Le Blog
Gallica
La Bibliothèque numérique
de la BnF et de ses partenaires

Michel Jaffrennou, un artiste hypermédia

1
12 juillet 2018

Connu pour ses inventions scéniques, Michel Jaffrennou est aussi considéré comme un pionnier de l’art vidéo en France. Il n’a eu de cesse de se saisir de toutes les nouveautés technologiques qui s’offriront à lui d’où son parcours hybride. Travelling sur les grandes étapes de son œuvre grâce aux archives que l’artiste a choisi de confier à la BnF et à l’occasion de l’exposition « Michel Jaffrennou. Jouer avec la vidéo ».
 

Après un passage aux Beaux-arts d’Angers, Michel Jaffrennou arrive à Paris en 1962. Il a 19 ans et rêve alors de devenir peintre à l’image de Modigliani.

De fructueuses rencontres

Il fait la connaissance de Christian Zeimert peintre « calembourgeois » de 10 ans son aîné qui va l’introduire dans les coulisses de l’Opéra. C’est là qu’assistant, il prend goût aux spectacles et devient avant l’heure, par la manipulation de matériaux divers et variés un artiste « multimédia ».
Il découvre la musique de Stockhausen, le théâtre de Ionesco et fait la rencontre de Jean-Louis Barrault qui le met en relation avec Isidore Isou, le fondateur du lettrisme.
De 1963 à 1971, Michel Jaffrennou fait partie de ce mouvement en pleine effervescence.
Apparu en 1945, la création s’y veut interdisciplinaire et entend faire de toute substance artistique un usage inédit.
Réunions, représentations publiques, expositions collectives se succèdent et marqueront profondément le travail de Jaffrennou, bien après qu’il aura quitté le mouvement.
 

Michel Jaffrennou poursuit ses performances et environnements notamment à la galerie de Rudolf Stadler qui lui ouvre largement ses portes et lui donne l’occasion de présenter entre autres «Michel Jaffrennou en labyrinthe ».
 
Il fait la rencontre de Patrick Bousquet. Ce dernier réalise déjà de petits films Super 8 avec Christophe de Ponfilly. Il filme notamment « Le moi des uns et des autres » avec Michel Jaffrennou en vedette.
Des soirées de cinéma expérimental croisé avec des performances sont organisées sur les bateaux-mouches de Jean Bruel. C’est à cette occasion que Jaffrennou découvre par hasard  une caméra portable dans un placard…
C'est en effet, à la fin des années 1960 qu'apparaissent les premiers ensembles portables formés d'un magnétoscope et d'une caméra. D’abord commercialisées aux Etats-Unis, les premières caméras Portapak arrivent en France au début des années 70.
 
Afin d’offrir une scène aux nouvelles formes d’expression ouvertes par la vidéo, Michel Jaffrennou, Patrick Bousquet et Jean-Michel Champelovier créent Vidéo ABI. Un lieu où ils organisent régulièrement des soirées thématiques.
 
 

Vidéothéâtrie

Elaboré d’après diverses expériences en galeries, la « théâtrie » prend tout d’abord la forme d’environnements où les visiteurs se trouvent régisseur de leur propre labyrinthe. La théâtrie est ensuite une série de performances. Avec le circuit fermé caméra-téléviseur et ses effets de retour instantanés, elle devient « vidéothéâtrie ».
Elle prend également la forme de stages menés par Michel Jaffrennou et Patrick Bousquet, avant de devenir un spectacle de 55 minutes, « Les Toto-logiques ».
 
 

Le théâtre n’y est pas exactement théâtre et la vidéo n’y est pas tout à fait vidéo. L’acteur y est aussi bien lui-même qu’un autre tout comme la vidéo y joue le rôle  d’acteur à part entière.
La frontière entre ce qui est et ce qui n’est pas devient floue. Pourtant le dispositif mis en œuvre pour créer l’illusion n’est jamais caché au spectateur qui sait pertinemment que ce qui est en train de se passer n’est qu’une supercherie à laquelle il choisit de croire gaiement. 
Avec les Toto-logiques que Michel Jaffrennou commencent ces premiers jeux de synchronisation.

Vidéosculpture

A la Galerie Stadler en 1980, Michel Jaffrennou avait réalisé une série de 30 planches-projets utilisant de manière inhabituelle des postes de télévision. Dans cette suite, baptisé « Pièces de Musée », il était déjà question de sculptures vidéo.
 

La synchronisation des images balbutiante va permettre à Michel Jaffrennou de concevoir et de réaliser une « vidéosculpture » qui voyagera partout dans le monde : « Le plein d’plumes ».
C’est Jean-Pierre Six, technicien du Centre George Pompidou, qui réalise pour Michel Jaffrennou une première  « boîte noire » permettant de synchroniser les images. D’abord prévu pour piloter 2 lecteurs,  ce système ne cessera d’être amélioré.
 

 

L’art vidéo fait son entrée dans les tubes cathodiques

Dans les années 80, sur les écrans de télévision de nouveaux interludes jaillissent de toutes parts. Conçus comme de petits films courts, ils sont gais, pleins d’humour, absurdes voir délirants.
Si déjà Les Toto-logiques ont pu être réalisées pour le petit écran en 1981, Jaffrennou n’en reste pas là.

L’incrustation

A l’instar de Christophe Averty, Michel Jaffrennou va se saisir du procédé de l’incrustation et faire émerger cette ambivalence de la vidéo, à la fois médium et matière.
Il en fait une première démonstration en 1982 avec Vidéoflashs.

Photographies d'écran mettant en scène Patrick Bousquet dans Vidéoflashs
 

Il en tira également partie avec la réalisation de son fameux Électronique vidéo circus, que ce soit pour la conception des vidéos mises en scène pour le spectacle que pour son adaptation (Circus) à la télévision.

Pour répondre plus particulièrement à une demande télévisuelle de formats courts, Michel Jaffrennou va concevoir en 1986 en 4 mois les story-boards du magicien Jim Tracking.
Sur Canal +, Le personnage apparaîtra  6 fois par jour en clair et en crypté. Il prend vie à travers 60 émissions de 25 secondes chacune. C’est Alain Burosse, le producteur des programmes courts de la chaîne cryptée qui donne le feu vert  pour la réalisation du projet.
La naissance de Jim Tracking reste le fruit d’une rencontre amoureuse entre Michel Jaffrennou et la palette graphique PaintBox, un jouet américain plutôt rare à l’époque. Pensés avant et placés après, les éléments de jeux vont être traités sur la palette graphique puis placés dans l’image avec l’aide d’un matériel digital.

Mis en images comme une bande dessinée, les story-boards de Jaffrennou sont d’une grande efficacité graphique. L’artiste y apporte un soin tout particulier car ce sont eux qui vont porter le projet et en garantir la réussite.

Ce spot baptisé « J’ai une tête qui me revient » est une référence directe au film de Méliés, "L'Homme à la tête en caoutchouc".

 

L’intelligence artificielle entre dans le monde du spectacle...

Michel Jaffrennou devient le spécialiste du mariage réussi des arts de la scène et de la vidéo.
Vidéopérette, spectacle de 1989 coproduit par Canal +, Ex Nihilo et la Grande Halle de La Vilette, le confirme.
Ultime mise en scène faisant appel à des moniteurs télévisés (pièce pour un acteur, 70 comédiens vidéo, 6 écrans géants, 9 moniteurs vidéo et 12 magnétoscopes synchronisés) Vidéopérette va disposer de moyens bien plus importants que tous les autres.
La musique diffusée en son spacialisé a été écrite par six compositeurs contemporains réunis par Gérard Chiron.
Le mélange de paroles, de musiques, d’image vidéo et de tirades d’acteur qui éclate sur scène, nécessite une précision au vingt-cinquième de secondes. Seule un système expert peut assurer une telle synchronisation.
Ce système expert est créé à partir du générateur Néxus, lui-même développé par Mind soft, une société spécialisée dans l’intelligence artificielle. Pendant toute la durée du spectacle il ne semble plus y avoir de frontière entre technique et art.
Vidéopérette donnera lieu à une programmation conçu pour la télévision sous forme d’une émission de 52 minutes, TVidéopérette ainsi qu’un coffret aux Éditions multimédias du Ministère des Affaires étrangères. C’est avec Vidéopérette que l'usage de la palette graphique va atteindre son paroxysme. pour devenir une véritable superposition de citations.

 

Arrivée de l’image de synthèse

Michel Jaffrennou va ainsi réaliser de nombreux programmes de télévision avec Ex Nihilo et plus particulièrement avec Patrick Sobelman.
En 1995, il est contacté par Carole Solive qui travaille alors pour CAPA production. Elle souhaite créer une série de contes musicaux à commencer par Pierre et le Loup. Bien qu’ignorant tous des outils de la 3D naissants, Michel Jaffrennou accepte cette première réalisation.
Pierre et le Loup sera le premier film d’animation français entièrement réalisé en mélangeant images de synthèse (pour les décors et les animaux) et images en prises de vues réelles (pour les personnages).  
Sparx, premier studio français d’animation, voit le jour avec ce projet dont la réalisation durera 2 ans.
 

Arrivée d’internet

En 2000, Michel Jaffrennou a l’idée de créer une marionnette numérique Diguiden. Aidé de Marc Marchand il va réaliser sa première scénographie numérique directement inspirée de l’univers d’Internet du moment.
Les possibilités de l’informatique vont lui permettre d’introduire l’improvisation et l’interactivité de groupe.

Story-board pour le spectacle "Diguiden, Ma vie, mon oeuvre, mon nez" présenté pour la première fois au théâtre de la comédie française en 2000.
 

D’autres scénographies numériques suivront avec notamment Via Kaboul, Desert blues et Kirina.
Un nombre signifiant de travaux préparatoires de nombreuses autres œuvres de Michel Jaffrennou sont à découvrir sur Gallica et plus encore dans la Base Archives et Manuscrits de la BnF.
 
Pour aller plus loin :
Exposition "Michel Jaffrennou. Jouer avec la vidéo"
Du 26 juin 2018 au 30 août 2018 à la BnF, site François-Mitterrand / Galerie des donateurs

Commentaires

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.