Scaphandriers : plongée en eaux profondes

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19 novembre 2020

En combinaison hermétique, casque et semelles de plomb, pompes actionnées et pompeurs fiables ou bouteilles vérifiées : la plongée peut commencer.

Scaphandriers à la recherche d'épaves au Havre, Le Petit journal, 1892

Depuis l’Antiquité, l’homme tente d’explorer les fonds marins à l’aide de cloches de plongée, tel le tonneau décrit par Aristote ou la cloche supposée d’Alexandre le Grand, représentée dans des manuscrits médiévaux comme La geste ou histore du noble roy Alixandre, roy de Macedonne , commandée par Jean II de Bourgogne au 15ème siècle. La possibilité de maintenir une flamme sous une cloche enfoncée dans l’eau s’apparente à de la sorcellerie pour de nombreux contemporains avant que Jean de Hautefeuille en 1681 dans L'art de respirer sous l'eau et le moyen d'entretenir pendant un tems [sic] considerable la flamme enfermée dans un petit lieu explique scientifiquement la présence d’air sous la cloche.

En 1721,  l’astronome Halley imagine une cloche de plongée en bois doublée de plomb, présentée par Louis Figuier dans son Encyclopédie historique. Le sommet de la cloche est pourvu d’un verre épais pour laisser passer la lumière et un tuyau permet l’évacuation de l’air vicié. D’autres solutions sont également imaginées du 16ème au 18èmecomme la prise directe d’un tuyau d’alimentation d’air vers l’extérieur.

Mais c’est au 18ème siècle qu’est inventé le mot scaphandre, du grec skaphé, nacelle et andros, homme par  Jean-Baptiste de la Chapelle (1710?-1792). Le mathématicien entame des recherches, théoriques puis des essais pratiques dès 1765 sur un habit de liège destiné à flotter sur l’eau sans nager. Il présente son invention en 1775 dans son Traité de la construction théorique et pratique du scaphandre , ou du bateau de l'homme, approuvé par l’Académie des sciences. L’ouvrage est réédité avec des ajouts, notamment sur l’utilisation militaire possible de ses recherches. Une démonstration est organisée devant le roi en 1768 que relate Louis Petit de Bachaumont dans son Journal.

M. L’abbé de La Chapelle briguait depuis longtemps l’honneur de faire en présence du roi l’essai de son scaphandre ou pourpoint de liège(…) Monsieur de la Chapelle s’est jeté à l’eau mais ne s’étant pas porté assez haut, il a dérivé et le roi n’a pu le voir que de loin. Il a effectué ces différentes opérations comme de boire, de manger, de tirer un coup de pistolet. 

Hélas, enhardi par son succès, La Chapelle sort son nécessaire à écriture et copie les vers suivants (Descendu de son trône en la foule jeté/ce roi conserve encore un trait de majesté), dont l’ambiguïté ne plaît pas au roi, et l’observateur contemporain de conclure dans son Journal que l’inventeur n’a « reçu ni pension, ni gratification, ni compliment. » Le scaphandre de La Chapelle est ensuite testé à Paris le 19 juillet 1778 sur la Seine depuis le Pont Neuf jusqu’aux Invalides.

Mais c’est bien dans l’exploration des profondeurs que se perfectionnent les inventions suivantes et le scaphandre va progressivement désigner des équipements destinés à plonger sous la surface même si l’ambigüité demeure longtemps dans la définition des dictionnaires. En 1882, Le Dictionnaire général de la langue française fait ainsi encore référence à un habit de liège. Les inventions sont alors très nombreuses : en  1772, Fréminet met au point un casque rigide en cuivre relié à une réserve d’air tirée derrière lui par le plongeur, appelé machine hydrostatergatique qu’il expérimente en mer.

En 1837, un premier scaphandre étanche est mis au point par Augustus Siebe relié à une pompe d’air en surface. Les chaussures sont à semelles de plomb.
Parmi les inventions du 19ème siècle qui perfectionnent le scaphandre, arrêtons-nous sur le scaphandre de Joseph-Martin Cabirol (1796-1874). Fabricant de caoutchouc à Paris, Cabirol dépose en 1855 un brevet pour un scaphandre qu’il présente à l’Exposition universelle de Paris aux côtés d’autres scaphandres comme celui de Siebe.  La revue savante, Journal des travaux de l'Académie de l'industrie agricole, manufacturière et commerciale de la Société française de statistique universelle, précise que le scaphandre de Cabirol introduit des nouveautés telles que le manomètre qui indique au plongeur la pression et la profondeur, ainsi qu’un robinet de secours qui lui permet, en sortant de l’eau, de respirer rapidement. Fort de son succès, Cabirol dépose un nouveau brevet en 1860 et poursuit ses démonstrations.  Une de ses démonstrations publiques consiste à envoyer un forçat à 40 mètres de profondeur pour promouvoir la maniabilité de son appareil, alimenté par une pompe à air. La promotion du scaphandre est également assurée par la publication en 1870 d’une présentation détaillée des usages que l’on peut en faire (pêche, renflouage d’épaves, opérations militaires…).  Cabirol reste le fournisseur de la marine impériale jusque 1866 que son scaphandre ne soit supplanté par le système Rouquayrol et Denayrouze.

Le défi technique n’est pas le seul objectif de ces inventeurs. Le scaphandre répond très vite à de nombreux besoins.  Ainsi, il permet la réparation des bateaux comme celle de l’hélice du paquebot transatlantique Vera Cruz en 1863, relatée par le Monde illustré. Il facilite la pêche des coraux et éponges. D’autres chantiers sous-marins demandent également des plongeurs, comme le rappellent Louis Figuier ou Edouard Colignon dans l'ouvrage, Les machines en 1873. Le renflouage des navires comme le Magenta en baie de Toulon en 1875 couvert par Le Monde Illustré ou l’aide aux sous-marins comme le Farfadet en 1905, relatée par le Petit Journal et le Petit Parisien illustré, figurent parmil les autres utilisations possibles des scpahandriers. 

La recherche des épaves ou des vestiges fait également partie des possibilités ouvrant la voie à des rêves de trésors et de cités enfouis dont s’emparent vite presse  et les revues de vulgarisation scientifique comme la Science illustrée. Les œuvres fictionnelles ne sont pas en reste, à l’image d’Atlantis d’André Laurie, de la Guerre au vingtième siècle d’Albert  Robida ou de Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne. Les archéologues comprennent vite l’apport de ce nouveau matériel. Le Congrès scientifique de France fait ainsi état de l’utilisation en 1863 de scaphandres pour sonder les fonds de la baie de Grésine, sur le lac du Bourget pour extraire poteries et hache de bronze. Il faut cependant attendre d’autres outils comme la photographie sous-marine pour compléter les équipements d’exploration.

Mais tous les systèmes ont l’inconvénient d’être peu autonomes, le réservoir d’air est peu efficace et l’envoi d’air par une pompe depuis la surface empêche la pleine mobilité du plongeur. Le problème reste toujours d’assurer suffisamment d’air au scaphandrier comme l’indique le Petit inventeur en 1925 en présentant un modèle bien connu des tintinophiles.
Le scaphandre moderne du 20ème siècle doté d’une bouteille d’air comprimé est mis au point en 1926 par Maurice Fernez  (1885-1952) et Yves Le Prieur (1885-1963) dont les essais ont lieu à Paris dans la piscine des Tourelles. L’air est respirable grâce à un détendeur que le plongeur doit actionner et la bouteille est transportable.  L’autonomie reste encore limitée à une dizaine de minutes. Le capitaine Le Prieur a imaginé son appareil « pour pouvoir contempler à son aise, lors de ses plongées les merveilles de la flore sous-marine et les mystères de la vie au fond des océans », indique en 1926 la revue Armée et marine qui relate l’essai. Le scaphandre autonome est ensuite perfectionné en 1943 par Emile Gagnan et Jacques-Yves Cousteau avec l’ajout d’un détendeur automatique permettant aux plongeurs de partir à la découverte du monde du silence.