Louis Garneray, le tour de France maritime d'un artiste corsaire

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Le Musée de la vie Romantique devrait proposer de novembre 2020 à mars 2021 une exposition consacrée à la tempête en mer et sa représentation en peinture. Cette manifestation attire entre autres l'attention sur l'ex corsaire Louis Garneray (1783-1857), archétype de l'artiste marin à l'existence aventureuse, mais aussi auteur avec son compère Etienne de Jouy (1746-1846) d'un fabuleux inventaire des ports français sous la Restauration.

    

Fils du peintre Jean-François Garneray, Louis préfère cependant l'appel du large aux leçons données par son père. Embarqué très jeune pour l'océan Indien il débute dans la marine officielle, puis s'engage à 17 ans dans la guerre de course contre les Anglais. Il participera à un des plus fameux abordages de Surcouf, la prise du navire anglais Kent. En 1836 il tirera de cet exploit un célèbre tableau, dont il reprendra les motifs dans les illustrations de ses mémoires parues dans la presse sous le Second Empire.

                                                                                      

 
Finalement capturé par les Britanniques, c'est en portraiturant ses geôliers qu’il redécouvre dessin et peinture, malgré les terribles conditions de détention des « pontons », les prisons flottantes de Portsmouth. Un retour presque forcé à l'art paternel qui lui réussit puisqu'en 1817, trois ans après sa libération, il passe le concours de peintre de marines du Duc d'Angoulême, grand Amiral de France.   
                                                                                    

                                 

                                    
Dans les années 1820, Garneray entame une œuvre énorme en collaboration avec le poète et académicien Etienne de Jouy (1746-1846)  qu'il avait rencontré à l'Ile de France, à l'époque où ce territoire (aujourd'hui l'Ile Maurice) était encore possession française. Les deux hommes vont élaborer pendant presque dix ans une véritable somme, les Vues des côtes de France dans l'océan et la Méditerranée, tour exhaustif ou presque des ports français de l'époque, dont Garneray constitue le corpus de gravures et de peintures.

                                                                                                

Publié par Panckoucke, le prestigieux éditeur de La Description de l'Egypte, l'ouvrage constitue une recension du littoral français qui complète et réactualise celles réalisées sous l'Ancien Régime par ses prédécesseurs Joseph Vernet ou Théodore Gudin. Ne manquent à l'appel que des villes qui ne sont pas encore françaises comme Nice.

En apparence nous sommes ici dans le domaine de la précision géographique, voire ethnographique, plus que dans l'art, même si le commentaire de Jouy amuse par son exaltation du pittoresque local et son abus d'expressions superlatives :  « délicieux point de vue »,  « sol agreste et généreux » et autre « nature fière et capricieuse ». L'auteur révèle quelques particularismes intéressants, par exemple que les « grisettes, confondues à Paris avec les femmes de la petite bourgeoisie, forment à Bordeaux une classe tout à fait à part, dont la coquetterie est célèbre et dont les moeurs n'ont rien de farouche ». Il s'étonne de l'étrange accoutrement des premiers amateurs de bains de mer à Royan : « hommes et femmes, sans distinction, ont adopté un costume uniforme, qui se compose d'une longue tunique de bure brune, d'un large pantalon et d'un chapeau de paille. On s'assied côte à côte, sans cérémonie, je n'oserais dire sans préférence ». Saint-Tropez, en revanche n'est guère citée pour son activité touristique, n'ayant « point d'autre industrie et d'autre commerce que l'exploitation de la pêche du thon ». On y signale d'ailleurs l'existence de « deux grandes madragues, sorte d'enceintes en filet préparées pour sa capture ».

Garneray de son côté ne peut s'empêcher d'exprimer dans ses illustrations la même force fougueuse que dans ses œuvres plus personnelles. Il y a un certain sens du suspense dans plusieurs scènes de mer tumultueuse où les navires, malgré leur superbe, sont réduits à de frêles esquifs malmenés par les éléments. Arriveront-elles toutes à bon port, ces embarcations rattrapées par la tempête ?
                                                                              

                                     

Bastia. Vues des côtes de France dans l'océan et la Méditerranée
                                   

Quant aux descriptions de villes et d'agglomérations, certaines vues donnent à réfléchir, comme ce panorama de la ville de Cannes, réduite à un modeste village de pêcheurs d'anchois. À deux siècles de distance, les Vues des côtes de France dans l'océan et la Méditerranée offrent une représentation frappante d'une France maritime à l'aube des grands bouleversements industriels du XIXe siècle.

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