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Guéridons galants (4/4)

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28 janvier 2021

A l'heure des gestes barrières, abordons les séances de spiritisme de la fin du 19e et du début 20e s. sous un angle bien spécifique : le CONTACT PHYSIQUE ! Dans ce dernier épisode, nous verrons comment les compatibilités (ou incompatibilités) amoureuses se décident à l’épreuve des tables ou chapeaux tournants et comment l’obscurité des séances peut faire descendre des « langues de feu » pas si « immatérielles »…
 

La Lanterne : journal politique quotidien. Le Supplément, 31 octobre 1905

 

L'engouement du milieu du 19ème siècle pour les tables tournantes puis pour le spiritisme devient le sujet de nombreux articles satiriques et de fictions plaisantes publiés dans les grands titres de la presse nationale. Il s’agit souvent pour les auteurs de faire de l’esprit et de déclencher le rire de leurs lecteurs : sous-entendus galants, mises en scène piquantes et jeux licencieux sur l'ambivalence des mots sont, dans ce cadre, des procédés fort efficaces... 
 

Des séances prétextes à des jeux amoureux ?

 

L’un des premiers journalistes à porter un regard amusé sur le phénomène (Eugène Guinot dans le numéro du 15 mai 1853 du Pays, journal de l'Empire) explique l’attrait de ses contemporains pour les tables tournantes par l’excitation charnelle et sentimentale que les séances procurent :

 

Les compatibilités (ou incompatibilités) amoureuses se décideraient à l’épreuve des tables ou chapeaux tournants :

« […] sous de trompeuses apparences, M. et Mme *** cachaient une mutuelle incompatibilité de cœur. A eux deux, le mari et la femme n’ont jamais pu parvenir à faire tourner un chapeau. Il y a peut-être tout un roman futur dans l’immobile entêtement de ce chapeau révélateur. »

Le malicieux journaliste poursuit sur le même ton dans son article « Revue de Paris » : le jeune homme, qu'il met ensuite en scène, aborde « au jardin des Tuileries » « deux jeunes dames assises dans l’allée la plus fréquentée » et demande à l’une puis à l’autre inconnue de lui confier ses mains pour essayer de faire tourner ensemble son chapeau. L'ingénieux séducteur déclare, dans son phrasé élégant, la première expérience avec la dame brune insatisfaisante : le chapeau aurait mis plus de quarante minutes avant de tourner... insuccès tout relatif, lui fournissant le prétexte idéal pour essayer avec la seconde, la blonde... Le chapeau ayant réagi plus rapidement, notre jeune homme a l'à-propos d'ajouter, pour finir de remporter l'adhésion de la seconde jeune dame :

« l’expérience ne réussit promptement que si elle est faite par deux personnes unies par le lien d’une affection sympathique. »

La suite nous dira ce qu’il advient de nos deux jeunes gens…

Le même schéma narratif avec d’un côté une femme crédule et de l’autre un séducteur roué qui instrumentalise ses vagues connaissances du spiritisme à des fins toutes prédatoires est également au cœur de l’histoire courte d’Henri Falk : « Un cas de matérialisation »  (Le Journal amusant, 21 février 1926).

 

Séjournant avec d’autres invités dans la villa d’un couple féru de spiritisme, le narrateur, Jules Biby, n’apprécie les longues séances d’évocation des esprits que parce qu’elles lui permettent de se rapprocher de la jolie Mirette à la « nuque ambrée » :

« Dès qu’il s’agissait de faire tourner une table je m’asseyais à côté de Mirette, pour pouvoir appuyer mon petit doigt sur son pouce. »

Sceptique et très ennuyé par la lenteur des protocoles de communication avec les esprits (décompte des coups frappés par la table et traduction alphabétique), seul le contact avec l’attentive et naïve apprentie spirite le fait tenir bon :

«  Vous ne sauriez imaginer le temps qu’il faut pour épeler, de la sorte, certains mots courts : c’est ainsi que les trois lettres de « zut » nécessitent soixante-trois coups. Heureusement le pouce de Mirette égayait mon auriculaire. »

Mais au bout de quelques soirées, toucher les pouces de la jeune femme sera une bien maigre consolation. De plus téméraires projets de rapprochement naîtront rapidement dans l'esprit du narrateur. Et citer deux théoriciens du spiritisme comme de Rochas et Boirac lui sera fort utile pour parvenir à ses fins. Un lecteur curieux trouvera ici la suite, un peu leste, de l’histoire. Mais aura aussi quelques doutes sur la naïveté initiale de Mirette…

Ce schéma traditionnel de l'homme initiateur - et corrupteur astucieux - est complètement inversé dans le poème proposé par Georges Docquois en 1912 aux lecteurs du journal humoristique Le Sourire : le personnage féminin séduit très activement un « sceptique notoire »  en mimant une médium. Vocabulaires et protocoles spirites sont alors détournés de leur usage pour donner naissance à un dialogue prénuptial tissé de doubles sens :

 

Les dessinateurs de presse et caricaturistes ne sont pas non plus en reste pour égayer leurs publics en leur offrant des mises en scène galantes inspirées de la vogue du spiritisme et dont les légendes se jouent également de l’ambivalence des mots, comme en témoigne ci-dessous le dessin humoristique d’Albert Guillaume (1873-1942) :

 

LEGENDE :
"Monsieur.  J'ai parfaitement entendu des craquements et senti comme une langue de feu...
Madame.  Tiens, c'est extraordinaire, moi aussi..."

Ce motif de la femme, du mari, de l’amant … et du guéridon n'est pas rare dans la presse de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle. La concomitance de la vogue des tables tournantes et du vaudeville explique sûrement ce télescopage humoristique, parfois singulièrement grivois, qui fait se rencontrer pratiques spirites et adultère. Le plus étonnant est que les journaux récréatifs et légers n’ont pas le monopole de cette superposition thématique. Si le Journal amusant est familier du motif, avec par exemple son « Cocu Magnétique » de José de Bérys, des titres plus sérieux comme Le Figaro l'utilisent également : Emile Blavet met ainsi en scène en 1869 une bien curieuse histoire de cachemire magnétisé qui ravit tout aussi bien l’épouse, l’époux et l’ « ami charmant adoré de sa femme ».

 

Au terme de notre parcours sur le spiritisme au prisme du toucher, quittons les sceptiques railleurs des jeux de l’amour et du guéridon pour laisser s'exprimer une lectrice du journal La Séduction. Sa question envoyée, vraisemblablement en 1936, à la rédaction parisienne de l’hebdomadaire au 30 rue Saint-Lazare s’adresse au Professeur Swastis, responsable de la rubrique  « La Colonne du Mystère » du même journal :

« J’ai l’habitude avec mon amant, d’interroger les esprits, en les évoquant grâce à la table tournante. On me dit que cette pratique est à déconseiller. Qu’en pensez-vous ? »

Mis en lumière par le Petit Journal illustré pour ses prophéties relatives à 1927 et 1928, aux côtés de la voyante Mme Fraya et du fakir Fhakya-Khan, et auteur du livre Les Songes ne sont pas des mensonges, le professeur Swastis, tour à tour présenté comme « mage » puis « maître de l’astrologie contemporaine », alimente en effet la chronique dédiée à l'occultisme dans l’hebdomadaire La Séduction de mai 1935 à décembre 1938.

 

Le sujet n’est cette fois pas pris à la légère ! Dans son article du 25 janvier 1936 intitulé « Amours et tables tournantes », le professeur répond avec gravité à la question reçue et, tout en se souciant de ne pas froisser ses confrères spirites, fait passer à ses lecteurs toute envie de caresser la robe des fantômes - tout particulièrement aux amants qui du guéridon doivent se tenir … à DISTANCE !

 

Pour consulter les billets précédents, c'est ici :

 

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