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Titre : Les puritains d'Écosse et le nain mystérieux. Les puritains d'Écosse / , contes de mon hôte recueillis par Jedediah Cleisbotham,...

Auteur : Scott, Walter (1771-1832). Auteur du texte

Éditeur : H. Nicolle (Paris)

Éditeur : Ledoux et Trentet (Paris)

Date d'édition : 1817

Contributeur : Defauconpret, Auguste-Jean-Baptiste (1767-1843). Traducteur

Notice d'ensemble : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb31339661p

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : 4 vol. ; in-12

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Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k9735046w

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, Y2-67637

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 12/07/2016

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LES

PURITAINS D'ÉCOSSE, ET

LE NAIN MYSTÉRIEUX, CONTES DE MON HÔTE, RECUEILLIS ET MIS AU JOUR

PAR JEDEDIAH CLEISBOTHAM,

MAÎTRE D'ÉCOLE ET SACRISTAIN DE LA PAROISSE DE GANDERCLEUGH.

? ^IE SECOND.

PARIS,

H. NICOLLE, A LA LIBRAIRIE STÉRÉOTYPE;

RUE DE SEINE, N°. 12.

LEDOUX ET TENTRET, RUE PIERRE-S ARASIN, N', 8.

M.DCCC.XVII.



LES

PURITAINS D'ÉCOSSE.

CHAPITRE PREMIER.

« Le bruit s'accroît, et dans tout le canton ,

« Avec succès le paysan oppose « La fourche au sabre , au mousquet le bâton. »

HUDIBRAS.

LE jeune Craham descendit la montagne, portant ce drapeau dont les ennemis les plus acharnés respectent la couleur. Un trompette le suivoit. Il vit se détacher des deux flancs de la petite armée presbytérienne cinq ou six cavaliers qui se réunirent vers le centre, et s'avancèrent ensemble vers le fossé. Il se dirigea vers le même point, et s'approcha de la rive opposée. Les deux partis avoient les yeux fixés sur lui, et des deux côtés l'on désiroit sans doute que la conférence qui alloit avoir lieu pût prévenir la querelle sanglante qu'on prévoyoit.


Lorsque Graham fut arrivé en face des cavaliers qui s'étoient avancés vers lui, il | fit sonner de la trompette pour demander ' une entrevue. Les insurgés n'ayant aucun instrument de musique militaire pour lui répondre, l'un d'eux fit quelques pas en avant, et lui demanda d'un ton brusque pourquoi il s'approchoit de leurs rangs.

« Pour vous sommer, dit Graham, au \ nom du roi, du conseil privé d'Ecosse, et j du colonel Graham de Claverhouse, de 5 mettre bas les armes, et de vous retirer sur-le-champ chacun chez vous. »

— « Retourne vers ceux qui t'envoient : dis-leur que comme Charles Stuart, que vous nommez roi, a été parjure aux sermens qui le lioient à nous, nous sommes dégagés de ceux qui nous attachoient à lui ; que nous ne reconnoissons plus son autorité; que nous avons pris les armes pour venger les maux faits à la patrie et à l'Eglise; que notre force vient d'en haut ; que nos prédicateurs et nos frères, que vous avez martyrisés.... »

— « Tous ces propos sont inutiles; répondez-moi positivement. Voulez-vous mettre bas les armes et vous disperser,


sous la promesse de pardon , dont on n 'excepte que les assassins de l 'archevêque de Saint-André? »

— « Hé bien, en un mot, non ! Nous avons pris les armes pour la bonne cause , et nous ne les quitterons que lorsqu elle aura triomphé par le secours du TrèsHaut. »

« Ne vous nomme-t-on pas Balfour de

Burley, dit Graham, qui commençoit à appliquer à ses traits le signalement qui en avoit été distribué partout? »

— « Et quand cela seroit, qu'aurois-tu à lui dire ? »

— « Que comme il est exclu du pardon que je suis chargé d'offrir, ce n'est point avec lui que je suis envoyé pour traiter. »

— « Tu es encore jeune, l'ami, et tu ne connois pas ton métier. Tu devrois savoir qu'on ne peut traiter avec une armée que par l'entremise de ses chefs, et qu'un parlementaire qui agit autrement perd ses droits à son sauf-conduit. »

En parlant ainsi, il prit sa carabine et en dirigea le bout contre Graham.

— « Les menaces d'un meurtrier ne m'empêcheront pas de remplir mon de-


voir. — Braves gens, cria-t-il en élevant la voix , pardon général, si vous mettez bas les armes.... »

« Je t'ai averti, dit Burley, en le couchant en joue.

« Excepté, continua Graham, pour ceux qui....

« Que Dieu fasse grâce à ton ame, dit Burley $ et il lâcha la détente de sa carabine.

Le coup fut mortel. Graham tomba de cheval, s'écria : ma pauvre mère ! et ferma les yeux pour ne plus les ouvrir. Le trompette qui l'accompagnoit prit la fuite vers le régiment, suivi par le cheval du défunt.

« Qu'avez-vous fait, dit un de ceux qui accompagnoient Burley?

« Mon devoir, répondit-il d'un ton farouche. Samuel épargna-t-il Agag? Que l'un d'eux à présent ose venir nous parler de pardon J »

Claverhouse vil tomber son neveu ; il jeta sur Evandale un coup d'œil qui annon- çoit une émotion qu'on ne peut décrire, lui dit ; vous voyez ! et ses traits reprirent au même instant leur sérénité ordinaire, M Je le vengerai, ou je périrai, s'écrit


lord Evandale; et piquant son cheval, il descendit la montagne au grand galop, suivi de toute sa compagnie, et de plusieurs amis de Graham, dont chacun vouloit être le premier à attaquer l'ennemi.

« Halte! s'écria Claverhouse : halte! cette précipitation nous perdra. Mais toute la première ligne étoit déjà partie. Se jetant le sabre à la main au-devant du second corps, ce ne fut pas sans peine qu'il parvint, à force de prières et de menaces, à les empêcher de suivre cet exemple contagieux.

Dès qu'il les vit rentrés dans la subordination , Allan, dit-il au major, conduisez le seconde ligne au pas vers le bas de la montagne, pour soutenir lord Evandale qui va avoir grand besoin de secours. — Bothwell, tu es un drôle, brave et entreprenant. »

« Oui dà ! dit Bothwell entre ses dents, vous vous en souvenez en ce moment ! »

— « Prends vingt hommes sous tes ordres , tâche de tourner le marais, et attaque les ennemis par le flanc, tandis que nous les combattrons de front. »


Bothwell partit à l'instant pour exécu- ter ses ordres.

Cependant la troupe de lord Evandale , qui étoit descendue avec impétuosité dans le marais , ne tarda pas a être arrêtée par les difficultés que le terrein opposojt à sa marche. L'endroit où ils se trouvoient étoit une espèce de bourbier fangeux dans lequel leurs chevaux ne pouvoient s 'avancer. Les uns cherchoient a pousser en avant vers le fossé, les autres s'écartoient sur les côtés, tous dans l'espoir d'arriver sur un terrein plus solide. Enfin, dès qu 'ils furent à portée de fusil, le feu des insurgés fit tomber une vingtaine de cavaliers, ce qui augmenta encore le désordre.

Pendant ce temps lord Evandale, à la tête d'un petit nombre de cavaliers bien montés, avoit trouvé le moyen de passer .le fossé; mais dès qu'il l'eut traversé il fut chargé par le corps de cavalerie qui se trouvoit sur le flanc gauche de l'infanterie des insurgés, qui, encouragés par la foiblesse du détachement qui accompagnoit Evandale, tombèrent sur lui avec fureur, en criant: « Malheur aux Philistins! périsse Dagon et ses adorateurs ! »


Le jeune capitaine combattoit comme un lion, mais la plupart de ceux qui l'avoient suivi étoient tués, et il auroit partagé le même sort si Claverhouse, qui venoit d'arriver au bord du fossé avec le reste du régiment, n'eût fait faire un feu bien nourri sur l'ennemi qui commença à plier, et lord Evandale profitant de ce moment pour se dégager, rejoignit le colonel avec les hommes qui lui restoient.

Malgré la perte que le feu du régiment venoit de faire éprouver aux insurgés, leurs chefs n'en voyoient pas moins tout l'avantage que leur donnoient leur nombre et surtout leur position, et ils étoient convaincus qu'avec du courage et de la persévérance , ils seroient infailliblement victorieux. Ils parcouroient donc les rangs de leurs soldats, les exhortoient à tenir ferme, et dirigeoient un feu soutenu contre ce régiment.

Claverhouse fit plusieurs tentatives pour passer le fossé, afin de pouvoir engager le combat sur un terrein moins défavorable, mais il lui fut impossible d'y réussir.

« Il faudra faire retraite , dit-il à lord Evandale, à moins que la diversion de


Bothwell ne nous favorise. En attendant; faites retirer le régiment hors de portée , et placer derrière ces buissons des tirailleurs pour inquiéter l'ennemi et le tenir en haleine. »

Ces ordres ayant été exécutés * il attendoit avec impatience l'instant où Bothwell commenceroit son attaque , afin de reprendre la sienne en même temps. Mais Bothwell avoit trouvé aussi des difficultés à combattre ; le mouvement qu'il avoit fait n'avoit pas échappé à la pénétration de Burley qui en avoit fait faire un semblable par son corps de cavalarie de l'aile droite, de sorte que lorsque le sergent eut tourné le marais et passé le ruisseau , il s'aperçut qu'il avoit en face un ennemi trois fois plus nombreux. Cet obstacle , inattendu ne l'arrêta pas un instant.

« En avant, mes amis, dit-il à sa troupe ; qu'il ne soit pas dit que nous ayons reculé devant cette bande de misérables ! »

Et comme inspiré par l'esprit de ses ancêtres, il cria à haute voix : Bothwell! Bothwell ! et chargeant avec impétuosité la cavalerie ennemie, il les força de plier,


et tua trois hommes de sa propre main.

Burley prévoyant les suites funestes qu'auroit pour son parti un échec sur ce point, se jeta dans les premiers rangs, chercha Bothwell , et l'attaqua corps à corps. Chacun des combattans étoit regardé comme le principal champion de son parti, et il en résulta un événement plus rare dans l'histoire que dans les romans. Les soldats s'arrêtèrent des deux côtés, comme si l'issue de ce combat singulier devoit décider celle de la bataille. Bothwell et Burley sembloient partager la même opinion, car, après quelques instans de combat , ils s'arrêtèrent, comme d'un commun accord, pour reprendre haleine , et se préparer à un duel ou chacun d'eux reconnoissoit qu'il avoit trouvé un adversaire digne de lui.

« Tu es le scélérat assassin Burley, dit Bothvell en brandissant son sabre, et en grinçant des dents : tu m'as échappé une fois , mais aujourd'hui, ajouta-t-il , en faisant un serment que je n'ose répéter, je pendrai à ma selle ta tête qui vaut son pesant d'or, ou mon cheval s'en ira sans son maître. /»

I.


« Oui, dit Burley, en jetant sur lui un regard farouche , oui , je suis ce John Balfour , qui t'ai promis que lorsque je t'aurois renversé tu ne te releverois pas. Te souviens-tu du jour de la revue ? »

« Hé bien , la mort , ou mille marcs d'argent! dit Bothwell, en lui portant un coup de sabre. »

« L'épée de Gédéon est avec moi, dit Bothwel, en parant le coup, et l'attaquant à son tour. »

Jamais peut-être on n'avoit vu de combat aussi égal. On voyoit dans les deux couibattans la même force de corps , le même courage , la même animosité : ils manioient leurs armes avec la même adresse, et gouvernoient leurs chevaux avec la même dextérité. Ils se firent réciproquement plusieurs blessures dont aucune n'étoit dangereuse. Enfin le sabre de Bothwell s'étant malheureusement brisé, il s'élança avec fureur contre son ennemi, le saisit par le baudrier, le fit tomber de cheval, et fut entraîné avec lui dans sa chute. Les compagnons de Burley accoururent à son secours, mais les dragons les repoussèrent , et l'engagement devint #


général. Les chevaux passèrent à plusieurs reprises sur le corps des deux combattons, plus que jamais acharnés l'un contre l' autre , et qui maintenant cherchoient réciproquement à s'étouffer. Enfin le pied d un cheval cassa le bras droit de Bothwell , et Burley se relevant, et montrant une joie féroce, lui passa son sabre au travers du corps. Bothwell désarmé eut encore la force de se lever. ' « Applaudis-toi, misérable, lui dit-il, tu as versé le sang des rois. »

« Meurs ! dit Bal four , en le perçant une seconde fois , meurs, chien altéré de sang ! meurs comme tu as vécu, sans rien croire, sans rien espérer.... »

« Et sans rien craindre, ajouta Bothwell : ces paroles furent son dernier effort. Il tomba en les prononçant et expira sur-lechamp. »

Le sauvage Burley foula aux pieds son ennemi mort, et montant sur le cheval même de Bothwell ; qui étoit resté près des combattans, il courut au secours de ses partisans. La chutè de Bothwell avoit augmenté leur courage autant qu 'elle avoit diminué la confiance des dragons ; le


succès ne fut plus disputé. Une partie des soldats furent tués , les autres prirent la fuite et se sauvèrent de différens côtés dans le marais. Burley défendit qu'on les poursuivît, et, ralliant son parti, traversa a son tour le fossé pour exécuter contre Claverhouse la même manœuvre que celui. ci avoit commandée contre lui. Il envoya un cavalier porter la nouvelle aux insurges, du succès qu'il venoit d 'obtenir, et leur fit donner ordre de passer le fossé , et de commencer une attaque générale. Il partit alors au grand galop, , avec sa troupe, pour fondre sur l'aile droite des royalistes.

• Pendant ce temps Claverhouse avoit réparé la confusion, résultat de la première attaque qui avoit été aussi malheureuse qu'irrégulière. Les tirailleurs , qu 'il avoit placés derrière des buissons , fatiguoient l'ennemi par un feu continuel i et bien dirigé, et il attendoit l'effet de la diversion que devoit faire Bothwell, pour faire marcher tout le régiment contre les insurgés.

En ce moment un dragon , couvert de sang et de sueur , et dont le cheval, hors d7haleine , prouvoit assez qu'il n'étoit pas venu au pas, se présenta devant lui.


« Qu'y a-t-il de nouveau , Holliday? Jui dit le colonel, qui connoissoit par leur nom tous les hommes de son régiment ; où est Bothwell ? »

« Mort , dit Holliday, et plus d'un brave avec lui. »

« Le roi a donc perdu un brave soldat, dit Claverhouse avec son sang froid ordinaire ; l'ennemi a sans doute tourné le marais ? »

« Avec un fort parti de cavalerie commandé par Burley , dit Holliday, ce diable incarné qui a tué Bothwell. »

« Paix! dit Claverhouse, paix! je vous défends d'en parler à qui que ce soit. — Major Allait, il faut faire retraite , la nécessité nous y contraint. — Lord Evan!dale , rappeliez. les tirailleurs. Formez le irégiment en trois corps? Allan commanjdera le premier, vous resterez au centre, et moi, avec l'arrière garde, je tiendrai ces Icoquins en échec jusqu'à ce que nous ayons regagné le plateau de la montagne. iNe perdez pas de temps, je vois toute leur figne en mouvement , et ils s'apprêtent sûrement à passer le fossé. »

« Mais que deviendront Bothwell et


son détachement ? dit lord Evandale. »

« Silence, dit le colonel, et se penchant à l'oreille de lord Evandale : Bothwell , ajouta-t-il, est maintenant au service d 'un autre maître. — Allons , messieurs , ne perdez pas de temps, formez le régiment. Une retraite est une chose toute nouvelle pour nous, mais nous prendrons notre revanche un autre jour. »

Allan et Evandale se disposoient à remplir leur mission , mais en cet instant même une partie des insurgés passoient le fossé , et s'avançoient en poussant des hurlemens de fureur. Claverhouse rallia autour de lui les hommes qu'il connoissoit pour les plus braves , et chargea les ennemis à leur tète : quelques-uns furent tués , d'autres furent repoussés vers le. marais ; mais pendant ce temps toute l'infanterie avoit passé le fossé , Burley commençoit son attaque sur la droite, et Haxton de Bathillet , à la tête de son peloton de cavalerie,, en faisoit autant sur la gauche.

Le major et lord Evandale, voyant que le colonel et sa petite troupe alloient être enveloppés, ne pensèrent plus à la retraite,, t


J et donnèrent ordre de marcher en avant pour les dégager; mais cet ordre ne fut pas généralement exécuté. Les soldats avoient ivu faire les dispositions de retraite, un certain nombre d'entr'eux ne vouloient pas être les derniers à l'effectuer % et le penchant de la colline étoit déjà couvert de fuyards qui ne songoient plus qu'à se mettre en sûreté.

Ils ne purent donc rejoindre leur colonel qu'avec un petit nombre de gens déterminés , et ils unirent leurs efforts aux siens pour couvrir la retraite des fuyards. Jamais Claverhouse n'avoit montré plus ide sang froid et d'intrépidité. Il etoit à la tête de toutes les charges qu'il ordonnoit; et comme son cheval noir et sa plume blanche le faisoient remarquer, et qu'il î étoit le principal objet de la haine des insurgés, il voyoit tous les coups se diriger contre lui, et entendoit les balles siffler autour de sa tête , sans montrer ni trouble Ini inquiétude. Il n'avoit reçu aucune blessure, et les Puritains, qui croy oient que le il malin esprit l avoit doué d'invulnérabilité ; comme son cheval, disoient qu'on voyoit jles balles qui le frappoient rejaillir comme


la grêle qui tombe sur un rocher de granit. Quelques-uns brisoient même des pièces d'argent pour en charger leurs fusils , convaincus que le fer et le plomb ne pouvoient le blesser. ^ |

Il combattoit pourtant avec tout le dé- , savantage que donne une retraite mal en ordre. Il avoit été impossible de former une ligne de bataille. C'étoit une mêlée où chacun combattoit comme le hasard l'avoit placé. Les rangs de dragons s'éclaircissoient à chaque instant, les uns étant tués, les autres prenant la fuite.

Au milieu de cette scène de tumulte et de confusion, des plaintes des blessés, des hurlemens sauvages des Presbytériens, du bruit d'un feu roulant de mousqueterie, Evandale ne put s'empêcher de remarquer l'air calme que conservoit le colonel. En déjeunant le matin chez lady Marguerite, il n'avoit pas l'air plus tranquille. Il voyoit le désordre qui régnoit parmi ses soldats: « Encore quelques minutes dit-il à Evandale , et le régiment entier est perdu. Retirez-vous avec Allan , ralliez les fuyards, chacun de votre coté , réunissez-les au pied de la montagne ; je vais occuper ici


l'ennemi quelques instans, et je vous rejoindrai , si je le puis. Ne cherchez pas à nie secourir, sauvez le régiment, et si je succombe, dites au roi et au conseil privé que je suis mort en faisant mon devoir. »

Pendant que ces deux officiers exécutoicn t cet ordre , Claverhouse se mit à la tête d'une vingtaine d'excellens soldats qui ne l'avoient pas quitté, et fit une charge si vive, si peu attendue, qu'il porta le désordre dans les rangs des ennemis et les fit reculer devant lui. Il reconnut Burley 1 en ce moment, s'attacha à lui et lui porta Sur le casque un si vigoureux coup de ^ sabre qu'il le renversa de son cheval. Mais le colonel, dans cette poursuite, s'étoitavan3 cé trop avant, et il se trouva en ce moment m complètement entouré.

Le major avoit couru au grand galop vers le plateau de la montagne, pour y rallier ceux des dragons qui y étoient déjà arrivés. Evandale étoit resté au pied, pour réunir ceux qui erroient dans le marais, let qui cherchoient à gagner la hauteur. Il vit le danger du colonel > et ne songeant plus qu'à le sauver, il ordonna à la troupe qu'il avoit ralliée de faire une nouvelle


charge. Les uns obéirent, les autres prirent la fuite vers la montagne jamais, à la tète de ceux qui voulurent bien le suivre , il dégagea Claverbouse. Il étoit temps que ce secours arrivât. Le cheval du colonel venoit d'être blessé d'un coup de faulx par un paysan qui se diposoit à lui en porter un second , quand E vandale le renversa d'un coup de sabre.

Lorsqu'ils furent sortis de la mêlée, ils regardèrent autour d'eux. La division d'Allan avoit quitté la montagne : l'autorité de cet officier avoit été insuffisante pour retenir les fuyards. Celle d'Evandale étoit dispersée de tous cotés dans les marais, et cherchoit aussi à gagner le plateau. Il ne restoit auprès d'eux qu'une vingtaine d'hommes, officiers et soldats. Quelques pelotons combattoient encore sur la droite . et sur la gauche, plutôt pour pouvoir fuir que dans l'espoir de vaincre.

« Qu'allons-nous faire , colonel ? dit lord Evandale.

« Que peuvent faire vingt hommes contre mille ? dit le colonel. Nous sommes restés les derniers sur le champ de bataille. Il n'y a pas de honte à fuir


quand on a bien combattu, et qu'il ne reste aucun moyen de résistance. — Sauvezrous, mes amis, et ralliez-vous derrière e plateau. — Allons, mylord, partons. » En parlant ainsi il donna un coup d'é~eron à son cheval, et ce généreux aninal, oubliant sa blessure, sembla redoubler d'aïdeur, malgré le sang qu'il perdoit, comme s'il eût su que le salut de son naître dépendoit de la vitesse de sa :ourse.

Les insurgés restèrent ainsi maîtres du champ de bataille, et des cris de triomphe retentirent dans tous leurs rangs quand ils vinrent Claverhouse prendre la fuite.


CHAPITRE Il.

« Voyez! lorsqu'au milieu des horreurs de la g uerrer. « Mars fait dans ces rochers retentir son tonnerre, « Quel généreux coursier, tout couvert de sueur,

« Précipite ses pae dans ce séjour d'horreur ? »

CAMPBELL.

PENDANT l'action dont nous venons de donner les détails, Morton , Cuddy et sa mère, et le révérend Gabriel Kettledrumle étoient restés sur le plateau de la montagne, près de l'éminence couverte de mousse, sur laquelle Claverhouse avoit tenu conseil avec ses officiers avant le combat, et ils pouvoient voir parfaitement tous les événemens qui se passoient. Ils étoient gardés par le caporal Inglis et quatre cavaliers, et ceux-ci n'étoient pas' spectateurs moins attentifs que leurs prisonniers. 4 «Ah! s'ils avoient du courage, dit' Cuddy à Morton , à demi-voix, nous ! aurions quelque espoir de sauver notre cou de la corde ; mais je n'ai guère de


confiance en eux, ils n'ont ni expérience ni connoissance des armes. »

« Ils n on ont pas besoin , Cuddy , répondit Morton : ils ont une excellente position, ils sont armés, leur nombre est quatre fois plus considérable que celui de leurs ennemis. S'ils ne savent pas combattre en ce moment pour leur liberté, ils sentent de la perdre à jamais. »

| « Quel spectacle ! s'écria Mause d'un inspiré. Mon esprit est comme celui du prophète Elie. Le feu de la vérité me dnsume, voici le jour du jugement et de ^ délivrance. - Hé bien , qu'avez-vous donc, digne M. Kettledrumle ? vous êtes lune comme du safran. Voici le moment de prier et de chanter des cantiques, pour

Israël >" ciel la confusion des ennemis

Cette question contenoit une espèce de proche, et M. Kettledrumle qui tonnoit dans l a chaire quand l'ennemi étoit loin qui, comme nous l'avons vu, ne se taisoit s toujours, même quand il étoit en son juvoir, étoit devenu muet en entendant feu roulant qu'on faisoit danslemarais, étoit trop épouvanté pour prêcher alors


le Presbyte rianisme, comme la courageux Mause l'attendoitde lui. Il ne perdit pour tant pas sa présence d'esprit, et n oubli pas le soin de la réputation qu il avoi acquise.

« Paix ! femme 9 s'ecria-t-il, silence ne troublez pas mes méditations, et la lutt intérieure de l'esprit. — Cependant pensat-il en lui-même, quelque balle pourro arriver jusqu'ici , et je vais me retirer dei rière cette éminence , comme dans un place de sûreté. »

«C'est un lâche, dit Cuddy, un vrai lâche! « Ce spectacle est affreux , s'écria Mouton , et cependant il attache mes yeux ma gré moi ! »

« Que le Seigneur se montre et que son ennemis soient dispersés, chanta la vieil Mause, à qui son enthousiasme faisoitauf oublier le danger. »

Ils restèrent donc. tous trois spectateu du combat , mais ils en étoient trop éloignés pour juger quel parti auroit l'a va tage , et une fumée épaisse que le ~ve chassoit de leur coté, leur déroboit sof vent la vue des combattans. Enfin, c chevaux privés de leurs maîtres, mais qu


reconnoissoit aisément pour appartenir au régiment des gardes, furent aperçus courant ça et là dans le marais. Des hommes démontés prirent la fuite du côté de la montagne; un grand nombre de cavaliers ne tardèrent pas à les suivre, et il n'y eut plus moyen de douter que le sort des armes n'eût favorisé les Presbytériens. Les fuyards ne s'arrêtèrent qu'un instant sur le plateau , et le major Allan fut forcé de les suivre, dans l'espoir de les rallier un peu plus loin.

Le feu des combattans ayant considérablement diminué en ce moment, les prisonniers purent suivre plus distinctement les événemens. Ils virent la dernière charge désespérée de lord E vandale, et des fuyards de sa division passoient à chaque instant isur la montagne , sans s'y arrêter.

« Ils fuient , ils fuient, s'écria Mause en extase, Israël a vaincu les Moabites; l'épée du Seigneur s'est appesantie sur ceux. Cette colonne de feu , celle de fumée qui lui succède , sont celles qui ont sauvé le peuple de Dieu de la poursuite des impies Egyptiens, et elle entonna un cantiique d'actions de grâces. »


« Au nom du ciel, nia mère, taisez-vous donc ! s'écria Cuddy , allez plutôt rejoindre Kettledrumle, ce brave homme qui ne pense pas à chanter en ce moment. Ces diables de balles ne connoissent personne, et elles tueroient une vieille femme qui psalmodie, comme un dragon qui jure. » « Ne craignez rien pour moi, Cuddy, répondit la vieille fanatique , je veux , comme Débora, monter sur cette éminence, et élever ma voix contre les persécuteurs des vrais fidèles. »

Elle auroit exécuté son projet; mais Cuddy, craignant qu'elle ne donnât de l'humeur à leurs gardiens , la saisit fortement par le bras, et la força de rester près de lui. « M. Henry, dit-il alors, je crois que nous ne tarderons pas-à être libres; le caporal et ses soldats regardent à tout moment derrière eux , et je pense qu'ils ont grande envie de suivre leurs camarades. » 1 Il ne se trompoit pas. Dès qu'lnglis s'a- perçut que Claverhouse revenoit à toute bride vers la montagne, et qu'un corps de cavalerie des insurgés se mettoit à sa poursuite , ils ne jugèrent pas à propos de rester plus long-temps, et s'eufuirent avec


qnelques cavaliers qui venoient d'arrivée sur le plateau.

Morton , dont les mains étoient libres ; s'occupa alors de< détacher les fers de ses camarades, et comme il terminoit cette besogne qui lui offrit quelques difficultés, le reste du régiment arrivoit. Il y régnoit le désordre et la confusion , inséparables d'une telle retraite. Ils formoient pourtant encore un corps d'environ quarante hpmmes. Claverhouse étoit à la tête ,1e sabre au à la main , tout couvert de sang et de sueur. Lord Evandale marchoit le dernier > exhortant les soldats au courage et à ne pas se séparer.

Ils passoient à peu de distance de l'endroit où se trouvoient Morton et ses compagnons. Mause , lès yeux rayonnatis dç joie et d'enthousiasme, ses cheveux gris agités par le vent, et étendant un bras décharné, sembloit une vieille bacchante ou f une sorcière de Thessalie. Elle ne put se l dispenser de leur adresser des invectives, et de leur débiter quelques fragmens de | pseaumes ; mais Claverhouse et ses soli dats avoient alors autre chose à faire qu'à s s'occuper des injures d'une vieille femme,


et ils continuèrent leur course pour tâcher de rallier le régiment un peu plus loin. La cavalerie presbytérienne étant moins bien montée, n'avoit pu les atteindre, mais elle les suivoit de près , et faisoit un feu continuel qui ne produisoit d 'autre etfet que de les engager à ne pas s'arrêter. Une balle tua pourtant le cheval de lord Evandale, comme il arrivoit sur le plateau. Deux cavaliers des insurgés coururent sur lui pour le tuer , car ils ne faisoient aucun quartier ; mais Morton , quoique sans armes , s'élança au devant d'eux, le couvrit de son corps , et lui ayant donné le temps de se relever , reconnut Burley dans celui qui avoit le sabre levé contre Evandale. « Accordez - moi sa vie ! s'écria-t-il, la refuserez-vous à celui qui a sauvé la vôtre? »

« Henry Morton , s'écria Burley , s'essuyant le front avec une main pleine de sang , n'avois-je pas dit que le fils du brave Silas ne tarderoit pas à venir sous les tentes de Jacob? Tu es une planche échappée au naufrage; un roseau que l'incendie de la plaine ne consumera point. — Quanta lui, il mourra de mort. L'épée d'Israël n'épargnera pas un Amalécite. »


En parlant ainsi il leva une seconde fois son sabre sur lord Evandale.

« Il ne mourra point, s'écria Morton en lui arrêtant le bras, ou je périrai avant lui. Il m'a sauvé la vie ce matin, la vie que je devois perdre pour avoir préservé la vôtre. Serez-vous coupable d'une infâme ingratitude ? o

Burley baissa son sabre. « Tu as encore un pied dans les voies du monde , lui ditil , j'ai pitié de la foiblessc et de ton aveuglement. Le pain des forts n'est pas fait pour les foibles ; mais il vaut mieux gagner une ame à la vérité, que d'en plonger une dans les ténèbres éternelles. Qu'il conserve la vie, si telle est la volonté du ciel, qui vient de nous accorder une faveur signalée. — Pour toi ne manque pas de m'attendre ici, je t'y rejoindrai après avoir achevé de détruire les ennemis des justes. »

En parlant ainsi, il piqua son cheval, et continua sa poursuite.

a Vite , Cuddy , vite , s'écria Morton, pour l'amour du ciel., arrêtez un de ces chevaux qui courent çà et là, et amenezle à lord Evandale. Sa vie ne seroit pas en. sûreté s'il restoit plus long-temps ici. —


Vous êtes blessé , mylord, serez-vous en étal de remonter à cheval? »

• « Je l'espère , dit Ëvandàlë, mais est-il possible est- ce bien à vous, M. Morton que je dois la vie ? »

— « Dans tous les cas , mylord, l'humanité m'auroit engagé à chercher a la sauver; mais ici la reçonnoissance m'en faisoit un devoir sacré. » '

« Montez , mylord , dit Cuddy en lui présentant un cheval, montez et fuyez à l'instant : ces enragés tuent tout ce qu'ils rencontrent. »

Lord Evandale s'apprêtant à monter à cheval ,. Cuddy voulût lui tenir l'étriter. « Retire-toi, mon brave garçon, lui dit-il, Je service que tu veux me rendre pourroit te coûter la vie — M.Morton , vous voilà plus'que quitte envers moi : croyez bien que jamais je n'oublierai votre générosité. ' Adieu. » '

A peine étoit-il parti qu'ils virent arriver un pef oton d'infanterie presbytérienne, qui s'etoit mis aussi à là poursuite des fuyards, et qui massacroit les traîneurs et les blesses. « ! crièrent quelques-uns d'eux , 1, 1 montrant Mor ton


et Cuddy , ils ont facilité la fuite d'un Philistin. »

« Et que vouliez-vous que nous fissions? dit Cuddy ; nous étions leurs prisonniers, nous n'avions pas d'armes , pouvions-nous arrêter un homme qui avoit un sabre et deux pistolets ?»

Cette excuse n'auroit pas été admise , mais Kettledrumle , qui étoit remis de sa frayeur , et qui étoit connu et respecté de la plupart des Presbytériens , s'écria d'une voix ,de tonnerre : (

« Arrêtez! ne les frappez pas! ne les touchez pas ! Voici le fils du fameux Silas Morton , par qui le Seigneur a fait jadis ces grandes choses. C'est une fleur, d'élite du jardin d'Eden. Il a été persécuté par vos persécuteurs, et il vient mettre la main a l'œuvre de la justice. »

« Et voilà, dit Mause, dont les principes étoient connus de tout le parti , voilà le fils de son père , Judden Headrigg , et de moi Mause Middlemas, indigne servante du pur Évangile, et lune des vôtres. Noué sommes tous de la tribu de Lévi. »

Ce parti continua sa route , mais il fut suivi de plusieurs autres , auxquels il fallut


donner la même explication. L'intervention de Ketlledrumle fut encore nécessaire et se trouva toujours utile; et s'enhardissant a mesure qu'il sentoit que sa protection devenoit avantageuse à ses anciens compagnons de captivité , il s'attribua une bonne partie du succès, et les interpella de déclarer s'il n'avoit pas prié , les mains élevées au ciel, comme Moïse sur la montagne , pour qu'Israël triomphât d'Amalec, leur accordant en même temps la gloire de lui avoir soutenu les bras , comme Aaron et Hur l'avoient fait pour le prophète hébreu. Probablement il leur attribuoit cette part dans le succès, pour les engagera garder le silence sur l'accès de terreur qui l'avoit forcé à se cacher pendant le combat, et ils jugèrent que la prudence leur faisoit une loi de garder le silence à cet égard.

Tout ce qu'avoit dit Kettledrumle se répéta de bouche en bouche, avec des variations et des augmentations que chacun y faisoit , comme c'est l'ordinaire , et bientôt le bruit fut répandu dans tous les rangs, que le jeune Morton de Milnwood, fils du colonel Silas Morton, qui avoit été l'un des plus fermes soutiens de la bonne cause,


et que le digne prédicateur , Gabriel Kettledrumle , venoient d'arriver avec un renfort de cent hommes bien armés, pour se joindre aux Presbytériens.


CHAPITRE III.

« La chaire alors , vrai tambour de l'Eglise ,

« Retentissoit sous les coups redoublés « Des poings, des bras de prêcheurs ampoulés. »

HUDIBRAS.

PENDANT ce temps la cavalerie des insurgés revenoit de sa poursuite , fatiguée des efforts inutiles qu'elle avoit faits pour atteindre les débris épars du régiment des gardes. L'infanterie étoit rassemblée sur le champ de bataille dont les Presbytériens étoient restés maîtres. Tous étoient épuisés de lassitude et de faim ; mais la joie du triomphe les soutenoit et leur tenoit lieu de repos et de nourriture. Il est certain qu'ils avoient obtenu plus qu'ils n'auroient osé espérer : sans faire eux-mêmes une très-grande perte , ils avoient mis en déroute complète un régiment composé d hommes d'élite, et commandé par le premier officier d'Ecosse , dont le nom seul suffisoit depuis long-temps pour les glacer d'effroi. Ils avoient pris les armes par dé-


sespoir plutôt que dans l'attente du succès, et ce succès même sembloit encore les surprendre. Leur réunion avoit été presque fortuite , aucun de leurs chefs n'avoit été légalement nommé ni reconnu, et il résulta de cet état de désorganisation , que toute l'armée se forma , en quelque sorte, en conseil de guerre , pour délibérer sur la marche qu'on devoit suivre. Il n'y avoit pas d 'opinion si extravagante qui ne trouvât des sectateurs. On vouloit marcher en même temps sur Glascow, sur Edimbourg, même sur Londres. Les uns vouloient envoyer une députation à Charles II, pour lui dicter des conditions de paix ; les autres, moins charitables, demandoient qu'on proclamât un autre roi ; il en étoit même qui proposoient d'ériger l'Ecosse en république. Le plus grand nombre crioit pour avoir des vivres , sans que personne s'occupât des mesures nécessaires .po.ur s'en procurer. En un mot, le icamp des Presbytériens étoit prêt à se dissoudre au moment même du triomphe , faute d'union entre les différentes parties qui le comppsoient, comme une ligne tracée sur le sable s'efface par le premier souffle de vent.


Tel est l'état dans lequel Burley trouva sa troupe en revenant de sa poursuite. Avec l'adresse d'un homme habitué à se tirer des embarras les plus difficiles , il fit arrêter que cent hommes, des moins fatigués, seroient chargés de faire la garde autour du camp ; que ceux qui avoient agi comme chefs pendant la bataille formeroient un comité de direction , jusqu 'à ce que les officiers fussent régulièrement choisis ; enfin que , pour couronner la victoire , le révérend Kettledrumle prononceroit sur-le-champ un discours d'action de grâces au ciel. Il comptoit beaucoup sur ce dernier expédient, et ce n'étoit pas sans raison. Il savoit qu'il occupcToit ainsi l'attention de la masse des insurgés , toujours avides d'écouter les discours de leurs prédicateurs ; et il se proposoit pendant ce temps de tenir un conseil de guerre avec deux ou trois chefs, sans être troublé par des clameurs ou par des opinions ridicules.

Kettledrumle répondit parfaitement à l'attente de Burley. Il prêcha pendant deux mortelles heures sans reprendre haleine, et lui seul peut-être étoit capable de cap-


tiver si long-temps , dans un pareil moment, l'attention de ses auditeurs. Mais il possédoit parfaitement ce genre d'éloquence à la portée du vulgaire, qui faisoit le caractère distinctif des prédicateurs de cette époque ; et quoique la nourriture spirituelle qu'il distribuoit eût causé des nausées à des personnes d'un goût délicat, elle étoit faite pour flatter le palais de ceux à qui il la destinoit.

Son texte fut tiré du XLIXe chapitre d'Isaïe. « Même les captifs des puissans seront délivrés : je combattrai ceux qui te combattent, et je sauverai tes enfans. »

Le discours qu'il prononça sur ce sujet étoit divisé en quinze points, dont chacun avoit plusieurs subdivisions. Le premier fut consacré à parler de sa délivrance et de celle de ses compagnons, et il désigna le jeune Milnwood comme un champion envoyé par Dieu même pour faire triompher la bonne cause. Les autres détail- loient les diverses natures de punition que le ciel devoit faire pleuvoir sur un Gouvernement persécuteur. Il étoit tour à tour énergique et familier, il s'élevoit


jusqu'au sublime, et descendoit au-dessous du burlesque.

Dès qu'il eut fini son sermon, et qu'il fut descendu de la pointe d'un rocher qui lui servoit de chaire, un autre prédicateur s'y élança. Il ne ressembloit guères à celui qui l'y avoit précédé. Le révérend Kettledrumle étoit déjà avancé en âge, d'une corpulence énorme , et ses traits stupides et sans expression sembloient annoncer qu'il entroit dans la composition de son être moins d'esprit que de matière. Celui qui lui succédoit étoit un jeune homme âgé tout au plus de vingt-cinq ans. Sa maigreur et ses joues creusées rendoient témoignage à ses veilles, à ses jeûnes, à ses travaux apostoliques qui l'avoient exposé plusieurs fois à la vengeance des Royalistes , et à ce que les Presbytériens appeloient le martyre. C'étoit un des plus exagérés Puritains d'Ecosse, et son style emphatique et figuré lui avoit donné le plus grand crédit parmi ces fanatiques. 11 promena un instant ses regards sur •l'assemblée et sur le champ de bataille; un air de triomphe se peignit dans ses yeux , et ses traits pâles et décolorés parurent


s'animer du feu de la joie et de l'enthou;iasme. Il joignit les mains, leva les yeux tu ciel , et resta quelque instans comme tbsorbé dans la contemplation mentale. Lorsqu'il commença à parler, une voix oible , un organe défectueux sembloient ui permettre à peine de se faire entendre; ;t cependant il régnoit le plus profond ilence : ses auditeurs recueilloient ses )aroles avec autant de soin que les Israéites ramassoient la manne dans le désert. 1 s'échauffa peu à peu , son ton devint lus distinct, ses gestes plus énergiques; il sembloit que le zèle religieux triomphoit n lui de la foiblesse de la nature. 11 peignit ous les plus vives couleurs la désolation le l'Eglise presbytérienne, la compara à Vgar cherchant à ranimer la vie de son ~ls dans un désert aride. Il félicita les com~attans sur la victoire qu'ils venoient de emporter , les exhorta à se souvenir des ~arques de protection qu'ils venoient de ~ecevoir d'en haut, et à marcher d'un pas srme et assuré dans la carrière qui leur toit ouverte.

Pendant que les deux prédicateurs occujoient ainsi l'armée, Burley n'avoit pas


perdu son temps; il avoit fait allumer des feux, placé des sentinelles partout, ordonné des reconnoissances, et s'étoit procuré des vivres dans les villages les plus voisins. Il envoya des émissaires de divers côtés pour répandre le bruit du succès qu 'il avoit obtenu y et engager par là tous ses partisans à se déclarer : enfin il fit partir des détachemens pour s'emparer de gré ou de force , dans les environs, de tout ce qui pouvoil être nécessaire à ses troupes. Il réussit au delà de ses espérances , car on se rendit maitre, dans un village voisin d'un magasin de vivres, de fourrages et de inuni Lions qui apparlenoient aux troupe' royales. L'armée en conçut une nouvelle v audace, et tandis que peu d'heures aupa ravant bien des gens sentoient se refroidi l'ardeur de leur zèle, tous les combattan juroient maintenant de ne pas quitter le' armes avant d'avoir obtenu un triomph complet.

Henry Morton , assis auprès d'un d( feux qu'on avoit allumés , mangeoit s~ part des provisions qu'on avoit distribué à l'armée, et réfléchissoit au parti qu ; de voit prendre, lorsque Burley arriva pr<


de lui, accompagné du jeune ministre qui avoit prononcé le second discours.

« Henry Morton , lui dit Burley d'un ton décidé, le conseil de guerre, convaincu que le fils de Silas Morton ne peut jamais être tiède ni indifférent pour la bonne cause , vient de vous nommer l'un des capitaines de l'armée , avec le droit de siéger au conseil, et l'autorité qui convient à un officier qui commande des Chrétiens. »

« M. Burley , dit Morlon , je suis sensible , comme je dois l'être a cette marque de confiance. Personne n'auroit droit d'être surpris que les injustices que souffre ce malheureux pays, celles que j'ai éprouvées moi-même, me fisent prendre les armes pour le soutien sde la liberté civile et reli• gieuse; mais avant d'accepter un commandement parmi vous , j'ai besoin de con• noître un peu mieux les principes qui vous dirigent. »

« — Pouvez-vous en douter? Ne savezvous pas que nous voulons rebâtir le tempie , donner un asile aux saints , anéantir les esclaves du péché? »

u - Je vous avouerai franchement,


M. Burley , que ce genre de langage qui produit tant d'effet sur bien des gens , est entièrement perdu pour moi ; il est bon que vous le sachiez, avant que nous formions une liaison plus étroite. »

Ici le jeune ministre poussa un soupir qu'on pouvoit nommer un gémissement.

« Je vois que je n'ai pas votre approbation, monsieur, lui dit Morton. C'est peut-être parce que vous ne me comprenez pas ; je respecte les saintes Ecritures autant que qui que ce soit , et c'est- par suite de ce respect qu'en tâchant d'y conformer ma conduite , je ne crois pas devoir en citer des textes à chaque instant, au risque d'en dçnaturer l'esprit. »

Le ministre, qui se nommoit Ephraïm Macbriar, parut très-scandalisé de cette déclaration, et s'apprêtoit à y répondre.

« Paix, Ephraïm, dit Burley, souvenezvous que c'est un enfant encore enveloppé dans ses langes. — Ecoute-moi, Morton, je vais te parler le langage de la sagesse humaine , puisque tu n'es pas encore assez fort pour en entendre un autre. Pour quel objet consentirois-tu à tirer l'épée? N'est-ce pas pour obtenir la liberté des citoyens et


Je l'Eglise ; pour que des lois sages empêchent un Gouvernement arbitraire de conisquer les Liens, et d'emprisonner les tidividus sans jugement préalable ? »

« Sans doute , dit Morton, de tels moifs légitimeroient ma conduite à mes yeux. »

« Ce n'est pas cela , s'écria Macbriar, 1 faut marcher droit au but. Ma conscience le me permet pas de transiger avec le nonde , de .... »

« Paix donc, Ephraïm , répéta Burley ; it le tirant à part : Je pense comme vous, ~ui dit-il , mais n'avez-vous pas vu cette nuit qu'il y a déjà de la division dans le conseil ? Croyez-vous que nous n'ayons pas besoin du secours des Presbytériens modérés? Voulez-vous qu'ils se séparent le nous , tandis que nous pouvons les 'rallier autour d'un chef de leur parti ? »

— « Je te dis que je n'aime pas tous ces ménagemens. Dieu peut opérer la délivrance de son peuple par quelques élus iiussi-bien que par la multitude. »

— « Vas donc faire tes représentations au conseil, car tu sais qu'il a décidé de faire une déclaration qui puisse satisfaire


toutes les classes de Presbytériens. Ne m'empêche pas de gagner à notre parti un jeune homme dont le nom seul fera sortir de terre des légions pour soutenir la bonne cause. » '

— « Fais ce que tu voudras ; je sais que tu es dévoré du zèle de la maison du Seigneur, mais n'oublie pas qu'il est écrit que celui qui n'est pas pour moi est contre moi. Adieu , je n'assisterai pas plus long temps a une conférence où l'on met en avant des principes mondains. » |

Débarrassé de l'ardent prêcheur, l'artificieux Burley vint rejoindre son prosélyte mais avant d'aller plus loin , il est à propos de faire connoître à nos lecteurs le personnage dont nous l'entretenons. ;

John Balfour de Burley étoit d'une bonne famille du comté de Fife, et possédoit une assez belle fortune. Il avoit embrassé le parti des armes dès ses premières années, et avoit passé sa jeunesse dans des excès de toute nature. Devenir plus âgé , il étoit devenu , par ambition l'un des plus ardens Puritains d'Ecosse et le but de tous ses désirs étoit de devenir chef des Presbytériens. Pour y parvenir i


avoit suivi toutes les assemblées de ce ~parti. Il étoit connu dans tonte l'Ecosse , et ~partout où un mouvement d'insurrection e faisoit sentir on étoit sûr de l'y trouver. lardi à entreprendre, prompt à exécuter, artisan des mesures les plus violentes, il chauffait l'enthousiasme des autres, et il init par le partager, quoiqu'il sût toujours e subordonner à sa politique.

t Chacun reconnoissoit que c'étoit prinipalement à lui qu'étoit due la victoire qu'on venoit de remporter ; et cependant < 1 étoit encore loin de se trouver où son ~ambition désiroit arriver, et la cause en ~étoit la diversité d'opinions qui divisoit Mon parti. Les plus violens Puritains apirouvoient le meurtre du primat d 'Ecosse, dont il avoit été le principal auteur. Mais Jes Presbytériens modérés, en convenant ique l'archevêque étoit le chef de leurs perécouteurs , blâmoient hautement ceux qui l'avoient assassiné, et traitoient cette ac~tion de crime punissable. Les premiers condamnoient comme coupables de prévarication , les Presby teriens et les ministres qui consentoient à se soumettre aux ~ois et aux réglemens du Gouvernement j


donnoient à Charles II les noms de Saül et d'Ochosias, et vouloient se soustraire a son autorité : les autres, sans méconnoître l'autorité légitime du roi, ne demandoient que la liberté de conscience , el la fin du régime militaire qui opprimoit leur pays. 11 se trouvoit donc bien des germes de division dans le parti, et ce motif faisoit désirer vivement a Burley d 'entraîner Henry Morton dans les rangs des insurgés, afin d'y retenir les Presbytériens modérés, parmi lesquels la mémoire du colonel Silas Morton étoit encore chérie et respectée, et qui reconnoitroient volontiers son fils pour leur chef. Il se flatloit, d 'ailleurs, d'exercer quelque influence sur l'esprit de ce jeune homme, et de conserver, par ce moyen, autant de crédit sur les modérés qu'il en avoit sur les fanatiques. Il avoit donc vanté, au conseil de guerre, dont il étoit l'ame, les talens et les dispositions de Morton, et en avoit obtenu, sans peine, sa nomination au rang d'un des capitaines de l'armée.

Les argumens dont il se servit pour déterminer Henry à accepter celle dan gereuse promotion , étoient aussi adroits que


ressans. Il convint franchement qu'il pen)it absolument comme le fougueux prêheur qui venoit de les quitter; mais il li représenta que dans la crise où se trouoient les affaires de la nation, une légère différence d'opinion ne devoit pas empê- cher ceux qui désiroient le bien de leur ~atrie, de prendre les armes pour la dé~endre; que le point important étoit de élivrer le pays du joug imposé par le espotisme militaire; qu'il étoit indispen~able de profiter de l'avantage décisif qu'on enoit d'obtenir; que ce succès alloit sou~ever, en leur faveur, tous les comtés de ouest de l'Ecosse ; enfin , qu'on se renroit coupable si, par crainte ou par indifférence , on refusoit de coopérer au triomphe de la cause de la justice.

Morton, doué d'un caractère fier et indépendant, n'étoit que trop porté a se oindre à des insurgés, dont le but semloit être de faire rendre à leur pays les roits et les privilèges dont il se trouvoit ~ajustement dépouillé. Il craignoit, à la vé~rité , que celle grande entreprise ne fût pas soutenue par des forces suffisantes, et que ~ceux qui la coaduisoient n'eussent pas as-


sez de grandeur d'ame et de générosité pour la diriger par des moyens conve-; nables; mais, d'une autre part, il étoit dé- jà suspect au Gouvernement, il ne voyoit pas de sûreté pour lui à retourner chez sou onde , il n'avoit aucun moyen pour passer en pays étranger; tout se réunissoit donc pour l'engager à accepter les propositions de Burley. Cependant, en lui annonçant qu'il acceptoit le grade que le conseil de guerre lui avoit conféré, il y mit une sor te de restriction.

« Je suis prêt, dit-il, à joindre mes foibles efforts aux vôtres pour délivrer mon malheureux pays de la tyrannie militaire qui l'opprime ; mais ne vous méprenez pas sur mes intentions. Je condamne absolument l'action qui paroit avoir déterminé cette insurrection, et si l'or, doit se permettre encore de telles horreurs, il ne faut pas compter sur ma par., ticipation. »

Le sang monta au visage de Burley « Vous voulez parler de la mort de l'ar- chevêque? lui, dit-il, en cherchant à cacher son agitation. »

— « Précisément. »


- — « Eh ! qu'importe qu'un persécuteur e 1 l'Eglise, qui a mérité mille fois la mort, )mbe sous le glaive de la justice légale, ou 1 )us le fer d'un instrument suscité par la istice divine pour en délivrer la terre? e st-ce aux hommes à juger d'une action ui est le résultat d'une inspiration d'en ^aut? M

- — « Je ne m'établis pas juge, mais je : eux que vous connoissiez bien mes prin~cipes. Je vous dirai donc que vos raisoneniens ne me satisfont point. Un crime st toujours crime à mes yeux, et je ne roirai jamais que le ciel puisse en inspi'er. Je désire donc que vous compreniez lien que j'entends me joindre à des hommes jui font une guerre franche et loyale, en e conformant aux lois suivies, en pareils ias, par toules les nations civilisées, et ans se permettre ni brigandages, ni assassinats. »

Burley se mordit les lèvres, et eut peine L contenir son ressentiment. Déterminé >ourtant à entraîner Morton dans son earti, il cacha son mécontentement, et réondit d'un ton calme : « Je n'ai caché

~na conduite ni aux yeux de Dieu ni à ceux


des hommes. Ce que ma main a fait n' a pas été désavoué par ma bouche, et je soutiendrai mon innocence, les armes à la main, devant tout tribunal, sur l'échafaud, et le jour du jugement suprême ; mais j, ne chercherai pas à convaincre un homme dont les yeux ne sont pas encore ouverts à la lumière. Voyez donc, sans prolonger cette discussion, si vous voulez devenir un de nos frères d 'armes, et en ce cas, suivez - moi au conseil de guerre qui va délibérer sur les moyens de profiter de la victoire. »

Morton le suivit en silence, peu satisfait de son nouvel associé, suspectant beaucoup les motifs de ceux qui étoient à la tête de cette entreprise, et craignant qu'ils ne voulussent la soutenir par des mesures qu'il ne pourroit approuver.


CHAPITRE IV.

« Vous voyez qu'un vieillard parfois peut être utile.»

SHAKESPEARE.

IL faut que nous retournions maintenant au château de Tilliefùdlem , que le départ du régiment des gardes avoit laissé plongé dans le silence et l'inquiétude.

Les assurances de lord Evandale n'avoient pas entièrement calmé les craintes d'Edith. Elle le connoissoit généreux et incapable de manquer à sa parole; mais il étoit évident qu'il soupçonnoit Henry d'être un rival heureux. IN'étoit-ce pas attendre de lui un effort au - dessus de la nature humaine, que de supposer qu'il s'occuperoit de veiller à la sûreté de Morton, et qu'il le préserveroit des dangers auxquels devoient l'exposer sa captivité, èt les préventions que Claverhouse avoit conçues contre lui ? Elle s'abandonnoit donc à de vives alarmes, et fermoit l'oreilleaux motifs de consolation que Jenny Dennison lui suggéroit l'un après l'autre.


comme un habile général envoie successivement des renforts h une division engagée avec l'ennemi.

D'abord Jenny assurait qu'elle étoit moralement certaine qu'il n'arriveroit aucun mal à Henry ; ensuite elle ne pouvoit oublier que dans le cas contraire lord Evaudale restoit et n'étoil pas un parti à dédaigner. Et puis qui pouvoit répondre du succès d'une bataille ? Si les Presbytériens avoient le dessus, Henry et Cuddy se joindroient à eux , viendroient au château, et les- enleveroient toutes deux de vive force. « Car j'ai oublié devons dire, miss Edith, continua-t-elle en pleurant, que .ce pauvre Cuddy est aussi entre les mains de's soldats. On Ta amené ici prisonnier ce matin; j'ai été obligée de dire de belles paroles à Holliday pour obtenir la permission de lui parler, et Cuddy ne m'en a pas su aussi bon gré qu'il l'auroit dû. Mais 9 bah! ajouta-t-ellc, en changeant brusquement de ton, et en remettant son mouchoir dans sa poche , je n'ai pas besoin de rendre mes yeux rouges ,en pleur rant. Quand ils emmeneroient la moitié des jeunes gens, il.en resteroit encore assez. »


Les autres habitans du château n'eloieut ni plus contens, ni moins inquiets. Lady Marguerite pensait que.le colonel, en lui refusant la grâce d'un homme qu'il avoit condamné, avoit manqué à la déférence due à son rang, et avoit même empiété sur ses droits seigneuriaux, en voulant le faire exécuter sur ses domaines.

« Clavèrbouse aurait du se rappeler , mon frère , dit-eUe , que la baronnie de Tillietudlom a toujours jp4i 'du droit do haute et moyenne justice, et par con- séquent. si le coupable devoit être exécuté sur mes; terres ( ce que je considère comme peu. honnête, puisque, ce château n'est habité que par des femmes pour qui de semblables tragédies sont peu agréables), il auroit dû le remettre entre les mais de mon bailli pour qu'il présidat à l'exécution. Je suis: persuadée que le roi lui-même , lorsqu'il est venu déj... »

« La loi martiale fait faire toutes, les autres , maj sapeur , intérrompit le major. Je i conviens : cependant que le colonel n'a pas apporté l'attention convenable à votre demande, et je ne suis pas très-flatté moi-même qu'il ait Refusé k un vieux ser-


viteur du roi tel que moi, une grâce qu 'il a accordée 'au jeune Evandale , sans doute parce qu'il est lord , et qu'il a du crédit près du conseil privé. Mais pourvu que la vie du pauvre diable soit sauvée, je me console aisément du reste. — A propos , je passe la journée avec vous, ma sœur. Je veux avoir des nouvelles decette affaire de Landon-Hill. Cependant je ne puis croire qu'un attroupement de paysans tienne devant un régiment comme celui que nous avons vu ce matin. — Ah! il fut un temps ou je n'aurois pu rester tranquille, assis dans un fauteuil , quand 'je savois , ! ~on se battoit à dix milles de moi. La qui1 - ~se ! la vieillesse ! » .! vieilles Te serai enchantée que vous res-

— « ~ 41, mon frère, mais quoiqu'il tiez avec m~ ; -poli de vous laisser seul, ne soit pas très ^ L permettiez de veiller à il faut que vous n~ rdre dans le château ; ce qu'on rétablisse l'o~ breuse compagnie vous sentez que la non~ m peu dérangé. » que j'ai reçue doit l'avoir ironie comme

— « Oh l ie hais la céré~

bronche. : mais ou est ma un cheval qui ^

petite nièce ? ~Elle est indispo- Dans sa chambre.


sée ; je crois qu'elle s'est mise au lit. Dès qu elle s'éveillera, je lui ferai prendre des gouttes de... » . »

« Laissez-là vos gouttes! dit le major •* je sais ce que c'est. Elle n'est pas habituée à voir un jeune homme de sa connoissance, emmené pour être fusillé ; un autre partir tout à coup, sans savoir si on le verra revenir. Mais si la guerre civile se rallume, il faudra bien qu'elle s'y accoutume. »

— « A Dieu ne plaise, mon frère ! »

— « Oui, vous avez raison ; à Dieu ne plaise! — Mais qu'on appelle Harrison, je ferai une partie de trictac avec lui. »

On le chercha , etGudyil vint annoncer qu'il étoit sorti à cheval pour tâcher d'avoir quelques nouvelles de la bataille.

« Au diable la bataille, s'écria le major, elle a mis le désordre dans tout le château. On diroit qu'on n'en a jamais vu dans ce pays. — On se souvient pourtant de celle de Kilsythe, Gudvil ? »

— « Et celle de Tippermuir, M. le major. J'y combattois à côté de mon maître. » • •• '<

— « Et de celle d'Alford, Gudyil j où je commandois la cavalerie } et de celle,


d'Innerlochy, où j'étois aide de camp du grand marquis. »

Ayant une fois entame le sujet de leurs campagnes, le major et Gudyil tinrent assez long-temps en échec ce formidable ennemi appelé le Temps , avec lequel les vétérans, dans le peu de jours tranquilles dont ils jouissent à la fin de leur carrière, sont presque toujours en état d'hostilité.

On a fréquemment remarqué que les nouvelles des événemens importans se répandent avec une célérité qui passe toute croyance , et que des rapports , corrects quant au fonds, quoiqu'inexacts dans les détails, précédent toujours leur annonce officielle, comme si des oiseaux les avoient apportés à travers les airs. Har- rison n'était encore qu'à quatre ou cinq milles de Tillietudlem , lorsqu'il arriva dans un village où le bruit de la victoire des Presbytériens étoit déjà répandu. Il écouta à la hâte les détails qu'on put lui donner, et tournant la bride de son cheval, il. revint au château au grand galop.

Son premier soin fut de chercher le major. Il causoit encore avec Gudyil. « Vous devez vous souvenir , disoit-il,


que ce fut au siège de Dundee que je.... »

« Fasse le ciel, monsieur le major, s'écria Harrison , que nous ne voyions pas demain celui du château de Tillietudlem ! »

« Que voulez-vous dire , Harrison ? s'écria le major tout étonné: que diable signifie cela? »

— «Sur mon fion neur, monsieur le major, le bruit général, et qui ne paroît que trop véritable, est que le colonel Claverhouse a été battu; quelques-uns disent même qu'il est tué : on ajoute que le régiment est cn déroute,et que les rebelles s'avancent de ce côté 3 mettant à feu et à sang tout ce qui n'est pas de lieur parti. »

« Je n'en crois rien, dit le major en se levant brusquement : j amais on ne me persuadera que le régiment des gardes ait reculé devant des rebelles.. — Mais pourquoi parlé-je ainsi ? N'ai-je pas vu moi-même arriver de pareilles choses ? — Pique ! — Pique ! — allons donc, Pique, montez a cheval, et avancez du coté de London-Hill, jusqu'à ce que vous ayez des renseignemens certains sur tout ce qui s'est passé. — Mais en mettant les choses


au pis , Gudyil , je pense que ce château seroit en état d'arrêter quelque temps les rebelles, s'il avoit des vivres, des munitions et une garnison. Sa position est importante. Elle commande le passage du haut au bas pays. — Il est heureux que je me trouve ici ! — Harrison faites prendre les armes à toutce qui se trouve d'hommes dans le château. — Gudyil, voyez les provisions que vous avez, et celles qu'on peut se procurer. Faites venir les bestiaux de la ferme dans les écuries du château. — Le puits ne tarit jamais. 11 y a quelques vieux canons sur les tours, si nous avions des munitions ! »

« Les soldats, dit Harrison, en ont laissé ce malin quelques caissons à la ferme, et ils dévoient les reprendre en repassant. » u Excellent! dit le major; hâtez-vous de les faire entrer au château, et réunissez toutes les armes que vous pourrez vous procurer; fusils, pistolets, épées, sabres, piques, ne laissez pas un poinçon. — Fort heureux que je sois ici ! — Mais il faut que je parle à ma sœur à l'instant. »

Lady Marguerite fut étourdie d'une notivelle si inattendue et si alarmante. Il lui


avoit semblé que la force imposante qui avoit quitté son château dans la matinée, suffisoit pour mettre en déroute tous les mécontens d'Ecosse , et sa première idée fut qu'il lui seroit impossible de résister à une force qui avoit suffi pour triompher du régiment de Claverbouse. ' « Quel malheur, mon frère, s'écria-telle, quel malheur! A quoi servira tout ce que nous pourrons faire ? Iis détruiront mon château, ils tueront Edith ; car, pour moi, Dieu sait que le soin de nia vie n'est pas ce qui m'occupe. Le mieux ne seroit+ il pas de nous soumettre?» -

« Ne vous effrayez pas; ma sœur, répondit le major ; la place est fortey l'ennemi ignorant et mal armé. La maison de mon frère ne deviendra pas une caverne de brigands et de rebelles j tant que Je vieux Miles Bellenden existera. Mon bras est plus foible qu'autrefois; mais, grâce âmes cheveu'x blancs , j'ai quelque con- noissance de la guerre, et je..... Ah! voici Pique qui nous apporte des nouvellesi Hé bien, Pique qu'avez-vous appris? » « Hé bien, dit Pique, avec grand sang froid, déroute compléte. » •


u Qui avez-vous va? demanda le major. Qui vous a appris cette nouvelle ? »

- « Une demi-douzaine de dragons qui fuient du côté d'Hamilton , et qui semblent se disputer à qui y arrivera le plus vite. Ils gagneut au pied, et gagne la bataille qui peut! »

. « Continuez vos préparatifs, Hamil- ton. - Gudyil, faites tuer autant de bœufs que vous avez de sel pour les saler. Envoyez à la ville, et faites-en rapporter de la farine et d'autres provisions. IN e perdez pas une seul instant. — Ma sœur, vous feriez peut - être bien de vous retirer à Charnwood, avec ma nièce, pendant que les chemins sont encore libres. »

— « Non , mon frère , puisque vous croyez que mon vieux château peut tenir contre les rebelles, je ne le quitterai point. Je l'ai quitté deux fois, en semblable occasion , dans ma jeunesse, et en y revenant, je n'y ai plus revu ses plus braves défenseurs. J'y resterai donc, dussé-je y trouver la fin de mes vieux jours. »

—: « Après tout, c'est peut-être le parti le plus sûr pour Edith et pour vous. Celle affaire va être le signal d'une insurrection


générale des Presbytériens, d'ici à Glascow, et vous pourriez courir à Charnwood encore plus de dangers qu'ici. »

« Mon frère, dit gravement lady Mar- guerite, comme vous êtes le plus proche parent de défunt mon époux, je vous investis avec ceci (et elle lui remit la vénérable canne à pomme d'or qui avoit appartenu à son père, le comte de Torwood) du commandement du château de Tillietudlem, du droit d'y exercer haute ét moyenne justice, de commander mes vassaux , de les punir, comme je pourrois lé faire moi-même, et je me flatte que vous défendrez convenablement une place dans laquelle sa Majesté le roi Charles II à daigné..... »

« C'est bon, ma sœur, c'est bon, in- terrompit le major, nous n'avons pas le temps en ce moment de parler du déjeuner de sa Majesté. »

A l'instant il quitta sa soeur, et courut avec la vivacité d'un jeune homme de vingt-cinq ans, faire la revue de sa garnison , et examiner les moyens de défense de la place.

Le château de Tillietudlem étoit situé


sur le haut- d'une montagne. Des précipices et des rochers escarpés Je rendoient inaccessible de trois côtés, et le seul par où l'on pût en approcher étoit entouré de murailles très-épaisses, et précédé d'une cour fermée par des mûrs de même espèce qui étoient flanqués de tourelles et crénelés. Au milieu du château s'élèvoit une tour qui dominoit tous les environs , et sur la plate-forme de laquelle sç trouvoient quelques pièces de canon qui a voient encore servi dans les dernières guerres civiles. ■£.

On étoit donc parfaitement à l'abri d'un coup de main; mais on a voit à craindre la famine et un assaut.

Le major ayant fait charger les canons , les fit pointer de manière à commander la route par où les rebelles devoient avancer. Il fit abattre des arbres qui auroient nui à l'effet de son artillerie, et avec leurs troncs et d'autres matériaux , fit construire, k la bâte, plusieurs rangs de barricades dans l'avenue qui conduit au château. -U çqndamna la grande porte de la cour, et n'y laissa ouvert qu'un étroit guichet.

Ce qu'il avoit plus à craindre, étoit


la foiblesse de la garnison. Tous les efforts d'Harriso.n n'avoient pu parvenir qu'à rassembler neuf hommes, eti y comprenant Gudyil et lui. Le major et son fidèle Pique, complétaient le nombre de onze, dont une bonne partie étoient déjà avancés en âge. On auroit pu aller jusqu'à douze; mais lady Marguerite, qui n'avoit pas oublié l 'affront auquel la maladresse de Cibby 1 avoit exposée le jour de la revue, ne voulut pas permettre qu'on lui donnât des armes, et déclara qu'elle aimeroit mieux voir prendre le château, que de devoir son salut a un tel défenseur. C'étoit donc avec une garnison de onze hommes, compris le commandant, que le major Bellenden résolut de défendre la place jusqu'à la dernière extrémité.

Les préparatifs de défense ne pouvoient se faire sans le fracas ordinaire en pareille occasion. Les femmes crioient, les chiens hurloient, les hommes juroient, la cour retentissoit du bruit des messagers qui partoient ou arrivoient à chaque instant : un chariot de farine qu'on amena de la ville, tous les bestiaux de la ferme qui entrèrent dans le château, redoubloient la confusion ;


enfin la tour de Tillietudlem étoit devenue celle de Babel.

Tout ce fracas, qui auroit pu réveiller les morts , ne tarda pas à arriver aux oreilles d'Edith, et à interrompre les réflexions auxquelles elle se livroit. Elle envoya Jenny s'informer de la cause du tumulte extraordinaire qui régnoit dans le château ; mais Jenny, semblable au corbeau sorti de l'arche, trouva tant de choses à demander et à apprendre, qu'elle oublia d'aller rejoindre sa maîtresse ; et miss Bellenden, dont l'inquiétude redoubloit, et qui n'avoit pas une colombe à faire partir ensuite, se détermina à descendre pour chercher elle-même désinformations. Dès la première demande qu'elle fit, cinq à six voix lui répondirent en même temps, que Claverhouse et tout son régiment avoient été tués, et que dix mille insurgés, commandés par Burley, Morton et Cuddy, marchoient sur le château pour s'en emparer. L'étrange association de ces trois noms, lui parut une preuve de la fausseté de cette nouvelle, et cependant le mouvement qu'elle voyoit, lui démontroit qu'on avoit conçu de vives craintes.


> « Où est lady Marguerite ? demanda Idith. »

« Dans son oratoire, lui répondit on. » C'étoit une salle servant de tribune lans la chapelle du château , où lady Bel.. enden se retiroit dans les occasions exraordinaires où elle vouloit se livrer 1 une maniéré particulière à quelques exercices de dévotion, ce qui lui arrivoit ies anniversaires des jours où elle avoit perdu son mari et ses enfans, et toutes les Fois qu'elle pouvoit avoir à craindre des malheurs publics ou particuliers. Elle avoit sévèrement défendu qu'ont vint jamais l'y interrompre, et Edith, accoutumée au plus ;rand respect pour les volontés de son ~ïeule, n'osa enfreindre ses ordres, même en cette circonstance.

« Où est mon oncle? demanda-t-elle al ors. »

On lui apprit qu'il éloitsurla plate-forme de la tour, occupé à mettre en ordre l'artillerie qui la garnissoit. Elle y courut surle-champ , et le trouva au milieu de son élément, donnant des ordres et des instructions, encourageant, grondant; enfin


rem plissant tous les devoirs d'un bon gou verneur.

« Au nom du ciel, mon oncle, s'écri; Edith, de quoi s'agit-il donc ? »

« De quoi il s'agit, ma chère? -Gudyil. pointez ce canon davantage sur la droite. — « De quoi il s'agit? Claverhouse est en déroute; les Presbytériens marchent sui le château. Il ne s'agit que de cela. »

« Bon Dieu! s'écria Edith, en jetan' les yeux sur la route, ils arrivent déjà. je les aperçois. »

« De quel côté? dit le major, en metmant ses lunettes. Mes amis, soyez 1 vos canons, mèche allumée; il faut que ces coquins nous payent un tribut dès qu'ils seront à portée. — Mais, un moment, un moment ! ce sont des cavaliers du régiment des gardes. »

« Oh ! non , mon oncle, dit Edith voyez comme ils marchent en désordre, sans garder leurs rangs. Il est impossible que ce soit là la belle troupe que nous avons vue ce matin. »

« Ma chère enfant, dit le major , vouî ne savez pas quelle différence il se trouve entre le régiment qui marche au combat,


celui qui se sauve après une défaite. Mais je ne me trompe pas, et je distingue même leur drapeau. Je suis charmé qu'ils ~ayent pu le sauver. »

i Plus les cavaliers avançoient, plus il étoit facile de reconnoître qu'ils faisoient i effectivement partie du régiment des garles. Ils firent halte devant le château , et l'officier qui les commandoit entra dans l'avenue qui y conduisoit.

« C'est Claverhouse ! s'écria le major : c'est bien lui, certainement. Je suis ravi qu'il ne soit pas tué ; mais il paroît qu'il a perdu son fameux cheval noir. Gudyil, allez prévenir lady Marguerite. »

— « Elle est dans l'oratoire, monsieur le major! »

, — « N'importe! dites-lui que c'est par mon ordre. — Faites préparer des rafraiichissemens, des fourrages. — Allons, ma nièce, descendons sur-le-champ; nous jallons enfin avoir des nouvelles positives. »

i


CHAPITRE V.

Sou maintien noble et fier, son regard plein d'ardeur Semhloieut encore en lui proclamer un vainqueur. »

HARDYKNUTE.

Le colonel se présenta devant la famille de lady Marguerite, rassemblée dans le salon pour le recevoir, avec la même sérénité et la même aisance qu'on avoit remarquée en lui dans la matinée du même jour. Il avoit eu assez de sang froid pour réparer une partie des désordres que le combat avoit apportés dans tout son extérieur. Il avoit fait disparoître de ses mains les traces qu'y avoient empreintes le sang: des ennemis, et l'on auroit cru qu'il venoit de faire une promenade du matin.

« Je suis désolée, colonel, dit la vieille dame , les yeux en pleurs , véritablement désolée. »

« Je crains , ma chère lady Bellendem, dit Chaverhouse, qu'après l'échec que nous venons d'éprouver, vous ne soyez pas trop en sûreté dans votre château :


être loyauté bien connue, et l'hospitalité <e vous avez accordée ce matin aux hupcs de sa Majesté, peuvent avoir des ~siles dangereuses pour vous. Je viens avec vous proposer, si la protection d'un œuvre fuyard ne vous paroît pas a méiscr, de vous escorter, ainsi que miss dith, jusqu'à Glascow, d'où je vous ferai enduire à Edimbourg ou au château de umbarton , comme vous le jugerez coninabJe. »

« Je vous remercie, colonel, répondit Jy Marguerite, mais mon frère a entreis de défendre le château contre les reélles, et jamais lady Bellenden ne fuira Tillieludlem , tant qu'il s'y trouvera un ~ave militaire qui se charge de l'y proger. »

« Le major Bellenden a formé ce dessin ! s'écria Claverhouse, en tournant sur ~i des yeux étincelans. Et pourquoi ett .outerois- je ? il est digne du reste de sa ie. Mais, major , avez vous les moyens de résister à une attaque? »

« Rien ne me manque, dit le major, que des hommes et des provisions. »

; « Je puis, dit le colonel, vous laisser


douze ou-vingt hommes qui- tiendroie i sur la brèche, le diable montât - il lui- même à l'assaut. Vous rendriez un grand service à l'Etat, en arrêtant ici l'ennemie ne fût-ce qu'une semaine, et d'ici à < temps - vous recevrez bien certainement des secours. »

« Avec vingt hommes courageux, d le major, je réponds du château. J'y fait entrer les caissons que vous aviez à ferme, et quant aux provisions, j'espè. que les messagers qui sont partis pov tous les villages voisins vont en apportai Au surplus nous mangerons les semelle de nos bottes avant de nous rendre. » 11 « Oserai-je vous faire une demandé colonel? dit lady Marguerite ï je désire, rois que le détachement que vous voule bien ajouter a ma garnison fût commandé par le sergent Stuart de Bothwell. Ce se roit un moyen de motiver sa promotio à un grade supérieur, et la.noblesse d son sang m'inspire de la confiance. » 4 « Les campagnes du sergent sont tei minées, mylady , répondit Claverhouse et ce n'est plus dans ce monde qu'il peu espérer de l'avancement. »


* Pardon, dit le major en prenant le colonel par le bras, et en s'éloignant des ~dues , mais je suis inquiet pour mes ~vis. Je crains que vous n'ayez fait e autre perte , et plus importante. J'ai marqué que ce n'est plus votre neveu fi porte votre étendard. »

« Vous avez raison , major, répondit averhouse , sans changer de ton : mou ~veu n'existe plus , il est mort d'une manière digne de lui, en faisant son desir. »

« Quel malheur ! s'écria le major : un beau jeune hoinme, si brave, donnant et d'espérances! » •

« Tout cela est vrai, dit Claverhouse,

> regardois le pauvre Richard' comme jn fits : c 'étoit la prunelle de mes yeux, ~son héritier présomptif, — Mais je vis, major, ajouta-t-il en lui serrant la main directement, je vis pour le venger. »

« Colonel, dit le brave vétéran , en suyant une larme qui s'échappoit de ses ~ux je m'applaudis de vous voir stiporter ce malheur avec tant de fermeté. » « — Quoi qu'on en puisse dire, major, oyez que je ne suis égoïste ni dans mes


espérances , ni dans mes craintes, ni da; mes plaisirs , pi dans mes chagrins. bien publie a toujours élté mon seul but Peut-être ai-je poussé la. sévérité un p loin, mais j'ai agi pour le mieux , et ne dois pas plus montrer de foiblesse po mes souffrances que je n'en ai fait v( pour celles des autres. Mes ennemis da le conseil m'accuseront de ce revers : je méprise leurs accusations. lis me lomnieront auprès du souverain : — saurai leur répondre. Les rebelles trion pheroot de ma défaite ; — jour vie dra où je leur prouverai qu'ils ont trioj phé trop tôt. Le jeune homme qui vie de succomber étoit la. seule barrière eni un avide collatéral et moi, car vous sav que le ciel ne m'a pas accordé d'enfan mais ce malheur ne frappe que moi, et patrie a moins à regretter sa perte que ce de lordEvandale qui, après avoir vaillar ment combattu, a, je crois , péri pareille ment. » . - - ..

;« Quelle journée fatale, colonel ! < m'a dit que l'impétuosité de ce pauvre braye jeune homme a été l'une des causes de la perte de la bataille. » £


- « Ne parlez pas ainsi, major. Si nelque blâme a été mérité aujourd'hui, d'il s'attache aux vivans , et qu'il ne flétsse pas les lauriers de ceux qui sont iorts avec gloire. Je ne puis cependant vous assurer que lord Evaudale ait suc~ombé. Nous quittons le champ de bataille ec environ quarante hommes , tristes bris du régiment, nous étions poursuivis de très-près ; derrière le plateau de ~oudon-Hill je retrouvai une trentaine e cavaliers qui étoient dispersés, et que parvins à rallier, mais Evaudale n'étoit pus avec nous. Un de mes cavaliers l'a. vu mber de cheval , et je ne puis douter ~qu'il ne soit tué ou prisonnier. »

« Votre troupe est augmentée depuis être arrivée ici, colonel, dit le major, ~ regardant par une fenêtre qui dominoit ir l' avant-cour du château, où les sol~ts étoient entrés. »

« Oh ! dit Claverhouse, mes coquins ne sont tentés ni de déserter, ni de- s'écarter us loin que la première frayeur ne les emportés, Il ne règne pas beaucoup d'amitié entre eux et les. paysans de ce pays : chaque village par.où ils passeroient


isolément s'insurgeroit contre eux, et les faulx , les fourches, les fléaux leur inspirent une terreur salutaire qui les rament sous leurs drapeaux.

Ils discutèrent alors les moyens de défense du major , et convinrent de la manière dont ils pourroient entretenir uni ~ correspondance, dans le cas où l'insurrection viendroit à s'étendre. Claverbouse renouvela son offre de conduire à Glascov lady Bellenden et miss Edith , niais le ma jor pensa qu'elles seroient aussi eu sûrete à Tillietudlem.

(

Le colonel prit congé des deux dame avec sa politesse ordinaire. Il les assure qu'il éprouvoit le plus grand regret d'être obligé de Jes quitter dans un moment auss dangereux, et leur dit que son première soin scroit de secourir le château ; qu'ainsi elles pouxoienl être sûres de le revoir , d'avoir de ses nouvelles très-incessam- ment.

Lady Marguerite étoit trop inquiète e trop agitqe-pour lui répondre comme elli l'auroit fait "en toute autre circonstance Elle se borna, en faisant ses adieux à Cla verhouse, « le remercier du renfort qu 'il ^


avoit promis de lui laisser. Edith mouroit d'envie de s'assurer du sort d'Henry Mor- ton, mais elle neiput :se résoudre à prononcer son nom. Elle se flatta que son oncle en auroit pavlé au colonel, dans la conversation particulière qu'il avoit eue avec lui.; elle se trompoit pourtant. Le major étoit si occupe de ses préparatifs de défense, qu'il avoit à peine dit un mot À Claverhouse qui y fût velatif et si son propre fils se fût trouvé dans la situation d'Henry, il est probable qu'il l'auroit oublié de mêftie. ) ' ' . - •>

Le colonel descendit pour se mettre à la téte des débris de son régiment, et le major l'accompagna, pour recevoir le détachement qu'il devoit lui laisser.

« Je ne puis Vous donner aucèn .officier , dit Claverthouse; il ne m'en reste qu'un très-petit nombre, et leurs efforts joints aux miens suffiront à peine pour maintenir l'ordre et la discipline parmi mes cavaliers. Je vous laisserai Inglis pour les commander soifs vos ordres; mais si quelque officier du région eh t venoit au château après mon départ, je vous autorise . à le retenir, et sa présence ne Sera pas


inutile pour assurer la subordination. »

Les cavaliers étant prêts à partir , il fit sortir des rangs seize hommes, les jnit sous le commandement du caporal Inglis à qui il donna le grade de sergent, et leur dit ensuite • « Je vous confie la défense de ce château sous les ordres du major Belleudeu, fidèle serviteur du roi. Si vous .vous. conduisez avec sagesse , courage et soumission , chacun de vous sera récompensé à mon reloue, Si quelqu'un néglige l'un de ces devoirs , ou se permet le moindre excès , le prévôt et la corde. — Vous me connoissez, et vous savez que je ne manque jamais à ma parole. — Adieu , major , dit-il en lui serrant Sa main , mon amitié vous est acquise pour vie. Puissiez-vous réussir dans votre entreprise, et puissions-nous tous deux voir des temps plus heureux ! «

La troupe se mit alors en marche. Elle n'avoit plus cet air fier et çette apparence ■ brillante qu'on lui avoit vus quand elle avoit

quitté le château le matin, mais grâce aux efforts du major Allan ; $ l' ordre s'étoit rétabli dans leurs rangs, et l'on pouvoit encore reconnoitre qu'elle appartenait au régiment des gardes.


Lemajor, aussitôt après leurdépart, envoya une vedette pour reconnoitre les mouvemens de l'ennemi. Tout ce qu'il put apprendre fut qu'il paroissoit disposé à passer la nuit sur le champ de bataille. Leurs chefs avoient envoyé dans tous les villages voisins pour se procurer des provisions. Il arriva de là que dans le même endroit on recevoit au nom du roi l'ordre d'en envoyer au château de Tillietudlem, et au nom de l'armée presbytérienne celui d'en faire passer à LoudonHill. Chaque demande de cette nature étoit accompagnée de menaces si l'on n'y obéis,soit, car ceux qui lesfaisoient savoient que, sans ce moyen , l'on détermineroit avec peine les paysans à se séparer de ce qui leur appartenoit. Les pauvres gens qui re- cevoientces ordres contradictoires étoient donc fort embarrassés pour savoir auquel ils devoient obéir.

N iel, dont nous avons parlé au commencement de cet ouvrage, se trouvoit dans cette position difficile, mais son génie fertile lui suggéra le moyen de s'en tirer.

« Ces maudits temps rendroient fou


l'homme lé plus sage, dit-il, il faut pourtant prendre son parti. Voyons , Jenny 1 qu'elles provisions avons-nous à ■la maison ?»

~ « Quatre sacs d'avoine, mon père , deux d'orge et deux de pois. »

Hé bien, mon infant, conlinua-t-il, eu poussant un gros Soupir, dites à Bauldy 'de porter l'orge et les pois à Loudon-Hill; .cela conviendra pour les estomacs des Presbytériens. 'Qu'il ait soin de dire que nous n'avons pas autre chose à la maison. Qu'il ne craigne pas de faire un mensonge, puisque c'est pour le bien de la maison. Au surplus , s'il a quelques scrupules , qu'il attende un moment, il me verra partir pour Tillietudlem avec les quatre sacs d'avoine. Il y a des dragons au château, et je suis sûr qu'ils ne-me verront pas de mauvais œil. »

«Mais, mon père , qu'est-ce qui nous testera pour nous , quand nous aurons donné tout ce que nous avons ? »

« Vous avez oublié que nous avons un 'sac de farine de froment, mon enfant ; il faudra bien nous résoudre à le manger , dit Niel d'un ton de - résignation. Cen'e&t


pas une trop mauvaise nourriture, et les Anglois la préfèrent, quoique les Ecossois prétendent que la farine d'orge vaub mieux pour faire le pudding. »

Tandis que le prudent Niel cherchoit ainsi a se faire des amis dans les deux partis, tous les environs prenoient les armes. Les Royalistes n'étoient pas nombreux ; c'étoient pour la plupart des seigneurs qui vivoient dans leurs châteaux, Ils ne songèrent pas à se réunir, mais chacun s'occupoit isolément des moyens de se défendre s'il étoit attaqué. On étoit instruit des préparatifs qui se faisoient au château de Tillietudlem, et on le regardoit comme une place où l'on pourroit se réfugier en dernier lieu, si la résistance devenoit inutile.

Tous les villages au contraire envoyoient de nombreux renforts à l'armée presbytérienne. Les troupes avoient commis beaucoup de désordres dans le pays ; les esprits des paysans étoient exaspérés ; ils voyoient donc avec plaisir l'échec qu'avoient souffert leurs persécuteurs, et ils regardoient la victoire des rebelles comme une porte qui leur étoit ouverte pour se-


couerle joug du despotisme militaire. On voyoit donc à chaque instant arriver au çamp de Loudoti-Hill des détachemens nombreux d'hommes décidés à soutenir une cause qu'ils croyoient devoir leur procurer la liberté civile et religieuse.


CHAPITRE VI.

)

« Reconnoissez des Grecs les nombreux bataillons, « Leurs tentes vont bientôt couvrir, tous nos sillons.»

TROÏLUS.

: Au bas d'une montagne, à environ un c mille du champ de bataille, étoit la hutte 1 d'un berger , misérable chaumière , mais ; seul couvert qu'on pût trouver à une distance raisonnable. Tel étoit le local choisi j par les chefs presbytériens pour y tenirleur conseil de guerre, et c'est là que Burley : conduisit Morton.

Celui-ci, en s'en approchant, ne fut pas •: peu surpris du tumulte et des cris qui frappèrent ses oreilles. Le calme et la gravité qu'il auroit cru devoir présider à un conseil destiné à délibérer sur des sujets si importans , et dans un moment si critique, sembloient avoir fait place à la discorde et a la confusion, et il en tiroit un augure peu favorable à la réussite de leur entreprise. La porté étoit ouverte , et assiégée d'une foule de curieux qui, sans:


prendre part à la délibération , croyoient. avoir au moins le droit de l'entendre. A force de prières , de menaces, et en employant quelque violence, Burley, à qui l'on accordoit une sorte de supériorité dans l'armée, parvint à entrer dans la salle d'assemblée, et à y introduire son compagnon. S'il se fût agi d'une affaire moins importante, Morton auroit été égayé par le spectacle qui s'offrit alors à ses yeux, et par les discours incohérens et ridicules qu'il entendit.

Cette chaumière obscure et à demiruinée, étoit éclairée en partie par un feu de bruyères vertes, coupées dans le voisinage, et dont la fumée ne trouvant pas une issue- suffisante par la cheminée, se répandoit dans toute la chambre, et formoit en s'élevant une espèce de dôme ténébreux au-dessus de la tête des chefs assemblés. Quelques chandelles, attachées le long des murs avec de la terre glaise , sembloient des étoiles qu'on aperçoit à travers un brouillard.

A la lueur de ce crépuscule on lisoit sur leurs figures, que les uns, enflés d'orgueil du succès qu'ils venoient d'obtenir,


ne croyoient rien d 'impossible à leurs ar-, nies; les autres, animés d'un enthousiasme féroce, sourioient d'avance aux scènes de. destruction qu 'ils prévoy oient. Quelques— uns, irrésolus et inquiets, auraient voulu ne pas se trouver engagés dans une cause qu'ils ne se sentoient pas les moyens de soutenir, et n'y persistoient que parce qu'ils n'osoient faire un pas en arrière. Au total, c'étoit un corps composé d'élémens disparates, et qui ne pouvoient se combiner ensemble. Les plus ardens étoient ceux qui, comme Burley, avoient pris part à l'as- sassinat de l'archevêque de St. André, et qui sachant que leur tête étoit mise à prix, ne pouvoient se sauver qu'à la faveur d'une combustion générale ; mais leur zèle ne l'emportait pas sur celui des prédicateurs puritains, qui, refusant de se soumettre au Gouvernement , préféroi6nt prêcher leurs sectateurs dans les forêts et les montagnes, plutôt que de les assembler dans des tem- pies, et de reconnoître l'autorité du roi. La classe des modérés se composoit de gentilshommes mécontens, de fermiers fa- tignés des vexations qui suivent le régime militaire, et ils étoient soutenus par lespré-


dicateurs, qui , ayant fait leur acte de soumission au Gouvernement, pou voient exercer librement leurs fonctions , mais qui, attachés de cœur à lat cause du Presbytérianisme , s'étoient empressés de venir se ranger sous ses drapeaux, dès qu'ils avoient pu espérer de la voir triompher. Parmi ceux-ci se trouvoit Pierre Poundtext, ministre aqtorisé de la paroisse de Miln- wood.

Il s'agissoit en ce moment de rédiger un maniféste pour expliquer les motifs de l'insurrection. Macbriar, Kettledrumle et plusieurs autres vouloient y insérer un anathème contre ceux qui avoient eu la foiblesse de faire au Gouvernement quelques concessions, et d'exercer leur ministère avec les restrictions qu'il avoit cru devoir y apporter. Poundtext et ses adhérens soutenoient avec opiniâtreté la légitirnité de leurs opinions, et citoient à l'appui force textes d'Ecritures , auxquels leurs adversaires répondoient par d'autres citations. Le conseil de guerre étoit devenu le théâtre d'une discussion théologique, et comme la vigueur des poumons étoit égale de chaque côté, c'étoit le bruit qu'ils faisoient


qui a voit régalé les oreilles de Morton , à son entrée dans la salle.

Burley, scandalisé de cette scène de discorde , employa tout le crédit dont il jouissoit pour obtenir du silence. Il leur remontra fortement les inconvéuiens qui résulteraient de leur désunion , dans un moment où il s'agissoit de rallier tous les efforts contre l'ennemi commun et il obtint enfin que toute discussion cessât sur, le point contesté. Mais quoique Kettledrumle et Poundtext, qui avoient pris la principale part à la querelle , se trouvassent ainsi réduits au silence, ils jetoient l'un sur l'autre des regards de colère , comme deux chiens qui, séparés pendant qu'ils se battoieut, se retirent en grondant, chacun sous la chaise de son mailre, et font voir par le mouvement de leur queue et de leurs oreilles , et par leurs yeux enflammés , qu'ils n'attendent que le moment de se livrer à leur rancune, et de s'é- lancer l'un contre l'autre. -

Burley profita du moment de silence qu'il avoit obtenu , pour présenter au conseil M. Henry Morton de Milnwood. Il en aria comme d'un homme profondément


touché du malheur des temps , et prêt a sacrifier ses biens et sa vie pour une cause à laquelle son père , le colonel Silas Mor ton , avoit rendu des services signalés. Henry fut accueilli avec distinction par son ancien pasteur, Pierre Poundtext, qui lui serra la main avec amitié , et par tous ceux qui professoient quelques principes de modération. Les autres murmurèrent les mots de tiédeur, d'indifférence, de tolérantisme, et quelques-uns rappelèrent tout bas que Silas Morton avoit fini par reconnoitre l'au- torité du tyran , Charles Stuart, et avoit par là ouvert la porte à l'oppression sur laquelle gémissoit l'Eglise presbytérienne. Cependant, comme l'intérêt général exigeoit qu'on ne refusât les services d'aucun de ceux qui vouloient mettre la main à l'œuvre , Morton fut reconnu pour un des chefs de l'armée, sinon avec l'approbation universelle , au moins sans que personne dit un seul mot pour s'y opposer.

Burley engagea alors tous les chefs à diviser en compagnies tous les hommes qui composoient l'armée , et dont le nombre croissoit à chaque instant. Dans celle répartition , les insurgés de la paroisse et de


la congrégation de Poundtext, se rangèrent naturellement sous le commandement d'Henry qui éloit né au milieu d 'eux , et il se vit à la tête d'une des plus belles et des plus nombreuses compagnies de l'ar. niée.

Cette besogne terminée, il devint néces»saire de déterminer la marche des opérations militaires. Le cœur de Morton battit vivement quand il entendit proposer de s'emparer d'abord du château de Tillietudlem , comme d'une position des plus importantes. Poundiext insistoit plus que tout autre sur la nécessité de cette mesure,et leshabitans des environs appuyoient son avis, parce que ce château pouvoit offrir une retraite aux troupes royalistes , qui brûleroient leurs maisons et persécuteroient leurs familles, lorsque l'armée ne s'y trouverait plus pour les défendre.

« J'opine , dit Poundtext (car les théologiens de cette époque n'hésitoient pas à donner leur opinion sur les opérations militaires , malgré leur ignorance profonde snr cet objet), j'opine pour qu'on s'empare de la forteresse de cette femme nommée lady Bellenden ; sa race est impie , et


a toujours eu les mains teintes du sang des vrais enfans de l'Eglise. »

« La place est forle , dit Burley , mais quels sont ses moyens de désense ? Deux femmes peuvent elles essayer de nous résister ? »

« Il s'y trouve aussi, dit Poundtext, John Gudy il, sommelier de la vieille dame , qui se vante d'avoir été soldat dès son enfance, et d'avoir porté les armes sous James Graham de Montrose , ce fils de Bélial. »

« Allons donc ! dit Burley d un air de mépris , un sommelier ! »

« Il s'y trouve encore , continua Poundtext, ce vieux royaliste, Miles Bellenden de Charnwood, qui, dans nos anciennes guerres, a toujours servi contre nos frères. »

« Si ce Miles Bellendeu, dit Burley, est le frère de sir Arthur, c'est un homme qui ne remettra pas son épée dans le fourreau quand il l'en aura tirée. »

« Le bruit couroit dans le pays, tout à l'heure, dit un autre qui ne faisoit qu'arriver, qu'aussitôt la nonvelle de la déroule du régiment , on a fait entrer dans le château des vivres et des soldats, et qu'on en a fermé la porte. »


« Jamais ce ne sera de mon consentelent , dit Burley , que nous perdrons nore temps à faire le siége d'un château. Il aut marcher en avant, et profiter de notre vantage pour nous emparer de Glascow. e ne crois pas que les débris du régiment ue nous avons battu aujourd'hui, ni même elui de lord Ross s'avisent de nous y atjndre. »

«Du moins, reprit Poundtext, nous ouvons déployer notre bannière devant Tillietudlem , et faire une sommation au hâteau. Quoique ce soit une race réfraclire, peut-être se rendront-ils. Nous ferons les hommes prisonniers, et nous donerons aux femmes un sauf-conduit pour se rendre en paix à Edimbourg. »

j « Qui parle de paix et de sauf-conduits? écria une voix aigre et glapissante sortant tu milieu de la foule. »

« Silence, frère Habacuc, silence! » dit Machriar, d'un ton presque suppliant. » » « Je ne me tairai pas , continua la uême voix. Est-ce le temps de parler e paix et de sauf conduits quand les en.ailles de la terre sont ébranlées? quand s rivières deviennent des fleuves de


sang ? quand le glaive à deux tranchans est sorti du fourreau ? »

En parlant ainsi le nouvel orateur parvint à s'avancer dans l'intérieur du cercle, et montra aux yeux étonnes de Morton une figure qui répondoit a la voix et aux discours qu'il venoit d'entendre. Il étoit couvert d'un habit en guenilles qui avoit jadis été noir, et il portoit par-dessus les fragmens d'un vieux plaid (i) d'un montagnard écossois. Ce vêtement étoità coup sûr insuffisant pour le préserver du froid, et à peine répondoit-il au vœu de la dccence. Une longue barbe, blanchecommc la neige, flottoit sur sa poitrine, et de: cheveux, de même couleur , auxquels It peigne étoit inconnu , tomboient de tous cotés en désordre. Son visage, maigri pni la famine, offroit à peine les traits d'un homme. Son regard étoit farouche > et se; yeux perçans et égarés annonçoient un( imagination troublée. Il tenoit en main ut sabre rouiilé, teint de sang , et ses ongle ressembloient aux serres d'un aigle.

« An nom du ciel, qui est cet homme

. (1) Espèce de manteau écossois.


lit tout bas a Pountext , Morton qui. étoit lioqué de la vue d'un être qui sembloit un prêtre cannibale venant de sacrifier des victimes humaines.

« C'est Habacuc Mucklewralh , répondit Pountext sur le même ton. Il a beaucoup souffert dans les dernières guerres , il a été long-temps en prison ; on esprit étoit égaré quand il en est sorti, t je crains véritablement qu'il ne soit- ossédé du démon. Son enthousiasme lui pourtant fait beaucoup de partisans, et î crois que.... »

Sa voix fut couverte ici par celle d'Haacuc, qui répéta d'un ton à faire trembler ïs voûtes de la chambre : « Qui parle ici e paix et de sauf-conduits? qui ose parlere merci pour la maison des méchans? N'est-il pas écrit ; vous écraserez contre pierre la tête de leurs enfans ? Précipitez u haut de leur tour la mère et la fille, et ue les chiens s'engraissent de leur sang , somme de celui de Jézabel ! »

« Il parle bien , s'écrièrent plusieurssix derrière lui : nous ne rendrons pas grand service à la bonne cause, si nous ?argnons ses ennemis. »


« C'est une abomination, et une impiété révoltante, s'écria Morton ne pouvant plus contenir son indignation. Croyezvous mériter la protection du ciel en écoutant les propos horribles de la folie et de l'atrocité ? »

« Paix, jeune homme, paix , dit Kettledrumle , tu censures ce que tu ne connois pas. Est-ce à toi de juger du vase dans lequel le ciel verse ses inspirations ? »

«Nous jugeons de l'arbre par ses fruits, dit Poundtext, et nous ne croyons pas qu'une contravention aux lois divines puisse être une inspiration céleste. »

Keltledrumle s'apprêtoit à répondre , mais la voix aigre d'Habacuc se fit encoreentendre.

« Pourquoi vous parlé-je? crioit-il pourquoi suis-je venu parmi vous? Parce que j'ai vu , parce que j'ai entendu. Qu'ai je vu? l'ange exterminateur tenant une épée flamboyante. Qu 'ai-je entendu? une voix qui crie : frappez, frapprez ! que votre œil soit fermé! que votre main soit san pitié 1 que l'homme et l'enfant, que 1 jeune fille et la femme à cheveux gri; sentent le tranchant de vos sabres ! que


Ac ruisseaux se changent en rivières de kg ! »

2 f C'est l'ordre d'en haut ! s'écrièrent sieurs voix. Il y a six jours qu'il n'a 3 mangé ni parlé. Nous obéirons à l'insnation. »

Saisi d'horreur de tout ce qu'il venoit voir et d'entendre, Morlon se retira du cle et sortit de la chaumière. Burley, p ne le perdoit pas de vue, le suivit sitôt, et le prenant pas le bras: Où iz-vous ? lui dit-il.

- « Je l'ignore. — Peu m'importe. Mais je ne puis rester ici plus longaps. »

« Es-tu si tôt fatigué, jeune homme? eine as-tu la main à la charrue, et tu tx déjà l'abandonner ! Est-ce là ton décernent à la cause qu'a voit embrassée ton <e ? »

j La cause la plus juste, dit Morton e feu, ne peut réussir sous de pareils pices. Un parti veut obéir aux rêves n fou altéré de sang ; un de vos chefs Sun pédant aussi ignorant que bouffi fgueil ; un autre...»

1 s'arrêta un instant.


« Achève, dit Burley , je t 'entendre sans m'émouvoir : un autre, veux-tu diri est un assassin, un Balfour de Burley Mais tu ne réfléchis pas, jeune homme que, dans ces jours de vengeance , ce sont pas des hommes égoïstes et d-e san froid qui se lèvent pour exécuter les jug mens du ciel , et accomplir la délivrant du peuple. Si tu avois vu les armées. d'A: gleterre pendant son parlement de lorsque leurs rangs étoient remplis de se taires et d'enthousiastes pl us farouches qi, les anabaptistes de Munster, tu aurois ( bien d'autçes sujets d'étonnement. Et ce pendant ces hommes étoient invincible et leurs mains firent. des miracles pour liberté de leup pays. »

— « Mais leurs conseils se tenoient av sagesse, et malgré la violence de leurzil et l'extravagance de leurs opinions , exécutaient les ordres de leurs chefs, ne se portaient pas a des actes de cru inutiles. Je l'ai entendu dire vingt fois mon père. Vos conseils, au contrait semblent un véritable chaos. »

— « Patience, Henry Morton , tn dois pas abandonner la cause de la religit


de la patrie pour un discours extravagat , ou pour une action qui te semble mable. Ecoute-moi. J'ai déjà fait sentir plus sages de nos amis que notre conseil est trop nombreux. On paroît dccord de le réduire à six des principaux fs. Tu en seras un ; tu y auras ta voix, tpourrasy favoriser le parti de la modéion, quand tu le jugeras convenable. i tu satisfait? »

« Sans doute je serai charmé de contouer à adoucir les horreurs de la guerre )ilc , et je n 'abandonnerai le poste que accepté que lorsque je verrai adopter mesures contre lesquelles ma cons- ence se révoltera. Jamais je ne verrai isang froid massacrer un ennemi qui nande quartier après la bataille : jamais ne consentirai à une exécution sans gement. Vous pouvez compter que je f opposerai constamment, et de tout on pouvoir. »

* Tu es encore jeune, dit Burley, 'ne sais pas que quelques gouttes de ne sont rien quand il s'agit d 'éteindre u incendie. Mais ne t'effraye pas ; tu ras voix au conseil dans tous les cas, et


il est possible que nous soyons toujou du même avis. »

Morton n'étoit qu'à demi-satisfait, ni. il ne jugea pas à propos de pousser l e tretien plus loin. Burley le quitta en conseillant de prendre quelque repos , tendu que l'armée se mettroit probableme en marche le lendemain de grand mat « N'allez-vous pas en faire autant? lui dit Henry.

« Non, dit Burley, mes yeux ne pe vent pas encore se fermer. Il faut que choix du nouveau conseil soit fait ce nuit, et demain je vous appellerai pc prendre part à ses délibérations. »

Lorsque Burley fut parti, Morton, examinant l'endroit où il se trouvoit, c ne pouvoir en rencontrer un plus connable pour y passer la nuit. La terre él garnie de mousse , et une pointe de rocl le nietloit à l'abri du veut. Il s'envelop dans le manteau de dragon qu 'il avoit cet serve, et avant qu'il eut eu le temps réfléchir sur l'état fàcheux de son pav et sur la situation délicate on il se trouv lui-même, un sommeil profond vint . délasser des fatigues de corps et d'esj


n' il avoit essuyées pendant cette journée. L 'armée bivouaqua sur le champ de bafille. Les principaux chefs eurent une ingue conférence avec BurJey sur l'état e leurs affaires, et l'on plaça autour du mp des sentinelles qui se tinrent éveillées 1 chantant des cantiques.


CHAPITRE VII.

« Le bien vient en donnant.— A cheval mes anus !

HENRY Ir.

HENRY s'éveilla au premier rayon d l'aurore, et vit près de lui le fidèle Cuddy un porte-manteau sous le bras.

« J'ai mis vos affaires en ordre, c attendant votre réveil, M. Henry , d

Cuddy. C'est mon devoir, puisque vo voulez bien me prendre à votre service.

— « Moi, Cuddy ! c'est un rêve qt: vous avez fait celle nuit. »>

« Non, monsieur, répondit Cudd Lorsque j'étois hier , les mains liées si un cheval, je vous ai dit que si nous rt devenions libres , je voulois être voti domestique. Vous ne m'avez pas répond Si ce n'est pas là y consentir, je ne m connois pas. 11 est bien vrai que vous i m'avez pas donné d'arrhes , mais vous n les aviez déjà données à Milnwood. »

— « Hé bien, Cuddy, si vous ne cra


gnez pas de vous associer à ma mauvaise fortune »

— « Ne diles pas cela, M. Henry, ne dites pas cela. Notre fortune prendra un bon tour, pourvu que ma mère ne vienne pas à la traverse. — J'ai déjà bien commencé la campagne , et je vois que la guerre n'est pas un mauvais métier. »

— « Vous avez été à la maraude, Cuddy ! — d'où vous vient ce porte-manteau? »

— « Il n'y a là ni maraude ni pillage. Je l'ai eu très-légitimement, par un commerce permis. Je voyois nos gens déshabiller les dragons morts, et les laisser nus comme l'enfant qui vient de naître. Lorsque tout le monde fut occupé d'écouter les sermons de Kettledrumle, et de cet autre bavard dont je ne sais pas le nom , je nie mis en marche, et j'arrivai dans un. endroit qu'on n'avoit pas encore visité. Or, devinez qui je trouvai là étendu sur le carreau? notre ancienne connoissance, le sergent Bothwell. »

« Mort? dit Moi ton. »

« Oh , bien mort. Il étoit percé de deux grands coups de sabré, sans compter je ne sais combien d'autres blessures. Ses habits


étoient criblés à ne pas mériter la peine qu'on les lui otât. Mais je lui ai fait ce qu'il a fait à bien des gens qui valoient mieux que lui ; j'ai retourné ses poches, et j'y ai trouvé la bourse de votre oncle, ou pour mieux dire la votre. La voilà. »

— « Je crois, Cuddy, que sachant d'où vient cet argent, nous pouvons nous en servir sans scrupule ; mais je veux le partager avec-vous. »

. — « Un moment, M. Henry, tin moment. — Voici une bague qui étoit pendue sur sa poitrine, et attachée à un ruban noir. — Pauvre diable ! c'est peut-être quelque souvenir d'amour! quelque dur qu'on ait le cœur, il est toujours tendre pour une jolie fille. J'ai aùssi trouvé sa valise ; voici un paquet de papiers qui étoit dedans, avec un équipement de linge qui me servira pour notre campagne. »

« Pour un débutant, Cuddy, lui dit son nouveau maître, vous ne commencez pas mal. »

« N'est-il pas vrai? dit-il d'un air content de lui-même : je vous avois bien dit que je n'étois pas si bête que j'en avois l'air. — J'ai aussi trouvé deux excellens


c hevaux de dragons qui n'avaient plus de mailies, et les voilà attachés à cet arbre. —Enfin , comme je revenois, j'ai rencontré un de nos soldats qui étoit chargé de trois porte-manteaux qu'il pouvoit à peine porter. Comme je savois que vous n'avez pas de linge, je lui ai proposé de m'en vendre un , et il m'a cède celui-ci pour une pièce d 'or. Vous la trouverez de moins dans la bourse de Bothwell. »

— « Vous avez fait une très-bonne acquisition , Cuddy, mais je n'accepterai pas toutes ces choses sans vous en récompenser. »

— « Non, non, M. Henry ; nous parlerons de cela dans un autre temps. Quant à présent, n'ai-je pas tout ce qu'il me faut dans la valise du sergent Bothwell ? Vous le voyez : il n'y a pas de chien qui n'ait son jour de bonheur, comme dit ma mère : pauvre femme ! Mais à propos, je voudrois bien voir ce qu'elle devient dans toute cette bagarre, si vous n'avez rien à m'ordonner. »

— « Allez, Cuddy, allez, je n'ai nul besoin de vous. »

Cuddy attacha le porte-manteau et la


valise sur l'un des deux chevaux et se retira.

« Les lois de la guerre , pensa Morton, et surtout la nécessité m'autorisent à me servir des effets contenus en ce porle-manteau. Si pourtant je savois à qui il a appar- tenu , je le rendrois a son maître , s 'il \it encore, ou j'indemniserois ses héritiers, s'il n'existe plus. » En y jettant les yeux en ce moment, il y vit le nom de lord Evandale inscrit en lettres d'or, et conclut qu'il avoit été détaché du cheval qui avoit été tué sous lui, lorsqu'il étoit arrivé sur le plateau de la montagne après la perte de la bataille. Il ne conçut donc pas de nouvelles inquiétudes pour sa sûreté, et se flatta qu'il avoit pu s'échapper.

Il jeta ensuite les yeux sur les papiers de Bothwell, qui étoient contenus dans un porte-feuille , et il y trouva le contrôle de ses cavaliers; la note de ceux qui étoient absens par congé ; une liste de mal intentionnés à faire mettre à l'amende ; la copie d'un mandat du conseil privé pour arrêter différentes personnes; divers certificats des chefs sous lesquels il avoit servi, et qui faisoient tous l'éloge de son courage ; _des


mémoires de dépense faite dans des cabarets. La pièce la plus remarquable étoit son arbre généalogique fait avec grand soin, et qui étoit accompagné des preuves nécessaires pour démontrer son authenticité. Il s'y trouvoit aussi une liste trèsexacte de tous les biens qui avoient appartenu aux comtes de Bothwell, et qui avoient été confisqués, avec le nom des personnes à qui Jacques VI les avoit accordés , et de ceux qui en étoient actuellement propriétaires. Bothwell avoit écrit au bas : haud immemor.

Dans un secret du porte-feuille étoient quelques lettres dont l'écriture étoit celle d'une femme, une mêche de cheveux, et des vers de l'écriture de Bothwell, et dont les corrections annonçoient qu'il en étoit l'auteur.

Comme il venoit de lire ces vers qui ne lui semblèrent pas dépourvus de tout mérite, Burley se présenta devant lui.

« Déjà debout! lui dit-il. C'est bien. C'est une preuve de zèle pour la bonne

cause. Mais queJs^ont ces papiers ? »

Mo r t on Jui compte succinct de l'ex pn e Ctr^dy , et lui remit


les papiers de Bothwell. Burley examina avec attention tous- ceux qui avoient quelque rapport aux affaires publiques, mais quand il vit les vers, les jetant avec mépris : « Quand, grâce à la protection du ciel, dit-il, je délivrai la terre de cet instrument de persécution , je ne croyois guères qu'un homme qui avoit de la bra-' voure se fût dégradé jusqu'à s'occuper de choses aussi futiles que profanes. Mais je vois que Satan distribue à ses favoris tous les genres de talens , et que la même main à qui il donne le pouvoir de massacrer les élus dans celte vallée de perdition , peut aussi pincer un luth ou une guitare pour consommer la perte des filles de la va- nité. » . »

« Vos idées de devoir, dit Morton, excluent donc l'amour des beaux - arts * qu'on regarde pourtant comme contribuant à purifier et à élever l'ame. » ^ - « Sous quelque nom que vous dé-; guisiez les plaisirs du monde, ils ne sont ! pour moi que vanité, ils n'offrent que des pièges. Nous n'avons qu'un objet sur la % terre, c'est de reconstruire le temple du Seigneur. »


— « Mon père m'a dit souvent que bien des gens qui s'emparoient de l'autorité an nom du ciel , l'exerçoient avec autant de sévérité, et avoient autant de répugnance à s'en dessaisir, que si l'ambition avoit été leur seul motif; mais ce n'est pas le sujet dont nous avons à parlée en ce moment. Avez-vous réussi à faire nommer un nouveau conseil? »

— « La nomination est faite. Il est composé de six membres; vous en faites parlie, et je viens vous chercher pour que vous preniez part à la délibération. »

Morton le suivit dans la même chaumière où il avoit été la veille, et où leurs collègues les attendoient. Les deux principales factions qui divisoient cette armée rassemblée à la hâte, après une longue et tumultueuse discussion, éloient enfin convenues que chacune d'elles nommeroit trois membres du conseil. Les Puritains fanatiques avoient choisi Burley, Macbriar et Kettledrumle, et les modérés avoient nommé Poundtext, Henry Morton et lord Langfern , seigneur du voisinage, qui avoit mangé sa fortune, et qui n'auroit pas été fâché de la réparer à la faveur des


troubles. Les deux partis se trouyoient ainsi complètement balancés dans le conseil; mais il paroissoit probable que les opinions les plus violentes prévaudroicnt toujours; et Burley, qui comptait sur le secours des modérés, quand il ditféreroit d'opinion avec ses deux collègues, se flattoit aussi que, lorsqu'il seroit du même avis, l'influence qu'il espéroit conserver sur Henry, et la foiblesse de caractère de lord Langfern, rameneroient l'un d'eux à son sentiment, et l'assuroient ainsi, dans tous les cas, de la majorité.

La délibération de ce jour fut aussi sage que tranquille. Après avoir examine leurs moyens actuels, et leur augmentation probable, ils résolurent de garder leur position toute la journée, afin de donner aux renforts qu 'ils attendoient, le temps de les. joindre ; et ils arrêtèrent qu'on m'ar,çheroit le lendemain vers Tillietudlem , et qu'on feroit au château une sommation de se rendre. Si les habitans s'y refusoient, on risqueroit un assaut ; et s'il ne réussissoit pas, on laisseroit devant la place une force suffisante pour la bloquer et la réduire par famine, tandis que le principal


corps d'armée se porteroit sur Glascow, pour en débusquer lord Ross et le reste du régiment de Claverhouse.

Tel fut le résultat de la délibération. La première démarche d'Henry, dans sa nouvelle carrière, alloit donc être d'attaquer un château appartenant à la mère de celle qui possédoit toute son affection , et qui étoit défendu par le major Bellenden, pour qui il avoit autant d'estime que d'amitié et de reconnoissance. Il sentoit tout l'embarras de sa position. Il se consola pourtant, en songeant que l'autorité qu'il venoit d'acquérir dans l'armée, lui donneroit la facilité d'accorder aux habitans de Tillietudlem une protection sur laquelle ils n auroient pu compter s'il ne s'y étoit pas trouvé. II se flatta même qu'il pourroit ménager, entre le château et l'armée presbytérienne, des conditions de neutralité qui pourroient le mettre à l'abri des dangers de la guerre qui alloit commencer.


CHAPITRE VIII.

« Echappé, non sans peine, à cet affreux carnage, « Arrive un chevalier tout couvert de sueur :

« Son sang coulant encor proclamoit sa valeur. »

FINLAY.

OCCUPONS-NOUS maintenant des habitans du château de Tillietudlem. Pendant la nuit qui suivit la bataille, le major plaça des sentinelles sur la plate-forme de la tour, avec ordre de donner l'alarme au moindre signe qui pourroit annoncer l'arrivée de l'ennemi; mais un profond silence régna jusqu'au matin, et les défenseurs de la place purent jouir de quelque repos. Dès les premiers rayons du jour, on continua les travaux de défense qu'on avoit commencés la veille, et quelques instans après une sentinelle annonça qu'un cavalier prenoit le chemin du château. Lorsqu'il en fut un peu plus près, on reconnut l'uniforme du régiment des gardes. La lenteur du pas de son cheval, et la manière dont celui qui le montoit se tenoit en selle, annoncoient qu'il étoit malade ou blessé. On


courut ouvrir le guichet pour le faire entrer, et l'on reconnut avec joie lord Evandale. 11 étoit tellement affaibli par la perte de sang qu'avoient occasionnée ses blessures, qu'il fallut qu'on l'aidât à descendre de cheval, et lorsqu'il entra dans le salon , appuyé sur un domestique, les deux damés jetèrent un cri de surprise et d'horreur. Pâle comme la mort, couvert de sang, son uniforme déchiré, ses cheveux en désor- dre , il ressembloit moins à un homme qu'à un spectre.

« Dieu soit loué ! s'écria lady Marguerite, Dieu soit loué , de ce que vous soyez échappé des mains des scélérats altères de sang, qui ont massacré tant de fidèles serviteurs du roi ! »

« Grâce au ciel, dit Edith, vous êtes ici, vous êtes en sûreté ! Que de craintes nous avons eues pour vous! Mais vous êtes blessé, mylord , et je crains que vous ne trouviez pas iëi " les secours nécessaires. » '; ; -

« Mes blessures ne sont pas dangereuses, dit lord Evandale, qu'on avoit fait asseoir Sur un canapé, la perte de sang m'a seule épuisé. Mais je ne viens pas ici pour ajou.


.ter à vos embarras. Mon seul but, en entrant au château, étoit d'avoir de vos .nouvelles, de savoir si vou6 étiez encore ici; de voir si je pouvois vous être de quelque utilité, et d'avoir des nouvelles du régiment dont j'ai reconnu de loin l'uniforme sur la plate-forme de la tour. Permettez-moi, lady Marguerite, d'agir en cette occasion comme votre fils, — comme votre frère, miss Bellenden. »

H appuya, sur ces mots votre frère, comme s'il eût craint qu'Edith ne pût croire que c'étoit en qualité d'amant qu'il faisoit ces offres de service. Elle s'aperçut de sa délicatesse, et n'y fut pas insensible; niais ce n'é toit pas. l'instant de faire assaut de beaux sentimens.

« Nous sommes disposés à nous défendre, mylprd, dit la vieille dame avec dignité. Mon frère a pris le commandement de la garnison, çt j'espère qu'avec Ja grâce de Dieu, les rebelles trouveront ici la réception qu'ils méritent. »

« Que j'aurois de plaisir, dit lord E vandale, à coopérer à la défense du château! mais dans l 'état de foiblesse où je suis réje ne serois qu'un fardeau pour /


ous. Ma présence pourroit même vous tre dangereuse, car si les rebelles appreoient qu'un officier du régiment des garles s'y trouve, ils n'en seroient que plus charnés à s'en emparer. »

« Pouvez-vous, mylord, s'écria Edith, vec cet élan de sensibilité qui caractérise ouvènt les femmes, et qui leur convient i bien, pouvez - vous nous croire ca- )ables d'assez de bassesse et d'égoisme pour consentir à votre départ ? Croyez-vous lue de telles considérations puissent em)êcher vos amis de vous donner une reraite et un abri dans un moment où le )ays est couvert d'ennemis, où il vous est mpossible de vous défendre ? Existe-t-il, :n Ecosse, une chaumière d'où l'on con• entît à vous laisser sortir dans une pareille ituation? Pensez-vous que nous souffrions que vous quittiez un château que tous croyons assez fort pour nous pro- :éger? » < ;

Edith prononça ces mots d'une voix agitée par son émotion, et les couleurs qui paroient ses joues annonçoicnt combien elle jprouvoit vivement les sentimens qu'elle : exprimoit.


« Lord Evandale ne peut penser à nous quitter, dit lady Marguerite. Pique, le vieux serviteur de mon frère, qui l'a suivi dans toutes ses campagnes, y a acquis quelques connoissances en chirurgie, et pansera ses blessures. Je ne permetlrois pas au dernier des soldats qui ont l'honneur de porter l'uniforme de sa Majesté, de quitter le château de Tillietudlem, quand J'épée est tirée de toutes parts contre lui ; à plus forte raison ne puis-je souffrir que lord Evandale en sorte. Ce seroit pour ma maison un déshonneur, dont l'idée seule me révolte. Depuis que le château de Tillietudlem a été honoré de la visite de sa Maj.... »

Elle fut interrompue ici par l'arrivée du major.

« Nous avons fait un prisonnier, mon oncle, s'écria Edith, un prisonnier blessé, et qui veut nous échapper. J'espère que vous nous aiderez à le retenir de force. »

« Lord Evandale! s'écria le major, j'éprouve autant de plaisir que lorsque j'ai obtenu ma commission de lieutenant. Cla- * verhouse nous avoit fait craindre que vous


e fassiez prisonnier, ou que vous n'eusez même perdu la vie. »

« Je la dois a un de vos amis, dit lord .vandale, avec quelque émotion, et en laissant les yeux vers la terre, comme s'il ut craint de voir l'impression que ce qu'il lloit dire pouvoit causer à miss Bellenden. 'étois renversé de cheval, sans déense, et le sabre étoit levé sur ma tête, 3rsque M. Morton, le prisonnier pour equel vous vous êtes vous - même intéessé hier, s'est généreusement interposé n ma faveur, a sauvé mes jours, au risque ces siens, et m'a fourni les moyens de > n'évader. »

1 En achevant ces mots, une curiosité pénible pour son cœur triompha de sa première résolution. Il leva les yeux sur Edith, et crut lire dans les siens la joie [u'elle ressentoit, en apprenant que son imant vivoil, qu'il étoit libre, et qu'il ne étoit pas laissé vaincre en générosité. Tels éloient en effet ses sentimens ; mais s'y mêloit une véritable admiration pour a franchise avec laquelle lord Evandale ~enoit de rendre justice à son rival, et de econnoître qu'il en avoit reçu un service


que, suivant toute probabilité, il auroi mieux aimé devoir à tout autre.

Le major, qui n'auroit pas remarque l'émotion de sa nièce et de lord Evandale eût-elle été mille fois plus évidente, se contenta de dire : Puisqu'Henry Mortoi a quelque influencé sur ces misérables , j( suis ravi qu'il en ait fait un si bon usage;, mais j'espère qu'il se tirera de leurs mains aussitôt qu'il le pourra. Je ne doute pa: qu'il le désire : je connois ses principes et je sais qu'il déteste leur jargon mystique et leur hypocrisie. Je l'ai entendu bien sou. vent rire de la pédanterie de ce vieux coquin, le ministre presbytérien Poundtext. qui, après avoir joui pendant tant d'année, de l'indulgence du Gouvernement, vient de lever le masque à la première occa1 sion, et de joindre les insurgés a la te te de plus des trois-quarts des liabitans de sa paroisse, qu'il a entraînés par ses discours. — Mais, comment vous êtes-vous échappé, mylord ? »

« Hélas! dit lord Evandale, en souriant, comme un chevalier mécréant, en usant de toute la vitesse de mon cheval. J'ai pris la route sur laquelle je croyois avoir k


oins à craindre de rencontrer des ennelis, et vous ne devineriez jamais où j'ai ouvé une retraite cette nuit. »

« Au château de Braklan , sans doute , it lady Marguerite , ou chez quelque itre gentilhomme loyal. »

« — Non, mylady, je me suis présenté ans quelques châteaux , et j'en ai été conduit sous différens prétextes, mais ans la vérité parce qu'on craignoit que la présence n'y attirât l'ennemi. C'est ans une chaumière que j'ai trouvé refuge, hez une pauvre veuve dont lè mari a été usillé il y a trois mois par un détachement ie mon corps , et dont les deux fils sont n ce moment à l'armée des insurgés. »

« — Est-il possible ? une telle femme a u être capable de :ant de générosité! niais sans doute elle ne partage pas les entimens de sa famille? »

« — Pardonnez-moi , mylady : mais lle n'a vu en moi qu'un homme blessé t en danger, et elle a oublié que j'étois m officier appartenant au parti ennemi. Elle a bandé mes blessures, elle m'a donné in lit, elle m'a dérobé à la vue d'un détahement d'insurgés qui poursuivoit les


fuyards , et ne m'a laissé partir ce mali qu'après s'être assurée que je pouvois m rendre ici sans rencontrer d'insurgés. »

« Voilà la vraie noblesse d'ame , di miss Bellenden ; et je suis sure , mylord que vous trouverez quelque occasion d récompenser tant de générosité. »

« — J'ai contracté pendant cette malheu reusejournée, miss Edith, des obligation de toutes parts ; mais je me flatte qu'on ne m'accusera pas de manquer de reconnois sance, quand l'occasion de la prouver si présentera. »

Chacun alors renouvela ses instance pour engager lord Evandale à rester ai château, et le major se servit d'un argument qui l'y décida sur-le-champ.

« Vous ne disconviendrez pas mylord lui dit-il, que vous ne deviez de la soumission aux ordres de votre colonel. J< vous apprendrai donc qu'il m'a autorise à retenir au château un officier de soi régiment, s'il s'y en présentoit quelqu'un afin de maintenir l'ordre et la disciplint parmi les cavaliers qu'il m'a laissés ; et et vérité je me suis déjà aperçu que cela éloii nécessaire. »


« 11 ne me reste plus d'objections à )us faire, dit lord EvandaIe, et quelque lissans que soient les motifs qui m'enageoient à m'éloigner, ils doivent céder la subordination, et surtout au désir que ii de vous être de quelque utilité. - Oserai-je vous demander, major, les ioyens et le plan de défense que vous tez adoptés ? Où voulez-vous que je vous live pour jeter un coup d'œil sur les avaux? »

« Je crois, mon oncle, dit Edith qui •marquoit l'état de fatigue et d'épuiseient de lord Evandale , que puisque lylord consent à faire partie de notre irnison , vous devez commencer par le )umettre à votre autorité, en le mettant ax arrêts dans son appartement, afin qu'il renne du repos et qu'il recouvre des )rces , avant d'entrer dans son nouveau ervice. »

. « Edith a raison , dit la vieille dame, faut vous mettre au lit à l'instant , ~ylord. Pique examinera l'état de vos bles- ures , et y mettra le premier appareil , L je vous enverrai une potion préparée e ma propre main. »


— « Mille remercîmens, mylady , j me soumets à tous vos ordres , et j'espèr que, grâce à vos bontés,, je me trouvera bientôt plus en état de défendre le châtea que je ne le suis en ce moment. Mo bras sera toujours à votre service ; quan à ma tête, vous n'en avez pas besoin puisque le major est avec vous. »

A ces mots il quitta le salon , et se relii dans l'appartement qui lui étoit destiné.

« Excellent jeune homme! dit le major et d'une modestie ! » Et il sortit du s alor pour aller inspecter les travaux militaire qui se continuoient.

« Et qui n'a point, dit lady Marguerite cet amour propre qui fait croire à tant d jeunes gens qu'ils savent mieux ce qui leu convient, que les personnes qui ont plu d'expérience. » Et elle sortit pour alle préparer la potion qu'elle lui a voit promise « Et qui est aussi bien fait qu'il es généreux , ajouta Jenny Dennison qu étoit entrée à l'instant où lord Evandal quiuoit le salon.

Edith ne répondit à tous ces éloges qu par un soupir ; mais quoiqu'elle gardai 1 silence, elle n'en sentoit pas moins vive


ent combien ils étoicnt merités par celui ji en étoit l'objet.

« Après tout, dit Jenny, mylady a bien ison de dire qu'on ne doit avoir confiance ms aucun Presbytérien ; il n'y en a pas i qui ait ni foi ni loi. Qui auroit cru que

. Henry et Cuddy auroient pris parti )ur les rebelles? »

« Que voulez-vous dire, Jenny ? dit sa aîtiesse d'un ton d'impatience : quelles )surdités me débitez-vous ? »

— « Je sais bien que cela ne vous est is agréable à entendre, et cela ne me l'est ts davantage à vous dire ; mais il faut en que vous l'appreniez , car on ne parle le de cela dans tout le château. »

— « Cela? quoi, cela? avez-vous ene de me faire perdre l'esprit? »

— « Que M. Mort on s'est joint aux belles, et qu'il a été nommé un de leurs iefs. ))

— « C'est un mensonge ! une basse alomnie ! vous êtes bien hardie d'oser me répéter. Henry est incapable d'oublier î qu'il doit à son roi et à son pays. - C'est une cruauté pour moi. — C'en est ne pour .... pour des innocens persé-


culés et qui ne sont pas ici pour se défet dre. — Je vous dis qu'Henry est incapabl d'une telle action. »

— « Mon Dieu, miss Edith , il faudro avoir plus de connoissance des jeunes ger que je n'en ai et que je n'ai envie d'e avoir , pour pouvoir dire ce qu'ils soi capables de faire ou de ne pas faire; mai Holliday et un autre cavalier se son déguisés ce matin en paysans écossoi pour faire une re ... une reconnoissance comme dit M. Gudyil ; ils ont été jusque dans le camp des rebelles, et ils viennen- de nous dire qu'ils y ont vu M. Henri Morton monté sur un des chevaux du régiment, armé d'un sabre et de pistolets et qui étoit de pair à compagnon avec le autres chefs. Il donnoit des ordres air troupes, et Cuddy étoit derrière lui revêtu d'un gillet du sergent Bothwell avec une cocarde de rubans bleus à soi chapeau , parce que c'est la couleur de rebelles, et une chemise à jabot, comme ur lord : cela lui convient bien , vraiment! »

— « Cela est impossible, Jenny ; cetu nouvelle n'est pas vraie. Mon oncle n et a pas entendu parler. »


— « Je le crois bien : Holliday est ntré cinq minutes après l'arrivée de lord vandale, et dès qu'il l'a eu appris il a tré ses grands dieux qu'à présent qu'il avoit au château un officier du régiment, ne feroit pas son .... son rapport, je rois qu'il a dit, au major Bellenden; et ; crois que s'il en a parlé , c'étoit pour me exer relativement à Cuddy. »

— « C'est cela même , sotte créature ; a voulu vous tourmenter par cette fausse ouvelle. »

— « Cela ne se peut pas , miss Edith ,• ar John Gudyila fait entrer l'autre dragon ans l'office, et celui-ci qui est un vieux oldat dont je ne sais pas le nom , en uvant un verre d'eau-de-vie , lui a conté bsolument la même histoire , mot pour not. Et M. Gudyil est entré dans une rande colère , et nous a dit que tout cela enoil de la faute de mylady et du major, t que si on avoit fusillé ce matin M. Henry t Cuddy , ils ne seroient pas en ce monent les armes à la main avec les rebelles. 1 me semble qu'il n'a pas tout-à-fait or t. »

A peine Jenny avoit-elle prononcé ces


mots, quelle fut effrayée en voyant l'effe qu'ils avoient produit sur sa maîtresse effet qui fut rendu doublement violent pa les principes royalistes dans lesquels ell avoit été élevée. Ses couleurs l'abandon lièrent, la respiration lui manqua, et cil tomba sans mouvement sur un fauteuil Jenny coupa ses lacets , lui jeta de l'eau froide sur le visage, lui brûla des plume sous le nez, et fit tous les autres remède usités en pareil cas, sans en obtenir aucun succès.

« Dieu me pardonne, dit-elle , qu'ai-je fait, malheureuse que je suis? je voudroi? qu'on m'eût coupé la langue! — Mais qu ; auroit cru qu'elle eût pris la chose si l cœur, et tout cela pour un jeune homme! comme si c'étoit le dernier! — Miss Edith. ma chère maîtresse, reprenez courage! après tout, cela peut bien n'être pas vrai. —On m'a toujours dit que ma langue me joueroit quelque mauvais tour. — Bon Dieu, si mylady venoit! Miss Edith est justement sur le fauteuil où personne ne s'est, jamais assis depuis qu'il a servi au roi? — » Que faire? que devenir ? »

Pendant que Jenny faisoit ainsi des la-? i


mentations sur sa maîtresse et sur elle-même , Edith reprenoit peu à peu connoissance, et sortoit de l'état de stupeur où 1 avoit plongée cette nouvelle inattendue.

« S'il avoit été malheureux, dit-elle, je ne l'aurois jamais abandonné ; s'il étoit mort, je l'aurois pleuré toute ma vie; s'il avoit été infidèle, je lui aurois pardonné: mais un rebelle à son roi, un traitre à son pays, un homme associé à des scélérats et a des meurtriers, je l'arracherai de mon coeur , quand cet effort devroit me conduire au tombeau?»

Elle essuya ses yeux et se leva du fauteuil , dont Jenny se hâta de secouer le coussin , pour effacer les traces de ce que lady Bellenden au roi t probablement appelé une profanation.

— « Prenez mon bras miss Edith : il faut que le chagrin ait son cours, après quoi...»

« Non Jenny, dit Edilh d'un ton ferme ; vous avez vu ma foiblesse, vous verrez maintenant mon courage. Le sentiment de mon devoir me soutiendra. Cependant je n'agirai point avec précipitation : je veux connoilre les motifs de sa conduite, après quoi je saurai l'oublier.


En parlant ainsi, elle quitta le salon , et se retira dans son appartement pour examiner son cœur et réfléchir aux moyens a employer pour en bannir le souvenir de Morton.

« C'est singulier, dit Jenny, quand elle se trouva seule; une fois le premier mo- ment passé, miss Edith prend son parti aussi aisément que moi, plus aisément même , car je n'ai jamais été attachée a < Cuddy, comme elle l étoit à M. Henry.. — Mais après tout, il n'y a peut-être pas < de mal d'avoir des amis des deux cotés.. Si les rebelles s'emparent du château, comme cela est fort possible, car nous ^ n'avons guères de vivres, et les dragons imaugent en un jour ce qui nous sufliioit pour un mois; hé bien, M. Morton et Cuddy étant avec eux , leur protection vaudra de l'or. — C'étoit ma première idée, quand j'ai appris cette nouvelle. »

Ayant fait cette réflexion consolante, la chambrière alla reprendre le cours de ses ï occupations ordinaires.

I


CIIAPITRE IX.

« Courage, mes amis, encore un autre assaut ! »

HENRY V.

Tous les renseignemens qu'on put se procurer dans la soirée de cette journée, confirmèrent l'opinion que l'armée des insurgés niarclieroit sur Tillietudlem le len- demain dès la pointe du jour. Pique avoit examiné les blessures de lord Evandale ; elles étoient en grand nombre, mais aucune n'étoit dangereuse. La grande quantité de sang qu'il avoit perdu avoit empêché la fièvre de se déclarer, de sorte que, malgré sa foiblesse, et quoiqu'il souffrit encore beaucoup, il voulut se lever le lendemain de très-bonne heure. On ne put même le décider à garder la chambre, et s'appuyant sur une canne, il voulut encourager les soldats par sa présence , examiner les travaux de défense qu'on pouvoit soupçonner le major d'avoir ordonnés conformément aux anciens principes de art militaire, et indiquer peut-être quel-


ques changemens. Personne n 'étoit plus propre que lord Evandale à donner d'excellens avis à ce sujet. Il avoit pris le parti des armes dès sa première jeunesse ; il avoit servi avec distinction en France et dans les Pays-Bas, et la tactique avoit fait la principale étude de toute sa vie. Il trouva cependant peu de chose à ajouter aux préparatifs de défense qui avoient été faits , et sauf l'article des provisions, il vit qu'on avoit peu de chose à craindre de l'attaque d'ennemis tels que ceux qu'on s'attendoit à voir arriver.

Dès le point du jour il étoit sur la tour avec le major, et ayant donné un dernier coup d'œil aux préparatifs de défense, ils attendaient l'approche de l'ennemi.

Les deux espions dont Jenny avoit par- lé à sa maîtresse, avoient fait leur rapport à lord Evandale, qui en avoit rendu compte au major. Mais celui-ci refusoit opiniâtrement ,de croire que Morton put avoir pris parti pour les insurgés.

« Je le connois mieux que vous, lui ditil : vos deux coquins n'ont pas opé avancer assez ; ils ont été trompés par quelques traits de ressemblance, ou ils ont ajoute


foi à la première histoire qu'on leur a contée. »

— « Je ne partage pas votre Opinion , 1 major : je crois que nous le verrons à la tête des insurgés , et j'en éprouverai beaucoup plus de regret que de surprise. »

« Vous ne valez pas mieux que Claverhouse, dit le major en souriant : il me soutenoit hier en face que ce jeune homme , qui a autant de courage et de fierté , et d'aussi bons principes que qui que ce : soit, ne manquoit que d'une occasion pour j: devenir un chef de révolte. »

- « D'après la manière dont il a été traité , et les soupçons dont il s'est vu l'ob{ jet, je ne sais pas trop quel autre parti il < pouvoit prendre. C'est nous-mêmes qui j l'avons jeté pieds et poingts liés au milieu > des rebelles ; quant à moi, je ne sais s'il mérite plus de blâme que de compassion. »

— « Le blâme, mylordi 1 la compassion ! Si ce que l'on dit est vrai, il mérite la cotfi de, et je ne m'en dédirois pas, fût-il mon ■> fils. La compassion ! non, mylord, vous ne le pensez pas. »

— « Je vous donne ma parole d'honneur, major, que ce n'est pas d'au jour-


d'hui que je pense qu'on a employé contré ce pays des mesures de rigueur trop violentes. On s'est porté à des extrémités fâcheuses, et l'on a exaspéré l'esprit, nonseulement de la classe subalterne du peuple, mais de tous ceux que l'esprit de parti, on un entier dévouement au Gouvernement n'enchaine pas sous les drapeaux du roi. »

— « Je ne suis pas politique, mylord, et ces distinctions sont trop subtiles pour ■ moi. Mon épée appartient au roi, et je suis prêt à la tirer dès qu'il l'ordonne. »

— « J'espère, major, que vous verrez que la mienne ne tient pas au fourreau; mais je voudrois de tout mon cœur m'en servir contre des ennemis étrangers. Au surplus ce n'est pas l'instant de discuter cette question, car je vois l'ennemi s'avancer. »

L'armée des insurgés commençoit effectivement à paroître sur une colline peu éloignée du château. Elle en prit la route, mais elle fît halte avant d'être à portée de canon, comme si elle n'avoit pas voulu s'exposer au feu des batteries de la tour. Elle paroissoit beaucoup plus nombreuse


qu'on ne l'avoit présumé; et à en juger par le front et la profondeur de ses colonnes, il falloit qu'elle eût reçu des renforts considérables. Trois ou quatre cavaliers, qui sembloient être des chefs, s'avancèrent en tète de l'armée , et gagnèrent une petite hauteur qui étoit plus voisine du château.

Gudyil qui avoit quelques connoissances comme artilleur, pointa un canon sur ce groupe détaché , et se tournant vers le major : « Mon commandant, ferai-je feu ? je vous réponds qu'il en restera quelqu'un sur la place. »

Le major regarda lord Evandale.

« Un instant, dit celui-ci, je vois qu'ils déploient un drapeau blanc. »

En effet, un des cavaliers descendit de cheval, et s'achemina seul vers le chàteau, portant un drapeau blanc au bout d'une pique. Le major et lord Evandale descendirent de la tour, et s'avancèrent jusqu'à la dernière barricade pour le recevoir , ne jugeant pas à propos de le laisser entrer dans la place , qu'ils avoient intention de défendre. Au moment du départ de l'ambassadeur , ses compagnons avoient été re-


joindre l'armée, comme s'ils avoient prévu les intentions favorables que Gudyil avoit à leur égard.

L'envoyé des Presbytériens , à en juger par son air et son maintien , paroissoit s rempli de cet orgueil spirituel, caractère distinclif de cette secte. Une sorte de sou- rire méprisant se faisoit remarquer sur ses lèvres, et ses yeux à demi fermés, s'élevant vers le ciel, sembloient mépriser les choses terrestres pour ne s'occuper que de contemplations célestes.

Lord Evandale ne put s'empêcher de • rire en voyant cette figure grotesque, qu'il examinoit à travers les barricades.

« Avez-vous jamais vu pareil automate ? dit-il au major; ne croiroit-on pas que des ressorts le font mouvoir? Croyez-vous que cela puisse parler ? »

« Oh oui, dit le major , il me rappelle mes anciennes connoissances. C'est un vrai Puritain , du vrai levain pharisaïque. — Ecoutez y il tousse , il va faire une sommation au château , avec un lambeau de sermon , en place de trompette. »

Le major, qui dans les guerres civiles précédentes . avoit eu plus d'une occasion


de connottre le jargon et les manières de ces fanatiques, ne se trompoit pas dans ses conjectures ; seulement au lieu d'un fragment de sermon en prose , l'envoyé , qui étoit lord Langfern , entonna, d 'une voix aigre et criarde, la paraphrase en vers d'un pseaume.

_ « Ouvrez vos portes orgueilleuse, "

« Princes qui régnez en ces lieux :

« Laissez entrer du Roi des cieuii « Les phalanges victorieuses. »

« Ne vous l'avois-je pas dit? dit le major à lord Evandale. »

Alors ils se présentèrent tous deux a la porte de la barricade, et le major lui demanda pourquoi il venoit hurler à la porte du château, comme un chien qui aboie contre la lune. ' 1 1 « Je viens, répondit l'ambassadeur, sans les saluer, et toujours sur le même ton, au nom de l'armée religieuse et patriotique des Presbytériens, pour parler au jeune fils de Bélial, Williams Maxwell, dit lord Evandale, et au vieux pécheur endurci, Mil es Bellenden de Charnwood. »

« Et qu'avez-tous à leur dire? demanda le major. »


« Est-ce à eux que je parle en ce moment? dit lord Langfern. a

« Oui , dit le major; quelle est votre .mission ? »

« Voici donc la sommation que vous adressent les chefs de l'armée, dit l'envoyé, en remettant un papier à lord Evandale ; et voici pour Miles Bellenden , une lettre d'un jeune homme qui a l'honneur de commander une des divisions de l'armée. — Lisez promptement, et puisse le ciel faire fructifier dans vos cœurs les paroles que vous allez lire, ce dont je doute pourtant beaucoup ! »

La sommation étoit conçue dans les termes suivans :

-

« Nous, chefs de l'armée presbytérienne réunie pour la cause de la liberté et de la véritable religion, faisons sommation à Williams Maxwell lord Evandale , à Miles Bellenden de Chamwood, et à tous autres actuellement en armes dans. le château de Tillietudlem, de faire à l'instant la reddition dudit château, sous condition qu'ils auront la vie sauve, et pourront se retirer avec armes et bagages ; s'ils s'y refusent, nous les prévenons que nous les y force-


rons par le fer et le feu, et qù'il n'y aura plus de quartier. »

Cette sommation étoit signée « John Batfdur de Burley, quartier-maître général de l'armée presbytérienne, pour lui et les autresichefs , par ordre du conseil. » .

La lettre adressée au major, étoit d'Henry Morton. Voici ce qu'elle contenoif : , « J'ai fait, une démarche , mon respectable ami, qui , parmi les conséquences pénibles qu'elle entraîne , va y je le crains bien, m'exposer à votre désapprobation. Je m'y suis trouvé en gagé sans y penser , sans l'avoir ni désiré, ni prévu , et. par suite de l'oppression dont vous avez été témoin que j'ai été victime. Je, ne puis cependant m'en repentir,et ma conscience est tranquille sur les suites que peut avoir ma conduite. Pouvois-je voir plus longtemps nos droits foalés aux pieds , notre liberté violée, nos personnes outragées , notre sang répandu sans motif et sans jugement légal ? Les excès de nos persécuteurs auront amené la fin de leur tyrannie.

« Dieu , qui connoît le fond de mon cœur . sait pourtant que je ne partage pas les passions violentes et haineuses d'une


grande partie de ceux qui se trouvent dans nos rangs. Mes vœux les plus arden's sont dè voir cette guerre dénaturée prompteTuent terminée par le concoure des hommes prudens et modérés des deux partis, et d'obtenir le rétablissement d'une paix qui, salis diminuer en rien les droits constitutionnels du roi , substituera la justice de la magistrature civile au despotisme militaire ; permettra à chacun d'honorer Dieu suivant sa conscience , et enchaînera l'enthousiasme fanatique par la douceur et la raison , au lieu de la porter jusqu'à la frénésie par Vin toléra nce et la persécution.

« Avec les sentimens qui m'animent, vous devez sentît com bien il m'est pénible de me trouver en armes devant le château de votre respectable parente ; on nous assure que vous avez intention de le défendre contre nous. Permettez-moi de vous'représenter qu'une telle mesure ne condutroit qu'à uneeffasion de sang inutile. Vous -n'avez pas eu te temps nécessaire pour faire des préparatifs suffisans de résistance , et si nos troupes De réussissent pas à s'empa- rer du château paT un assaut, le défaut de vivres vous bordera bientôt à le rendre.


)ans l'un et l'autre cas, mon cœur saigne n songeant aux malheurs et aux soufances auxquels ceux qui l'habitent se troueroient exposés.

« Ne croyez pourtant pas , mon respecable ami, que je voudrois vous voir acepter des conditions qui pourroient terlir la réputation sans tache que vous avez acquise et méritée. Faites sortir du château es soldats qui s'y trouvent, j'assurerai leur etraite , et j'obtiendrai qu'on n'exige de vous qu'une promesse de neutralité penlant le cours de cette malheureuse guerre. Vous ûe r-eeevrez point garnison, et les domaines de lady Marguerite , ainsi que les foires, seront respectés.

« Je pourvois vous alléguer bien d'autres motifs; à l'appui de ma proposition , mais dans la crainte où je suis de paroître, en cette occasion , coupable à vos yeux , je sens que les meilleures raisons, j présentées par moi, perdroient leur influence. Je finis donc par vous assurer que quels que puissent être vos sentimens à mon égard , la reconnoissance que je vous dois ne sortira jamais de mon coeur ; et que le plus heureux moment de ma vie seroit ce-


lui où je pourrois vous en convaincre a trement que par des paroles. Ainsi doiu quoiqu'il soit possible que , dans le pr mier moment de chaleur , vous rejeli. ces propositions , si les événemens vou déterminoient par la suite à les. accepter n'hésitez pas à me le faipe savoir, et croy t que je serai toujours heureux de pouvoi vous être de quelque utilité. »

HENRY MORTON.

Le major lut celte lettre avec une indi gnation qu'il ne chercha point à cacher.

« L'ingrat ! le traitre ! s écria-t-il 1 en 1. remettant à lord Evandale. Rebelle de sans froid! sans avoir l'excuse de l'enthousiasme qui anime Ces misérables fanatiques ! j'aurois dû ne pas oublier qu'il étoit Presbytérien. Je devois songer que je caressois un jeune loup qui finiroit par vouloir me déchirer. Si saint Paul revenoit sur terre et qu'il fût Presbytérien , il se révolteroi! avant trois mois. Le principe de la rc-' bellion existe dans leur sang. »

«Je serai le dernier, dit lord Evandalc, à proposer de rendre le château ; mais si nous venons a manquer de vivres, et que


nous ne recevions pas de secours, je crois que nous pourrons profiter de cette ouverture pour assurer la sortie de nos dames du château. »

« Elles souffriront toutes les extrémités, dit le major, plutôt que de rien devoir à la protection d'un hypocrite à langue dorée. Mais congédions le digne ambassadeur. — Retournez vers vos chefs, dit-il à Langfern, et dites-leur qu'à moins qu'ils n'ayent une confiance toute particulière dans la dureté de leurs crânes, je ne leur conseille pas de venir les frotter contre ces vieilles murailles. Avertissez-les aussi de ne plus nous envoyer de parlementaire , ou nous le ferons pendre en revanche du meurtre du lieutenant Graham. »

Le député retourna avec cette réponse vers ceux qui l'avoient envoyé. Dès qu'il fut arrivé à l'armée, des cris tumultueux s'y firent entendre , un étendard rouge bordé de bleu y fut déployé, et elle se mit en marche vers le château.

Au même instant l'ancienne bannière de la famille de lady Bellenden fut arborée sur la tour, ainsi que le drapeau royal ; et une décharge générale de l'artillerie du


château fit éprouver quelque perte aux 1 premiers rangs des insurges , et y occasionna un moment de désordre.

« Je crois, dit Gudyil en faisant rechar- ger les canons, qu'ils trouvent le nid du faucon trop élevé pour pouvoir y atteindre. »

L'armée conlinuoit pourtant à avancer, et déjà une de ses divisions entroit dans l'avenue du château. Dès qu'elle se crut à portée de fusil, elle dirigea contre la tour une décharge générale de ses armes à feu, qui ne produisit aucun effet, et une seconde colonne de piquiers, commandes par Burley, s'avança déterminément jus- . qu'à la première barricade, en força rentrée, blessa quelques-uns de ceux qui la défendoient, et les obligea à se retirer derrière la seconde. Mais ce succès fut le seul qu'ils obtinrent. Ils se troavoient en celte .position exposés sans défense au feu meurtrier de la tour, sans pouvoir faire aucun mal à des ennemis défendus par des fortifie cations, et retranchés derrière des palissades. ils furent donc obligés de se retirer avec perte; mais ils ne le firent qu'après avoir détruit la première barricade, de manière à rendre son rétablissement impossible.


Burley fut le dernier à quitter ce poste y resta même seul un instant, une hache la main , brisant le dernier pilier de la alissade , et tranquille au milieu des balles qui siffloient autour de lui.

Cette attaque manquée rehaussa le couage des défenseurs du château, et fit connoître aux insurgés la force de la plaee qu'ils se proposoient d'emporter. Aussi lirigèrent-ils la seconde avec plus de précaution. Un fort parti d'excellens tireurs, tous les ordres d'Henry Morton , fit un létour à travers le bois '.. et parvint a gagner une position d'où l'on pouvoit inquiéter les défenseurs de la seconde barricade, tandis que Burley à la tête d'une autre colonne les attaquoit dé front.

Les assiégés virent le danger de ce mouvement, et tâchèrent d'empêcher l'approche de Morton en tirant sur sa troupe, chaque fois qu'elle éloit à découvert. Les assaillans de leur côté, déployoient autant de sang froid que d'intrépidité, et cela devoit être attribué en grande partie au jugement de leur jeune chef, qui montroit autant d'intelligence pour protéger ses sol-


dats contre le feu des ennemis , que pou inquiéter ceux-ci.

Il enjoignit plusieurs fois à sa troupe de diriger son feu contre les soldats plutô que contre les antres défenseurs du châ- teau , et surtout d'épargner les jours du vieux major, dont l'intrépidité le porloil l se montrer à tous les postes les plus dangcreux. Il continua sa marche de buissor en buisson, de rocher en rocher, au milieu du feu de la mousqueterie du château, jusqu'à ce qu'il arrivât a la position qu'il vouloit occuper. Il put .alors faire feu sui les défenseurs de la barricade, et Burley profitant de la confusion que cette attaque jeta parmi eux, les attaqua de front avec fureur, força la seconde palissade, les repoussa jusqu'à la troisième, et y entra avec eux, en criant à haute voix : « Tuez L tuez! point de quartier! le château est a nous. » Les plus intrépides de ses soldats, animés par ses cris, se précipitèrent à sa, suite, tandis que les autres travailloient à détruire la seconde et la troisième barricade.

Lord Evandale ne put retenir plus longtemps son impatience. Le bras en écharpe,


se mit à la tête de ce qui resloit de oupes dans le château, et les animant de l voix et du geste, il fit une sortie pour enir au secours de ses gens qui se trouoient en ce moment très - pressés par iurley, et ce renfort rétablit l'égalité du ombat. Les insurgés avoient sans doute me grande supériorité de nombre, mais et avantage n'étoit presque rien dans la position où l'on se battoit, et ou l 'on ne pouvoit déployer plusde huil à dix hommes le front ; ils étoient d'ailleurs assez mal irmés , et ne connoissoient rien aux principes d'attaque et de défense. Le combat le maintint donc quelques instans sans qu'aucun des deux partis pût s'attribuer un succès réel. Mais au milieu de cette scène Je confusion , un singulier accident faillit t mettre les assiègeans en possession du château.

Cuddy faisoit partie des tirailleurs qui avoient accompagné Henry Morton. Il m'existoit pas aux environs du château un buisson ni une pointe de rocher qu 'il ne connût parfaitement. Cent fois il avoit été avec Jenny cueillir des noisettes dans les bois qui l'entouroient, Il n étoit pas sans


bravoure, mais il ne se soucioit pas il chercher le danger pour le plaisir de s'y exposer, ou pour la gloire qui devoit ci résulter. Lorsqu'il vit qu'on liroit du château sur la troupe dont il faisoit parlie comme il se trouvoit à l'arrière garde, i avoit tourné sur la gauche suivi de trois ou quatre de ses compagnons, et pénétran à travers un bois épais qu'il connoissoit . il se trouva sous les murs du château, du roté opposé à celui par lequel on dirigeoii l'attaque. On avoit négligé de fortifier cette partie de la place 3 parce qu'elle paroissoii défendue suffisamment par la nature, étant située au haut d'une montagne escarpée,' bordée de tous côtés par des précipices. Il est bien certain qu'une armée n'auroit put l'attaquer de ce côté, parce que les efforts de quelques hommes auroient suffi pour » précipiter au bas de la montagne ceux qui. seroient parvenus à gravir jusqu'au sommet ; mais on n'avoit pas prévu que quel- ques hommes s'exposeroient à ce danger, i précisément pour en éviter un autre.

C 'étoit là que se trouvoit une certaine fenêtre par laquelle, grâce aux branches. d un grand saule qui étoit voisin , Gibby


toit sorti en fraude du château pour porter au major la lettre de miss Edith.

« Voilà une place que je connois bien , litCuddy en s'appuyant sur son fusil pour eprendre haleine: Combien de fois n'aie pas aidé Jenny Dennison à sortir du :hàteau par cette fenêtre pour aller nous promener dans les bois ! »

« Et qui nous empêche d'y monter maintenant ? dit un de ses camarades , lui étoit un gaillard entreprenant.

u Je ne vois pas ce qui nous en empêcheroit , dit Cuddy , mais que nous ien reviendra-t-il? »

— « Ce qu'il nous en reviendra? nous sommes cinq, tout le monde est sorti du château , nous nous en emparerons pendant qu'on se bat entre les palissades. »

« A la bonne heure , dit Cuddy , mais songez bien que pas un de vous no touche Jenny, ni miss Edith , ni la vieille 1 dame, ni le vieux major , ni personne du . château 1 occupez-vous des Soldats , a la bonne heure. Faites en ce que vous voudrez , mais.,. »

« Allons, allons! reprit l'autre , en« Irons d'abord dans le château, et nous


verrons ensuite ce qu'il faudra faire.

Cuddy, poussé par ses compagnons sembloit avancer à regret. Sa conscience lui disoit tout bas qu'il alloit bien ma payer les bontés que lady Marguerite avoit eues si long-temps pour lui et pour sa famille; et d'une autre part il ne savoii pas de quelle manière il pouvoit être reçu dans la chambre où il s'agissoit d'entrer. Il monta cependant sur le saule. Deux de ses compagnons y montèrent après lui, et les autres s'apprêtèrent à les suivre. La fenêtre étoit fort étroite , et avoit été autrefois garnie de barreaux de fer, niais le temps les avoit fait tomber, ou les subalternes les avoient détachés pour pouvoir sortir incognito du château. Il étoit donc facile de s'y introduire, pourvu qu'il ne se trouvât à l'intérieur personne pour y mettre obstacle, ce dont Cuddy, toujours prudent, vouloit s'assurer avant de risquer cette démarche périlleuse. Il n'écoutoit ; donc ni les prières, ni les menaces de ceux r qui le suivoient, et il alongeoit le cou : pour regarder par la fenêtre, quand sa tête i fut apperçue par Jenny Dennison, qui s'étoit établie dans cette chambre, comme :


ans le lieu le plus retiré du château. Elle oussa un cri épouvantable, et courant a i cheminée , elle saisit une grande marnite pleine de soupe bouillante, qu'on enoit d'apprêter pour le déjeûner des oldats , et en déchargea le contenu sur la ète de Cuddy et de ses compagnons.

Au premier cri qu'elle avoit jeté, Cuddy l'avoit plus pensé qu'à faire retraite: il voit donc heureusement la tête baissée, t comme elle étoit couverte du casque le Bothwell, et qu'il avoit aussi son gilet le peau de buffle, il en fut quitte pour juelques échauboulures ; mais ses camaades, qui avoient le nez en l'air pour J'exiter à avancer et l'empêcher de reculer , urent tous plus ou moins brûlés par le iquiJe bouillant, et ne songèrent plus à nettre obstacle à sa retraite. Il se laissa donc ouler à bas de l'arbre beaucoup plus pr omptement qu'il n'y éloit monté, et prit le chemin le plus court et le moins dangereux pour rejoindre l'arrière garde de armée ; ce que firent aussi ses quatre ompagnons échaudés.

/ Cependant Jenny, à qui l'excès de sa erreur avoit donné la force de faire un


tel exploit, n'en continuoit pas moins pousser des cris d'alarme , et parcouroi : 4 tout le château en criant: « au voleur! al feu! au meurtre! le château est pris! ) Toutes les servantes répétaient les même cris sans en connoitre la cause, et faisoien un tel bruit que les oreilles du major et furent frappées, quoiqu'il fut occupé ai combat des palissades. Craignant quelque surprise sur un autre point, lord Evandale et lui jugèrent à propos de se borner a la défense 'de l'intérieur du château , et y rentrèrent avec leurs soldats, abandonnan aux insurgés tous les ouvrages exté- rieurs.

Leur retraite fut un triomphe pour le Presbytériens, mais ce n'étoit qu'un triomphe d'amour propre. Ils avoient éprou- vé une perte assez considérable, et la prise des barricades ne leur donnoit pas plus de facilité pour s'emparer du château , doute les murs épais et solides leur. opposoicn une résistance qu'il étoit presque impossible de surmonter sans canons. L'armée presbytérienne, après avoir complètement détruit tout les travaux , se retira donc hors de la portée du canon de la tour, pour


délibérer sur le parti qu'elle devoit prendre.

D'une autre part, la situation des assiége's n'étoil pas rassurante. Ils avoient perdu trois hommes dans le combat, et plusieurs autres avoient été blessés. L'ennemi avoit fait, il est vrai, une perle infiniment plus considérable , mais beaucoup moins sensible pour une armée qui devenoit tous les jours plus nombreuse, que celle qu'avoit soufferte une garnison déjà foible, et qui n'avoit aucun moyen de recrutement.

L'acharnement qu'avoient montré les Presbytériens dans celte attaque, prouvoit aussi bien évidemment que leurs chefs avoient fermement résolu de s'emparer de la place, et qu'ils étoient bien secondés par le zèle de leurs soldats. Mais ce qu'on 1 avoit le plus à craindre dans le château étoit la famine, dans le cas où l'ennemi auroit j recours à un blocus pour le réduire. Le major n'avoit pas réussi à faire entrer dans > la place autant de provisions qu'il l'auroit ■1 désiré, et la plus active surveillance ne pouvoit empêcher les dragons d'en gaspiller une partie tous les jours. Ce fut donc au milieu de ces réflexions peu satisfai-


santes qu'il donna ordre de bouclier la croisée par où Cuddy avoit manqué de surprendre le château, et on en fit autant à l'égard de toutes celles qui auroient pu donner la moindre facilité pour une semblable tentative.


CHAPITRE X.

« Le roi de ses soldats a réuni l'élite. »

HENRY IV.

LES chefs de l'armée presbytérienne tinrent une consultation sérieuse dans la soiréedu jour où ils avoient attaqué le château de Tillietudlem. La perte qu'ilsavoieht éprouvée ne les encourageoit pas, et, comme c'est l'ordinaire, c'étoit leurs plus braves soldats qu'ils avoient à regretter. Il étoit à craindre que si on laissoit refroidir l'enthousiasme de leurs partisans par des efforts infructueux, pour s'emparer d'un château fort qui n'étoit que d'une importance secondaire, leur nombre ne diminuât par degrés , et qu'ils ne perdissent l'occasion de profiter du moment où une insurrection soudaine et imprévue trouvoit le Gouvernement sans préparatifs pour la réprimer. D'après ces motifs, il fut décidé que le corps d'armée s'avanceroit vers Glascow pour déloger le régiment de lord Ross et les débris de celui de Claverhouse, qui s'y


étoit retiré; qu'Henry Morton et quelques autres chefs en prendroient le commandement, et que Burley resteroit devant Tillietudlem à la tète de cinq cents hommes, pour bloquer le château , et réunir les renforts qui ne cessoient d'arriver.

Henry ne fut nullement satisfait de cet arrangement. Il dit à Burley qu'il avoit les motifs les plus puissans pour désirer de rester devant Tillietuldem, et que si l'on vouloit lui en confier le blocus , il ne , doutoit pas qu'il ne parvint à un arrangement qui, sans être rigoureux pour les assiégés, donneroit toute satisfaction à l'armée.

Burley devina facilement la cause qui faisoit parler ainsi son jeune collègue. Il étoit intéressé à bien connoitre le caractére et les dispositions de ses compagnons d'armes , et il avoit appris de la vieille Mause quelles étoient les relations d'Henry - avec une partie des habitans du château.

« Tu n'es pas sage, jeune homme , lui . dit-il, de vouloir sacrifier la cause sainte à ton amitié pour un Philistin, et à ta passion pour une Moabite. »

— * « Je ne comprends pas ce que vous


voulez dire , M. Burley , et vos allusions nie déplaisent. Je ne sais quel peut être votre motif pour me faire un tel reproche. »

— « Avoue la vérité. Conviens que tu voudrois veiller sur la sûreté des habitans avec la sollicitude d'une mère pour ses enfans , plutôt que de faire triompher sur le champ de bataille la bannière de l'Eglise presbytérienne d'Ecosse. »

— « Si vous voulez dire que je préférerois terminer cette guerre sans répandre de sang, plutôt que d'acquérir de la gloire et de l'autorité aux dépens des jours de mes concitoyens , vous avez parfaitement raison. » '

— « Et je n'ai pas tort de penser que tu n'excluerois pas de cette pacification générale tes amis de Tillieludlem. »

— « Certainement je dois trop de reconnoissance au major Bellenden pour ne pas souhaiter de lui être utile, autant que me le permettra l'intérêt de la cause que j'ai embrassée. Je n'ai jamais fait un mystère de mes sentimens à cet égard. »

— « Je le sais : mais quand tu aurois voulu me les cacher, je ne les aurois pas moins découverts. — Maintenant écoutc-


moi. Miles Bellenden a des vivres pour un mois. o

— « Vous vous trompez. Nous savons que ses provisions ne peuvent durer plus d'une semaine. »

— « On le dit ainsi, mais j'ai acquis la preuve qu'il a-lui-même répandu ce bruit afin de déterminer la garnison à une diminution de ration , pour faire trainer le siège en longueur, jusqu'à ce qu'il ait reçu les secours qu'il espère. »

— « Et pourquoi n'en avoir pas instruit le conseil de guerre ? «

— « A quoi bon? Ne sais-tu pas toimême que Kettledrumle et Poundtext ne peuvenl garder le silence sur tout ce qui s'y passe. L'armée est déjà découragée en songeant qu'il faudra peut-être passer huit jours devant ce château : que seroit-ce si elle apprenoit que cette semaine se changera en un mois? »

— « Mais pourquoi me l'avoir caché, à moi? ou pourquoi m'en instruire à présent? — Mais avant tout, quelles sont vos preuves? »

« Les voici, dit froidement Burley. Et il lui mit en mains un grand nombre de ré-


quisitions envoyées par le major pour faire fournir au château des grains, des bestiaux et des fourrages. La quantité en étoit telle que Morton ne put s'empêcher de penser que le château se trou voit effectivement approvisionné pour plus d'un mois. Mais Burley se garda bien d'ajouter ce dont il étoit parfaitement instruit, qu'on n'avoit pas satisfait à la plupart de ces réquisitions , et que les dragons chargés de les porter avoient souvent vendu dans un village les provisions qu'ils venoient d'obtenir dans un autre.

« Il ne me reste plus qu'une chose à te dire, ajouta Burley, voyant qu'il avoit produit sur l'esprit de Morton l'impression qu'il désiroit ; c'est que cette circonstance ne t'a pas été cachée plus long-temps qu'à moi-même, car ce n'est qu'aujourd'hui que ces papiers m'ont été remis. Tu vois donc que tu peux aller devant Glasco w travailler au grand œuvre de la rédemption du peuple : tu es bien assuré qu'il ne peut arriver à tes protégés rien de fâcheux en ton absence, puisque le château est approvisionné ; que je n'aurai plus une force suffisante pour entreprendre de le forcer :


d'ailleurs les ordres. du conseil sont de me borner à un blocus. »

« Mais. dit Morton, qui éprouvoit une répugnance invincible à s'éloigner de Tillietudlem , pourquoi ne pas me charger de commander le blocus ? Pourquoi ne marchez-vous pas vous-même à Glascow ? Cette mission est sans contredit la plus importante et la plus honorable. »

— « Et c'est pour cela que j'ai travaillé à en faire charger le fils de Silas Morton. Je suis vieux ; je ne crains pas les dangers, mais je ne suis affamé ni d'honneurs ni de gloire. Ma place est déjà marquée parmi ceux qui quittent tout pour obéir aux inspirations d'en haut. Mais ta carrière est à peine ouverte. Tu as encore à prouver que tu es digne de la confiance que les chefs de l'armée t'ont témoignée. Tu n'as point pris part à l'affaire de LoudonHill ; tu étois captif. J'étois chargé de l'attaque du château, et tu n'y as joué qu'un rôle secondaire. Si tu restois maintenant dans l'inaction devant de vieilles murailles, tandis qu'un service actif t'appelle ailleurs, toute l'armée proclameroit le fils de Silas Morton dégénéré de son père. »


Morton sentit son amour propre piqué par cette dernière réflexion, et consentit à l'arrangement proposé, sans faire de nouvelles objections. Il ne pouvoit cependant se défendre d'un sentiment de défiance , et il étoit trop franc pour le dissimuler.

« M. Burley, lui dit-il, entendons-nous bien. Vous n'avez pas cru au-dessous de vous de donner quelque attention à mes affections particulières ; permettez-moi de vous apprendre que j'y suis aussi constamment attaché qu'à mes principes politiques. Il est possible que pendant mon absence vous trouviez l'occasion de gratifier ou de blesser mes sentimens. Soyez bien assuré que quelles que puissent être les suites de notre entreprise, votre conduite en cette occasion vous assurera ma reconnoissance éternelle , ou mon ressentiment implacable ; et quelles que soient na jeunesse et mon expérience , je saurai ) couver des amis qui m'aideront à prouver

une ou l'autre. »

- « Est-ce une menace, dit Burley, d'un ir froid et hautain ? vous auriez pu me l'éargper; les menaces ne m'ont jamais inti-


midé, mais je ne veux pas m'en offenser. Allez remplir la mission qui vous est confiée : quoi qu'il puisse arriver ici pendant votre absence, j'aurai pour vos désirs toute la déférence qui sera compatible avec la soumission due aux ordres d'un maître qui n'en reconnoit aucun. »

Morton fut oblige de se contenter de cette promesse un peu ambiguë.

u Si nous sommes battus, pensa-t-il, le château sera secouru avant d'être obligé de se rendre à discrétion. Si nous sommes vainqueurs, je vois, d'après la force du parti modéré j que ma voix aura autant de crédit que cette de Burley, pour déterminer çe qu'il faudra faire.

Le lendemain rnatia, l'armée marcha vers Glascow. Notre intention n'est pas de nous appesantir sur tous les incidens de cette guerre ; on peut les trouver dans l'histoire de ces temps malheureux. Il suffira de dire que lord Ross et Claverhouse, ayant appris qu'ils alloient être attaqués par une force supérieure, se retranchèrent dans le centre de la ville, résolus à y attendre les insurgés, et à ne pas leur


abandonner la capitale de l'Ecosse occidentale.

Les Presbytériens se divisèrent en deux corps pour faire leur attaque; mais leur valeur aveugle ne put tenir contre les avantages réunis de la discipline et d'une excellente position. Ross et Claverhouse avoient placé des soldats dans toutes les maisons des rues par où devoient passer les insurgés pour arriver au cœur de la ville ; ils avoient établi diverses barricades avec des chariots et des chaînes de fer, et a mesure que les Presbytériens av.ançoient, leurs rangs s'éclaircissoient sous les coups d'ennemis invisibles, contre lesquels ils ne. pouvaient se défendre. Morton et les autres chefs firent en vaia mille efforts pour les engager à surmonter ces obstacles ; la terreur s étoit emparée de leurs esprits, et ils prirent la fuite presque sans avoir combattu.

Morton fut un des derniers à se retirer; il maintint l'ordre dans la retraite, parvint à rallier quelques-uns des fuyards y avec lesquels il contint des détachemens ennemis qui commençoient à les poursuivre, et cependant il eut le désagrément


d'entendre quelques - uns des soldats qui avoient fui les premiers, dire que la cause de cet échec étoit qu'on avoit mis à leur tête un jeune homme qui n'étoit pas éclairé d'inspirations célestes, et qui n'avoit que des idées mondaines ; et que si Burley les avoit conduits , ils auroient triomphé comme à l'attaque des barricades de Tillietudlem.

Le sang d'Henry bouilloit dans ses veines en entendant ces injustes reproches , mais il n'en sentit que mieux que se trouvant engagé dans cette entreprise périlleuse , il n'avoit d'autre ressource que de vaincre ou de périr. « Je ne puis reculer, pensa-t-il, mais forçons tout le monde, même Edith, même le major Bellenden , à convenir du moins que le courage de Morton, qu'ils traitent de rebelle, n'est pas indigne de celui de son père. »

Il régnoit si peu de discipline dans l'ar- mée, et elle se trouvoit, après cette retraite, dans un tel état de désorganisation, que les chefs crurent prudent de s'éloigner de quelques milles de Glascow , afin d 'avoir le temps d établir dans leurs rangs autant d'ordre qu'on pouvoit espérer d'y


en introduire. Cet échec n'empêchoit pourtant pas que de nombreux renforts ne leur arrivassent a chaque instant. La nouvelle du succès de Loudon-Hill électrisoit tous les esprits, et celle de l'échec qu'on venoit 1 1 'essuyer, n'avoit pas encore eu le temps de se répandre parmi ces nouvelles recrues : ceux qui professoient des principes modérés s'attachoient à la division de Morton ; mais il voyoit avec regret qu'il perdoit tous les jours de son crédit sur ceux qui se livroient à l'exagération fanatique des Puritains. Ses sentimens de tolérance étoient appelés un état de froideur pour la cause d'en haut : les précautions de prudence qu'il prenoit pour la sûreté de l'armée, étoient traitées de confiance impie lans les moyens humains; enfin on lui préféroit les chefs en qui un zèle aveugle iuppléoit aux connoissances , et qui dis- pensoient leurs soldats de discipline et de subordination , pourvu qu'ils eussent des sentimens exagérés et un enthousiasme . sauvage.

Morton supportoit cependant le principal fardeau du commandement; car ses collègues, sachant que la tâche de réla-


blir l'ordre et la discipline dans une armée, n'est pas la fonction qui rend un chef plus agréable à ses soldats , la lui abandonnoient volontiers. Il eut donc à vaincre bien des obstacles, et cependant il fit de tels efforts, qu'il parvint en trois jours à remettre ses troupes sur un pied assez respectable, et il crut pouvoir faire une nouvelle tentative sur Glascow. Il avoit le plus grand désir de se mesurer personnellement avec Claverhouse, parce qu'il le regardoit comme celui dont la persécution l'avoit forcé de se jeter, sans qu'il en eût le projet, dans les rangs de gens dont il Be pouvoit approuver la conduite, quoiqu'il professât une partie de leurs senti- ; mens; mais il fut trompé dans son attente. : L'armée des insurgens entra dans la ville ! sans rencontrer aucun obstacle. Lord Ross : et Claverhouse l'avoient évacuée, et lesPrefbytériens en prirent possession sans avoir t brûlé une amorce.

Cette retraite fut le signal qui filaccou-i rir une foule de nouveaux soldats dans les rangs des insurgés. Il fallut nommer de' nouveaux officiers, organiser de nouveaux régimens, les habituer à la discipline mi-


itaire, et Morton fut encore chargé de ;ette besogne. Il s'en acquitta parfaitement bien, parce que son père lui avoit appris de bonne heure la théorie de l'art militaire, et il voyoit d'ailleurs que s'il n'exécutoit cette tâche importante, aucun les àutres chefs n'avoit la volonté de la remplir, ni les connoissances nécessaires pour y réussir.

On sera sans doute surpris que lord Ross et Claverhouse, après avoir si bien réussi dans leur projet de défendre Glascow contre les insurges , y eussent si facilement renoncé. Mais leur conduite ne fut pas l'effet de leur propre choix, et elle fut déterminée par les ordres qu'ils reçurent. Le conseil privé ayant appris le caractère effrayant que commençoit à prendre l'in> surrection, avoit résolu de rassembler à Edimbourg le peu de troupes qui se trouvoient en Ecosse, afin de protéger la capitale , et y avoit mandé le régiment des gardes et celui de lord Ross.

Cependant la nouvelle de la révolte étoit arrivée à la cour d'Angleterre. On fut surpris que le Gouvernement établi en Ecosse n'eût pas su l'étouffer dès sa naissance.


On douta de sa capacité. On commença à croire que le système de sévérité qu'il avoit adopté n'étoit pas fait pour ramener les esprits. On résolut donc de nommer au commandement général de l 'armée d 'E- cosse , le duc de Monmouth qui, par son mariage , avoit acquis beaucoup d influence dans le sud de ce pays. La science militaire dont il avoit donné plusieurs fois des preuves sur le continent, fut jugée né- cessaire pour réduire les rebelles obstinés, tandis que la douceur et la bonté de son ? caractère pouvoient contribuer à calmer les esprits et à leur inspirer des sentimens plus favorables au Gouvernement. Le duc > reçut donc une commission qui lui don-, noit plein pouvoir de régler les affaires d'Ecosse, et partit de Londres avec des forces nombreuses pour prendre le commandement de ce pays.


CHAPITRE XI.

r Château qui renfermez l'objet de mes amours,

1 « Suis-je donc de vos murs éloigné pour toujours? »

Anonyme.

JL y eut des deux côtés une suspension d'opérations militaires pendant plusieurs jours. Les insurgés vouloient renforcer et discipliner leur armée avant de former des entreprises plus importantes, et le Conseil privé , attendant l'arrivée du nouveau commandant, se bornoit à prendre les mesures nécessaires pour empêcher les Presbytériens de marcher sur la capitale. Dans cette vue il avoit établi un camp à Hamilton , situation centrale, favorable pour y réunir des renforts, qui étoil dépendue par la Clyde , rivière rapide et profonde, que l'on ne pouvoit traverser lue sur un pont très-long et très-étroit, près du château et du village de Bothwell.

Tandis que Morton s'occupoit des devoirs dont il étoit chargé , il avoit plu' lieurs fois reçu des nouvelles de Burley.


Il lui disoit toujours en termes généraux, et sans aucun détail, que le château de Tillietudlem tenoit encore. Ne pouvant * supporter de rester plus long-temps dans l'incertitude sur un sujet si intéressant pour ]ui, il résolut de faire part à ses collègues du désir qu'il avoit d'aller à Milnwoold ( pour une couple de jours , afin d'y régler ^ des affaires domestiques, ou pour mieux dire , il prit le parti de leur déclarer sa dé- termination à cet égard, ne voyant nulle j, raison poqr ne pas prendre une liberté que se permettoient tous les autres dans celte armée mal disciplinée. "

Ce projet ne fut nullement approuvé. On sentoit trop combien les services de Morton étoient utiles pour ne pas crain- dre d en être privé même pour quelques . jours, et chacun reconnoissoit tout bas son incapacité pour le remplacer. Ses collègues ne purent cependant lui imposer des ♦ lois plus sévères que ctlles auxquelles ils f se soumettoient eux-mêmes, et il se mit en route sans éprouver une opposition marquée. ;

Le révérend Poundtext profita de cette occasion pour aller visiter son presbytère

1


( Milnwood, et favorisa Morton de sa mpagnie pendant tout le chemin. Tout pays qu'ils avoient à parcourir étant dé;ré en leur faveur, à l'exception de quel3s seigneurs qui se tenoient soigneusej nt enfermés dans leurs châteaux , ils ent leur voyage sans aucun accident, yant à leur suite que le fidèle Cuddy. [1 étoit presque nuit quand ils arrivèit à Milnwood. Poundtext dit adieu à s compagnons, et prit le chemin de son esbytère qui étoit à un demi-mille du âteau de sir David.

Henry frappa à la porte de son oncle , nis ce n'étoit plus avec la timidité d'un me homme craintif, et l'esprit rempli sentiment pénible de la dépendance ; ,maison retentit des coups redoublés du arteau, et Alison accourant aussitôt et tr ouvrant la porte avec précaution , rela d'effroi, en voyant l'habit militaire Henry , et la plume qui flot toit sur son 'apeau.

« Où est mon oncle , Alison ? dit Moren souriant de ses alarmes. »

— « Bon Dieu, M. Henry, est-ce bien us? cela n'est pas possible ! Vous me


semblez grandi depuis quinze jours; vou avez tout-à-fait l'air d'un homme à pre sent. »

— « C'est pourtant moi-même, Alison c'est sans doute mon habit qui me fait pa roitre plus grand à vos yeux, et nous vi vons dans un temps qui change prompte ment les enfans en hommes. »

— « Oh , le malheureux temps, M. Hen ry î Pourquoi faut-il que vous vous en soye ressenti ! mais qui pouvoit l'empêcher • — Au surplus vous n'étiez pas trop hieri traité ici; et comme,je l'ai dit bien de fois à votre oncle, marchez sur un ver, i: se rebiffe. »

— « Vous avez toujours pris ma défenser Alison , et vous vouliez avoir seule le droi de me gronder. — Mais où est mon oncle.

— « A Edimbourg. Il y est allé avec tout ce qu'il a pu emporter , croyant qu'i y seroit plus en sûreté qu'ici.— Mais vous le connoissez aussi-bien que moi. »

— « J'espère que sa santé n'a pas sont fert ?

— « Ni sa santé, ni ses biens; mais a eu une frayeur ! Il a emmené trois chariots chargés. Il auroit démoli le château


rur l' emporter, s'il avoit pu. Il est parti le demain de la bataille de Loudon-Hill, t il a bien fait : quel crève-cœur pour lui s étoit resté deux heures de p(us, de r deux dragons de la garnison de TilLuldem venir enlever nos deux vaches ! » il est vrai que j'ai fait le même jour un sellent marché pour quatre autres. » — » Un marché? Que voulez-vous re ? »

— « Vous ne savez donc pas ? Les draeas alloient de tous côtés chercher des avisions pour le château. Mais ils venaient d'une main ce qu'ils prenoient de îutre ; et j'ai eu les quatre vaches pour « pièces d'or. Ah! je suis bien sûre que major Bellenden n'a eu que la plus pepart de tout ce qu'ils ont pris en son Hn. »

— « Mais le château doit donc mant1er de provisions? »

— « Il n'y a pas de doute. On dit qu'on meurt de faim. »

« Burley m'a trompé , s'écria vivement enry, m'a trompé volontairement ! — — ne puis rester plus long-temps , mis-


tress Wilson, il faut que je parte à l'i tant. »

« Quoi, M. Henry, dit la bonne fem de charge, vous n'entrerez pas pour m ger un morceau? Vous savez que j'ai ti jours quelque chose en réserve. »

« Impossible ! dit Morton : — Cud sellez nos chevaux. »

» Ils commencent à manger l'avoi! répondit Cuddy. »

« Cuddy! s'écria Alison. Quoi, v< avez pris avec vous ce porte malheu c'est lui et sa sorcière de mère qui ont cause de ce qui vous est arrivé. »

« Allons, mistress, allons, dit Cud, il faut savoir oublier et pardonner. mère chante des pseaumes à Glascow, ai elle ne vous tourmentera pas davantage et moi je suis au service du capitaine je me flatte que depuis que j'en ai so il n'a pas moins bonne mine que lors( vous en étiez chargée. L'avez-vous jarr vu si bien ?»

« En honneur et en conscience, di vieille, en jetant un regard de comp sauce sur son jeune maître, il a tout-à- %« bonne tournure. — Mais jamais vous


vez eu une si belle cravatte à Milnwood ! Ce n'est pas moi qui l'ait ourlée ! »

« Non, non , dit Cuddy, elle est de ma façon. Elle vient de lord Evandale. »

« De lord Evandale ? De celui que les Presbytériens doivent pendre demain matin ? »

« Pendre lord Evandale ? s'écria Morton, vivement agité. »

« Cela est bien sûr, dit Alison. La nuit dernière , il a fait une... Comment diton ? une sortie, je crois, avec ses dragons, pour tâcher de se procurer des vivres ; mais les soldats ont été repoussés, et il a été fait prisonnier. Si bien que Burley a fait dresser une potence aussi haute que celle où Aman a été attaché, et a dit que si le château ne se rendoit demain matin à... distraction....»

« A discrétion , dit Cuddy.

— « A discrétion, si vous voulez , — lord Evandale seroit pendu. — Mais allons , M. Henry, entrez, il ne faut pas que cela vous empêche de diner. n

— « Les chevaux, Cuddy, les chevaux ! pas un instant à perdre. »

Et résistant à toutes les instances d'A-


lison , ils se remirent en route à l'instant Morton ne manqua pas de s'arrêter che,

; Poundtext, et l'engagea à se rendre a camp avec lui. I f Le vénérable ministre avoit repris pou un instant ses habitudes pacifiques. Uni pipe à la bouche , une pinte de bière de vant lui, il étoit appuyé sur une table feuilletant un ancien traité de théologie Il n 'étoit pas très-disposé à quitter ce qu'il: -appeloit ses études pour se remettre er route aux approches de la nuit, et déjà : fatigué de la course qu'il avoit faite. Mai ! quand il eut appris ce dont il s'agissoit, il renonça, quoiqu'en gémissant, au proJ - jet qu'il avoit formé de passer chez lui une soirée tranquille , et il pensa , comme Morton, que quoiqu'il pût convenir aux vues particulières de Burley de rendre im" possible une réconciliation entre les Près bytériens et le Gouvernement, en mettant à mort lord Evandale, l'intérêt du part modéré étoit diamétralement opposé a ce tte mesure. D'ailleurs, pour rendre justice £ Poundtext, il ne s'étoit jamais montre partisan des mesures outrées, ni d'aucui acte de violence qui ne parût autorisé pa


la nécessité. Il écoula donc avec beaucoup de complaisance les raisonnemens par lesquels Morton chercha à lui démontrer la possibilité que lord Evandale devînt le médiateur de la paix à des conditions trèsraisonnables, et il entra entièrement dans toutes ses vues.

Il étoit onze heures du soir quand ils arrivèrent dans un hameau situé près du château de Tillietudlem, et où Burley avoit établi son quartier général. Une sentinelle les arrêta à l'entrée; mais s'étant nommés et fait reconnoître par un officier, ils se firent conduire dans la maison qu'occupoit Burley. Ils passèrent devant une maison , dont un poste assez nombreux g^rdoit la porte, près laquelle on avoit dressé un gibet très-élevé , et qu'on pouvoit apercevoir du château. Cette vue confirma le rapport de mistress Wilson, et les porta à croire que c'étoit là que lord Evandale étoit détenu. — - ••

Burley étoit assis , ses armes placées sur une table près de lui, pour pouvoir les prendre à la première alarme. Dès qu'il vit eritrer ses deux collègues, il se leva précipitamment d'un air. de surprise :


« Qui vous amène ici? s'écria - t-il : apportez-vous de mauvaises nouvelles de l'armée? »

« Non , répondit Morton , mais nous apprenons qu'il se passe ici des choses qui pourroient compromettre sa sûreté. — Lord Evandale est prisonnier? »

— « Le ciel l'a livré entre nos mains. »

— « Et votre dessein est-il d'user de l'avantage que le ciel vous a accordé, pour déshonorer notre cause aux yeux de toute la nation , en mettant à mort un prisonnier ? »

« Si le château de Tillietudlem n'est pas rendu à discrétion demain à la pointe du jour, répondit Burley, que je périsse s'il ne meurt du supplice que son chef, l'infâme Claverhouse, a fait subir à tant de saints. »

« Nous avons pris les armes, dit Morton, pour mettre fin à ces cruautés, et non pour les imiter ; encore moins pour venger sur l'innocent les fautes du coupable. Quelle loi peut justifier l'atrocité que vous voulez commettre ? »

« Tu l'ignores, répondit Burley ; demande-Le A ton compagnon : c'est celle


qui livra au sabre de Josué les habitans de Jéricho. »

« Nous vivons sous une meilleure loi, dit le ministre. Elle nous ordonne de rendre le bien pour le mal, et de prier pour ceux qui nous persécutent. »

« C'est-à-dire, dit Burley en le regardant de travers , que ton radotage est d'accord avec la fougue de ce jeune homme pour me contrarier en cette occasion. »

« Nous avons tous, reprit Poundtext, la même autorité que toi sur celte armée, et nous ne souffrirons pas que tu fasses tomber un cheveu de la tète du prisonnier. Qui sait si Dieu n'en fera. pas un instrument pour guérir les plaies d'Israël ? »

« Je jugeois que cela en viendroit là, s'écria Burley , lorsqu'on a appelé au conseil des gens comifle toi. »

« Des gens comme moi! répéta le ministre : Et qui suis-je donc pour que tu. oses en parler ainsi? n'ai-je pas préservé pendant trente ans mon troupeau de la fureur des loups , pendant que Burley c combattoit les Philistins? Qui suis-je donc? parle. «

- « Je vais te le dire, puisque tu veux


le savoir. Tu es un de ces hommes qui veulent récolter où ils n 'ont pas semé ; partager les dépouilles, sans avoir pris part au combat; qui préfèrent leurs avantages particuliers au bien général de 1 l'Eglise , et qui aimeroient mieux être salariés parles païens, plutôt que d'imiter la noble conduite de ceux qui ont tout abandonné pour se dévouer à la bonne cause. »

« Je te dirai aussi qui tu es, s'écria Poundtext vivement irrité. Tues un de ces êtres dont les dispositions sanguinaires et sans pitié sont la honte de l'Eglise souffrante de ce malheureux royaume ; dont la violence et les cruautés empêcheront la Providence d'accorder sa protection à notre sainte et glorieuse entreprise. »

« Messieurs, dit Morton, je vous eu supplie, mettez fin à, de semblables discours; et vous, M. Burley, veuillez nous dire si votre intention est bien décidément d'ordonner la mort de lord Evandale, tandis que sa mise en liberté nous paroît une mesure utile au bien général du pays. »

« Vous êtes ici deux contre un, s'écria Burley , mais je présume que vous ne refuserez pas d'attendre que la totalité du


conseil soit réunie pour prendre une détermination sur cette affaire. »

« Nous ne nous y refuserions pas, dit Morton, si nous pouvions avoir confiance en celui sous le pouvoir duquel il se trouve ; mais vous savez, ajouta-t-il, en le regardant fixement, que vous m'avez déjà trompé relativement à la situation du château. »

« Vas ! dit Burley d'un air de dédain , tu n'es qu'un jeune insensé qui, pour les yeux noirs d'une jolie fille , vendrais la foi et ton honneur, oublierois ce que tu dois à ta patrie et à Dieu même. »

« M. Burley, s'écria Morton, en portant la main à son sabre, de tels propos exigent une satisfaction. »

« Et tu l'auras quand et où tu voudras, jeune homme, répondit Burley en sautant sur ses armes. »

Ponndtext, à son tour, s'interposa entre eux, et leur ayant remontré les suites fâcheuses qu'une telle division pouvoit entraîner pour leur cause , il parvint a effectuer une espèce de réconciliation.

« Hé bien , dit Burley, faites d' Evandale ce que vous voudrez, je m'en lave les


mains , et je ne réponds de rien de ce qui peut s'en suivre. C'est moi qui l'ai fait prisonnier, les armes à la main , pendant que vous , M. Morlon, passiez des revues et faisiez des parades à Glascow ; pendant que vous, M. Poundtext, faisiez des sermons peur prêcher une tolérance contraire aux Ecritures. N'importe , je le répète , faites-en ce que vous voudrez.—Dingwall, dit-il, en appelant un officier qui remplissoit près de lui les fonctions d'aide de camp, et qui couchoit dans l'appartement voisin du sien, dites à la garde chargée de veiller sur le prisonnier-, de céder son poste a ceux que le capitaine Morton choisira pour la relever. — Le prisonnier est à votre disposition , messieurs, mais souvenez-vous qu'un jour viendra où. vous aurez un compte terrible à rendre à Dieu et aux hommes de ce que vous faites aujourd'hui.»

En parlant ainsi il leur tourna le dos, et entra brusquement dans une 'autre chambre, sans leur dire adieu.

Ses deux collègues, après un moment de réflexion, jugèrent que la prudence exigeoit qu'ils assurassent la sûreté du prisonnier, en plaçant près de lui une


garde sur la fidélité de qui ils pussent compter. Un certain nombre de paroissiens de Poundtext étoient restés avec Burley, afin de s'éloigner le plus tard possible deleurs familles : c'étoient des jeunes gens actifs , adroits, professant les principes des Presbytériens modérés , qui connoissoient tous Henry Morton et qui lui étoient attaattachés. Il en choisit six, mit Cuddy à leur tète j les plaça à la porte de la maisonoù étoit détenu lord Evandale, et ayant trouvé une chambre dans une chaumière qui en étoit voisine, il les chargea de l'informer de tout ce qui' pourroit survenir, et s'y retira avec Poundtext.

Il ne songèrent cependant a prendre quelque repos , qu'après avoir rédigé de concert un mémoire contenant les demandes des Presbytériens modérés. La principale étoit d'obtenir la tolérance de leur religion , la- permission d'avoir des minis- tres de leur croyance , et d'écouter leurs instructions dans leurs églises ; enfin une amnistie générale pour tous ceux qui a voient porté les armes pour cette cause. Ce n'étoit à leur avis que demander le libre exercice des droits naturels des Ecossois,


et ils se flattoient de trouver jusque parmi les Royalistes les plus zélés , des avocats pour une concession qui feroit tomber les armes des mains d'une grande partie des insurgés , et qui ne laisseroit aux autres aucun motif raisonnable pour les conserver.

Morton espéroit d'autant plus que cette ouverture de paix seroit favorablement accueillie par le duc de Monmouth, à qui Charles Il venoit de confier le commandement de l'Ecosse, qu'il étoit d'un caractère doux , humain et conciliant. On savoit qu'il n'apportoit point en ce pays un esprit de vengeance , ni même des dispositions défavorables aux Presbytériens ; et il disoit hautement qu'il aspiroit à la gloire de pacifier l'Ecosse, plutôt qu'à celle de la subjuguer.

Il sembloit donc a Morton que la seule chose nécessaire pour l'intéresser en leur faveur , et en obtenir des conditions de paix équitables, étoit de pouvoir lui en faire porter la proposition par un homme respectable , et non suspect de favoriser les Presbytériens ; et lord Evandale lui paroissoit devoir parfaitement remplir cette


mission pacifique. 11 résolut donc de le voir le lendemain matin , et de s'assurer s'il » voudrait se charger du rôle honorable de médiateur : mais un événement imprévu lui fit accélérer l'exécution de son projet.


CHAPITRE XII.

« Rendez-vous, rendez-vous! Le sort le veut ainsi.»

Anonyme.

POUNDTEXT s'éloit retiré dans une chambre voisine, et dormoit déjà d'un sommeil profond. Morton venoit de mettre au net le projet de conditions de paix qu'ils avoient arrêté ensemble , et il alloit prcn- dre aussi quelques instans de repos, quand il entendit frapper à la porte.

« Entrez, dit Morton, et au même instant Cuddy entrouvrant la porte, passa la tête dans la chambre. »

« Entrez donc , répéta Morton. Que me voulez - vous ? Y a - t - il quelque alarme ? »

« Non , M. Henry, mais je vous amène quelqu 'un qui désire vous parler, une de vos anciennes connoissances. » Et ouvrant tout-à-fait la porte, il fait avancer une femme dont la figure étoit cachée par son plaid. — « Venez , venez , faut-il être honteuse ainsi ? on diroît que vous ne


connoissez pas M. Henry. » En même temps tirant son plaid , il fit voir à son maître les traits de Jenny Dennison, que celui-ci reconnut aussitôt. — « Hé bien , mistress, parlez donc : dites à M. Henry ce que vous vouliez dire à lord Evandale. »

« Qu'est - ce que je voulois dire à M. Morton, répondit Jenny, lorsque j'allait ! le visiter quand il étoit prisonnier au château? Ne peut-on pas désirer de voir ses amis dans l'affliction-, sans avoir rien departiculier à leur dire , tête sans cervelle ? »

Jenny fit cette réplique avec sa vol ubilité ordinaire, mais la voix lui manquoit, ses joues étoient pâles, des pleurs rouloient ■: dans ses yeux , ses mains trembloient , et toute sa personne donnoit des, marques d'une agitation extraordinaire.

— « Qu'avez-vous donc Jènny ? en quoi puis-je vous servir ? je n'ai pas oublié que je vous ai plus d'une obligation , et i s'il m'est possible de vous être utile , vous ae devez pas craindre un refus. »

- — « Grand merci, M. Morton , je saisque vous avez toujous été compatissant ,


quoiqu'on dise que vous êtes bien changé maintenant. »

— « Et que dit-on de moi, Jenny ? »

— « On dit que vous et les Presbytériens avez juré de renverser le roi Charles de son trône, et que ni lui ni ses postérieurs, de génération en génération , ne s y rassiéront jamais ; que vous brûlerez toutes les églises qui ne sont pas presbytériennes; que

— « Seroit-il possible que mes amis jugeassent si mal de moi. Je ne demande que la liberté de conscience pour nous , sans vouloir la ravir aux autres. Quant aux habitans du château , tout mon désir est de trouver l'occasion de leur prouver que j'ai toujours pour eux les mêmes sentimens , la même amitié. »

1 « Dieu vous récompense de penser ainsi ! dit Je'nny en fondant en larmes ; mais ils n'auront bientôt plus besoin de l'amitié de personne , car il n'y a plus au château un seul morceau de pain ni de viande. » 4

« Seroit-il possible? s'écria Morton. Je croyois bien qu'on n'y étoit pas dans


l'abondance , mais la famine... ! — Et le major , et ces dames .... »

« Ont souffert comme nous, répondit Jenny ; ils ont partagé avec nous jusqu'au dernier morceau. Il y a huit jours qu'on ne fait plus qu'un repas chaque jour au château , et Dieu sait quel repas ! »

La maigreur des joues de la pauvre fille prouvoit qu'elle n'exagéroit pas.

« Asseyez-vous ! s'écria Morton, en la forçant de prendre la seule chaise qui se itrouvàt dans la salle où ils étoient. Et parcourant la chambre à grands pas comme hors de lui-même : Aurois-je pu le croire ? s'écria-t-il. — Fourbe abominable ! monstre d'inhumanité! détestable fanatique! — Cuddy, allez chercher des vivres , du vin, tout ce que vous pourrez trouver. »

« Du vin ? dit Cuddy entre ses dents : un verre de whisky sera assez bon pour elle. On n'auroit pas cru qu'il y eût au château une telle disette de provisions, à la voir jeter par les fenêtres des terrines < pleines de soupe. »

Toute foible et toute chagrine que fût Jenny, elle ne put s'empêcher de rire de cette allusion; mais cet accès momentané


fut aussitôt suivi d'un déluge de pleurs. Morton réitéra ses ordres à Cuddy , d 'un ton qui n 'admettoit pas de réplique , et quand il. fut parti : je présume , dit-il à Jenny, que c'est par ordre de votre maî- tresse que vous êtes venue ici pour tâcher de voir lord Evandalie ? Que désire-telle? ses souhaits seront des ordres pour moi. »

Elle parut réfléchir nn instant : « Vous êtes un si ancien ami , M. Morton , lui dit-elle alors , qu'il faut que j'aye confiance en vous et que je vous dise la. vérité. »

« Soyez bien sûre, Jenny, dit Morton, voyant qu'elle hésitoit encore , que le meilleur moyen de servir votre maîtresse, est de me parler avec franchise. »

« Hé bien donc, lui dit-elle, vous savez déjà que nous mourons de faim depuis huit jours. Le major jure tous les matins qu'il attend du secours dans la journée, et qu'il ne rendra le château qu'après avoir mangé ses vieilles bottes , et vous devez vous souvenir que les semelles en sont épaisses. Les dragons , après la vie qu'ils ont été accoutumés si long-temps a mener,


ne se soucient pas de jeûner, encore moins de mourir de faim. Depuis que lord Evandale est prisonnier , ils n'écôutent plus personne, et je sais qu'Inglis a le projet de livrer le château à Burley , et nous, tous par-dessus le marché , s'il peut en obtenir la vie sauve pour lui et pour ses cavaliers. »

« Le misérable ! s'écria Morton : Et pourquoi n'en demande-t-il pas autant pour tous ceux qui sont dans le château ? »

« C 'est qu il a peur en demandant Irop, de ne rien obtenir. Burley a déjà fait pendre deux dragons qu'il a pris il y a quelques jours, il a juré de ne fairequartier à aucun ; de manière qu'Inglis voudroit se retirer du lacs en y laissant les. autres A

— a Et vous reniez faire part à lord. Evandale de cette facheuse nouvelle? »

- « Oui, M. Henry. Holliday m'a tout ~onté, et m "a aidéeà sortir du château pourlue je vinsse en informer lord Evandale r je pouvois réussir à le voir. »

« Mais que peut-il- faire pour vous , tant prisonnier ? »

— « Cela est vrai. Mais — Il peut faire


des conditions pour nous. — Il peut nous t donner quelques bons avis. — Il peut en- i voyer des ordres à ses dragons. Il ( peut... »

« S'évader de prison, dit Morton en < souriant, si vous trouvez la possibilité de lui en faciliter les moyens. »

« Quand cela seroit, dit Jenny avec fermeté, ce ne seroit pas la première 1; fois que j'aurois tâché d'être utile à un malheureux prisonnier. »

— « Je le sais, Jenny : je ne me par- , donnerois pas de l'avoir oublié. Mais voici Cuddy qui arrive avec des rafraîchissemens. Prenez quelque nourriture, et je me charge de votre commission pour lord > Evandale. » t « Il faut que vous sachipz, M. Henry, dit Cuddy en arrivant, que cette maligne, pièce , cette Jenny Dennison , cherchoit; à gagner Tom Rand qui étoit de faction à la porte de lord Evandale, pour obtenir, la permission de le voir ; mais elle ne savoit pas que j'étois derrière ses talons. »

« Et vous m'avez fait une fameuse peur, quand vous m'avez arrêtée, dit Jenny en lui donnant une chiquenaude


ur l'oreille : si vous n'aviez pas été une ~eille connoissance, mauvais sujet... »

Nous allons laisser Jenny prendre une lourriture dont elle avoit véritablement )esoin , et faire sa paix avec son ancien amant; et suivre Henry, qui enveoppé d'un manteau sous lequel il avoit pris son sabre et deux pistolets, s'achemina vers la maison ou lord Evandale étoit détenu.

« Y a-t il du nouveau? demanda-t-il aux sentinelles, en y arrivant. »

« Rien d'extraordinaire, dit l'un d'eux, si ce n'est la jeune fille que Cuddy a arrêtée, et deux messagers que Burley vient d'envoyer à Kettledrumle et à Macbriar, qui battent le pays pour faire des recrues. »

« C'est sans doute, dit Morton , en affectant un air d'indifférence , pour les engager à revenir au camp. »

« C'est ce qu'on m'a dit, répondit la sentinelle , qui avoit causé avec les J messagers.

« Oui dà ! pensa Morton en lui-même : 1 il veut s'assurer uue majorité dans le conseil, afin de faire sanctionner tous les actes de scélératesse et de cruauté qu'il lui plaira


de commettre. Allons, il faut me hâter ou l'occasion est perdue. »

En entrant dans la chambre où l'on avo ' mis lord Evandale, il le trouva chargé d fers, et couché sur une paillasse. Il se sou leva dès qu'il entendit entrer Morlon , e offrit à ses yeux des traits tellement changés par la perte de sang que lui avoien causée ses blessures , et par le défaut de sommeil et de nourriture, qu'on aurait en peine a reconnoilre en lui le jeune officier plein d'e vigueur et de santé , qui avoit si vaillamment combattu à l'affaire de Lou-' don-Hill. Une lampe éclairoit sa chambre : il reconnut Morton, et témoigna quelquesurprise de le voir.

« Je suis désespéré de vous voir ainsi ,i mylord, lui dit Henry. On m'a assure M. Morton, dit le prisonnier, que vous, aimez la poésie : en ce cas vous devez: vous rappeler ces vers.

« De lourds verroux et des murs bien épais « Rendent-ils seuls un cachot redoutable?

« Pour le captif que l'injustice accable ,

« Cest un asile où son amc est en paix. »

Au surplus , quand mon emprisonnement •


arohroit plus insupportable, c'est un mal ien court, puisque je dois en être délivré emain matin. »

« Par la mort? s'écria Henry. »

- — « Sans doute. Je n'ai pas d'autre eserance. Votre collègue Burley me l'a fait anoncer; et comme il a déjà trempé ses ' ~ains dans Je sang de plusieurs de mes ~ldats, dont l'obscurité devoit être la sauves irde, moi qui n'ai pas les mêmes droits sa clémence , je ne dois pas croire qu'il îuille épargner mes jours. »

« Mais le major Bellenden peut rene le château pour vous sauver la vie. »

« Il n 'en fera rien tant qu'il aura un ~mme pour défendre la place, et qu'il ~urra lui donner de quoi l'empêcher de ourir de faim. Je connois sa résolution cet égard, elle est digne de lui, et je rois fâché qu'il en changeât à cause de ~oi. »

Morton se hâta alors de l'informer des ~uvelles que Jenny venoit de lui apprenle.

Lord Evandale pouvoit à peine le croire. savois, dit-il, que les provisions tiroieut - eur fin ; mais que mes soldats ayerit pu


concevoir l'idée de négocier leur retraite en livrant à l'ennemi le château et ~tout ceux qui l'habitent, c'est ce que ~jamais je n'aurois pu me persuader. — Mais qr, faire? comment prévenir un tel malheur « Ecoutez-moi, mylord, dit Mortom je crois que vous vous chargeriez san répugnance d être porteur de la ~bran che d'olivier entre notre auguste maître sa majesté le roi Charles II, et cette part de ses sujets à qui la nécessité et non l'a mour de la révolte a mis les armes à main. »

— « Vous rendez justice à mes sent mens ; mais à quoi tend ce discours ? » ?

— « Permettez-moi de continuer, my lord, je vais vous faire mettre en liber sur-le-champ, et vous renvoyer au château sous condition qu'il me sera rendu à l'instant même. En agissant ainsi, vous ne fer( que céder à la nécessité : comment pourriez-vous le défendre plus long - temps sans vivres, et avec une garnison insur- bordonnée ? Vous aurez un ~sauf-condu pour vous et pour tous ceux qui ~voudro vous suivre, pour vous rendre , soit t Edimbourg, soit partout où se trouvera


~ de Mon mou ih. Ceux qui refuseront ) vous suivre n'auront à accuser qu'eux ~êmes du sort qui pourra les attendre. a seule chose que j'exige de vous, c'est iotrc parole de présenter au duc celte amble pétition qui contient nos justes Tim ~ontrances, et si l'on nous accorde nos demandes, je réponds sur ma tête que la presque totalité des insurgés mettra bas ~s armes sur-le-champ. »

it « M. Morton , dit lord Evandale après ~voir lu avec attention l'écrit qu'il venoit e recevoir, je ne vois pas qu'on puisse raire de sérieuses objections contre de pa~reilles demandes. Je crois même qu'elles ont conformes aux sentimens particuliers du duc de Monmouth ; mais je dois vous parler avec franchise. Je vous dirai donc que je ne crois pas qu'elles vous soient accordées, à moins que vous ne commenciez par déposer les armes. »

î « Ce seroit convenir que nous n'avions tpas le droit de les prendre, s'écria Morton. C'est ce que nous ne ferons jamais. »

« Hé bien, dit lord Evandale, je prévois que c'est contre cet écueil qu échouera la négociation. Au surplus, vous ayant dit


franchement mon opinion, je n'en su pas moins disposé à présenter vos demai des, et à faire tous mes efforts pour anu ner une réconciliation. »

« C'est tout ce que je désire de vous dit Morton : vous acceptez donc le sauy conduit. »

« Oui, dit lord Evandale, et si je n m'étends pas sur la reconnoissance que j vous dois pour me sauver la vie une se conde fois, croyez que je ne la sens pa moins vivement. »

— « Vous n'oubliez pas que le châteat doit être rendu à l'instant. »

— « J'en vois la nécessité. Le major ne pourroit réduire les mutins à l'obéissance et je frémis en songeant à ce qui pourroi, arriver à ce brave vieillard, à sa sœur e a sa nièce, si on les livroil à Burley, à ce monstre altéré de sang. »

« Vous êtes donc libre, dit Morton préparez-vous à monter à cheval; je vaiî vous donner une escorte pour vous conduire en sûreté, à travers nos portes, jusqu'au château. »

Laissant lord Evandale aussi surpris qu< charmé d'une délivrance si inattendue


orlon se hâta de faire prendre les armes à lelques hommes dont il étoit sûr, et de les rire monter a cheval. Jenny, parfaitement conciliée avec Cuddy, monta en croupe derrière lui. Le bruit de leurs chevaux se 1 bientôt entendre sous les fenêtres de ~ Evandale. Deux hommes , qu'il ne mnoissoit pas, entrèrent dans son appartement, détachèrent ses fers., le firent fonter a cheval, le placèrent au centre u détachement, et l'on prit, au grand ~t, le chemin de Tillietudlem L' aurore commençoit à paroître, quand I arrivèrent au château, et les premiers ~yons du jour éclairoient déjà le sommet i la vieille tour. L'escorte s'arrêta à quelque distance pour ne pas s'exposer au feu t la place , et lord Evandale s'avança ~l, suivi de Jenny. Comme ils en ap~ochoient, ils entendirent dans la cour tumulte qui s'accordoit mal avec la ~nquillité qui règne ordinairement à te heure du jour. On crioit, on juroit; tux coups de pistolet se firent entendre; fin tout annonçoit que les mutins se ~posoient à mettre à exécution leur com-


Lord Evandale se nomma en arrivant au guichet. Le hasard voulut que la gard en fût confiée en ce moment à Holliday. Cet homme, qui n'avoit pas oublié h bontés qu'on avoit eues pour lui au château, dans le temps qu'une blessure l' avoit retenu pendant un mois , n' avoit v qu'avec horreur le complot de ses camarades, et nous savons déjà que c 'étoit h qui avoit conseillé à Jenny de tacher d c informer son otIicier, et qui avoit ~facili sa sortie du château. Dès qu'il entendit voix de son capitaine , il se hâta de le ~fai entrer, et lord Evandale parut aux ~yeu de ses soldats étonnés, comme un ~homme tombant des nues.

Les mutins avoient résolu de se rendi maîtres du château le matin, pour pov ■voir ensuite traiter avec Burley. Ils étoient rangés d'un côté de la cour ; et de 1 'autre le major, Ilarrison, Gudyil et les autr' habitans de Tillietudlem se préparoieut leur résister.

L'arrivée de lord Evandale changea 4 scène. Il marcha droit à ses soldats , sais Inglis par le collet, et lui reprochant perfidie, ordonna à deux de ses camarades


Î de l'arrêter et de le garrotter, les assurant qu'une prompte obéissance étoit la seule chance de pardon qu'ils pussent avoir. I On lui obéit. Il leur commanda alors de 1 mettre bas les armes : on hésita un mor ment ; mais l'habitude de la discipline, et i; plus encore la persuasion où ils étoient [ que lord Evandale avoit été délivré par ! les Royalistes, et arrivoit avec un ren- 1 fort, les détermina encore à obéir à ses > ordres.

« Prenez ces armes, dit lord Evandale ; à Gudyil, elles ne peuvent appartenir à > des gens qui ne connoissent pas mieux 1 l'usage pour lequel elles leur ont été 1 confiées. — Reprenez les vôtres, Holliday, ' votre conduite vous en rend digne; j'en 1 ferai mon rapport au colonel, et vous pouvez espérer de remplacer, dans le grade de sergent, Inglis, qui subira le châtiment qu'il mérite. — Maintenant, messieurs, dit-il aux mutins, partez à l'instant, profitez de trois heures de trève qui nous sont accordées, et prenez la route d'Edimbourg. Vous m'attendrez à Muir. Je ne vous recommande pas de ne commettre en route aucuns désordres, vous


êtes sans armes, et votre intérêt me garan- tit votre bonne conduite. »

Les soldats désarmés et confus quittèrent le château en silence, prirent la route du rendez-vous qui leur étoit indi- qué, et se pressèrent d'autant plus d'y ar- river, qu'ils craignaient de rencontrer ! quelque parti d'insurgés, ou de paysans qui auroient pu aisément se venger des ) mauvais traitemens qu'ils en avoient si ^ souvent reçus.

Tout cela se passa en un instant, et lord Evandale s'approcha alors du major, à | qui cette scène avoit paru un rêve.

« Hé bien, mon cher major, il faut fendre le château!»

— « Que dites-vous, mylord? J'espérois, en vous voyant, que vous nous ame- niez un renfort et des vivres. »

— « Pas un homme, pas un morceau ; de pain. »'

— « Je n'en suis pas moins ravi de vous voir. Instruit hier que ces misérables avoient résolu de vous faire périr ce ma- tin, je m'étois décidé à faire une sortie, à la pointe du jour, avec toute la garnison du château, sans en .excepter un seul


homme, et à vous délivrer ou a périr avec vous ; mais à l'instant d'effectuer mon pro. jet, ce coquin d'Inglis eut la hardiesse de me déclarer que personne ne sorliroit du château, et qu'il en étoit maintenant le seul commandant. — Mais, qu'allons - nous donc faire? »

— « Je n'ai pas même la liberté du > choix, major: je suis prisonnier, relâché ï sur parole, et j'ai promis de me rendre à l Edimbourg. Il faut que vous et vos dames ] preniez la même route. Grâce à la faveur ) d'un ami que vous connoissez, de M. MorJ ton, j'ai un sauf-conduit, nous avons des j chevaux, ne perdons pas un seul instant. - — Vous ne pouvez vous proposer de dé1 fendre le château avec sept ou huit hommes, 9 et sans provisions. Vous avez satisfait à tout ce qu'exigeoient de vous l'honneur et la loyauté. Vous avez rendu au Gouverneu ment un service signalé, en occupant ici une q portion considérale des forces des rebelles; v vouloir en faire davantage, seroit un acte de désespoir et de témérité, sans aucun d but utile. Rejoignons l'armée angloise qui se réunit à Edimbourg, et qui ne tardera pas à marcher sur Hamilton, et laissons


les rebelles prendre, pour un instant, possession de Tillietudlem. »

« Si telle est votre opinion, mylord, dit le vétéran en poussant un profond soupir, j'y soumettrai la mienne; je sais que vous êtes incapable de donner un avis qui ne soit pas d'accord avec l'honneur. — Gudyil, portez cette triste nouvelle à ma sœur et à ma nièce, et que chacun s'apprête à partir à l'instant. — Mais si je croyois, mylord, qu'il pûL être utile à la cause du roi de tenir plus long - temps dans ces vieux murs , croyez que Miles Bellenden n'en sortirait que lorsqu'il n'auroit plus une goutte de sang dans les veines.

Les dames avoient déjà appris par Jenny et la révolte des dragons , et le retour inespéré de lord Evandale. Elles n'eurent pas de peine à se décider à quitter le châr teau : les préparatifs de départ se firent a la hâte ; tout le monde monta à cheval, même la vieille dame , à qui pareille chose n'étoit pas arrivé depuis près de vingt - ans, et il ne faisoit pas encore assez jour pour distinguer parfaitement les objets, quand la cavalcade se mit en marche pour le nord de l'Ecosse.


Lord Evandale retrouva l'escorte qui l 'avoit conduit au château, et qui attendoit son départ. Une partie des hommes qui la composoient, lui dirent qu'ils avoient ordre, de le suivre jusqu'à ce qu'il fût sorti des lignes du camp des insurgés, pour veillera ce que le sauf-conduit, dont il étoit porteur, fut respecté ; les autres entrèrent dans le château pour en prendre possession, et les premiers rayons du jour virent flotter le drapeau presbytérien sur la tour de Tillietudlem.


CHAPITRE XIII. '

« Mille coups de poignard me seroient moins affreux

« Qu'un reproche adressé par sa bouche ou ses yeux.» ( MARLOW. |;

LA cavalcade sortie des murs de Til- lietudlem venoit de passer les derniers postes de l'armée des insurges, et s'avan- çoit vers Edimbourg. On croiroit que pen- dant ce voyage lord Evandale se tint cons- i tamment près de miss Edith ; point du tout. Après l'avoir saluée, l'avoir aidée à monter à cheval, et s'être assuré que rien ne lui manquoit, il étoit allé rejoindre le major Bellenden, et formoit avec lui l'arrière-garde de la petite troupe. Un cavalier qui paroissoit commander l'escorte des insurgés, enveloppé d'un grand manteau qui le cachoit entièrement, et la tête couverte d'un chapeau à larges bords, surmonté d'une grande plume, s'étoit placé à côté de miss Bellenden, et y étoit resté pendant l'espace de deux milles, sans lui adresser la parole une seule fois.


Dans un village qui se trouva sur la route, à peu de distance du dernier poste des Presbytériens, les domestiques se procurèrent des rafraîchissemens dont toute la compagnie avoit grand besoin , et. comme on ne vouloit pas s'arrêter dans un endroit habité, si voisin des ennemis,, on résolut de faire halte dans un petit bois qu'on apercevoit à peu de distance.

L'étranger s'adressant alors à miss Bellenden d'un ton tremblant et suppliant, et en cherchant à déguiser sa voix : « Miss Bellenden, lui dit-il, doit avoir des amis partout où elle est connue, même parmi ceux dont elle désapprouve la conduite.. Est-il quelque chose qu'ils puissent faire, pour lui prouver leur respect , et le regret qu'ils ont des souffrances qu'elle, endure? M

Le son de cette voix fut aussitôt reconnu par le cœur d'Edith. Une émotion involontaire s'empara de tous ses sens; mais elle s'en rendit maîtresse , et ne voulant pas . que celui qui lui parloit pût savoir qu'elle le reconnoissoit : « Dites-leur , réponditelle, de respecter les lois, d'épargner le sang innocent; qu'ils rentrent dans le de-


voir, et je leur pardonne tout ce que j'ai, souffert, tout ce que je souffrirai en- core. »

— « Croyez-vous donc impossible qu'il 1 se trouve dans nos rangs des gens qui ont sincèrement à cœur le bien de leur pays, , qui sont convaincus qu'ils remplissent le s devoir d'un bon citoyen? »

— « J'ai été habituée à la franchise dès mon enfance, je ne vous dissimulerai donc pas mes sentimens. — Dieu peut juger le fond des coeurs ; les hommes ne peuvent t apprécier les intentions de leurs sembla- bles que par leurs actions. La révolte coti- tre l'autorité légale, l'oppression même d'une seule famille qui, comme la mienne, n'avoit pris les armes que, pour défendre ses propriétés, sont des actes qui désho- norent tous ceux qui y ont pris part, quels que soient les prétextes spécieux dont ils cherchent à colorer leur conduite. »

— « Les horreurs de la guerre civile y les calamités qu'elle entraîne, doivent charger la conscience des persécuteurs qui ont réduit au désespoir ceux qui n'ont pris les armes que pour la défense de la liberté


civile et religieuse que les lois leur accordoient. »

— « C'est juger la question , et non pas la prouver. »

— « Je m'aperçois, dit l'étranger en soupirant, qu'il est inutile de plaider devant miss Bellenden , en faveur d'une cause qu'elle a condamnée d'avance, peutêtre parce que les individus qui la défendent lui sont aussi odieux que les sentimens qu'ils professent. »

— « Je vous ai dit librement mon opinion de leurs principes : quanta eux personnellement, je ne les connois pas..... sauf peutêtre une exception. »

— « Et cette exception a peut-être influé sur votre manière de penser relativement à tous les autres. »

— « Tout au contraire , il est.... ou du moins j'ai cru autrefois qu'il étoit.... il sembloit être bien certainement doué de talens, de sensibilité. Puis-je approuver une rebellion qui a fait qu'un homme forme pour être l'ornement de sa patrie, la défendre , l'illustrer , se trouve aujourd'hui le compagnon d'ignorans fanatiques, d'hypocrites séditieux, le frère d'armes de bari-


dits et de meurtriers ? — Si jamais vous trouvez dans votre camp un homme qui ressemble à ce portrait, dites-lui qu'Edith Bellenden a versé plus de larmes sur le * déshonneur dont il a couvert son nom , , .sur le sacrifice qu'il a fait de ses espérances et de sa réputation, que sur les malheurs de sa propre famille ; et qu'elle a souffert avec plus de courage la famine qui a creusé ses joues, que la peine de cœur que lui a causée la conduite de celui dont elle vous parle. »

- ' En finissant de parler , Edith jeta un regard sur lui. Elle avoit le teint animé par la chaleur avec laquelle elle venoit de s'exprimer, mais la maigreur de son visage ne prouvoit que trop que ses souffrances avoient été réelles. L'étranger porta vivement une main à son front avec un mouvement qui sembloit tenir du désespoir, et enfonça son chapeau plus en avant sur sa tête, comme pour, se dérober eucore mieux à ses regards. Son agitation n'échappa point à Edith , et elle n'y fut pas insensible.

« Et cependant , ajouta-t-elle en balbutiant, si...celui dont je vous parle se


f trouvoit trop affecté par l'opinion peut> être sévère de... d'une ancienne amie, dites-lui qu'un repentir sincère est presque l'innocence ; que quelle qu'ait été sa chute, il peut encore s'en relever; qu'il a peutêtre les moyens de réparer les maux qu'il a faits. »

« Et de quelle manière? dit l'étranger.» '* ~ « En employant tous ses efforts pour 5 rétablir la paix dans ce malheureux pays ; en détestant sa trahison ; en déterminant •; les rebelles trompés à mettre bas les armes, et à implorer la clémence d'un souverain < outragé , mais généreux ; enfin, en a bandonnant leur parti, s'il ne peut y réussir. » : « Miss Bellenden, répondit Morton en ! levant la tête, et en écartant le manteau qui le couvroit, celui qui a perdu la place qu'il occupoit dans votre estime, et qui en étoit si glorieux , est encore trop fier pour plaider sa cause en criminel, et voyant qu'il ; ne peut plus prétendre à exciter dans votre cœur l'intérêt de l'amitié, il garderoit le silence sur vos reproches , s'ii n'avoit à invoquer le témoignage honorable de lord Evandale. Il vous dira que , même avant de vous avoir vue , tous mes voeux , tous


mes efforts ne tendoient qu'à obtenir des conditions de paix , telles que le plus loyal des sujets du roi doit les désirer. »

En parlant ainsi ,il salua d'un air de dignité miss Bellenden, qui ne s'attendoit pas qu'il mettroit tant de chaleur dans sa justification. Elle lui rendit son salut en silence y et d'un air un peu confus. Il tourna alors la bride de son cheval, et rejoignit sa troupe , qui précédoit de quelques pas le major Bellenden et lord Evandalc.

« Henry Morton ! s'écria le major, en l'apercevant. »

« Lui-même, répondit-il, Henry Morton, désespéré de voir sa conduite mal appréciée par le major Bellenden et sa famille. Il confie à lord Evandale, ajouta-t-il en saluant ce dernier, le soin de détromper ses amis , et de leur faire connoître la pureté de ses motifs. — Vous êtes maintenant en sûreté, major, mon escorte vous est inutile : adieu ; mes vœux pour votre bonheur vous suivront partout. Puissionsnous nous revoir dans un temps plus tranquille et plus heureux ! »

« Croyez-moi, M. Morton, dit lord Evandale, votre confiance n'est pas mal


placée. Je m'efforcerai de reconnoître les services importans que vous m'avez rendus , en plaçant devant les yeux du major et de tous ceux dont l 'estime vous est chère, votre caractère sous son véritable point de vue. »

« Je n'en attendois pas moins de votre générosité, mylord, répondit Morton. »

Il appela alors ses soldats, et prit avec eux la route qui conduisoit à Hamilton.

Cuddy seul resta un moment en arrière pour faire ses derniers adieux à Jenny Dennison, qui pendant les deux courses qu'elle iavoitfaites ce matin avec son ancien amant, étoit parvenue à reprendre tout son empire sur lui.

« Adieu donc, Jenny, lui dit-il en pous. sant son haleine avec force , pour essayer de produire un soupir; pensez quelque fois au pauvre Cuddy. — Un brave garçon. — qui vous aime bien. — Ypenserezi vous de temps en temps , Jenny ? »

« Sans doute. — Toutes les fois que je . mangerai la soupe, répondit la malicieuse soubrette, incapable de retenir sa repartie, ni le sourire malin qui l'accompagnoit. »

Cuddy se vengea comme les amans sé


vengent au village, comme Jenny s'attendoit peut-être qu'il se vengeroit. Il lui donna sur les deux joues un gros baiser bien appuyé. Alors mettant son cheval au galop, il courut rejoindre son maître. »

« Quel embrassent! dit Jenny,en rajustant son chapeau qui se trouvoit un peu dérangé. Holliday n 'appuie pas si tort de moitié. — Je viens , mylady je viens. — Oh mon Dieu ! la vieille dame nous auroit-elle vus ? »

« Jenny , dit lady Marguerite , le jeune homme qui comniandoit le détachement qui vient de nous quitter , n'est-il pas celui qui a été capitaine du Perroquet, et qu'on avoit amené prisonnier dans mon château ? »

Jenny , charmée de voir que l'enquête ne la regardoit pas personnellement, jeta promptement les yeux sur sa jeune maîtresse , pour tâcher de lire dans ses regards ce qu'elle devoit répondre. IN 'y apercevanl rien qui pût la guider, elle suivit l'instinct naturel aux soubrettes , et mentit.

« Je ne crois pas. que ce soit lui, mylady, répondit-elle d'un ton de confiance j


c'étoit un homme de petite taille, et d'un teint basané. »

« Vous étiez donc aveugle, Jenny, dit le major. Henry Morton est d'une belle taille, il a le teint blanc, et c'est lui qui nous quitte. »

« Cela est possible, répondit-elle sans, se déconcerter, j'ai autre chose à faire que d'examiner les jeunes gens. »

« Quel bonheur, dit lady Marguerite, que nous soyons hors des mains de ce fanatique forcené ! »

« Vous vous trompez, mylady, dit lord Evandale, personne ne doit donner ce nom à M. Morton, et nous moins que qui que ce Si je vis en ce moment, si vous vous trouvez libres et en sûreté, au lieu d'être livrés à un véritable fanatique sanguinaire, c'est à lui, à lui seul, à son humanité active et énergique, que nous en sommes tous redevables. »

Il fit alors le récit des événemens que le lecteur connoît déjà, en appuyant sur laf générosité de Morton , et sur le danger auquel il s'étoit exposé lui-même pour le sauver, en encourant le ressentiment d'un scélérat tel que Burley. « Je me regarde-


rois comme coupable de la plus noire ingratitude , finit-il par dire, si je ne rendois justice loute ma vie au caractère d 'un homme à qui j'ai dû deux fois la conservation de mes jours. »

« Je serois heureux d'avoir une bonne opinion d'Henry Morton, mylord,dit le major, et je conviens que sa conduite envers vous et envers nous est digne d 'éloges, mais il m'est impossible de lui pardonner d'avoir embrassé le parti des re-; belles. »

m Faites donc attention, reprit lord Evan. dale, que la nécessité l'a jeté dans leurs; rangs ; je dois même ajouter que ses principes, quoique certainement différens des miens, me paroissent cependant respecta-, bles. Claverhouse, à qui personne ne con-i v testera le talent tout particulier qu'il a de connoitre les hommes, a reconnu en lui en peu d'instans des qualités extraordinai-; res; malheureusement il a mal jugé de ses principes et de leurs motifs, et il l a poussé à la rebellion sans le vouloir, et sans que M. Morton en eût lui-même le projet. »

— « Vous avez appris bien vite toutes


ses bonnes qualités, mylord; moi qui le connois depuis son enfance, j'aurois, avant cette affaire, rendu justice a son bon cœur, à ses connoissances littéraires, à son amabilité, mais quant à ses talens... »

— « Ils étoient donc cachés, mylord, jusqu'à ce qu'une circonstance imprévue les forçât à se développer. Si je les ai reconnus , c'est parce que nous avons conversé sur des sujets importans. Il travaille ien ce moment à éteindre le feu de la rébellion, et les conditions qu'il propose, let que je me suis chargé de présenter au duc de Monmoulh, sont si raisonnables , que je les appuyerai de tout mon icrédit. »

* « Et avez-vous quelques espérances de réussir dans une tâche si difficile, dit lady 'Marguerite? »

— « J'en aurois beaucoup, mylady, si tous les Presbytériens étoient aussi modérés que M. Morton, et tous les Royalistes aussi désintéressés que le major Bellenden. Mais tel est l'entêtement déplorable des deux partis, que je crains qu'il ne faille recourir à l'épée pour vider cette querelle. »


On peul croire qu'Edith écoutoit cette conversation avec grand intérêt. Elle re- grettoit d'avoir parlé à son amant avec trop de dureté, niais son cœur se sentait soulagé en voyant que, même d'après le jugement de son généreux rival, son ca-; ractère étoit tel qu'elle se l'étoit toujours: représenté.

« Le fléau des guerres civiles, le malheur des préjugés domestiques , pensoit- elle, peuvent m'obliger à l'arracher de mon coeur, mais c'est une consolation pour mon de savoir qu'il est digne de la place qu 'il y a occupée si long-temps. »

Cependant Henry étoit arrivé au camps des insurgés, près d'Hamilton. Il y trouva tout en confusion. On avoit reçu la nou-i velle certaine que l'armée royale, ayant reçu les renforts qu'elle attendoit d'An-I gleterre, étoit sur le point d'entrer en campagne. La renommée exagéroit ses forces, le bon état des troupes, leur va-l leur, leur discipline, et le courage des in- surgens en étoit abattu. D'autres circonstances se trouvoient encore à leur désavan-i tage. Le caractère connu du duc de Mon-' mouth a voit fait concevoir des espérau-


es au parti modéré, mais elles s'étoient vanouies en apprenant quels étoient i eux qui commandoient sous ses ordres.

Son lieutenant-général éloit le célèbre Thomas Dalzell, qui ayant servi en Rusie, contrée alors plongée dans la barba- ie, étoit aussi fameux par ses cruautés et par le peu de cas qu'il faisoit de la vie des sommes, que par sa valeur et sa fidélité. ua cavalerie éloit sous le commandement le Claverhouse , qui brûloit de venger la mort de son neveu , et l'affront-qu'il a voit essuyé à l'affaire de Loudon-Hill.

L'artillerie de l'armée royale étoit, ~lisoit-on, la plus formidable qu'on eût encore vue en Ecosse; la cavalerie étoit nombreuse et supérieurement montée; enfin la vengeance du roi n'avoit été tardive que pour éclater d'une manière plus terrible et plus certaine.

Morton s'efforça de rassurer les esprits, en leur démontrant qu'il y avoit probablement de l'exagération dans tous ces bruits, et en leur rappelant la force de leur position défendue par une rivière qu'on ne pouvoit passer-que sur un pont très-long et très-étroit. 11 rappela à leur souvenir la


victoire qu'ils avoient remportée sur Cla verhouse, dans un temps où ils étoient bien moins nombreux, où ils étoient pour la plupart sans armes, où ils n'avoient pas encore l'habitude de la discipline; enfin ~in chercha à les convaincre que leur sûreté étoit entre leurs mains, et dépendoit dt leur courage.

Mais tandis qu'il cherchoit ainsi à ranimer l'ardeur des soldats, il fit valoir auprès des chefs ces bruits décourageans

, pour leur faire sentir la nécessité de proposer au Gouvernement des terme d'arrangement qu'il pût accepter, et qui seroient probablement écoutés plus favorablement, tandis qu'ils se trouvoient à la tête d'une armée nombreuse, et qui n'avoit encore éprouvé aucun échec. Il leuil fit observer que dans l'état de décourage- ment où se trouvoit l'armée, il étoit diffi-f cile d'espérer qu'elle combattît avec avan-i tage les forces régulières du duc de Mon-' mouth, et que s'ils avoient le malheur d'essuyer une défaite, l'insurrection, bien loin d'avoir été utile à la patrie , seroit un nouveau prétexte pour redoubler les per-i sécutions.


» L'évidence de ces raisonnemens con~ninquit un certain nombre de chefs qui ~ntirent qu'il étoit également dangereux pour eux de congédier leurs troupes, ou rester a leur tête. Ils prirent connoissance des propositions que lord Evandale ~oit chargé de transmettre au duc de Montoulh, et y donnèrent leur adhésion. Mais ' en étoit d'autres qui traitèrent ces propositions d'impies, de sacrilèges, de contrains à la foi presbytérienne. C'étoient ceux , qui avoient le plus de crédit sur la multitude, qui ne prévoyoient rien, qui n'avoient rien à perdre, et qui ne prenoient mais conseil que d'un fanatisme aveugle sanguinaire. Ils alloient criant partout que ceux qui parloient de paix sans y met~e pour condition le détrônement du roi, la suprématie de l'Eglise presbytérien~ne, étoient des gens qui travailloient sans jele à la vigne du Seigneur, qui ne son~oient qu'à retirer leurs mains de la charge, et qui ne cherchojent qu'un prétexte pour abandonner leurs frères, et une occasion pour les trahir. Dans tous les rangs a n'entendoit que disputes et controverses à ce sujet; des querelles on en venoit


souvent aux coups, et la division qui ré* gnoitdans l'armée, étoit d'un fâcheux préi sage pour les évenemens qui alloient s< passer.

i


CHAPITRE XIV.

La discorde en fureur préside à vos conseils. »

Venise sauvée,

MORTON étoit encore occupé à calmer la ~revision qui régnoit dans l'armée, lorsque, deux jours après son arrivée à Hamil~en, il y fut suivi par son collègue le reprend Poundtex, fuyant la colère de Bury , qui étoit fort irrité contre lui à cause e la part qu'il avoit prise à la délivrance e lord Evandale. Lorsqu'il se fut reposé uelques heures de la fatigue que lui avoit icasionné ce nouveau voyage, il rendit compte à Morton de ce qui s'étoit passé ans les environs de Tillietudlem après )n départ.

i La marche nocturne de Morton avoit lé si bien concertée , et les hommes qui avoient suivi avoient été si discrets, que ~urley n'en avoit pas conçu le moindre Dupçon. Les premiers mots qu'il proionça en se levant, furent pour demander Kettledrumle et Macbriar étoient ar-

*


rivés. Ce dernier étoit arrivé dans le camp et l'autre étoit attendu à chaque instant Burley fit partir sur-le-champ un message; pour avertir Morton et Poundtext de s rendre au conseil, mais Morton ne se trou voit plus dans le camp, et Poundtext qui ; en l'absence de son jeune collègue , ne s soucioit pas infiniment de s'exposer à 1. colère du féroce Burley, étoit aussi ~par pour son presbytère où il se reposa vingt. quatre heures avant de se mettre en march pour Hamilton.

Burley s'empressa de demander des noi velles du prisonnier, et sa rage ne connu plus de hornes quand il apprit qu'il avo été conduit pendant la nuit hors du camps par une escorte que Morton lui même commandoit.

« Le scélérat 1 s'écria-t-il, en s'adres, sant a Macbriar; le traître! pour faire s cour au Gouvernement, il a mis en libert un prisonnier, pour racheter la vie duquelle on nous auroit rendu cette place qui ~nou retient ici depuis si long-temps. »

« N'est-elle donc pas à nous dit Mac briar? je vois flotter sur la tour le drapeau presbytérien. » |


« C'est un stratagème, dit Burley, une insulte par laquelle on veut encore ajouter à notre ressentiment. »

Il fut interrompu par l'arrivée d'un des hommes qui avoient suivi Morton au château, et qui venoit lui en annoncer l'évacuation , et son occupation parles troupes presbytériennes. Cette nouvelle favorable, bien loin d'apaiser Burley, ne fit que redoubler sa fureur.

« Quoi ! s'écria-t-il, j'aurai renoncé a des entreprises plus glorieuses , j'aurai passé mon temps devant un misérable château , j 'y aurai introduit la famine et la désolation , pour qu'au moment de m'en ren,dre maître, au moment de pouvoir disposer du sort de tous ceux qui l'habitoient, un jeune homme sans barbe vien-" ne me ravir cet honneur, et m'enlever ceux que je regardois déjà comme mes captifs ! n'est-ce pas à l'ouvrier qu'est dû salaire? n'est-ce pas au... »

« Burley, dit Macbriar, ne t'échauffe pas ainsi contre un enfant qui n'est pas digne de ta colère ; Dieu choisit ses instrumens à sâ volonté ; et qui sait si ce jeune homme n'a pas été inspiré par lui pour mettre


plus tôt en notre pouvoir le château de Tillietudlem. »

«Paix! dit Burley, ne fais pas toi-même, tort à ton propre jugement. N'est-ce pas1 toi qui m'as averti le premier de me méfier de ce sépulcre blanchi, de cette pièce de cuivre que j'avois prise pour de l'or? Il convient mal, même aux élus, de ne pas se soumettre aux avis des pasteurs tels que toi, et ses oreilles n'y ont-elles pas toujours été fermées? il faut te ressembler, Ephraïm, quand on veut se dégager des liens honteux de l'humanité. »

Ce compliment toucha la corde sensi-, ble du cœur du prêcheur, qui, d'ailleurs, partageoit tous les sentimens de Burley, et tous deux se rendirent à l'instant au château. Burley s'empara de la vaisselle d'argent, et de tout ce qui pouvoit être- de quelque utilité à l'armée qu'il commandoit, et fit dans le chartrier du château une assez longue visite dont il ne dit le motif à personne. Dans le cours de la journée Kettledrumle et lord Langfern arrivèrent aussi à Tillietudlem. Ils envoyèrent alors un exprès au presbytère de Miln- wood j pour inviter le révérend Poimdlext


a se rendre au château pour assister au conseil, mais il se souvint qu'il s'y trouvoit un cachot et une porte de fer, et il résolut de ne pas confier sa personne à ses confrères irrités. Il reçut parfaitement bien le messager, tira de lui les détails que nous venons d'offrir à nos lecteurs, et partit pendant la nuit pour Hamilton, avec la nouvelle que les autres chefs comptoient s'y rendre dès qu'ils auroient réuni un corps de Puritains suffisant pour en impo. ser à la partie de l'armée dont ils se défioient.

« Vous voyez, dit Poundtext, en terminant son récit, qu'ils sont maintenant assurés d'avoir la majorité dans le conseil, car lord Langfern, qui n'étoit ni chair ni poisson, s'est laissé entièrement subjuguer par Kettledrumle, et nous a abandonnés. Nous sommes donc entourés d'ennemis de toutes parts, l'armée royaliste d'un côté, de l'autre des frères insensés qui se déclarent contre nous. *

Morton l'exhorta au courage et à la patience, l'informa de l'espérance qu'il avoit d'ol tenir des conditions de paix raisonnables, par l'entremise de lord E vandale, et


le flatta de la probabilité qu'il pourroit avant peu aller retrouver sa pipe, sa bière et son calvin: relié en parchemin , pourvu qu'il continuât à coopérer avec lui de tous ses efforts pour arriver 3 une pacification générale. Il parvint ainsi à lui inspirer un peu de fermeté, et le détermina à attendre l'arrivée de ses collègues.

Ceux-ci avoiént réuni un eorps de leurs partisans de cent hommes de cavalerie , .et de quinze cents d'infanterie tous fanatiques remarquables par l'exagération de leurs principes, pervertissant à tous propos des passages de l'Ecriture, pour justifier le meurtre et tous les crimes, et dont le zèle sombre et féroce étoit prêt à obéir Û tous les ordres, que leurs chefs, non moins .sanguinaires , voudroient leur donner. lis arrivèrent au camp d'Hamilton plutôt en ennemis qu'en alliés. Burley n 'alla point voir ses deux collègues, ne leur donna aucun avis de ce qu'il avoit dessein de faire, et se contenta de les faire avertir dans la matinée qui suivit son arrivée, de se rendre au conseil.

Morton ét Poundtext ,en entrant dans la salle où se tenoit. l'assemblée, y trou-


vèrent leurs quatre collègues déjà réunis. Ils n 'en reçurent aucune marque d'un gracieux accueil, et ils prévirent que la conférence ne se passeroit pas paisiblement.

« En vertu de quelle autorité, s'écria Macbriar, dont l'impétuosité prenoit toujours l'initiative, le réprouvé lord Evandale a-t-il échappé à la mort que le jugement d'en haut avoit prononcée contre lui ? »

Poundtext s'empressa de lui répondre. Il vouloit donner à Morton une preuve de son courage, et jamais d'ailleurs il ne restoit court, quand il ne s'agissoit que de tenir tête à des personnes revêtues de sa robe.

« Par la mienne, répondit-il, et par celle de M. Morton.

« Et qui vous a donné, mon frère, dit Kettledrumle, le droit de vous interposer, dans une matière si importante? »

« La même autorité qui vous donne celui de m'interroger, dit Poundtext : si un seul de nous a pu le condamner à mort, deux ont pu de même révoquer cette sentence. »

« Allez, allez, dit Burley, nous con-


noissons vos motifs. C'étoit pour envoyer ce ver à soie, ce lord tout doré, porter au tyran des propositions de paix. »

« Il est vrai, dit Morton, qui s'aperçut que son compagnon commençoit à fléchir sous le regard farouche de Burley ; vous ne vous trompez pas. Qu "en résulte-t-il? devons-nous entraîner la nation dans une guerre éternelle, pour exécuter des projets aussi injustes qu'impossibles à exécuter? »

« Ecoutez-le, dit Burley, il blasphème! » « Non, dit Morton : celui qui blasphème est celui qui attend du ciel des miracles , et qui ne se sert pas des moyens que la Providence a accordés aux hommes pour faire réussir leurs desseins. Oui, j'en conviens , notre but est d'obtenir le rétablissement de la paix à des conditions justes et honorables, et qui assurent notre liberté civile et religieuse. Nous n'avons pas le désir de tyranniser celle des autres. »

La querelle se seroit échauffée davantage, si un courrier n'étoit arrivé en ce moment, apportant la nouvelle que le duc de Monmouth étoit parti d'Edimbourg , que son armée étoit en marche, et qu elle


se trouvoit déjà à mi-chemin d'Hamilton. Toute division cessa à l'instant, et l'on convint d'oublier tout le passé pour ne s'occuper que des moyens de repousser l'ennemi commun. On décida que les révérends Poundtext et Kettledrumle prononceroient le lendemain un sermon devant l'armée, le premier le matin, et le second dans la soirée, et que tous deux s'abstiendroient avec soin de toucher à aucun point qui pût devenir un sujet de schisme et de division.

Tout se trouvant réglé de cette manière , les deux chefs modérés se hasardèrent à faire une autre proposition , se flattant qu'elle obtiendroit l'appui de Langfern qu'ils avoient vu pâlir à l'annonce de l'approche de l'armée royaliste, et qu'ils savoient être toujours prêt à embrasser l'avis de celui qu'il regardoit comme le plus fort. Ils firent observer que puisque le roi, en cette occasion, n'avoit confié le commandement de ses forces à aucun de leurs anciens persécuteurs, et qu'il avoit au contraire fait choix d'un homme d'un caractère doux, et dont on connoissoit les dispositions favorables à leur cause, il étoit


probable qu'on a voit à leur égard des intentions moins hostiles que par le passé; qu'il étoit donc non-seulement prudent, mais même nécessaire , de s'assurer si le duc de Monmouth n'avoit pas en leur faveur quelques instructions secrètes ; enfin que le seul moyen de s'en instruire étoit de lui députer un envoyé.

« Et qui voudra se charger d'aller dans Son camp? dit Burley , cherchant à éluder une proposition trop raisonnable- pour qu 'il pût s'y opposer ouvertement. Claverhouse n'a-t-il pas juré de faire pendre le premier parlementaire que nous lui enverrions , par représailles de la mort de son neveu ? »

« Que cette raison ne soit pas un obstacle , répondit Morton , je remplirai cette mission si le conseil veut me la confier. »

« Laissons-le partir , dit tout bas Burley àMacbriar , le conseil en sera débarrassé. »

Celte proposition ne fut donc contredite par aucun de ceux qu'on auroit cru devoir y apporter le plus d'opposition, et il fut résolu qu'Henry Morton se rendroit auprès du duc de Monmouth, afin de savoir à quelles conditions il voudroit traiter avec


les insurgés. Dès que cette détermination fut connue dans l'armée, la joie se répandit dans tout le parti modéré qui ne partageoit pas l'aveugle présomption des Pu-, ritains, qui croyoient qu'un zèle farouche et un fanatisme sauvage sursoient pour leur assurer la victoire.

Muni des instructions du conseil, et suivi du seul Cuddy , Morton partit donc pour le camp des royalistes, s'exposant à tous les dangers qui menacent assez souvent ceux qui se chargent du rôle délicat de médiateur dans les discordes civiles.

Il n'étoit encore éloigné du camp des insurgés que de trois à quatre milles, quand il s'aperçut qu'il alloit déjà rencontrer l'avant-garde de l'armée royale. Etant parvenu sur une hauteur, il vit toutes les routes couvertes de troupes s'avançant dans le meilleur ordre vers Bothwell-Muir, plaine où l'armée se proposoit de camper cette nuit. Elle n'étoit éloignée de la Clyde que, de deux milles, et c'étoit de l'autre côté de cette rivière qu'étoit placé le camp des Presbytériens.

Il déploya un drapeau blanc, et s'adressa au premier détachement de cavalerie qu'il


rencontra ; il fit part au sergent qui le commandoit du désir qu'il avoit de parler au duc de Monmouth. Le sergent lui dit qu'il devoit en référer à son capitaine, et celuici ne tarda pas à arriver avec le major.

« Vous perdez votre temps, mon cher ami, lui dit le major, et vous risquez votre vie inutilement. Le duc de Monmouth n'écoutera aucunes propositions de la part de rebelles qui ont les armes à la main ; et votre parti a commis tant de cruautés, que vous devez craindre des représailles. »

« Quand le duc de Monmouth nous croiroit coupables, répondit Morton, je ne puis penser qu'il voulût condamner tant de sujets du roi, sans avoir entendu ce qu'ils peuvent avoir à alléguer pour leur défense. Quant à moi je ne crains. rien. Je n'ai à me reprocher ni d'avoir autorisé, ni d'avoir souffert aucun acte de cruauté; la crainte d'être l'innocente victime des crimes des autres ne m'empêchera donc pas d'exécuter ma mission. »

Les deux officiers se regardèrent.

« J'ai dans l'idçe, dit le capitaine, que


c'est-là le jeune homme dont lord Evandale nous a parlé. »

« Lord Evaridale est-il à l'armée? demanda Morton. »

« Il est à Edimbourg, répondit le major. Attendu le mauvais état de sa santé, le duc n'a pas voulu lui permett re de suivre l'armée. — Votre nom, monsieur, seraitil Henry Morton ? »

«r Oui, monsieur, répondit-il. »

« Nous ne nous opposerons donc point, reprit l'officier, à ce que vous voyiez le duc ; mais je vous répète que cette démarche est absolument inutile. Quand même son altesse auroit quelques dispositions à traiter favorablement votre parti, le conseil de guerre, qu'il doit consulter, ne lus permettroit pas de s'y livrer. »

» Si cela est ainsi, dit Morton , fen serai désespéré; mais je n'en dois pas moins persister à vous prier de me procurer une audience du due. »,

« Lumley, dit le major au capitaine, allez; annoncer à son altesse l'arrivée de M. Morton , et rappelez-lui que c'est l'officier dont lord Evandale a parlé avec tant d'éloges. »


» Le capitaine ne tarda pas à revenir. Il dit à Morton que le duc ne pouvoit le voir ce soir, mais qu'il le recevroit le lendemain dans la matinée. On le retint comme prisonnier dans une chaumière voisine pendant toute la nuit, mais on le traita avec les plus grands égards. Le lendemain, de très-bonne heure, Lumley vint le prendre pour le conduire devant le duc.

L'armée se formoit déjà en colonnes pour se mettre en marche. Le duc étoit au centre , à environ un mille de l'endroit où Morton avoit passé la nuit. Les. chefs de l'armée royale avoientune telle confiance dans leurs forces, qu'ils ne prirent aucune précaution pour empêcher Henry de pouvoir s'en former une idée. Il s'y trou voit quatre régi mens anglois, la fleur des troupes de Charles Il , le régiment des gardes, brûlant du désir de se venger de sa défaite à Loudon-Hill; plusieurs régimens écossois, un corps considérable de volons taires , et quelques compagnies de. montagnards écossois, ennemis jurés des Puritains, dont. ils détestoient les principes autant qu'ils méprisoient leurs personnes. ,Un train nombreux d'artillerie accompa-


gnoit l 'armée qui avoit un air si imposant, que Morton pensa qu "il ne falloit rien t moins qu'un miracle pour sauver d'une destruction complète, le rassemblement d 'hommes mal équipés, mal armés, et insubordonnés, qu'on nommoit l'armée presbytérienne.

L officier qui accompagnoit Morton , cherchoit à lire dans ses yeux l'impression que devoit produire sur son esprit l'appareil de la force militaire qui se déployoit devant lui. Mais fidèle à la cause qu'il avoit embrassée, Henry parvint à ne laisser paroitre ni émotion, ni inquiétude, et il regardoit d un air d'indifférence les corps militaires devant lesquels il passoit.

« Vous voyez la fête qu'on vous prépare , dit Lumley. »

« Si elle avoit dû me déplaire, répondit Morton , je ne serois pas avec vous en Ice moment. J'avoue cependant que pour 1 intérêt des deux partis , j'aimerois mieux 'Voir les préparatifs d'une fête pour célébrer le retour de la paix. »

Ils arrivèrent enfin sur une hauteur qui icommandoit tous les environs, et où se trouvoit le commandant en chef, entouré


de ses principaux officiers. On distinguoit de là tous les détours de la Clyde , et l'on apercevoit même le camp des insurgés. Les officiers paroissoient occupés à reconnoître le terrein pour former un plan d'attaque.

Lumley avertit le duc que Morton attendoit ses ordres. Le duc fit aussitôt signe aux officiers qui l'environnoient de se retirer , et n'en retint que deux près de lui. Il leur parla quelques instans à voix basse avant de faire avancer Morton, et celuici eut le temps d'examiner les chefs avec lesquels il avoit à traiter.

Il étoit impossible de voir le duc de Monmouth sans être captivé par les grâces dont la nature l'avoit doué. Rien n'étoit plus attrayant que son extérieur, et cependant un observateur bien attentif remarquoit en lui un air d'hésitation et d'incertitude, qui sembloient le tenir en suspens dans les momens même où il étoit le plus urgent de prendre un parti.

Derrière lui étoient Claverhouse, que Morton ne connoissoit déjà que trop, et un autre officier général dont l'extérieur étoit singulièrement frappant. Il portoit


; l'ancien costume usité dans les premières, années du règne de Charles Ier. Une longue barbe grise descendoit &ur sa poitrine; il avoit fait vœu de ne plus. la couper, le jour où ce monarque infortuné fut conduit à l'échafaud; et c'étoit une marque du deuil qu'il portoit toujours dans son cœur. Sa tête étoit découverte, et pres- • que entièrement chauve. Son front ridé, son teint basané, ses yeux perçans annon; çoient un vieillard que les infirmités n'a• voient pas affoibli ; et tous ses traits annonçaient un courage sans mélange d'humanité. Tel étoit le général Thomas • Dalzell, plus craint et plus détesté des Puritains que Claverhouse lui-même, parce que celui-ci ne commettait des violences . et des vexations que par un principe po>. litique, et parce qu'il les regard oit comme , Je meilleur moyen pour soumettre et extirper le Presbytérianisme ; au lieu que > Dalzell n'agissoit que par suite de son caractère naturellement sanguinaire et féroce.

« Vous venez, monsieur, dit le duc à , Morton , de la part de ces gens égarés, et votre nom est, je crois, Morton. @ Voulez-


• vous nous faire connoître le motif de votre arrivée? »

•« Il est contenu, my lord, répondit Mor- ton , dans un écrit que lord Evandale a dû remettre entre les mains de votre altesse. »

« Je l'ai lu , dit le duc , et j'ai appris de lord Evandale que M. Morton s'est conduit dans ces malheureuses circonstances avec autant de modération que de générosité. Je le prie d'en recevoir mes remercîmens. »

Morton remarqua ici que Dalzell remua la tète et les épaules d'un air d'indignation , en adressant tout bas quelques mots à Claverhouse, qui n'y répondit que par un léger sourire et un mouvement des sourcils presque imperceptible.

Cependant le duc paroissoit combattu d'un côté par la bonté qui lui étoit naturelle, et par la conviction qu'il éprouvoit que la demande qui lui étoit adressée n'étoit pas déraisonable ; d'un autre , par le désir de maintenir l'autorité royale, et de se conformer aux opinions plus sévères des conseillers qu'on lui avoit donnés, et qui étoient même un peu ses surveillans.

« M. Morton , dit-il, en tirant de sa


> poche le papier que lord Evandale lui avoit remis , il y a dans cet écrit des demandes sur lesquelles je dois m'abstenir de faire connoître mes sentimens en ce moment :

' il en est quelques-unes qui me paroissent justes et raisonnables ; et quoique je n'aye point reçu du roi d'instructions formelles à cet égard, je vous donne ma parole d'honneur que j'intercéderai auprès de lui en faveur de ses sujets égarés, et que j'emploierai tout mon crédit pour leur faire obtenir satisfaction. Mais vous devez comprendre que je ne puis céder qu'à des prières ; je ne puis traiter avec des rebelles. Il faut donc avant tout que vos partisans rassemblés mettent bas les armes, et se dispersent à l'instant. »

« Agir ainsi, mylord, répondit hardiment Morton , ce seroit reconnoître que nous sommes des rebelles, comme nos ennemis nous en accusent. Nous avons tiré l'épée, non contre notre souverain que nous respectons, mais pour recouvrer des droits légitimes dont la violence nous a privés. Votre altesse a daigné reconnoître la justice de quelques-unes de nos demandes. Auroient-elles pu jamais se faire


entendre, si elles n'avoient été accompagnées du son de la trompette? Nous ne i pouvons donc déposer les armes, même i malgré l'intérêt que votre altesse veut bien nous témoigner , sans avoir quelque assurance que la liberté civile et religieuse nous sera rendue comme nous avons le droit de le demander.

« M. Morton , dit le duc , vous êtes jeune, mais vous avez assez vu le monde pour savoir que certaines demandes, quoiqu'innocentes en elles mêmes , deviennent criminelles par la manière dont elles sont présentées. »

« Nous pouvons répondre , my lord , répliqua Morton , que nous n'avons eu recours à celle que nous employons qu'après avoir vainement épuisé toutes les autres. »

« Je dois couper court a cette conférence , M. Morton , dit le duc : nous sommes prêts à commencer l'attaque , je vais pourtant la suspendre pendant deux heures , afin de vous donner le temps de communiquer ma réponse aux insurgens. S'ils veulent se disperser , déposer les armes, et m'envoyer une députation pour


m'assurer de leur soumission, je me regarderai comme obligé en honneur d'obtenir ipour eux une amnistie générale et le redressement des torts dont ils se plaignent. S'ils s'y refusent, qu'ils n'accusent qu'eux mêmes des conséquences qui résulteront de leur conduite. — Je crois, messieurs , dit-il en se tournant vers ses deux ofliciers ,

que, d'après mes instructions , je ne puis. en faire davantage. »

« Non, sur mon honneur, s'écria Dalzell, et je n'aurois jamais osé porter si loin l'indulgence, me trouvant responsable de mes actions envers le roi et ma conscience. Mais votre altesse connoît sans doute les intentions secrètes de sa Majesté, mieux que nous qui devons suivre nos instructions littéralement. »

Monmouth rougit. « Vous entendez , dit-il à Morton, que le général Dalzell me blâme de montrer pour vos partisans ^ des dispositions trop favorables. »

— « Les sentimens du général Dalzell ,mylord, et ceux que vous daignez nous ; témoigner, sont tels que nous les atten\ dions de chacun de vous ; mais je ne puis ; m'empêcher d'ajouter que dans le cas oà


l'armée presbytérienne prendroit le parti • de la soumission absolue sur laquelle vous' insistez, avec de tels conseillers autour du ( trône, dit il en jetant un coup d'œil sur: Dalzell et Claverhouse , nous aurions à : craindre que votre intercession ne nous fût inutile. Au surplus je ferai part à nos chefs de la réponse de votre altesse à nos deman- des, et puisque nous ne pouvons obtenir la paix, il faudra bien confier notre destinée au hasard des armes. »

« Adieu , monsieur, dit le duc : souvenez-vous que je suspends l'attaque pour deux heures ; pour deux heures seulement. Si vous avez une réponse à me donner d'ici à ce temps, je la recevrai ici , et je désire bien vivement qu'elle soit de nature à pouvoir éviter toute effusion de sang. »

Un sourire ironique fut encore échangé en ce moment entre Dalzell et Claverhouse. Le duc s'en aperçut, et répéta d'un air de dignité :

« Oui , messieurs, j'ai dit,. et je répète encore que je désire que la réponse puisse épargner le sang des sujets de sa Majesté. J 'espère que ce sentiment ne mérile ni blâme ni mépris. »


Dalzell pi;it un air froid et sévère, et ne répondit rien.

Claverhouse s'inclinant profondément, ilui dit qu'il ne lui appartenoitpas de juger des sentimens de son altçsse.

Le duc fit signe à Morton de se retirer. Il obéit, et la même escorte qui l'avoit amené le reconduisit à travers le camp. En passant devant le régiment des gardes, il y trouva Claverhouse qui étoit déjà à la tête de son corps ; dès que le colonel aperçut Morton , il s'avança vers lui, et le saluant avec un air de politesse : « Ce n'est pas la première fois, je crois , lui dit-il y que j'ai l'honneur de voir M. Morton de Milnwood? »

« Ce n'est pas la faute du colonel Claverhouse , répliqua Morton en souriant amèrement, si ma présence est maintenant importune à quelqu'un. »

— « Permettez-moi au moins de dire que la. situation où je trouve M. Morton en ce moment , justifie l'opinion que j'avois conçue de lui, et que ma conduite à l'époque dont il parle , étoit conforme à mou devoir. »


— « Vous seul, colonel, m avez jeté sans que j'y songeasse, dans les rangs dti gens dont j'approuve les principes sans approuver toute leur conduite. Quant à la manière dont vos actions ~s'accorden avec votre devoir , c'est votre affaire , enon la mienne. Vous n'attendez pas sans doute que j'approuve la sentence injuste que vous aviez rendue contre moi. »

Ayant ainsi parlé, Morton voulut contE nuer sa route. i « Un instant, je vous prie , dit Cla-t verhouse : Evandale prétend que j'ai effec-i: tivement quelques torts à réparer ~enversvous. J'avoue que je ferai toujours une grande différence entre un homme d'un esprit élevé , égaré sans doute , mais qui agit d'après de généreux principes , et les, misérables fanatiques rassemblés sous deschefs altérés de sang et souillés de meurtres. Si donc vous ne parvenez pas à les déterminer à mettre bas les armes, permettez-moi de vous engagera revenir à notre armée, et à faire votre soumission particulière ; car , croyez-moi, cet atlroupement méprisable ne nous résistera pas une demi-heure. Si vous prenez ce parti ,


gjdemandez moi en arrivant. Monmouth, Squelque étrange que cela doive vous pa~roître, ne pourroit vous protéger ; Dalzcll ~ne le voudroit pas ; mais j'en ai le pourvoir et la volonté , et j'en ai fait la promesse à lord Evandale. »

« Je devrois des remercîmens à lord 1 Evandale , répondit froidement Morton , j s'il ne sembloit me croire capable d'abanj donner la cause que j'ai promis de soutenir; 1 Quant à vous , colonel, si vous voulez i m'accorder un autre genre de satisfaction, \ il est probable que dans deux heures, vous i me trouverez l'épée à la main, au bout du pont de Bothwell sur la Clyde, »

! « Je serai charmé de vous y rencontrer, > dit Claverhouse , mais je le serai encore davantage si vous réfléchisez mûrement à * ma première proposition , et si vous l'ac-

• ceptez. »

Ils se séparèrent en se saluant : Morton continua sa route vers le camp presbytérien , et Claverhouse fit les dispositions nécessaires pour l'attaque.

« Ce jeune homme a du feu , du cou- rage , Lumley, dit le colonel à l'officier


qui avoit reconduit Morton jusqu'aux avant postes ; mais il est perdu. Au surplus , il ne doit en accuser que son obstination. »

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FIN DU TOME SECOND.