Héros de la littérature pour la jeunesse, épisode 2 : méchants ou niguedouilles ?

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26 juillet 2016

Génies du mal, savants fous, seigneurs des ténèbres, héros déchus ou traîtres, ces personnages emblématiques sont indispensables : sans méchant, pas de héros ! Face à eux, nigauds, sots, niais, benêts, andouilles, bêtas, corniauds … Rendons hommage à des personnages pas très vifs d’esprit, pas très intelligents, mais tellement attachants !

La BnF s'associe à Partir en livre, la grande fête du livre pour la jeunesse du 20 au 31 juillet 2016, en jouant au jeu des 12 familles. A cette occasion, Gallica vous propose de (re)découvrir les héros de la littérature pour la jeunesse, dans les pages numérisées par la BnF et ses partenaires.

Georges Chaulet (1931-2012), créateur de Fantômette, aurait affirmé une règle essentielle du roman pour la jeunesse : « d’abord et avant tout, il faut qu’il y ait des bons et des méchants ». La littérature pour la jeunesse regorge de personnages incarnant le Mal, personnages infâmes, dangereux, effrayants et infréquentables venant des plus anciens récits et des plus anciennes peurs. Au-delà de leur dimension « pédagogique » (mettre en garde contre le Mal), ces figures sont également une garantie de frisson, de suspense, de dramaturgie : l'opposition entre le héros et le méchant, son alter ego monstrueux, crée une véritable dynamique narrative. C'est en se retrouvant confronté à lui que le jeune héros inexpérimenté du début se trouve transformé.

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La belle et la bête, Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, 1870.

Le méchant peut prendre plusieurs visages : ogre, géant, loup, monstre, sorcière… mais aussi monstres marins, serpents ou brigands... Ces figures imaginaires sont bien souvent des métaphores pour mettre en garde contre des menaces réelles. Avec le plus célèbre loup de fiction, celui du Petit chaperon rouge, Charles Perrault se situe délibérément dans le registre du conte d’avertissement comme l’atteste la moralité qui clôt l’historiette, mettant en garde contre les loups qui « suivent les jeunes demoiselles jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles ; Mais, hélas ! qui ne sait que ces loups doucereux, de tous les loups sont les plus dangereux ». De tous les animaux, le loup est sans doute celui qui, de tous temps et en tout lieu, a suscité le plus d’angoisses, fait naître le plus d’images effrayantes, généré le plus de fantasmes, comme celui du loup garou ou la Bête du Gévaudan. Pour apprivoiser la peur des petits par le jeu, retrouvez sur Gallica la maison du Petit Chaperon rouge à découper.

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Les contes de Perrault, ill. Gustave Doré, 1862.

Gustave Doré (1832-1883) livre en 1862 l’une des interprétations les plus magistrales des contes de Perrault. L’artiste impose une vision dramatique des contes, tant par sa théâtralité que par l’effroi qu’elle suscite : plongées et contre-plongées dans les profondeurs de la forêt, expressivité des regards, plans larges ou étroitement resserrés, comme cette scène représentant La Barbe bleue remettant la clé à son épouse, l’index pointé et les yeux menaçants.

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Aventures d'Alice au pays des merveilles, Lewis Caroll, ill. John Tenniel, 1869.

Malgré son nom, la Reine de cœur du pays des merveilles n’a rien d’une douce souveraine. Elle veut des roses uniquement de couleur rouge, elle joue au croquet avec un flamand rose pour maillet et des hérissons vivants pour boule. Souvent représentée comme une femme imposante au visage maussade, elle est égoïste et colérique et fait régner la terreur grâce à une armée de cartes à jouer. Elle terrifie toute sa cour en ordonnant de couper la tête de tous ceux qui lui déplaisent. Les aventures d’Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll (1832-1898) ont été mises en images par de nombreux illustrateurs, dont John Tenniel pour la première édition en 1865 (traduite en français en 1869) ou Arthur Rackham en 1908.

Avec la figure du croquemitaine, on tente d’inciter les enfants à rester dans le droit chemin, en faisant la liste des défauts à éviter : M. et Mme Croquemitaine emporteront petites gourmandes, petits fainéants, menteurs, bavardes, etc. Mais cette violence n’est pas nécessairement à prendre au premier degré, c’est aussi le jeu de la caricature et du grotesque que les enfants sont capables de saisir.

Le méchant peut donc avoir sa part de drôlerie, voire se couvrir inexorablement de ridicule, comme Gargamel ou le coyote à la poursuite de Bip Bip.

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Les héros comiques, Emile Faguet, ill. Job, 1926.

A l’opposé du méchant terrifiant et sans scrupules, on trouve les niguedouilles qui font rire à leurs dépens. Là encore, sous la bouffonnerie se cache parfois des sous-entendus. « Le bon roi Dagobert a mis sa culotte à l'envers. Le grand saint Éloi lui dit : Ô mon roi ! Votre Majesté est mal culottée. C'est vrai, lui dit le roi, je vais la remettre à l'endroit ». Cette chanson burlesque met en scène un roi jovial et un peu niais – ou qui joue à l’être –, au caractère bon enfant peu en rapport avec sa dignité royale et qui en convient avec sang-froid et humour. Tancé comme un enfant par son conseiller, il retourne souvent le comique de situation contre celui-ci. L’un des ressorts de la chanson populaire n’est-il pas de ridiculiser les grands de ce monde ? Cette comptine burlesque semble remonter au XVIIIe siècle, sans doute dans un contexte d’affaiblissement de la monarchie, même si ses couplets ont été écrits au fil du temps.

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La famille Fenouillard, Christophe.

On trouve également une forme de critique sociale dans des personnages maladroits et niais comme Jean-Jean Gros Pataud (« Devenu un gros bourgeois. […] Il a gagné de sa fortune, il est maire de sa commune. La morale mes chers enfants, c’est qu’on voit de gros éléphants qui n’ont pour faire leur carrière qu’à bien s’asseoir sur leur derrière […] ») ou la Famille Fenouillard, l’une des premières bandes dessinées françaises écrite et dessinée par Christophe à partir de 1889, qui met en scène les aventures burlesques d’une famille bourgeoise.

Prochain épisode : Héros de la littérature pour la jeunesse : sales gosses contre princesses