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Le fakir au music-hall

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13 juillet 2022

Tahra-Bey, Ben Aga, Linga Singh ou Blacaman, autant de fakirs oubliés, qui, au plus fort des années 1920-1930, ont joui d’une certaine célébrité sur la scène music-hall. Ce troisième billet propose un répertoire de leurs tours les plus fameux, témoins de la rencontre entre fumisterie pseudo-indienne et prestidigitation occidentale.

A. Crozière, "Dudule est verni", L’Épatant, n° 1495, 25 mars 1937, p. 16

Legrand-Chabrier, "Pistes et plateaux", La Presse, n° 3883, 1er octobre 1925, p. 2

Insensibilité à la douleur, avec ou sans effusion de sang

Si le tour de la planche à clous, qui consiste à s’allonger sur une planche sertie de pics tranchants, est le plus connu de tous, il n’est pas la seule démonstration d’insensibilité à la douleur que les fakirs se plaisent à reproduire sur scène.

"Le fakir Tahra-Bey sur la planche à clous", Le Grand Echo du Nord de la France, n° 349, 14 décembre 1928, p. 1

Ainsi, le bonimenteur, en supplicié volontaire, se laisse déposer des charbons ardents ou tessons de verre à même le dos, plante des épingles au travers de ses joues ou sur le bout de ses doigts, fait briser une lourde pierre posée sur son ventre sans faire la moindre grimace, ou grimpe le long d’une échelle de sabres. Scarah-Bey, tout particulièrement, propose au public de planter des banderilles ou de tirer sur lui à l’aide d’un pistolet à air comprimé. Le fakir de Valence avale, de son côté, des lames de rasoir. Aucune magie derrière cette apparente invulnérabilité : une solution composée de savon et d’alun sur la peau ou un coussin sur les parties intimes empêchent d’être transpercé, tout comme le permet un ingénieux travail sur la répartition du poids du corps ; tandis qu’un enduit d’alun et de sulfate de zinc sur les pieds prévient les meurtrissures des lames, quand ce n’est pas le verre lui-même qui est truqué.

"Les expériences du fakir Tahra-Bey", Excelsior, n° 5338, 24 juillet 1925, p. 6

À la Gaîté-Rochechouart, le "Fakir blanc" Brahma se fait rouler dans un tonneau rempli de bris de verre, au Castans Panoptikum, Habu parvient à soulever à la seule force de sa langue un tonneau de bière, tandis que Terano tracte une voiture par ce même muscle.

"Le fakir a la langue solide", Ce soir, n° 2910, 23 février 1951, p. 6

L’enterré vivant

Un autre prodige fakirique, celui de l’enterré vivant, s’inspire directement des récits de voyage qui voudraient qu’un initié soit capable de se plonger en catalepsie, rigidité parfaite, et en anabiose, suspension des facultés vitales qui permet à son corps de vivre plusieurs jours, semaines ou mois, reclus dans un cercueil.

"Un homme a été enterré vivant sur la plage de Cannes", V, n° 76-77, 17 mars 1946, p. 2-3

Tahra-Bey et Bénévol au théâtre des Champs-Élysées, Yo-Ming au Sainville-Palace, ainsi qu’Hassam-Bey aux Folies-Bergères et Harry Pisler au Casino de la Renaissance, mettent en scène leur ensevelissement dans une caisse recouverte de sable, entre dix et trente minutes, parfois plusieurs jours dans le cas du Fakir Tokah. D’autres, comme Burmah, iront jusqu’à se glisser dans un cercueil de verre, rempli de vipères. L’un des moyens les plus usités pour ne pas s’étouffer est de rabattre sur le visage les pans du burnous, dans lequel aura été préalablement dissimulé un tube d’oxygène.

"La Tournée Bénévol au Palace", L’Appel au peuple de la Charente, sans numéro, 24 décembre 1927, p. 2

C’est en exécutant ce tour que le célèbre Blacaman aurait trouvé la mort par suffocation en 1929, nouvelle démentie par un mystérieux télégramme qui le dit encore vivant…

"Un fakir meurt au cours d’une expérience", L’Afrique du Nord illustrée, n° 440, 5 octobre 1929, p. 3

Rahman-Bey a voulu pousser le prodige plus loin encore et a été immergé dans le fleuve de l’Hudson à New-York, dans un cercueil hermétique. Au bout d’une vingtaine de minutes, la sonnette d’alarme retentit et les assistants ramènent le fakir sur terre, lequel nie avoir actionné le bouton. Amusé par la mauvaise foi du fumiste, l’illusionniste Harry Houdini, spécialiste des évasions impossibles, reproduit le tour pendant une heure et demie cette fois, fier d’affirmer qu’il a percé à jour le secret de cette supercherie.

"À New-York, une curieuse expérience réalisée par un fakir enfermé sous l’eau pendant 21 minutes", Dimanche illustré, n° 179, 1er août 1926, p. 1

Lévitation et corde hindoue

S’inspirant de la faculté hindoue de lévitation, tout comme des spéculations métapsychiques sur le sujet, plusieurs fakirs donnent à voir lévitation d’objets sans contact ou ascension d’un corps. Les fakirs de pacotilles reproduisent ainsi un tour particulièrement célèbre de Robert Houdin, la "lévitation éthéréenne", qui repose sur la présence d’un corselet rigide qui maintient le corps de l’assistant à l’horizontale. Nouvelle démonstration de lévitation, le tour de la corde hindoue consiste à faire léviter, droite dans les airs, une corde à laquelle grimpe un assistant du fakir.

"Le truc du fakir ", Le Journal du dimanche, n° 3228, 19 avril 1903, p. 5

Accélération de la croissance

Plusieurs fakirs à la française reprennent à leur compte le prodige de la végétation hâtive, croissance accélérée du vivant attribuée aux fakirs indiens, voire même reviviscence d’animaux morts. Blacaman, notamment, fait pousser une fleur sur son abdomen, d’autres font éclore des œufs de poisson ou d’oiseau à une vitesse hallucinante.

"Les sardines étaient vivantes !", Guignol, n° 38, 22 septembre 1935, p. 43

Distribution de talismans

À la fin de ses représentations, Tahra-Bey lance des talismans dans la foule (ou mieux, les vend pour une coquette somme) censés porter chance, car imprégnés de sa "force fluidique" ou de quelques émanations radioactives dans le cas d’Hassam-Bey. Ils se présentent le plus souvent sous la forme de morceaux de parchemin, portant des formules incantatoires. Certains théâtres, comme celui des Champs-Élysées, est forcé de mettre en place un service d’ordre pour éviter les bousculades lors de la distribution et des infirmières attendent ceux et celles qui s’évanouiraient, sous le coup de l’émotion, alors que Tahra-Bey passe dans les rangs pour montrer ses blessures.

Encart publicitaire, La Dépêche algérienne, n° 14.990, 25 août 1926, p. 2

Mentalisme

Plusieurs fakirs, comme Polmann, se lancent dans le mentalisme, propre aux illusionnistes occidentaux et proposent aux spectateurs de lire dans leurs pensées en utilisant un tour de passe-passe, un microphone caché ou un langage codé avec un complice. Le Fakir Witry, dont la silhouette christique impressionne beaucoup la presse, se veut plus comique que ses confrères. Sur les scènes du Casino Music-Hall et de l’Alhambra, il suggestionne les spectateurs et parvient à leur faire exécuter, sur commande, les pires pitreries. Le Fakir Birman, quant à lui, se vante d’être à la fois voyant et astrologue, capable de transmission de pensées, autant que de voir l’avenir.

Transmission de la pensée", La Jeunesse illustrée, n° 1327, 10 mars 1929, p. 7

Hypnose des poules et des lapins

De nombreux fakirs plongent aussi poules et lapins en transe somnambulique. Blacaman, au Cirque de Paris, joue aux "fascinateur de fauves". Il endort d’un seul regard des crocodiles et parvient à calmer les lions les plus féroces. Son pendant féminin, Koringa, "première femme-fakir" qui se produit au cirque Medrano, est elle-aussi une adepte des reptiles.

Anonyme, "La Noce et le Fakir", Comœdia, n° 7288, 22 janvier 1933, p. 1

Preuve que ce florilège de tours marque encore les imaginaires, ils sont régulièrement détournés par la culture populaire, qui en dégage la charge comique, aussi bien qu’érotique.

J. David, "Au pays de la magie", V, n° 108, 27 octobre 1946, p. 14

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