Le Rouge et le Noir : esthétique et valeurs du personnage de roman

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3 septembre 2020

Selon Zola, "Un personnage de Stendhal : c’est une machine intellectuelle et passionnelle parfaitement montée" , et aborder Le Rouge et le Noir, c’est découvrir des héros aux motivations troubles, mais pourtant déterminés. Nous verrons comment utiliser Gallica pour l’étudier en classe de première.

Le Rouge et le noir , Stendhal, Paris, A. Levavasseur, 1831.
 

Une œuvre d’inspiration romantique qui s’inspire d’un fait divers

Aux origines du roman : l’affaire Berthet

Le Rouge et le Noir pourra être lu dans l’édition en deux tomes (tome 1 et le tome 2) recommandée sur Gallica et voir sa lecture accompagnée de celle de Stendhal, dans lequel Jules Marsan nous livre une analyse du roman.
Jules Marsan apporte des détails sur le fait divers de 1827, l’affaire Berthet, qui inspira à Stendhal ce roman. Il nous explique comment le romancier s’est emparé de ce fait d’actualité, à laquelle il a apporté son vécu et son travail de création littéraire. Soirées du Stendhal Club revient aussi sur l’affaire Berthet, ce qui permet une réflexion, plus nourrie encore, sur le travail du romancier qui s’inspire de la réalité. Néanmoins, Le Rouge et le Noir ne peut pleinement s’assimiler à un roman réaliste.

Un roman entre romantisme et réalisme

Dans Le Réalisme du romantisme, Georges Pelissier explique pourquoi Stendhal est un écrivain à la fois romantique et réaliste.  Dans l’essai Les Romanciers naturalistes, Zola complète et appuie cette thèse. Zola voit en effet en Stendhal un homme qui aurait tenu l’écriture à distance et se considérait comme un homme d’action, bien plus qu’un écrivain. Selon Zola, Stendhal "n’écrit pas un roman pour analyser un coin de réalité, êtres et choses ; il écrit un roman pour appliquer ses théories sur l’amour".
Néanmoins, la Bibliothèque stendhalienne, elle, explique pourquoi "Stendhal ne sera jamais romantique dans son style,  […] écrira dans cette langue si froide mais si juste, et qui ne vieillit pas ;".

Le personnage de roman en tant qu’esthète

Qu’il s’agisse de Louise de Rênal, Mathilde de La Mole ou Julien Sorel, les héros du Rouge et le Noir sont tous trois, chacun à leur manière, des esthètes.

Des personnages guidés par l’amour

Ces trois héros font l’expérience de l’amour de façon singulière, et l’élèvent parfois au rang d’œuvre d’art. Pour comprendre ces postures devant l’amour, on pourra lire De l’amour, dans lequel Stendhal revient sur différents sujets, qu’il s’agisse de la naissance de l’amour, de l’orgueil féminin ou de la cristallisation.

Le personnage lecteur

Le personnage stendhalien est bien souvent un lecteur, et Le Rouge et le Noir permet une réflexion sur l’intertextualité. Le Mémorial de Sainte-Hélène est le livre de chevet de Julien, Julien et Mathilde lisent Voltaire. La lecture, notamment en cachette, est un moyen pour Stendhal  de définir un personnage. Or, dans Vie de Henry Brulard, Stendhal revient sur les lectures qui l’ont formé et raconte comment, dans son enfance, il fut marqué par sa lecture, en cachette, de La Nouvelle Héloïse, emprunté à l’insu de son père dans la bibliothèque familiale. "Dès lors, voler des livres devint ma grande affaire".

Si l’on souhaite prolonger la réflexion sur le personnage lecteur, on pourra se plonger dans L’ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche, Madame Bovary ou Bouvard et Pécuchet.

La fascination pour Napoléon

Julien Sorel est décrit comme un héros ayant pour modèle Napoléon Ier, rêvant de faire une carrière militaire, et contraint d’y renoncer. Zola nous l’explique, Julien Sorel est "un garçon d’une intelligence supérieure obligé par tempérament de faire une grande fortune, qui est venu trop tard pour être un des maréchaux de Napoléon".
Des caractères sociaux de l'influence de Napoléon Ier revient sur la fascination suscitée au XIXe siècle par Napoléon Ier. Dans Étude de la noblesse d'Empire créée par Napoléon Ier Edmond Pierson détaille l’attribution de titres et récompenses par Napoléon Ier. Enfin, La Vie militaire sous le Premier Empire permet de prendre conscience de la dimension méritocratique d’une carrière militaire sous Napoléon Ier.

Le personnage de roman et ses valeurs

Le désenchantement d’une génération

Si Napoléon offrait aux jeunes hommes la possibilité de s’élever dans l’armée, Julien doit y renoncer et intégrer un autre système de valeurs, celui du clergé. L’essai Une maladie morale : le mal du siècle de Paul Charpentier, mais aussi La Confession d’un enfant du siècle nous éclairent sur le mal-être de ces jeunes gens qui vivent sous le règne de Charles X. Les Jésuites et la liberté religieuse sous la Restauration permettra de mesurer la chape de plomb qui s’était abattue sur la société française à cette époque.

Un héros énergique

Il serait injuste et faux de réduire Julien Sorel au statut de lecteur ou de doux rêveur, et notre héros est avant tout un homme d’action. Toujours dans Stendhal, Jules Marsan revient sur le regard que porte Stendhal sur Napoléon, et sur cette période qu’est la Restauration: "Napoléon lui apparaît surtout une manière de symbole : l’homme parti de rien qui s'est soumis le monde, le maître admirable d'énergie. Les temps, il est vrai, sont changés ; […]Le clergé s'efforce de reconquérir l'influence et la situation que la Révolution lui a fait perdre. […] Toutes les ambitions sont permises aux jeunes gens armés d'une volonté ferme et qui savent trouver leur voie".
Julien Sorel n’a qu’une solution pour cheminer dans le monde : faire preuve d’audace et d’héroïsme. Dans L’Héroïsme, Armand Renaud explique que "L’héroïsme est la condition indispensable du héros, mais les héros n'ont pas seuls l’héroïsme ; ils l’ont seulement d’une manière plus consciente et plus durable". Julien se distingue des autres personnages du roman par sa capacité à se jeter dans l’action, comme l’explique Charles Brun dans Le Roman social en France, au XIXe siècle.

Par delà l’ambition, le courage d’être soi

Cerner la trajectoire de Julien, qui se révèle un héros plus amoureux qu’ambitieux, plus maladroit que calculateur, n’est pas chose simple, et lire Le Rouge et le Noir, c’es aussi faire l’expérience de l’opacité du héros.
On pourra ainsi comparer Le Rouge et le Noir à La Vie et les opinions de Tristram Shandy dans lequel le roman devient le lieu de l’ironie et de la prise de distance avec les personnages. Mémoires de Barry Lindon pourra compléter cette réflexion, puisque Thackeray y brosse le portrait d’un véritable ambitieux, ce que Julien Sorel n’est pas. D’ailleurs, dans Racine et Shakespeare, Stendhal recommande la lecture de Sterne, et notamment de Tristram Shandy qui eut "un immense succès grâce à la finesse de l’observation et à l’esprit qui anime ce récit bouffon".
La possibilité de surprendre, voilà peut-être ce en quoi réside le romantisme de Stendhal.