Joseph Méry (1797-1866)

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29 janvier 2019

Joseph Méry a beaucoup écrit, après un début de vie presque militante contre la Restauration. Du théâtre, de l’opéra, de la poésie, et surtout des récits, des romans d’amour, d’aventures, des histoires folles et des relations de voyages. Il fut ami de tous les auteurs romantiques du temps. Mais ce qui marqua ses contemporains, ce fut sa verve et sa personnalité.

Eugéne Giraud. Les Soirées du Louvre (1851-1866)

En matière de littérature populaire, Joseph Méry est un cas intéressant. Très connu de son vivant, il fut l’ami de tous les écrivains romantiques dont beaucoup le couvrirent d’éloges. Il rédigea beaucoup, sur tous les sujets, et souvent à la demande, mais chez des éditeurs « sérieux ». Du roman et des nouvelles, mais aussi de la poésie, surtout dans sa jeunesse (c’était l’époque qui voulait cela), du théâtre, des chroniques, des récits de voyages, de l’opéra, même. Et, mis à part quelques textes réédités, il est ignoré de nos jours, ce qui est le cas de la plupart des auteurs feuilletonesques de ce temps. Joseph Méry mérite donc qu’on s’y attarde.
 

Joseph Méry : poëte et publiciste. Lithogr. de Marie-Alexandre Adolphe Menut
 

François Joseph Pierre André Méry naît à Aygalade, près de Marseille, le 21 janvier 1797. Son frère cadet Louis (1800-1883), archiviste, est l’auteur d'une Histoire de Provence en quatre volumes. Son père est marchand drapier. Lui-même est élève du séminaire, puis du lycée de la capitale provençale, où il rencontre Auguste Barthélémy. Après des études de latin et de droit, il s’engage en 1815 dans une compagnie créée pour s’opposer au retour de Napoléon et qui sera décimée. Puis, témoin de la Terreur blanche qui s’ensuit, il change d’opinion pour devenir bonapartiste. Il monte à Paris, mais prend goût au jeu, et sa famille le fait revenir dans le sud. En 1820, il collabore au journal marseillais Le Phocéen, revue antiroyaliste fondée par Alphonse Rabbe. Y attaquant vivement l’inspecteur en chef des Collèges, Méry est poursuivi et jeté en prison pour trois mois. À la fin de sa peine, il part en Turquie pour quelque temps. À son retour, Le Phocéen est interdit pour outrage à la morale publique et religieuse : il fonde alors le Caducée, lui aussi prohibé en 1822. En 1824, il retourne avec son ami Barthélémy à Paris. Il fait paraître au Nain jaune, feuille satirique, de brillantes chroniques contre le pouvoir. Il en devient finalement le rédacteur en chef, mais le journal doit vite cesser sous l’effet des amendes reçues pour raisons politiques. Avec Barthélémy, il publie alors dans les années qui suivent de nombreux poèmes satiriques : les Sidiennes (1825), la Villéliade (1826), la Peyronnéide (1826), la Corbiéréide (1827), la Bacriade (1827), chacun dirigé contre des membres du gouvernement. D’autres récits poétiques voient également le jour sous la plume des deux compères de tendance bonapartiste : Napoléon en Egypte (1828), Le fils de l'homme (1829) ou Waterloo (1829). Parallèlement, il traduit du latin de nombreux Pères de l’Eglise pour Rabbe, qui prépare une histoire des papes.
 

Une conspiration au Louvre. Michel Lévy frères, 1860
 

C’est l’époque où il se fait de nombreux amis dans le clan romantique : Honoré de Balzac, Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Alfred de Musset, Gérard de Nerval, Victor Hugo. Sans parler de Sainte-Beuve, Lamartine, Alfred de Vigny, Alfred de Musset, Frédéric Soulié ou Delphine de Girardin. Il fréquente tous les cercles à la mode et trouvera naturellement sa place dans le Panthéon Nadar (1854). Pendant la révolution de 1830, Méry se bat sur les barricades, et il en tire deux poèmes qui font le tour de Paris, L’Insurrection et Le Tricolore. Il publie un roman proto-criminel, Le Bonnet vert. Il devient également un des principaux chroniqueurs du Figaro. Mais dès 1831, il crée, avec Barthélémy encore, Némésis, une revue d’opposition contre le nouveau pouvoir qui les a fortement déçus. Néanmoins, assez vite, les deux amis se séparent. Méry part en Italie où il va voir la reine Hortense, puis d’autres membres de la famille impériale. Il publie le récit de son périple dans la Revue de Paris en juin 1834, avant de l’éditer en 1837.
 
C’en est fini de la vie politique pour Méry. Il se consacre uniquement à la littérature. En partie parce qu’il est un joueur invétéré, et qu’il a sans cesse besoin de récupérer par son travail l’argent qu’il a dilapidé au casino. Il voyage beaucoup en Europe, ne serait-ce que parce qu’une loi interdit les maisons de jeu en France : il va très souvent en Allemagne, à Bade, Ems, Aix-la-Chapelle, Hambourg ou Wiesbaden, pour assouvir sa passion. Superstitieux, il ne met jamais de numéro 13 dans ses feuillets. Amateur du jeu d’échecs, il fonde en 1836 la première revue échiquéenne Le Palamède, et publie en 1847 un recueil de règles intitulé L'Arbitre des jeux, accompagné de poèmes sur ce thème.

La bataille de Toulouse, ou Un amour espagnol : drame en trois actes, en prose. Michel Lévy, 1858
 

Ses premiers succès viennent du théâtre : La Bataille de Toulouse, écrite en 1836, est un grand succès. Il y aura d’autres pièces : le Fou et le Sage (1852), l'Essai du mariage (1855), sans compter un Théâtre de salon (1861). Il a surtout collaboré dans ce domaine avec Gérard de Nerval. Au début des années 1850, ils ont tous deux besoin d’argent : Nerval est dans la misère, et Mery, comme à son habitude, perd des sommes importantes. Ce va être d’abord Le Charriot d’enfant, puis L’Imagier de Harlem, joués tous deux au théâtre de l’Odéon. Mais après un début encourageant, les deux pièces s’effondrent, et la critique est médiocre, leur reprochant un catalogue de bons mots plutôt qu’un drame.

Ses livrets d’opéra en revanche marchent bien : ce sont ces œuvres qui sont encore pour la plupart rééditées de nos jours : Christophe Colomb (1847) puis Herculanum (1859), musique de Félicien David ; et surtout Don Carlos de Verdi en 1867, ainsi qu’une nouvelle traduction du Sémiramis de Rossini en 1860.
 

La Floride. Impr. de Vialat, 1853
 

Mais c’est son activité romanesque qui va lui permettre de vivre très confortablement. Il connaît bien Delphine de Girardin, qui lui donne une mission : faire regagner du lectorat à La Presse en concurrençant les feuilletons d’Eugène Sue publiés dans le Journal des Débats en 1842-1843. Cela va donner trois romans : Héva (1843), situé dans les Indes, La Floride (1844) qui se passe en Amérique, et La Guerre du Nizam (1847) de nouveau dans la péninsule asiatique. Théophile Gautier précise ainsi les choses : « La seconde réputation de Méry date de cette trilogie de romans Héva, La Guerre du Nizam, la Floride, où les caractères les plus étranges et les plus originaux se meuvent à travers de fantastiques complications d'événements, dans des paysages grandioses, sauvages ou édéniques ». Alors que Méry n’avait jamais vraiment quitté l’Europe. Car selon Jean Galtier Boissière en 1948, « il n’était pas l’homme des voyages accomplis, mais l’homme des voyages rêvés ». Ces romans, reliés assez lâchement par un personnage récurrent, Sir Edward Krebbs, connurent un gros succès et plusieurs rééditions jusque dans les années 1880.
 

Napoléon en Egypte. Bourdin, 1842
 

Mais les voyages eux aussi l’inspirèrent : Scènes de la vie italienne et Un amour dans l’avenir, situés dans la Botte, mais aussi La Comtesse Hortensia, St-Pierre de Rome ou La Juive au Vatican. Son voyage en Angleterre suscite Les Deux enseignes et Une veuve inconsolable. Quant à Paris, il suffit de citer La Circé de Paris, une Conspiration au Louvre ou Un mariage à Paris. D’autres romans voient le jour : comiques comme La Chasse au chastre (1853), d’aventures comme Les Damnés de l’Inde (1858), d’amour comme Debora (1852). Il y a également plusieurs romans criminels : Le Bonnet vert (1830), L'Assassinat (1832) et Salons et souterrains de Paris (1851). Il y a même quelques nouvelles d’anticipation, notamment un récit parfois repris dans des anthologies, Les Ruines de Paris. Il écrit aussi des nouvelles. Un grand nombre n’a jamais été édité en librairie, mais une partie a été publiée sous le titre générique des Nuits. On y trouve des Nuits de Londres (1840), des Nuits italiennes (1853), Nuits d’Orient et Nuits espagnoles (1854), puis des Nuits parisiennes (1855). La plupart sont d’un romantisme exacerbé.
 

Méry : caricature, tête de trois quarts, à gauche : dessin de Nadar
 

Il continue à jouer beaucoup, à perdre beaucoup, à écrire beaucoup. Il va cependant recevoir une pension de Napoléon III. Il meurt le 16 juin 1866, à 69 ans, d’un abcès à la tête. Le Siècle dit dans son éloge funèbre le 19 juin : « Son imagination inépuisable créait les contrées qu'il n'avait pas vues, devinait les mœurs, en peignait les habitants avec une fidélité d'autant plus merveilleuse qu'il la possédait à son insu ». Pour ses contemporains, Joseph Méry était surtout un grand improvisateur, un homme d’esprit à la verve inépuisable. Théophile Gautier, un de ses proches amis, disait : « Ses romans et ses nouvelles sont un perpétuel feu d’artifice d’excentricités, de paradoxes et de bons mots qu’il sème à profusion ». Ou encore : : « Quand il paraissait dans un salon, les plus brillants causeurs se taisaient. Qui eût voulu parler quand Méry était là ! » . Et Alexandre Dumas le saluait ainsi :

« Méry n'est jamais fatigué, Mery n'est jamais à sec. Quand par hasard il ne parle pas, ce n'est point qu'il se repose, c'est tout simplement qu'il écoute ; ce n'est point qu'il soit fatigué, c'est qu'il se tait […] Il est savant comme l'était Nodier ; il est poète comme nous tous ensemble ; il est paresseux comme Figaro, et spirituel ... comme Méry ».

Pour aller plus loin, découvrez une sélection de documents sur les romanciers populaires du XIXe siècle dans le "Gallica vous conseille" qui leur est consacré.