Les playlists de Gallica : la musique andalouse du Maghreb

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Deuxième billet de notre nouvelle série consacrée aux fonds sonores de Gallica. Chaque mois, musiciens, chercheurs, collectionneurs ou simples mélomanes partagent ici leurs coups de coeur musicaux issus de nos collections numérisées. Notre deuxième invité est le chercheur américain Chris Silver, du site Gharamophone.

Chris Silver est professeur assistant en histoire et culture juive au sein du département d'études juives de l'Université de McGill, à Montréal. Il prépare un livre consacré aux relations entre Juifs, Musulmans et musique dans le Maghreb au cours du XXe siècle. Il est également le créateur de Gharamophone.com, une archive en ligne dédiée à la préservation du patrimoine musical juif d'Afrique du Nord.
 

Chris Silver is the Segal Family Assistant Professor in Jewish History and Culture Department of Jewish Studies at McGill University. He is currently completing a book manuscript on the subject of Jews, Muslims, music, and the twentieth century Maghrib. He also curates Gharamophone.com, an online archive “dedicated to preserving North Africa’s Jewish musical past, one record at a time.”
 
Mahieddine Bachetarzi : Istikhbar Djarka

 

Tout au long des années 1920 et 1930, Mahieddine Bachetarzi et Joseph Kespi ont fait ensemble le tour du monde en tant que membres d'El Moutribia, l'orchestre andalou le plus important en Algérie à l'époque. En dépit de sa célébrité, le "Caruso du désert" Bachetarzi, personnalité majeure de la musique algérienne au XXe siècle, occupait une place à part au sein d'El Moutribia. En effet, à l'instar de "Cheb" Joseph Kespi, le musicien annoncé au début de cet enregistrement de 1932, la majorité des membres de l'orchestre était de confession juive. Bachetarzi, le soliste que l'on entend ici, était quant à lui musulman. Ce disque Gramophone nous transporte dans une période de l'histoire de l'Algérie où Juifs et Musulmans entremêlaient leurs voix dans les notes de la musique andalouse, pour le plus grand bonheur de leur public multiconfessionnel.
 
Throughout the 1920s and stretching into the 1930s, Mahieddine Bachetarzi and Joseph Kespi toured the world together. The two did so as members of El Moutribia, Algeria’s most important Andalusian orchestra at the time. Despite Bachetarzi’s growing fame and import, “the Caruso of the Desert”––the individual most closely associated with Algerian music in the twentieth century––was in many ways the odd man out in El Moutribia. Indeed, like “Cheb” Joseph Kespi, the musician announced at the beginning of this 1932 recording, the majority of the orchestra was Jewish. Bachetarzi, the soloist here, was Muslim. This Gramophone disc, then, transports us back to a moment in Algerian history when Jewish and Muslim voices blended in a swirl of Andalusian music––much to the great delight of their multi-confessional audiences.
 
Dalila Taliana : Ya raiss


 

En 1930, la plus grande vedette en Afrique du Nord était l'artiste juive tunisienne Habiba Messika. Son assassinat en 1930 provoqua une onde de choc sur les deux rives de la Méditerranée. Dans son sillage, une autre jeune chanteuse juive émergea sous le nom de scène de Dalila Taliana. Bien qu'elle soit de nos jours largement oubliée en Tunisie, on fredonne encore parfois sa musique dans la région. Sa version enregistrée autour de 1930 du populaire et provocateur Ya Raiss a de quoi intriguer. Il s'agit possiblement du plus ancien enregistrement de l'emblématique "Andak bahariyya" (Vous avez des marins, Ô capitaine), une chanson que l'on associe plutôt au musicien Wadiʿ al-Safi et à son Liban natal. Quel que soit l'artiste qui l'a enregistrée en premier, cette version très ancienne nous interroge sur la question de la provenance et de la transmission de la musique, et plus généralement sur le cosmopolitisme dans l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient de l'entre-deux-guerres.

In 1930, North Africa had no bigger star than the Tunisian Jewish artist Habiba Messika. Her murder in 1930 sent shockwaves across both sides of the Mediterranean. In her wake, another young Tunisian Jewish woman took up her mantel. She went by the stage name of Dalila Taliana. Although little remembered in Tunisia today, much of her music is still hummed there and across the region. In this way, her c. 1930 recording of the popular and provocative Ya raiss intrigues as it is quite possibly the earliest known recording of the iconic song "Andak bahariyya" (You have sailors, O captain)––a song most closely associated with the musician Wadiʿ al-Safi and his native Lebanon. Whoever recorded it first, this early version immediately raises a series of questions about the provenance and transmission of music and so too, what cosmopolitanism might have sounded like in interwar North Africa and the Middle East.

Cheikha Aicha La Hebrea : Ma Tguoulhass El Mamak


 

Cheikha Aicha La Hebrea a laissé peu de traces dans les archives mais plusieurs de ses enregistrements ont survécu et sont disponibles dans Gallica. Ce disque a ceci de remarquable qu'il rappelle que les grands labels internationaux comme Pathé ont autant enregistré de la musique populaire que le répertoire savant andalou. On y entend l'une des nombreuses reprises de l'immensément populaire "Mamak", morceau enregistré en 1930 par l'artiste juif algérien Lili Labassi pour la marque Columbia et dont le succès se répandit comme une traînée de poudre à travers l'Afrique du Nord. En témoigne la popularité de cette chanson chez tous les cireurs de chaussures d'Algérie et du Maroc, comme le raconte un compositeur français de l'époque. Cet enregistrement nous donne un aperçu de ce qu'étaient les charts en Afrique du Nord dans les années 1930.

Cheikha Aicha La Hebrea has left barely an archival trace but a number of her recordings survive on Gallica. What is remarkable about this record is that it reminds that international labels like Pathé were keen to record popular music as much as the Andalusian high art repertoire. In fact, what we have here is one of the many covers of the Algerian Jewish artist Lili Labassi’s wildly popular “Mamak", recorded for Columbia Records in 1930 and which then spread like wildfire across North Africa. Indeed, one French composer at the time noted that every shoeshine boy from Algeria to Morocco was known to sing the tune. Among other things this recording provides us with a sonic glimpse into the North African popular music charts of the 1930s.

Pour aller plus loin
Nos pages Sélections consacrées aux fonds sonores
Gharamophone, le site de Chris Silver
Notre "Gallica vous conseille" consacré au phonographe