À l’occasion de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, qu’un grave incendie ravagea les 15 et 16 avril 2019, le Musée de Cluny-Musée national du Moyen Âge propose une programmation dédiée à la cathédrale. En parallèle de l’exposition Faire parler les pierres. Sculptures médiévales de Notre-Dame, une exposition intitulée Feuilleter Notre-Dame. Chefs d’œuvre de la bibliothèque médiévale donne à voir une sélection de manuscrits médiévaux provenant de Notre-Dame. Organisée par la BnF dans le cadre du programme « Dans les collections de la BnF », cette exposition se tient du 19 novembre 2024 au 16 mars 2025.
Vue de Paris, Chroniques de Froissart, Flandres, XVe siècle. BnF, Manuscrits, Français 2645, f. 317v
Au Moyen Âge, les livres que possédait Notre-Dame étaient éparpillés au sein de l’édifice et du vaste enclos canonial qui s’étendait tout autour, sur la pointe de l’île de la Cité. La cathédrale disposait d’une bibliothèque capitulaire, accessible dès le XIIIe siècle aux étudiants peu fortunés de la faculté de théologie, mais ce n’était pas le seul lieu de conservation des livres : de nombreux livres liturgiques se trouvaient dans le chœur, les chapelles et le trésor, d’autres dans la maison des enfants de chœur, tandis qu’évêques, chanoines et prêtres jouissaient de bibliothèques propres dans les maisons qu’ils occupaient au sein de l’enclos canonial.
Notre-Dame et l'enclos canonial, Plan de Paris, 1599. BnF, Cartes et plans, GE D-22188
À la fin de l’Ancien Régime, cette bibliothèque était riche d’environ 10 à 12 000 volumes, dont 350 manuscrits médiévaux et modernes. Le chapitre cathédral vendit 301 de ces manuscrits à la Bibliothèque du roi en 1756, ne conservant que les livres du culte qui, à la Révolution, rejoignirent les bibliothèques de l’Arsenal et Mazarine. La numérisation d’un certain nombre de ces manuscrits s’est récemment développée à la faveur du programme ANR « Notre-Dame et son cloître » qui a permis le versement dans Gallica d’une soixantaine de nouveaux manuscrits en provenance de Notre-Dame, ainsi que la création d’une sélection thématique Gallica signalant les ressources sur Notre-Dame conservées à la BnF et dans les bibliothèques partenaires (https://gallica.bnf.fr/html/und/france/notre-dame-de-paris?mode=desktop).
Parmi les caractéristiques notables de la bibliothèque figure la forte proportion de livres de théologie, en raison de la présence à Notre-Dame d’une école de théologie qui s’est distinguée dès le XIIe siècle par la présence de maîtres renommés comme Guillaume de Champeaux, Pierre Abélard ou Pierre Lombard. Ce dernier légua à la cathédrale plusieurs ouvrages, dont son exemplaire personnel des Sentences, somme théologique majeure dont il était lui-même l’auteur.
Professeur et étudiants, in Pierre Lombard, Liber Sententiarum, XIIIe siècle. Bibliothèque municipale de Toulouse, Ms 234, f. 1r.
Si ces ouvrages ont aujourd’hui disparu, le passage de Pierre Lombard à Notre-Dame est documenté par un bel exemplaire de ses Commentaires sur les Epîtres de saint Paul, dont les enluminures ont été exécutées vers 1160-1180 par un talentueux artiste anglais actif à Saint-Victor de Paris :
BnF, Manuscrits, Latin 17246, f. 57r
Les manuscrits de Notre-Dame illustrent également la forte proximité de la cathédrale avec l’université de Paris où certains chanoines de Notre-Dame exerçaient les fonctions de maîtres en théologie, tandis que d’autres étaient diplômés en droit ou en médecine. Nombreux sont les sermons prononcés par des maîtres en théologie comme Jean Halgrin d’Abbeville, ou les œuvres de théologiens, comme Jean Gerson (1363-1429) : ce chanoine de Notre-Dame, considéré comme l’un des premiers humanistes, exerça la prestigieuse charge de chancelier de l’université. Le manuscrit BnF latin 17489, qui renferme une sélection de ses œuvres et porte un ex-libris du XVe siècle de la bibliothèque de Notre-Dame, conserve la mémoire de son activité intellectuelle prolifique :
BnF, Manuscrits, Latin 17489, f. 5 r (ex libris de Notre-Dame de Paris dans le coin sup. droit)
Ces liens étroits entre la cathédrale et l’université n’excluaient pas des relations parfois conflictuelles, comme en témoigne le texte de la condamnation par l’évêque Étienne Tempier de 219 propositions d’inspiration aristotélicienne jugées hérétiques. Datée du 7 mars 1277, cette censure a déclenché une grave crise intellectuelle à l’université et consacré la scission entre raison et foi :
Étienne Tempier, Condemnatio opinionum CCXIX, 1277. BnF, Manuscrits, Latin 17476, f. 185r
Le destin de Notre-Dame était également scellé à celui du royaume, en raison de sa proximité géographique avec les organes du gouvernement et la cour. Par ailleurs, de nombreux chanoines de Notre-Dame exerçaient des charges dans l’administration royale, tandis que les évêques, de par leur position éminente, pouvaient être appelés à s’exprimer sur les affaires politiques de leur temps. Plusieurs manuscrits de Notre-Dame se font l’écho des événements politiques de l’époque, ainsi les manuscrits liturgiques réalisés pour l’évêque Gérard de Montaigu (1409-1420), fervent partisan des Armagnacs qui dut fuir Paris en 1418, alors que la guerre civile faisait rage et que les troupes bourguignonnes envahissaient Paris. Les destinées hasardeuses de ces manuscrits sont à l’image de celles de leur possesseur.
Pontifical à l'usage de Paris exécuté pour Gérard de Montaigu, 1er quart du XVe siècle. BnF, Manuscrits, Latin 961 (1), f. 1r
De même, la copie authentique du procès de réhabilitation de Jeanne d’Arc réalisée pour l’évêque Guillaume Chartier (1447-1472) témoigne de son implication personnelle dans la genèse de ce procès.
Procès de réhabilitation de Jeanne d'Arc, Rouen ?, 1456-1458. BnF, Manuscrits, Latin 17013, f. 1r
Les sources d’enrichissement des collections constituent une autre particularité de la bibliothèque de Notre-Dame : comme nombre d’autres bibliothèques capitulaires, celle-ci a considérablement bénéficié des largesses des dignitaires de la cathédrale, dont les registres des décisions capitulaires mentionnent les nombreux dons ou legs de livres. Loin de se limiter à la période médiévale, ces largesses se sont poursuivies sous l’Ancien Régime, avec la donation exceptionnelle d’une centaine de manuscrits médiévaux par le chanoine et chantre Claude Joly (1607-1700). Celui-ci avait hérité de la bibliothèque de son grand-père Antoine Loisel, célèbre humaniste qui a passé sa vie à collecter des manuscrits anciens pour leur valeur littéraire, artistique et bibliophilique, comme en témoigne un exemplaire de l’Histoire des Francs de Grégoire de Tours, du commencement du VIIIe siècle :
BnF, Manuscrits, Latin 17654, f. 21v
ou ce livre d’Evangiles rémois carolingien :
BnF, Manuscrits, Latin 17968, f. 15v (l'évangéliste Matthieu)
Claude Joly lui-même a complété cette bibliothèque savante par la collecte de quelques pépites bibliophiliques, tel le plus ancien témoin de la Cité des Dames de Christine de Pisan :
Christine de Pisan, La Cité des Dames, vers 1405. BnF, Manuscrits, Français 24293, f. 7r
Cette exposition est enfin l’occasion de présenter pour la première fois au public deux nouveaux témoins manuscrits provenant de Notre-Dame. Jusqu’alors inédits, ces documents ont été acquis par la BnF en 2022 et 2023. Il s’agit d’un missel des environs de 1400 et d’un rituel du second quart du XVIe siècle :
Missel à l'usage de Paris, vers 1400-1410. BnF, Manuscrits, NAL 3264, f. 1r
Rituel à l'usage de Paris, second quart du XVIe siècle. BnF, Manuscrits, NAL 3262, f. 52r
Pour aller plus loin:
Sélection thématique Gallica sur Notre-Dame
Édition des registres capitulaires de Notre-Dame : https://endp.chartes.psl.eu/
Notre-Dame de Paris, 1163-2013 : actes du colloque scientifique tenu au collège des Bernardins, à Paris, du 12 au 15 décembre 2012, organisé par Véronique Julerot, P. Patrice Sicard, P. Gérard Pelletier... [et al.] ; actes réunis par Cédric Giraud. Turnhout, Brepols, 2013
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