Le département de l’Audiovisuel de la BnF vous propose une escale sonore en Grèce : découvrez la beauté de ses traditions musicales contrastées en écoutant une sélection d’enregistrements issus de nos collections patrimoniales.
Athènes, hiver 1930. Un solo envoûtant de clarinette s’élève au sein des locaux de l’Institut Français de la rue Sina. Un violon et un laouto l’accompagnent. Trois musiciens épirotes d’origine tsigane, formant un petit ensemble traditionnel grec appelé kompania, interprètent plusieurs morceaux de leur répertoire. Ils sont originaires de Ioannina, ville importante de la région de l’Épire, au nord-ouest de la Grèce, frontalière de l’Albanie actuelle.
La couleur musicale de cet enregistrement épirote peut surprendre au premier abord mais ce serait oublier que la musique grecque est indissociable de son histoire : cette musique est une et plusieurs, intégrant les accents musicaux d’autres régions de l’Europe et de l’Asie, mémoire des empires byzantin et ottoman, de l’ancienne grande Macédoine aux rives de la mer Noire, de l’antique Anatolie aux îles égéennes, jusqu’aux rives de Chypre.
Et c’est entièrement l’objectif de cette campagne d’enregistrements : comprendre, restituer et sauvegarder la richesse de l’expression musicale grecque. Ce patrimoine musical traditionnel, comme beaucoup d’autres en Europe, tend alors déjà à s’effacer peu à peu, vacillant sous les poussées de la modernité. Il incarne aussi la mémoire des millions de réfugiés grecs d’Asie Mineure, déplacés suite au conflit armé gréco-turc : en 1922, plus d’un million de grecs ont retraversé l’Égée pour se disperser dans toutes les régions de Grèce territoriale et dans le monde, emportant avec eux les sonorités et les mots de leurs villes et villages natals.
Ces enregistrements de traditions musicales grecques, donnant à entendre des interprètes « amateurs » pour la plupart, ont été initiés bien avant cette campagne d’Athènes : les collections de la BnF conservent les premiers enregistrements d’Hubert Pernot réalisés sur l’île de Chio entre 1898 et 1899, à l’aide d’un petit graphophone Columbia à cylindres ainsi que des disques 78 tours produits à Paris dans les studios de l’Institut, entre 1924 et 1928.
Marika Papagika est arrivée à New-York en 1915, comme beaucoup de réfugiés grecs de l’Asie Mineure. Son mari, Kostas Papagika, est un joueur de cymbalum (instrument à cordes frappées, très proche du santouri grec) et l’accompagne avec d’autres musiciens. Son répertoire est composé de chants traditionnels mais inclut aussi le rebétiko, cette musique populaire apparue dans les années 1920 en Grèce, incarnant l’expression musicale des populations grecques déracinées, les Micrasiates. Tout comme son homologue et concurrente Kyria Koula, Marika connaîtra un grand succès. Elle sera la première chanteuse grecque enregistrée aux Etats-Unis, dès 1918, par les studios new-yorkais de Victor Rec. et de la Columbia Rec. Sa carrière est florissante et Marika Papagika sera également propriétaire avec son époux d’un cabaret réputé à New-York, véritable scène artistique et politique de la communauté grecque, jusqu’à ce que la crise économique de 1929 mette fin à cette aventure musicale.
De nombreux autres enregistrements des traditions musicales grecques sont conservés dans les collections de la BnF : pour les découvrir, vous pouvez cliquer ici. Et pour conclure cette escale sonore, nous vous invitons à écouter un dernier enregistrement, une ravissante sérénade pour jeune mariée, interprétée par deux musiciens, joueurs de violon et de santouri, originaires de Siphnos, une île des Cyclades.
Pour aller plus loin
Découvrez l’intégralité des enregistrements de 1930 collectés lors de la mission phonographique en Grèce, conduite par Hubert Pernot et Melpo Logothétis-Merlier, assistés de Mady Lavergne, Samuel Baud-Bovy et Dimitrios Loukopolos : vous pourrez y écouter un panorama complet des traditions orales et musicales grecques (chants de mariage), de fêtes, de bergers, des saisons, chansons historiques et issues de la littérature grecque, berceuses, chants et musiques de danse, chants religieux…), ainsi que des enregistrements du célèbre poète national Kostís Palamás, de Simon Karas, musicologue spécialiste de la musique byzantine et du chantre Métropolitès Samou Eirènaios.
Recueillis à Athènes, ces enregistrements donnent une représentation très complète du patrimoine musical des cultures de la Grèce territoriale, mais aussi des cultures grecques de l’Asie Mineure et de la diaspora grecque. Sont représentées les régions suivantes : le Péloponnèse, l’Attique, la Béotie et la Grèce centrale, l’Épire, la Macédoine, la Thessalie, la Thrace, la région de Trébizonde et les autres régions du Pont, l’Anatolie (régions de Kars), de l’Ionie et de la Cappadoce, les îles des Sporades, des Cyclades, du Dodécanèse et enfin, la Crète.