Marceline Desbordes-Valmore, une autrice méconnue

0
15 mars 2021

Connue de ses contemporains, Marceline Desbordes-Valmore vit l’importance de son œuvre progressivement minorée et réduite à la portion congrue dans les manuels scolaires, avant d’être oubliée du grand public. À la fin du XXe siècle, des travaux de recherche et plusieurs rééditions ont rendu justice à l’ampleur de cette œuvre plurielle à la voix singulière.

Poésies inédites de Mme Desbordes-Valmore. Paris : E. Dentu, 1860

Une autrice « connue, méconnue et inconnue », cette expression de Madeleine Ambrière qui ouvre la notice consacrée à Marceline Desbordes-Valmore dans le Dictionnaire universel des littératures (publié sous la direction de Béatrice Didier, Paris : Presses universitaires de France, 1994) synthétise en quelques mots le rapport complexe et paradoxal de cette autrice à la postérité. Connue de ses contemporains, Marceline Desbordes-Valmore vit l’importance de son œuvre progressivement minorée et réduite à la portion congrue dans les manuels scolaires, avant d’être oubliée du grand public. À la fin du XXe siècle, des travaux de recherche et plusieurs rééditions ont rendu justice à l’ampleur de cette œuvre plurielle à la voix singulière.

La naissance d’une voix moderne et singulière

Marceline Desbordes-Valmore naît à Douai en 1786 dans une famille d’artisans rapidement ruinée par la Révolution.

Maison de Marceline Desbordes à Douai

Elle est emmenée en 1801 en Guadeloupe par sa mère à la recherche d’une meilleure fortune. En 1803, celle-ci y meurt de la fièvre jaune, provoquant le retour de Marceline Desbordes en métropole. On peut lire dans son œuvre – et en premier lieu dans le titre du recueil de nouvelles qu’elle publiera en 1821, Les Veillées des Antilles – l’écho de cet exil loin de la terre de l’enfance :

Poésies de madame Desbordes-Valmore. Paris. A. Boulland, 1830

À son retour, Marceline Desbordes-Valmore se lance dans une carrière de cantatrice et de comédienne qui lui apporte une culture littéraire et une technicité en matière de rythme et de versification que son éducation modeste ne lui avait pas permis d’acquérir. Après la mort précoce de deux enfants naturels, Marceline épouse l’acteur Prosper Valmore en 1817 avec lequel elle mène une existence précaire.

Prosper Valmore

L’année suivante est encore marquée par la perte en bas âge de sa fille Junie. En 1819, elle publie un premier recueil poétique, Élégies, Marie et Romances, puis l’année suivante les Poésies de Mme Desbordes-Valmore. Ces recueils, dont le caractère novateur sera progressivement oublié au profit des Méditations poétiques de Lamartine, également publiées en 1820, font de Marceline Desbordes-Valmore une pionnière de la poésie romantique. Son amour passionné pour Hyacinthe de Latouche, écrivain romantique qui la conseille dans ses débuts littéraires, trouve des échos dans son œuvre. Elle publie plusieurs autres recueils, également caractérisés par leur lyrisme élégiaque et une certaine inventivité formelle, parmi lesquels : Les Pleurs (1833) ; Pauvres Fleurs (1839) ; Bouquets et Prières (1843). Un dernier recueil poétique sera publié à titre posthume, Poésies inédites.

Elle subit de nouveau la perte de ses deux filles, Inès et Ondine emportées successivement par la maladie en 1846 et en 1853. En 1860, un dernier recueil poétique sera publié à titre posthume, Poésies inédites. Le sens de la musicalité qui les caractérise vaudra aux poèmes de Marceline Desbordes-Valmore de très nombreuses mises en musique, tels que Les roses de Saadi, « sans doute le plus célèbre poème de Marceline Desbordes-Valmore » selon Christine Planté :

ou encore Les séparés, popularisé bien des années après par Julien Clerc et Benjamin Biolay :

L’œuvre de Marceline Desbordes-Valmore n’est cependant pas seulement celle du lyrisme élégiaque : elle est également traversée par la dénonciation de l’injustice, comme celle de la révolte des Canuts à Lyon :

 
L’œuvre en prose : nouvelles, romans et littérature pour les enfants

Si c’est surtout son œuvre poétique qui vaut à Marceline Desbordes-Valmore la reconnaissance de ses contemporains – parmi lesquels Baudelaire et Verlaine – elle a également produit une œuvre en prose importante. Comme sa poésie, ses récits, nouvelles et romans sont placés sous le signe de la simplicité mais également du dialogue et des interactions entre les personnages.
 
Les veillées des Antilles, son premier recueil en prose, portent en elles une dénonciation de l’esclavage dans la nouvelle intitulée Sarah, à travers le récit poignant de l’enlèvement du personnage d’Arsène enfant à sa mère pour être vendu comme esclave et, de manière explicite, par la bouche du personnage éponyme :

De L’atelier d’un peintre : scènes de la vie privée, publié en 1833, qui aborde le sujet de la femme artiste, Louis Aragon dira que « ce roman où l’amour a la part de l’aigle, est un grand roman de la peinture, où il est question comme nulle part ailleurs de la beauté qui sort des mains humaines. Et le lire, c’est vraiment réapprendre un grand, un précieux secret perdu. Un secret brûlant. Un secret actuel ».

Avec Violette (1839), Huit femmes (1845) ou encore Domenica (1855), Marceline Desbordes-Valmore met en avant ses personnages féminins et dénonce souvent à travers eux la précarité de la condition féminine pour laquelle « nourrice, femme ou reine, vivre c’est obéir ».

La romancière participe enfin au fort développement de la littérature enfantine de son époque avec plusieurs publications, telles que les Contes et scènes de la vie de famille, dédiés aux enfants, À mes jeunes amis : Album du jeune âge (1830) qui s’ouvre sur l’avertissement de l’éditeur :

En offrant donc à la jeunesse ce volume, seulement formé pour elle, je suis sûr de m'assurer l'approbation des parens, et la reconnaissance de ceux à qui on fera ce charmant cadeau.

Pour Les Anges de la famille (1849), elle reçoit le prix La Roche-Lambert de l’Académie française auquel elle a candidaté sur les conseils de son oncle, le peintre Constant Desbordes :

La perte des enfants, drame absolu, résonne particulièrement dans le contexte de l’œuvre de Marceline Desbordes-Valmore, qui chante et met en scène la maternité, dédie Les Anges de la famille « aux mères » et rédige un livre des mères et des enfants : contes en vers et en prose en 1850. En 1855 paraît encore Jeunes têtes et jeunes cœurs : contes pour les enfants.

Réception et postérité

Marceline Desbordes-Valmore connaît le succès de son vivant. Elle est reconnue par plusieurs écrivains, qui louent ses vers : Hugo, Lamartine, Sand, Baudelaire, Rimbaud… Verlaine l’intègre à la liste des poètes maudits. Le photographe Nadar la représente parmi les quelques femmes de lettres de son Panthéon (1854 et 1858) et fait aussi d’elle sur son lit de mort de saisissants portraits en 1859. En 1870, Sainte-Beuve lui consacre une biographie et publie une partie de sa correspondance. Une soixantaine d’années après sa mort, Stephan Zweig lui consacre encore une biographie élogieuse.

Pourtant, son œuvre souffrit rapidement de la désaffection subie par les poètes romantiques et déjà Baudelaire en 1861 évoquait « l’oubli » dont elle fit l’objet, dans un article ensuite transformé en chapitre consacré à Marceline Desbordes-Valmore dans son Art romantique.

En 1959, la Bibliothèque nationale lui consacre une exposition pour commémorer le centenaire de sa mort. L’importance de l’œuvre de Marceline Desbordes-Valmore sera cependant progressivement minorée et réduite à la portion congrue dans les manuels scolaires, comme le remarque Françoise Chandernagor en 2016 à l’occasion de la parution de son anthologie de la poésie féminine, Quand les femmes parlent d’amour, lui conférant ce statut paradoxal d’autrice à la fois connue, méconnue et inconnue. En disparaissant du corpus littéraire étudié lors des études secondaires, l’œuvre de Marceline Desbordes-Valmore s’est également effacée de la mémoire collective pour n’être plus connue que des seuls spécialistes. Ses récits en prose sont oubliés. En 1983, la préface que consacre Yves Bonnefoy à l’édition des Poésies de Marceline Desbordes-Valmore chez Gallimard (Collection Poésie ; 178) rend hommage à « l’intensité », « la qualité d’évidence » qui émane des vers de l’autrice, « illuminant comme d'une foudre l'horizon entier de la terre.» Depuis la fin du XXe siècle, de nombreux travaux de recherche et plusieurs rééditions tendent désormais à lui rendre la place qui lui revient au sein de l’histoire littéraire. En 2009, dans le cadre des Lundis de l’Arsenal organisés par la Bibliothèque nationale de France, une conférence assurée par Christine Planté accompagnée de Sabine Haudepin à la lecture remet l’autrice en lumière. Douze ans après, le cycle de conférences-lectures dédié aux autrices oubliées de l’histoire littéraire propose à Christine Planté de prolonger son propos et de faire de nouveau résonner la beauté des textes de Marceline Desbordes-Valmore.

Portrait de M. Desbordes-Valmore par Constant Desbordes, catalogue de l’exposition à la BnF, 1959

Pour aller plus loin