Après la création de la SPA en 1846 et l'évolution de la loi vers la protection de tous les animaux domestiques, à partir de 1853 les défenseurs des animaux voient apparaître un nouveau front : les courses de taureaux espagnoles. En effet, après son mariage avec la fille d’un Grand d’Espagne, Eugénie de Montijo, Napoléon III a autorisé les corridas en France.
La vue du sang peut seule, on le croirait, causer une telle ivresse. Il me semble que cela suffit à juger la moralité du spectacle. Il y a, dans le cœur de l’homme, une bête féroce qu’il faut se garder d’éveiller. (L. Ratisbonne)
Le mariage civil de l'Empereur au château des Tuileries, Napoléon III et Eugénie, Victor Adam
La presse, soutient les opposants à la corrida en dépit de la pression politique et de la censure policière importante à cette époque. Le journal Le Siècle relaie les protestations contre les corridas.
Les parlementaires, de leur côté, se saisissent de la question. Le 20 mars 1866, le sénateur Pierre, Auguste, Rémy Mimerel aborde la question des corridas au Sénat.
La SPA continue de protester, et en 1881 une lettre ministérielle adressée au préfet des Landes condamne les courses espagnoles avec mise à mort (Revue critique de législation et de jurisprudence, nouvelle série, tome XXIV, n°2, février 1895, pages 115 à 138 « Rapport présenté à la Chambre criminelle de la Cour de cassation sur les pourvois formés contre les jugements du tribunal de simple police de Bayonne en matière de courses espagnoles de taureaux. Audience du 14 janvier 1895. Par M. Calixte Accarias ». Voir la lettre ministérielle page 120.
Voir aussi Revue des grands procès contemporains, tome XV, 1897, pages 235 à 310 « Les courses de taureaux. Taureaux, chevaux, courses espagnoles et courses landaises, mise à mort, mauvais traitements, interdiction, contravention à la loi du 2 juillet 1850 (loi Grammont) », et en particulier au sujet de cette lettre ministérielle, page 243 : « Mais, en 1881, une lettre ministérielle adressée au préfet des Landes, condamna les courses espagnoles comme contraires à la loi de 1850, tout en permettant les course "landaises" où "il n’y avait pas de sang versé" , pourvu qu’il n’y eût pas d’ailleurs de mauvais traitements abusifs »).
En 1884, les relations entre les communes et l’État changent. En effet, la loi sur l’organisation municipale du 5 avril 1884 (publiée au JORF du 6 avril, pages 1857 à 1868 et insérée au Bulletin des lois ) étend les libertés communales. Les maires et leurs adjoints ne sont plus nommés par l’État mais élus localement par le conseil municipal. En contrepartie la tutelle du préfet s’exerce à la fois sur le maire et sur les actes de la communes (articles 95 et 99).
Veuillez aviser les maires des communes où ont lieu des courses de taureaux que la mise à mort du taureau est interdite. Ces magistrats devront prendre des arrêtés portant cette interdiction. S’il n’était déféré à votre injonction, vous aurez à prendre un arrêté général pour les communes de votre département, en vertu de l’article 99 de la loi du 5 avril 1884.
Recueil Sirey 1895, par J.-B. Sirey, page 370
Une nouvelle circulaire du Président du Conseil et ministre de l’Intérieur Charles Alexandre Dupuy en date du 25 septembre 1894 ordonne aux préfets des départements du Midi d’interdire les courses de taureaux avec mise à mort. Recueil Dalloz 1895, page 269.
Les préfets prennent, donc, des arrêtés dans ce sens conformément aux instructions ministérielles. Mais plusieurs municipalités du Midi refusent de respecter l’interdiction préfectorale. Le Journal des Débats politiques et littéraires du lundi 1er octobre 1894 (édition du matin, page 3, article intitulé « Les courses de taureaux ») se fait l’écho de l’agitation que cet arrêté a provoqué à Nîmes.
En effet, l’arrêté du préfet du Gard en date du 26 septembre 1894 interdit les courses de taureaux avec mise à mort « dans toute l’étendue du département du Gard » (Texte intégral cité d’après le Recueil Dalloz 1895, page 269).
Mais le conflit le plus remarquable oppose le maire de la ville de Dax, Raphaël Milliès–Lacroix, au préfet des Landes. Conformément à la circulaire ministérielle du 25 septembre 1894, le Préfet des Landes avait interdit dans tout le département par un arrêté en date du 8 octobre 1894, « les course de taureaux avec mise à mort des animaux, ou toutes autres pratiques tombant sous la prohibition de la loi du 2 juillet 1850 ».
Or, dans le cadre de la prolongation des fêtes de la ville, le maire de Dax avait autorisé par arrêté du 6 octobre 1894 le « Syndicat des intérêts de la ville » à donner une course de taureaux avec mise à mort. L’autorisation du maire avait été annulée par arrêté préfectoral du 9 octobre 1894. Dans la foulée, le maire de Dax, Raphaël Milliès-Lacroix, est révoqué par le Président du Conseil et ministre de l’Intérieur Dupuy. Sa révocation fait grand bruit, et la Chambre des députés ordonne pendant la séance du mardi 23 octobre 1894 la discussion immédiate de l’interpellation du député des Landes, Théodore Denis, sur la révocation du maire de Dax (JORF, Débats parlementaires. Séance du 23 octobre 1894, pages 1655 à 1658).
La ville de Dax présente un recours administratif devant le Conseil d’État contre les arrêtés préfectoraux des 8 et 9 octobre 1894. La ville est déboutée. En effet, le Conseil d’État confirme dans son arrêt 84,907 du 3 décembre 1897 l’annulation par le préfet (9 octobre 1894) de l’arrêté du maire de Dax autorisant une corrida avec mise à mort ; il confirme, également, l’arrêté préfectoral du 8 octobre 1894 interdisant les courses de taureaux avec mise à mort sur toute l’étendue du département (Recueil des arrêts du Conseil d’État, 3 décembre 1897, n°84,907, page 739). L’arrêt est également publié au Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur, n°11, 1897 pages 359 à 360.
Dans les régions méridionales il n’existait pas de tradition ni de véritable adhésion à la corrida espagnole, cependant les méridionaux vont se saisir de la corrida pour défendre leur originalité, et « le félibrige Mistral n’échappe pas à cette contradiction qui consiste à prendre une pratique espagnole comme emblème de la Provence » souligne Élisabeth Hardouin-Fugier (Histoire de la corrida en Europe du XVIIIe siècle au XXIème siècle, page 136). La défense de la civilisation et des traditions provençales est, en effet, le premier point du programme du Félibrige. A la défense de la culture, se greffe depuis la loi sur l’organisation municipale la défense des libertés communales.