer aux paysans qu’il ne faut pas habituer les tout petits à l’eau de vie. Le monde présenté aux enfants est sombre mais plein d’espoir.
La foi dans le progrès ne repose pas uniquement sur la science mais aussi sur les transformations de la société. Histoire d’un petit homme décrit avec subtilité les évolutions du monde du travail. De même que Zola, dans Au bonheur des dames, oppose le déclin des petits commerces et l’émergence du monde nouveau des grands magasins, Marie Robert Halt montre à travers le personnage du vieux compagnon du devoir la disparition de l’artisanat  au profit du monde industriel. Si le narrateur regrette la perte du savoir-faire et l’excessive segmentation du travail, il contrebalance ce défaut par les bienfaits que le progrès apporte à toute la population.
 


Marie Robert Halt, Histoire d'un petit homme.
 
Pourtant il ne brillait pas par l'instruction ; les merles blancs étant de son temps moins rares que les écoles, il avait appris à lire et à écrire à l'aventure, tout en soufflant, au village, la forge paternelle, dès l'âge de dix ans. Mais ce qu'il savait, il le savait d'expérience, d'une manière complète, ses connaissances, d'ailleurs, ne s’étendant pas au-delà des choses de son métier. Au fond, c’était surtout un artiste en serrurerie, et qui ne sortait de là que pour vanter, de tous ses poumons, le temps passé, ces corporations, ces maîtrises où le brave homme ne fût jamais devenu maître, faute d'argent, mais qu'il regardait comme l'époque des ouvriers incomparables. On n'a pas soixante ans pour rien.  
Aucune nostalgie. C’est peut-être par modernisme, que Marie Robert Halt s’adresse presque toujours aux enfants dans son œuvre : ils contribueront à faire advenir le progrès dans la société. Le sens du progrès est lié aussi à une vision de l’histoire : une marche irrésistible vers de meilleures conditions de vie. C’est pourquoi elle revient à plusieurs reprises aux origines, à l’homme préhistorique dont la vie était très dure : 

Supposons qu'on n'ait jamais rien changé dans la manière de se loger, de se vêtir, de travailler, de se nourrir, etc., etc., où on serions-nous aujourd'hui ? Nous couvririons notre corps de peaux infectes ; nous ferions notre nourriture des fruits âpres des bois ou de la chair crue des animaux ; nous cultiverions la terre comme les sauvages avec un os ou un morceau de bois durci ; enfin, nous nous abriterions et nous coucherions soit sous les arbres, soit dans les cavités humides et sombres des rochers.

Et même si nous nous reportons à une époque à peine éloignée de nous d'un demi-siècle, nous n'userions ni des machines qui fabriquent les étoffes â un bon marché fabuleux, ni des chemins de fer, ni des télégraphes électriques, ni de ces procédés qui, en cinquante ans, ont doublé la production de blé dans notre beau pays de France. 

 Et le progrès passe par l’éducation. En premier lieu, l’école. L’école rendue obligatoire par les lois Ferry parachève la montée de l’instruction en France. Si les garçons étaient déjà souvent scolarisés depuis la loi Guizot, ce sont surtout les filles qui vont bénéficier de la création d’écoles primaires.
 

 

La leçon du livre du maître de Suzette insiste sur le rôle de l’Etat dans l’instruction publique. Le fait que les instituteurs et institutrices soient des fonctionnaires est le fruit d’un long combat des Républicains. Marie Robert Halt promeut également l’enseignement professionnel, qu’il soit destiné aux garçons ou aux filles. Jacques, le frère de Suzette, poursuit ses études dans une école d’agriculture : il y apprend à nourrir la terre avec de l’engrais, à lutter contre les insectes et à diversifier les cultures. Au début, les autres fermiers se moquent de lui qui ne suit pas la « vieille routine » mais finissent par se rendre à l’évidence : les Dumay s’enrichissent. Suzette vend directement les produits sur le marché. La science améliore les rendements agricoles aussi bien que ceux de l’industrie.
L’œuvre éducatrice dépasse le cadre scolaire. Marie Robert Halt fait l’éloge des cours du soir, des conférences ouvertes à tous, de l’exposition universelle et évidemment de la lecture. Les livres nous font tous égaux : Grâce à la bibliothèque de l’école, les enfants peuvent sortir de la misère : 

Vous emportez d’ici la lecture, clef d’un vaste trésor qui est le savoir. Beaucoup de celles qui vous ont précédées sur ces bancs ont oublié cette clef au fond de leur poche et se sont retournées aussitôt à la pauvreté, à la stérilité d’esprit d’où l’école avait voulu les tirer. 

Les jeunes filles peuvent poursuivre leur éducation dans des écoles ménagères où elles apprennent la cuisine, l’économie domestique, la couture. La bonne gestion du foyer apporte la prospérité à toute la famille.
Suzette, après la mort de sa mère, doit prendre en charge la maison et ses petits frères. Après quelques erreurs, elle apprend à tenir son rôle. Le Ménage de Mme Sylvain raconte la vie de Suzette devenue mère de famille. Le titre peut être pris au pied de la lettre : Mme Sylvain consacre de nombreuses pages au ménage  mais se laisse aussi aller à quelques « coquetteries » :

Le linge empesé est la coquetterie de la ménagère 

 La préface de l’éditeur du Ménage de Mme Sylvain résume bien les buts poursuivis par l’éducation des filles :
La sphère est modeste mais savante. La leçon de vaisselle que Mme Sylvain donne à sa fille est aussi un cours de chimie. La petite ne fera pas la vaisselle idiote !
Autant le dire tout de suite, le Ménage de Mme Sylvain n’est pas le récit le plus trépidant de Marie Robert Halt. La vie d’une femme mariée offre peu d’occasions de vivre des aventures.
Aucune remise en question des rôles traditionnels dévolus aux hommes et aux femmes dans ces romans. La répartition est même très précise et figée : aux hommes les travaux des champs, aux femmes la maison et la basse-cour.

« Les travaux intérieurs et les soins qui sont à la charge de la mère de famille se rapportent :
l° Aux enfants ; — 2° à la tenue de la maison ; — 3° à la préparation des aliments; — 4°à l’entretien du linge et des vêtements. Il s’y ajoute à la campagne, la direction de la basse-cour et la culture d'une partie du jardin.
(…) Son rôle, en un mot, est de s’oublier et de se sacrifier pour tous.»

Les femmes ne sont pas des citoyennes sous la Troisième République, ce qui ne les empêche pas de développer des idées politiques qui trouvent un écho aujourd’hui. La tante de Suzette critique ainsi les importations de biens agricoles alors que la terre de France devrait suffire à l’autonomie nationale :

« les femmes qui ont charge du marché, de la cuisine, c’est-à-dire de la vie de la famille, ne donneraient peut-être pas de mauvais conseils aux hommes qui font les lois. » 

S’ils ne demandent pas davantage de pouvoir pour les femmes, les manuels destinés aux filles multiplient les références à des femmes célèbres, qui ont joué un rôle dans l’Histoire.   

« Parmi les femmes célèbres qui ont figuré avant Brunehaut et sa sœur dans l'histoire de France, nous citerons : les druidesses, qui soutinrent le courage des Gaulois dans leur lutte contre J. César ; — Eponine, si connue par son dévouement envers Sabinus, son époux ; —Blandine, qui périt à Lyon, martyre de sa foi ; — sainte Geneviève, qui releva le courage des Parisiens, lors de l'invasion d'Attila; — Clotilde, femme de Clovis, à qui l'on attribue la conversion de son époux. »

Beaucoup d’autres femmes sont citées dans son œuvre : Jeanne d’Arc, Jeanne Hachette, Christine de Pisan, Suzanne Didier, Mademoiselle Dodu. L’héroïsme existe au féminin. Les petites filles ont des modèles variés, même si elles deviendront presque toutes des ménagères.
Seul le métier d’institutrice est accessible aux jeunes filles du peuple. L’institutrice est toujours un personnage admirable : bienveillante, elle dispense son savoir aux familles, lutte contre les superstitions, apprend à s’occuper d’un foyer. Suzette est d’ailleurs dédiée aux institutrices de France.
La position d’institutrice est l’aboutissement de l’ascension sociale pour une jeune fille du peuple même si ses revenus restent très faibles. Lazare choisit cette voie comme un sacerdoce. C’est un statut intermédiaire dans la société : méprisée par la bourgeoisie, elle est trop instruite pour épouser un simple paysan, l’ami d’enfance jardinier dans le cas de Lazare. Elle se marie finalement avec un herboriste, qui détient, lui, un savoir livresque et théorique sur les plantes. La vision de la société de Marie Robert Halt est conservatrice. Si elle décrit admirablement les trajectoires sociales, que ce soit la ruine d’une famille à cause de mauvais placements ou l’ascension de la petite paysanne qui devient institutrice, elle ne prône pas la révolution. Le progrès prend du temps, l’amour ne transgresse pas les classes sociales. Elle défend les exilés de 1851, critique l’Empire, mais en positiviste associe l’ordre au progrès.
On peut lire l’œuvre de Marie Robert Halt comme une œuvre engagée qui défend toutes les valeurs républicaines. Les entraides sociales, le crédit coopératif, les bibliothèques, les cours du soir, l’école mais aussi des valeurs que nous ne partageons plus et qui étaient pourtant celles portées par la Troisième République. Elle déplore ainsi l’existence de langues et d’accents régionaux et présente la colonisation de l’Algérie comme une opportunité pour des fermiers qui ont tout perdu. Elle défend l’éducation des filles mais sans remettre en question leur place dans la société. Son œuvre est exemplaire de la Troisième République de ses avancées comme de ses archaïsmes. Peut-être lui était-elle trop conforme pour passer à la postérité. Il semble pourtant injuste de l’oublier tout à fait ; son sens du récit, de l’aventure et de l’enfance font d’elle une écrivaine remarquable.