Le Blog
Gallica
La Bibliothèque numérique
de la BnF et de ses partenaires

Marthe Hanau, la banquière des Années folles

2
8 avril 2021

Femme, lesbienne, issue de la classe moyenne, rien ne prédestinait Marthe Hanau à s’imposer dans la finance et la presse, portée par l’euphorie des Années folles. Son parcours exceptionnel se brise net à la fin des années 1920.

Marthe Hanau sort du juge d'instruction en décembre 1928

L’ascension d’une femme opposée aux conventions

Fille de commerçants parisiens, Marthe Hanau s’oppose très tôt à sa mère et à l’ordre établi. Elle fume en public, conduit des voitures, s’affiche avec des femmes. Cela la conduit à un mariage arrangé avec Lazare Bloch, fils d’un industriel du Nord.
S’ils vivent séparés dès 1910, ils restent proches. Lazare Bloch perd sa dot au jeu, mais initie Marthe au monde des affaires et l’entraîne dans ses multiples projets. En 1917, l’affaire du « bâton du soldat », faux succédané de café, les entraîne devant le tribunal correctionnel : ils sont condamnés. Soucieuse de sa réputation, Marthe choisit de divorcer officiellement car Lazare est plus impliqué qu’elle dans l’affaire.  

Elle développe diverses affaires dans la parfumerie et le textile avec Lazare dans son sillage, grâce à l’argent de sa maîtresse Delphine (« Josèphe »), fille d’un riche négociant.
Cet enrichissement lui permet de se tourner vers la finance. A la sortie de la Première Guerre mondiale, l’inflation galopante et la perte de rendement des investissements traditionnels (obligations, loyers) poussent les épargnants à se tourner vers la Bourse. Ils y sont déterminants car les investisseurs institutionnels n’ont pas encore un rôle central.

Fine observatrice du monde qui l’entoure, Marthe Hanau investit le milieu très masculin de la finance. Déguisée en homme, elle fréquente la corbeille de la Bourse interdite aux femmes. Elle apprend les codes et les astuces de ce milieu, en fréquentant les agents de change, commis, remisiers dans les restaurants autour du Palais Brongniart. 

Corbeille de la Bourse, 1924 (Agence Rol)
 

Marthe Hanau, patronne de presse financière

Forte de cette expérience, elle investit un autre secteur porteur : la presse. Elle élabore la Gazette du Franc en 1925 avec sa formule « La France a été victorieuse ! Pourquoi le franc serait-il vaincu ? ».

Marthe Hanau déclare vouloir conseiller les petits épargnants investissant en bourse et défendre le franc. Sa valeur ayant été divisée par 10 entre le début de la Première Guerre mondiale et 1926, c’est une préoccupation nationale, notamment des gouvernements Poincaré dans les années 1920.

Pour sa Gazette du Franc, Marthe Hanau choisit des collaborateurs rassurants pour l’opinion : un rédacteur en chef ancien combattant conservateur et le comte de Courville, polytechnicien et administrateur des mines du Creusot, avec toujours Lazare Bloch dans l’ombre.

Le succès de ses conseils financiers lui permet de créer un regroupement de syndicats d’actionnaires, qui existent alors aux Etats-Unis mais pas en France. Ce « Groupement technique de gérance financière » lui permet d’influer sur le cours de la Bourse et de faire des coups d’éclat qui lui apportent toujours plus de fonds. Elle promet aux actionnaires rejoignant le « Groupement » des intérêts à 8% alors que l’épargne n’est rémunérée qu’à 1,5%. Dans les faits, il s’agit d’un montage financier frauduleux dit « système de Ponzi », du nom de cet Américain devenu millionnaire en 6 mois (1920) : les importants intérêts versés sont financés par les dépôts des nouveaux actionnaires.

La manipulation des cours est aussi permise par sa nébuleuse de sociétés qui s’achètent des actions entre elles et peuvent faire monter ou descendre les cours. Cette influence est appuyée par les épargnants qui suivent les conseils donnés dans la Gazette du franc.
 

Une figure incontournable des Années folles

Connue du Tout-Paris, elle est de toutes les fêtes des Années folles, notamment au Bœuf sur le toitCocteau, Picasso, se pressent parmi tout ce que Paris compte d’écrivains, d’hommes d’affaires au rythme du shimmy et du charleston, « sonorités les plus extasiantes, tonalités les plus décervelantes ».
Elle reprend le travail dès l’aube et profite de la croissance économique des années 1920. Marthe Hanau achète un hôtel particulier près du bois de Boulogne, roule à toute allure en voiture de luxe, et aux beaux-jours, va à Deauville où elle perd en une soirée 200 000 francs au baccara.

Rien ne semblant lui résister, Marthe Hanau développe sans cesse son entreprise. Pour trouver toujours plus d’actionnaires prêts à investir afin de continuer à verser des intérêts importants, elle bâtit un réseau de courtiers et de succursales en province et hors de la métropole. Certains épargnants ne veulent pas verser de l’argent mais des actions. La Gazette du franc joue alors le rôle de banquier et revend discrètement les actions.  

En 1928, elle achète des bureaux de prestige rue de Provence. Marthe crée un deuxième journal, la Gazette des Nations. Dirigée par Pierre Audibert, celle-ci cherche à défendre la paix dans le monde.
 


Les locaux de Marthe Hanau rue de Provence,
où se trouvent alors 450 autres établissements de crédit, plus ou moins importants.
 

Marthe Hanau attaquée dans la presse

La réussite éclatante de cette femme, juive, lesbienne, brillante, à la solide répartie, au train de vie luxueux et non issue du monde de la finance agace fortement.

Les banquiers d’une part, comme le puissant Horace Finaly, se lassent de la communication efficace de Marthe. Elle martèle ses messages. Pourquoi les banquiers rétribuent-ils à 1,5% les épargnants alors qu’ils prêtent à l’Allemagne à 8 ou 12 % ? Alors qu’elle donne 8% (minimum) d’intérêts aux épargnants français qui lui font confiance ?
D’autre part, les politiciens, très proches des intérêts économiques, se méfient de l’intérêt de Marthe pour la politique.
Enfin, elle irrite une partie de la presse. Marthe Hanau lance l’agence Interpresse pour fournir des pages financières à des journaux comme Le Quotidien ou La Dépêche de Toulouse, ce qui pousse l’agence concurrente Havas à enquêter contre elle.

Le Tout-Paris bruisse de rumeurs qui vont être relayées dans la presse. Filtrent d’abord des allusions à ses « mœurs douteuses ». Georges Anquetil, licencié par Marthe qui a refusé son chantage, lance les premières piques dans son journal La Rumeur. Les attaques dans la presse sont ensuite virulentes. Mille surnoms lui sont donnés : la Présidente, la Walkyrie du hors-cote, le Messie du bas de laine.

Son ascendance juive est mise en avant. Elle est accusée d’être proche des Soviétiques et des Allemands, elle qui est issue d’une famille ayant quitté l’Alsace après 1870. Une partie de la presse reflète les thèmes qui se développeront dans les années 1930 : antisémitisme, xénophobie, dénonciation de la collusion entre intérêts politiques et financiers.
 

Poincaré, alors aux commandes d’un gouvernement perpétuellement menacé par l’instabilité parlementaire de l’époque, prend peur. N’a-t-il pas fait paraître une lettre dans la Gazette du franc ? Il s’agit de frapper fort pour couper tout lien avec Marthe Hanau, d’autant plus qu’elle est proche de ses adversaires politiques radicaux comme Aristide Briand.
 

Marthe Hanau accusée d’escroquerie et d’abus de confiance

Le 4 décembre 1928, Marthe Hanau est emprisonnée pour escroquerie et abus de confiance. L’enquête est directement contrôlée par le Garde des Sceaux, un juge d’instruction intransigeant est nommé. La presse va commenter inlassablement les rebondissements de l’affaire, avec plus ou moins d'objectivité. Les dialogues des confrontations sont parfois relayés comme dans La Dépêche de Brest en 1929.

Marthe Hanau se défend avec énergie et sens du spectacle, consciente de l’essor du rôle des journaux et de l’importance de la réputation dans la finance. Elle se pose en victime de banquiers concurrents. Ses bons mots sont relayés dans une presse les interprétant en sa faveur ou contre elle et ses tribulations suivies avec attention. Son passé et sa vie sont relatés en détails, dans diverses langues.

Elle porte plainte mais son dossier disparaît du bureau du substitut.

En 1930, suite au refus de sa mise en liberté, elle entame une grève de la faim. Transférée à l’hôpital, elle est violemment nourrie de force. Marthe Hanau s’évade, prend un taxi qui la reconduit à … la prison. Lors de son procès, elle est condamnée à 2 ans d’emprisonnement mais dénonce un dossier vide. Si l’escroquerie de Marthe est réelle, à l’époque les délits financiers ne sont pas aussi encadrés par la législation et on déterre des articles de loi désuets contre « les manœuvres de baisse à la Bourse qui portent préjudice à l’épargne publique ». Elle fait appel.

Libérée, elle rembourse une partie des épargnants du Groupement mais subit un grave accident de voiture qui la brise. Elle publie « sa vérité sur l’Affaire » et lance des journaux qui relaient sa défense : Forces et Ecoutez-moi. Son procès en appel porte sa peine à 3 ans. 

 

Marthe Hanau a perdu de sa superbe. Elle se suicide en 1935, à quelques jours de sa remise en liberté. Ses nécrologies fleurissent dans la presse, du Monde illustré au Petit Marocain en passant par Le Peuple (CGT).

 

« J’ai la nausée de l’argent, de cet argent qui m’écrasa. […] Je ne regrette pas de leur avoir jeté tous ces millions que je pouvais, à leur manière, garder, et je ne regrette pas d’en avoir tant distribué à des félons et à des renégats… » Lettre trouvée à ses côtés à sa mort.

 

Pour aller plus loin : 

Dans notre série, « Les femmes entrepreneuses », découvrez les parcours des patronnes dans l’industrie lourde, dans le champagne, dans le commerce ou le livre et le textile.

Billet rédigé dans le cadre du Forum Génération Egalité
Voir tous les billets de la série

 

Commentaires

Soumis par Edwige le 11/04/2021

Passionnants ces articles liant diverses personnalités du passé et documents historiques.
Bravo aux auteurs pour ce beau travail de vulgarisation historique.

Soumis par pouillart le 12/04/2021

Bonjour,

Cela me fait penser au film " la banquière " avec Romy Schneider.
Transaction sur commerce des diamants, placements mirobolants en France ou à l'étranger, bitcoins.
l'appât du gain fait tourner la tete des gens.

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.