Titre : Marianne : grand hebdomadaire littéraire illustré
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1936-12-02
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328116004
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 02 décembre 1936 02 décembre 1936
Description : 1936/12/02 (A5,N215). 1936/12/02 (A5,N215).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k7650843r
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-127
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 01/06/2015
Dans ce numéro : Une grande nouvelle inédite de Sinclair Lewis
5e Année - N° 215
16 pages - Un franc
Mercredi 2 Décembre 1936
GRAND HEBDOMADAIRE L I T T E R A I R E ILLUSTRE
Rédaction, Administration: 5, Rue Sébastien-Bottin, (7e) - (Littré 66-42) — Publicité: 44, av. des Champs-Élysées (Élysées 49-26)
Directeur : Emmanuel BERL
ROGER
MARTIN DU GARD
, LES THIBAULT VII
L ÉTÉ 1914
ROMAN EN TROIS VOLUMES
ROGER
MARTIN DU GARD"
LES THIBAULT VII
L'ÉTÉ 1914
ROMAN EN TROIS VOLUMES
La Sécurité
et la Paix
t.
par L.-O. Frossard 1,
et Emmanuel Berl f
II.
DI
ANS l'Europe de plus en plus misérable, les me-
naces de guerre s'accumulent. Déjà, sous le
pseudonyme transparent de « gouvernemen-
taux » et de « rebelles », les forces russes d'une
nart les forcer allemandes et italiennes de
l'autre, s'affrontent en Espagne et sur les côtes de la Cata-
logne.
Le traité germano-nippon est alarmant lui aussi, par
son contenu d'abord. Ensuite et surtout parce qu'il montre
l'absence du sentiment européen chez leschefsdu HVReich.
Rappelons-nous combien en 1905 l'Allemagne de Guil-
laume II était obsédée par le « péril jaune » Elle vit dans
la prise de Port-Arthur une défaite de la race blanche tout
entière ! L'Europe de 1936, appauvrie, rongée par les
Maures et par les Jaunes, a une cohésion moindre que
l'Europe triomphante de la fin du xix' siècle et du début
du xxe siècle, qui châtiait les Boxers. L'Allemagne enfle à
tel point ses armements qu'il est impossible de ne pas
craindre qu'elle soit enfin entraînée par leur masse. Et la
Russie n'a pas renoncé au rêve de révolution mondiale qui
soumettrait à l'organisation bolchevique un Monde où les
Slaves seraient rois. - -
Devant tant de périls, nous ne parvenons pas à com-
prendre que les Français puissent songer à autre chose
qu'à la sécurité de leur territoire et de leur existence.
La sécurité ! Notion que l'analyse révèle infiniment plus
complexe qu'on n'imagine ! Elle exprime un rapport tou-
jours contestable et mobile entre les sauvegardes et les ris-
ques, l'illusion habituelle tenant au fait que l'on considère
les risques et les sauvegardes successivement, au lieu de
les considérer simultanément, dans l'équilibre qui les ba-
lance.
Pour instaurer un minimum de sécurité à l'intérieur de
la société civile, l'homme a dépensé beaucoup d'ingéniosité
et de ruse. Il lui a fallu édicter des lois qui punissent les
voleurs, étayer ces lois sur la religion, former une police
qui permette de les appliquer ; il a fallu des gendarmes et
des coffres-forts pour monter la garde autour des richesses
intlividueUcs et collectives. ) 1 t v
Mais il a fallu aussi travailler sans cesse à atténuer le
désir que les biens d'autrui inspirent aux déshérités. Il a
fallu que le vol, d'abord honoré comme une victoire, de-
vienne petit à petit une cause d'opprobre pour celui qui le
commet. Après avoir fait en sorte qu'il cesse d'être glorieux
il a fallu éviter qu'il ne soit nécessaire. Il a fallu secourir
et employer les chômeurs, interposer entre les hommes et
la misère l'assistance publique ou privée.
La sécurité des nations ne peut être fondée que par les
méthodes qui ont assuré dans les villes un minimum de
sécurité aux citoyens.
La Société des Nations a déçu les espoirs que nous
avions tous placés en élle. Elle n'est parvenue, ni a insti-
tuer une morale internationale, ni à organiser une gendar-
merie internationale, ni à dire le droit, ni à créer le fait.
Nous ne la renierons pourtant pas : tribunaux et polices
furent difficiles eux aussi à établir.
Mais nous ne pouvons en conscience fonder la sécurité
de notre pays sur ces deux expre»sions : « Sécurité collec-
tive » et « paix indivisible » dont la signification reste con-
fuse, et auxquelles l'expérience n'a cessé d'apporter les
démentis les plus durs.
La paix n'est pas indivisible, et c'est bien heureux, car,
depuis 1918, nous avons vu éclater un certain nombre de
guerres : celle de la Grèce et de la Turquie, celle de la
Bolivie et du Paraguay, celle de la Chine et du Japon, celle
de l'Italie et de l'Ethiopie, celle de l'Espagne contre l'Espa-
gne. Jusqu'à présent, aucune de ces guerres n'a dégénéré
en un conflit général. Espèrë-t-on nous le faire regretter ?
Nous voulons bien. travailler à la sécurité collective,
entretenir l'espoir qu'elle sera un jour obtenue et qu'un
organisme international rendra indivisible la paix qu'il
garantira. Nous savons tous que nous n'en sommes pas
là, et la France a besoin d'autre chose que de mots.
La diplomatie revient donc à l'antique système des
alliances. Il serait quand même fou d'oublier que ce sys-
tème est mauvais. Il n'a point empêché les guerres dans
le passé. Il ne les empêchera point davantage dans l'avenir.
Les alliances divisent les risques, mais par contre elles les
multiplient. Elles accroissent la quantité des forces qu'on
oppose à l'ennemi, mais elles accroissent souvent la quan-
tité des forces dont il dispose pour vous assaillir et elles
augmentent presque toujours le désir, ou, même, le besoin
de faire la guerre chez le peuple contre qui elles se con-
cluent.
Nous répétons depuis plusieurs mois que toute alliance
est dangereuse qui nous lie à un peuple moins déterminé
que le nôtre à la paix. Nous déclarons franchement que
nous sommes opposés à l'alliance franco-russe. Le pacte
f.ran co-sovié tique nous paraît bon dans la mesure même
où il représente le contraire d'une alliance, où il reste ou-
vert à toutes - les nations de l'Europe orientale et où l'on
peut croire que la majorité d'entre elles acceptera d'y sous-
crire.
Quand on nous dit : « Il faut donner vie au pacte franco-
soviétique, et pour cela passer avec les Russes des conven-
tions militaires » on méconnaît toute l'histoire de ce pacte.
Les conventions militaires ? il les comportait si peu qu'au
moment où la France le négociait, elle promettait à l'An-
gleterre de n'en point envisager à aucun moment.
Le pacte ? A la rigueur, mais rien que le pacte. Et non
une alliance qui nous semble dangereuse pour d'innombra-
bles raisons, dont la plus grave c'est que, dans lelJeu déli-
cat d'une association de cette nature, le gouvernement
russe disposerait contre le gouvernement français de
moyens dont le gouvernement français ne dispose pas
contre lui. Les Russes voudraient — c'est bien naturel —
se servir de la France. Il y a des Français qui se conten-
teraient de servir les Russes. Cette raison-là nous suffit.
L.-O. Frossard.
(Lire la suite page 2.) Emmanuel Berl.
L
Gignoux jouhaux échecs
0
cze yyivnde comme, il va.00
La grève de l'Imprimerie Georges
Lang, où Marianne est imprimée, a eu
pour effet de retarder la parution d'une
partie du tirage de ce numéro de notre
journal. En conséquence, certains de nos
abonnés et de nos lecteurs n'auront pu
recevoir ou acheter leur exemplaire à la
date normale. Qu'ils veuillent bien nous
en excuser.
Le conflit C. G. P.-C. G. T.
En temps normal, les discussions d'in-
térêts entre patrons et ouvriers sont déjà
très difficiles. Depuis quelques mois, la
hausse des prix, les incidences de la déva-
luation, la difficulté de vivre, auxquelles
s'est ajoutée parfois une idéologie un
peu trop optimiste des possibilités de
progrès social rapide, ont poussé les
ouvriers à multiplier leurs revendica-
tions. Du côté des patrons s'affirme un
mélange d'égoïsme, de prudence, de sen-
timent des nécessités objectives de leurs
entreprises. Toutes ces discussions, natu-
rellement ardues, se trouvent aujour-
d'hui compliquées par la politique.
Du côté des patrons, l'élément croix
de feu, disposé aux concessions par peur
au mois de juin, tend à devenir plus in-
transigeant au fur et à mesure que le
Front populaire lui semble plus lézardé.
Il est amené ainsi à désavouer ses pro-
pres négociateurs : c'est dans ces con-
ditions, par exemple, que les patrons de
l'industrie texiile du Nord ont quitté la
Confédération générale du patronat.
Du côté des ouvriers, c'est la même
chose. La C. G. T. négocie avec sin-
cérité les intérêts ouvriers, mais se voit
poussée par les extrémistes, lesquels se
préoccupent moins de l'amélioration du
sort de la classe ouvrière que de rendre
le gouvernement de M. Léon Blum plus
dépendant des Soviets, ou de lui substi-
tuer un gouvernement qui marquera plus
de docilité à l'égard des exigences des
Soviets.
Gardez-vous à droite. Gardez-
vous à gauche 1
Le gouvernement Blum évitera le pire,
parce qu'une intransigeance patronale
trop déclarée repousserait à gauche les
chefs radicaux : ceux-ci verraient en
effet que plus leurs conflits avec !es
communistes s'aggravent, plus les con-
servateurs veulent de nouveau les som-
mer de rallier l'extrême-droite ou mourir
(ce ralliement, il est bien clair, soit dit
en passant, que la mort de Roger Sa-
lengro le rend encore plus difficile).
Par ailleurs, il est clair que si les com-
munistes poussaient leur tactique jus-
qu'au bout, ils aboutiraient à une nou-
velle consultation électorale d'un pays
amené à penser de plus en plus que les
communistes seraient disposés à sacri-
fier les intérêts de la France à ceux de
i, u. R. S. S.
Malheureusement, il est un facteur d'ag-
gravation. On dirait que, à juger par les
événements d'Espagne, la guerre civile
tend, dans l'Europe contemporaine
comme dans la Gfèce ancienne, à deve-
nir une des formes, et même la forme
préférée, de la guerre étrangère.
Plusieurs semaines avant le déclen-
chement de l'offensive Franco, M. Mus-
solini disait à un de ses interlocuteurs :
— Je n'y crois pas.
Et comme l'autre se réjouissait, M.
Mussolini répliquait :
- Il ne faut pas s'en réjouir trop. Je
crois que la guerre civile se substituera
à la guerre étrangère dans la plupart
des pays européens.
Avis aux Sudètes.
Les mots magiques.
Sans les incessantes interventions de
M. Joseph Denais, le débat sur la ré-
ferme fiscale, qui s'est déroulé à la
Chambre jeudi et vendredi, eût sans
doute été plus bref de moitié.
Le député des Batignolles, barbe
en bataille, demandait constamment à
discuter les mesures prises. Point de pa-
ragraphe de la loi sur lequel il n'eût
son mot à dire.
— Il accompiissait consciencieuse-
ment, objectera-t-on, son métier de par-
lementaire.., ~- Non pas. M. Joseph Denais savait très
bien que les faveurs, les exonérations
qu'il demandait pour telle ou telle caté-
gorie de contribuables n'étaient pas « re-
cevables ». Un article du règlement de
la Chambre, numéroté 86, et célèbre en-
tre tous, interdit en effet aux députés,
dans la discussion d'un loi fiscale, de
proposer des mesures susceptibles de di-
minuer les recettes prévues.
Finalement, M. Herriot se fâcha :
— Vos paroles, dit-il, ne figureront
pas au Journal officiel.
Du coup, M. Denais s'arrêta court.
On le vit ramasser en hâte ses notes
dans son pupitre, et gagner la sortie.
Et l'on comprit enfin les motifs d'un
zèle, moins dû au souci de l'intérêt pu-
blic qu'au simple désir d'être lu par ses
électeurs.
La parole est au Sénat.
Le projet a été voté dans la nuit de
vendredi - à samedi, vers une heure du
matin. Quelques instants plus tard, M.
Vincent Auriol quittait la Chambre es-
corté de trois jeunes collaborateurs de
l'inspection des Finances. Dans la cour
de Bourgogne, le groupe se dirigea vers
une automobile non officielle : un des
jeunes gens ramenait à son domicile son
ministre et ses deux camarades.
Avant de monter en voiture, il y eut
un bref dialogue :
— Ça a marché, disait l'un.
— Oui, répondit M. Vincent Aurioi.
Mais au Sénat, ce sera autrement dif-
ficile !
Le ministre des Finances s'attend, en
effet, à une assez vive résistance de la
part de la Haute Assemblée sur certains
articles. Le projet de réforme simplifie
en effet beaucoup le régime fiscal actuel;
d'autre part, il introduit plus de justice
dans la perception des impôts. Il cher-
che notamment à frapper la « richesse
acquise » (successions, gros revenus).
Mais il comporte des mesures -
comme la carte d'identité fiscale — qui
risquent de susciter l'hostilité des séna-
teurs.
Certains députés, qui n'ont pas osé
voté « contre », confiaient même, dans
* les couloirs de la Chambre, qu'ils comp-
taient sur le Luxembourg pour « sa-
brer » un certain nombre d'articles.
Le statut démocratique du droit de
grève.
M. Léon Blum, dans son discours du
Vélodrome d'Hiver, a annoncé son inten-
tion de réaliser « l'organisation démo-
cratique du droit de grève ».
Il s'agirait de réglementer l'exercice
de ce droit : la grève ne pourrait plus
être décidée que si une forte majorité —
par exemple les deux tiers des employés
ou ouvriers d'une entreprise — était
favorable à la cessation du travail; Cette
législation nouvelle empêcherait réclo-
sion constante de conflits plus ou moins
motivés et qui ne sont souvent voulus
que par une infime minorité.
Pour justifier son dessein, M. Léon
Blum a invoqué l'autorité de Jules
Guesde : il aurait pu, s'il l'avait voulu,
avoir recours à celle de M. Alexandre
Millerand.
Une autre référence.
En 1900, M. Alexandre Millerand était,
on le sait, socialiste. 11 fut appelé par
Waldeck-Rousseau, lorsque celui-ci for-
ma son fameux gouvernement, au minis-
tère des Travaux publics. Peu de temps
après, il déposait un projet de loi qui
avait pour but « la réglementation obli-
gatoire du droit de grève ».
Ce projet s'inspirait des idées que
nous venons d'indiquer : le travail ne
pouvait cesser que si la décision était
adoptée par une forte majorité d'em-
ployés. Par contre, pour qu'il reprît, il
suffisait du vote favorable de la moitié
plus un des intéressés.
Manie légiférante.
De quoi s'agissait-il, quand on parlait
de réformer la loi sur la presse?
Primo, de porter les procès par quoi
les calomniés se défendent contre les
calomniateurs devant le tribunal correc-
tionnel, plutôt que devant le jury.
Deuxièmement, d'autoriser toujours le
diffamateur à faire la preuve de ses dif-
famations afin que les arrêts du tribu-
nal blanchissent vraiment les diffamés.
Pourquoi donc ajouter à ces disposi-
tions tant de textes, mal élaborés ?
Pourquoi dire qu'un journaliste est pu-
nissable quand il reproduit une nou-
velle fausse, comme s'il lui était toujours
possible de la vérifier ? Pourquoi faire
entrer en jeu l'intention, dont il est dif-
ficile qu'aucun tribunal soit jamais juge?
Nous-mêmes, nous ne parvenons pas
à juger les intentions du gouvernement.
Nous ne croyons pas qu'elles fussent
mauvaises.
Nous croyons simplement, chez lui,
comme chez d'autres, en ce domaine
comme en d'autres domaines, à la « ma-
nie légiférante ». Celle-cj ne va point
sans danger.
Histoire américaine
Un crabe était amoureux d'une cre-
vette, mais celle-ci ne voulait rien en-
tendre de lui.
— Je n'aime pas les gens qui marchent
de travers ! disait-elle.
Mais un jour — ô miracle - elle
le vit qui marchait droit. Il passa d'ail-
leurs fièrement à côté d'elle, sans la
regarder.
Le lendemain, quand elle le rencontra,
elle lui reprocha son attitude :
— C'est ainsi que vous m'ignorez
quand vous marchez droit ?
— Si c'est d'hier que vous voulez par-
ler, ne faites pas attention : hier, j'étais
saoul.
DANS CE NUMÉRO:
Marcel Achard
Pierre Bénard
Pierre Bost
Georges Duhamel
Doussia Ergaz
Ramon Fernandez
G. de la Fouchardière
Anatole de Monzie
Suzanne Normand
Jean Rostand
et
Le Roman des Rats
par Robert Goffin
Sir Basil Zaharoff
,1m.
A vie de sir Basil Zaharoff peut le-
nir en trois mots. Il fut l'homme
d'une machine, d'une idée et
d'une femme.
La machine (dont il n'était pas
l'inventeur) le rendit riche et cé-
lèbre. L'idée ne se réalisa jamais T ,l'Y femme ne
le fit pas heureux.
La machine, c'était la mitrailleuse.
Invention anonyme due, probablement, à quel-
que petit ingénieur anglais. Zaharoff trouva le
brevet dans les paperasses de la Maxims, une
modeste société anglaise que son patron, M. Nor-
denfeldt, acheta en 1882. Il sentit tout de suite
le parti qu'il pourrait tirer de cette machine à
tuer, souple, précise et rapide. Il s'en fit le dé-
monstrateur, le propagandiste, le prophète. Il ne
vécut que pour elle.
1889-1914 vingt-cinq ans de luttes, de démar-
chee, d'intrigues pour imposer l'usage de la mi-
trailleuse anglaise dans le monde. Trois démons-
trations décisives : guerre gréco-turque, guerre
hispano-américaine, guerre russo-japonaise. Des
montagnes de cadavres. Des centaines de mil-
lions dépensés en pots de vin. Des milliers de
réputations piétinées. Des suicides d'hommes
d'Etat. « Quand on fait une omelette », dira plus
tard Zaharoff à M. Balinsky, un de ses familiers,
« il faut savoir casser les œufs ».
Pendant toute cette période de combat et de
fièvre, Zaharoff mène, impassiblement, la vie
brillante du boulevardier « fin-de-siècle ». Ganté
et guêtré de clair, un gardénia à la boutonnière,
il commandite des écuries de courses et des dan-
seuses, il bâille aux premières de Meilhac et
Halévy, il purge son foie à Vichy. Un monstre ?
Non pas, un inconscient. Ce petit Levantin cir-
conspect et courtois circule à travers lé monde
à la manière d'une vapeur homicide. Il tue sans
s'en apercevoir.
C'est alors que cet inconscient, que cet auto-
mate se * met à penser. Et qu'il revient à la grande
idée qui, au temps de sa jeunesse, vers 1877,
enflammait les Grecs de Constantinople.
Cette idée ? Reprendre Constantinople aux
Turcs, restituer Sainte-Sophie au Christ, chasser
le croissant au fond de l'Asie. ressusciter Byzan-
ce, l'impériale Byzance des Comnène et des Pa-
léologue.
Avec Venizelos, tant que Venizelos lui obéit,
avec Constantin quand Venizelos le trahit, il
poursuit la conquête de l'Asie-Mineure. Il sacrifie
des millions. Il sacrifie des armées. Mais un
homme se lève, et barre la route : un petit offi-
cier turc, Mustapha Kemal. L'envahisseur grec
est refoulé, jeté à la mer.
Il cherche alors, en vain, une dernière conso-
lation. Il épouse la femme qu'il aima toute sa
vie. Maria del Pillar, marquise de Villafranca,
princesse de Bourbon. Pendant trente ans, cette
Espagnole sculpturale, aux yeux marrons, lumi-
neux et humides, lui a servi de démarcheuse,
d'agent de publicité. Il veut maintenant en faire
une femme heureuse.
Peine perdue. Maria del Pillar meurt après
quelques mois de mariage.
Un succès — dans la mort. Deux échecs -
dans la vie. Tel fut le destin de ce milliardaire
envié.
ATROCITES.
Dans le massif de la Guadarrama, un milicien vise un nationaliste.
5e Année - N° 215
16 pages - Un franc
Mercredi 2 Décembre 1936
GRAND HEBDOMADAIRE L I T T E R A I R E ILLUSTRE
Rédaction, Administration: 5, Rue Sébastien-Bottin, (7e) - (Littré 66-42) — Publicité: 44, av. des Champs-Élysées (Élysées 49-26)
Directeur : Emmanuel BERL
ROGER
MARTIN DU GARD
, LES THIBAULT VII
L ÉTÉ 1914
ROMAN EN TROIS VOLUMES
ROGER
MARTIN DU GARD"
LES THIBAULT VII
L'ÉTÉ 1914
ROMAN EN TROIS VOLUMES
La Sécurité
et la Paix
t.
par L.-O. Frossard 1,
et Emmanuel Berl f
II.
DI
ANS l'Europe de plus en plus misérable, les me-
naces de guerre s'accumulent. Déjà, sous le
pseudonyme transparent de « gouvernemen-
taux » et de « rebelles », les forces russes d'une
nart les forcer allemandes et italiennes de
l'autre, s'affrontent en Espagne et sur les côtes de la Cata-
logne.
Le traité germano-nippon est alarmant lui aussi, par
son contenu d'abord. Ensuite et surtout parce qu'il montre
l'absence du sentiment européen chez leschefsdu HVReich.
Rappelons-nous combien en 1905 l'Allemagne de Guil-
laume II était obsédée par le « péril jaune » Elle vit dans
la prise de Port-Arthur une défaite de la race blanche tout
entière ! L'Europe de 1936, appauvrie, rongée par les
Maures et par les Jaunes, a une cohésion moindre que
l'Europe triomphante de la fin du xix' siècle et du début
du xxe siècle, qui châtiait les Boxers. L'Allemagne enfle à
tel point ses armements qu'il est impossible de ne pas
craindre qu'elle soit enfin entraînée par leur masse. Et la
Russie n'a pas renoncé au rêve de révolution mondiale qui
soumettrait à l'organisation bolchevique un Monde où les
Slaves seraient rois. - -
Devant tant de périls, nous ne parvenons pas à com-
prendre que les Français puissent songer à autre chose
qu'à la sécurité de leur territoire et de leur existence.
La sécurité ! Notion que l'analyse révèle infiniment plus
complexe qu'on n'imagine ! Elle exprime un rapport tou-
jours contestable et mobile entre les sauvegardes et les ris-
ques, l'illusion habituelle tenant au fait que l'on considère
les risques et les sauvegardes successivement, au lieu de
les considérer simultanément, dans l'équilibre qui les ba-
lance.
Pour instaurer un minimum de sécurité à l'intérieur de
la société civile, l'homme a dépensé beaucoup d'ingéniosité
et de ruse. Il lui a fallu édicter des lois qui punissent les
voleurs, étayer ces lois sur la religion, former une police
qui permette de les appliquer ; il a fallu des gendarmes et
des coffres-forts pour monter la garde autour des richesses
intlividueUcs et collectives. ) 1 t v
Mais il a fallu aussi travailler sans cesse à atténuer le
désir que les biens d'autrui inspirent aux déshérités. Il a
fallu que le vol, d'abord honoré comme une victoire, de-
vienne petit à petit une cause d'opprobre pour celui qui le
commet. Après avoir fait en sorte qu'il cesse d'être glorieux
il a fallu éviter qu'il ne soit nécessaire. Il a fallu secourir
et employer les chômeurs, interposer entre les hommes et
la misère l'assistance publique ou privée.
La sécurité des nations ne peut être fondée que par les
méthodes qui ont assuré dans les villes un minimum de
sécurité aux citoyens.
La Société des Nations a déçu les espoirs que nous
avions tous placés en élle. Elle n'est parvenue, ni a insti-
tuer une morale internationale, ni à organiser une gendar-
merie internationale, ni à dire le droit, ni à créer le fait.
Nous ne la renierons pourtant pas : tribunaux et polices
furent difficiles eux aussi à établir.
Mais nous ne pouvons en conscience fonder la sécurité
de notre pays sur ces deux expre»sions : « Sécurité collec-
tive » et « paix indivisible » dont la signification reste con-
fuse, et auxquelles l'expérience n'a cessé d'apporter les
démentis les plus durs.
La paix n'est pas indivisible, et c'est bien heureux, car,
depuis 1918, nous avons vu éclater un certain nombre de
guerres : celle de la Grèce et de la Turquie, celle de la
Bolivie et du Paraguay, celle de la Chine et du Japon, celle
de l'Italie et de l'Ethiopie, celle de l'Espagne contre l'Espa-
gne. Jusqu'à présent, aucune de ces guerres n'a dégénéré
en un conflit général. Espèrë-t-on nous le faire regretter ?
Nous voulons bien. travailler à la sécurité collective,
entretenir l'espoir qu'elle sera un jour obtenue et qu'un
organisme international rendra indivisible la paix qu'il
garantira. Nous savons tous que nous n'en sommes pas
là, et la France a besoin d'autre chose que de mots.
La diplomatie revient donc à l'antique système des
alliances. Il serait quand même fou d'oublier que ce sys-
tème est mauvais. Il n'a point empêché les guerres dans
le passé. Il ne les empêchera point davantage dans l'avenir.
Les alliances divisent les risques, mais par contre elles les
multiplient. Elles accroissent la quantité des forces qu'on
oppose à l'ennemi, mais elles accroissent souvent la quan-
tité des forces dont il dispose pour vous assaillir et elles
augmentent presque toujours le désir, ou, même, le besoin
de faire la guerre chez le peuple contre qui elles se con-
cluent.
Nous répétons depuis plusieurs mois que toute alliance
est dangereuse qui nous lie à un peuple moins déterminé
que le nôtre à la paix. Nous déclarons franchement que
nous sommes opposés à l'alliance franco-russe. Le pacte
f.ran co-sovié tique nous paraît bon dans la mesure même
où il représente le contraire d'une alliance, où il reste ou-
vert à toutes - les nations de l'Europe orientale et où l'on
peut croire que la majorité d'entre elles acceptera d'y sous-
crire.
Quand on nous dit : « Il faut donner vie au pacte franco-
soviétique, et pour cela passer avec les Russes des conven-
tions militaires » on méconnaît toute l'histoire de ce pacte.
Les conventions militaires ? il les comportait si peu qu'au
moment où la France le négociait, elle promettait à l'An-
gleterre de n'en point envisager à aucun moment.
Le pacte ? A la rigueur, mais rien que le pacte. Et non
une alliance qui nous semble dangereuse pour d'innombra-
bles raisons, dont la plus grave c'est que, dans lelJeu déli-
cat d'une association de cette nature, le gouvernement
russe disposerait contre le gouvernement français de
moyens dont le gouvernement français ne dispose pas
contre lui. Les Russes voudraient — c'est bien naturel —
se servir de la France. Il y a des Français qui se conten-
teraient de servir les Russes. Cette raison-là nous suffit.
L.-O. Frossard.
(Lire la suite page 2.) Emmanuel Berl.
L
Gignoux jouhaux échecs
0
cze yyivnde comme, il va.00
La grève de l'Imprimerie Georges
Lang, où Marianne est imprimée, a eu
pour effet de retarder la parution d'une
partie du tirage de ce numéro de notre
journal. En conséquence, certains de nos
abonnés et de nos lecteurs n'auront pu
recevoir ou acheter leur exemplaire à la
date normale. Qu'ils veuillent bien nous
en excuser.
Le conflit C. G. P.-C. G. T.
En temps normal, les discussions d'in-
térêts entre patrons et ouvriers sont déjà
très difficiles. Depuis quelques mois, la
hausse des prix, les incidences de la déva-
luation, la difficulté de vivre, auxquelles
s'est ajoutée parfois une idéologie un
peu trop optimiste des possibilités de
progrès social rapide, ont poussé les
ouvriers à multiplier leurs revendica-
tions. Du côté des patrons s'affirme un
mélange d'égoïsme, de prudence, de sen-
timent des nécessités objectives de leurs
entreprises. Toutes ces discussions, natu-
rellement ardues, se trouvent aujour-
d'hui compliquées par la politique.
Du côté des patrons, l'élément croix
de feu, disposé aux concessions par peur
au mois de juin, tend à devenir plus in-
transigeant au fur et à mesure que le
Front populaire lui semble plus lézardé.
Il est amené ainsi à désavouer ses pro-
pres négociateurs : c'est dans ces con-
ditions, par exemple, que les patrons de
l'industrie texiile du Nord ont quitté la
Confédération générale du patronat.
Du côté des ouvriers, c'est la même
chose. La C. G. T. négocie avec sin-
cérité les intérêts ouvriers, mais se voit
poussée par les extrémistes, lesquels se
préoccupent moins de l'amélioration du
sort de la classe ouvrière que de rendre
le gouvernement de M. Léon Blum plus
dépendant des Soviets, ou de lui substi-
tuer un gouvernement qui marquera plus
de docilité à l'égard des exigences des
Soviets.
Gardez-vous à droite. Gardez-
vous à gauche 1
Le gouvernement Blum évitera le pire,
parce qu'une intransigeance patronale
trop déclarée repousserait à gauche les
chefs radicaux : ceux-ci verraient en
effet que plus leurs conflits avec !es
communistes s'aggravent, plus les con-
servateurs veulent de nouveau les som-
mer de rallier l'extrême-droite ou mourir
(ce ralliement, il est bien clair, soit dit
en passant, que la mort de Roger Sa-
lengro le rend encore plus difficile).
Par ailleurs, il est clair que si les com-
munistes poussaient leur tactique jus-
qu'au bout, ils aboutiraient à une nou-
velle consultation électorale d'un pays
amené à penser de plus en plus que les
communistes seraient disposés à sacri-
fier les intérêts de la France à ceux de
i, u. R. S. S.
Malheureusement, il est un facteur d'ag-
gravation. On dirait que, à juger par les
événements d'Espagne, la guerre civile
tend, dans l'Europe contemporaine
comme dans la Gfèce ancienne, à deve-
nir une des formes, et même la forme
préférée, de la guerre étrangère.
Plusieurs semaines avant le déclen-
chement de l'offensive Franco, M. Mus-
solini disait à un de ses interlocuteurs :
— Je n'y crois pas.
Et comme l'autre se réjouissait, M.
Mussolini répliquait :
- Il ne faut pas s'en réjouir trop. Je
crois que la guerre civile se substituera
à la guerre étrangère dans la plupart
des pays européens.
Avis aux Sudètes.
Les mots magiques.
Sans les incessantes interventions de
M. Joseph Denais, le débat sur la ré-
ferme fiscale, qui s'est déroulé à la
Chambre jeudi et vendredi, eût sans
doute été plus bref de moitié.
Le député des Batignolles, barbe
en bataille, demandait constamment à
discuter les mesures prises. Point de pa-
ragraphe de la loi sur lequel il n'eût
son mot à dire.
— Il accompiissait consciencieuse-
ment, objectera-t-on, son métier de par-
lementaire.., ~
bien que les faveurs, les exonérations
qu'il demandait pour telle ou telle caté-
gorie de contribuables n'étaient pas « re-
cevables ». Un article du règlement de
la Chambre, numéroté 86, et célèbre en-
tre tous, interdit en effet aux députés,
dans la discussion d'un loi fiscale, de
proposer des mesures susceptibles de di-
minuer les recettes prévues.
Finalement, M. Herriot se fâcha :
— Vos paroles, dit-il, ne figureront
pas au Journal officiel.
Du coup, M. Denais s'arrêta court.
On le vit ramasser en hâte ses notes
dans son pupitre, et gagner la sortie.
Et l'on comprit enfin les motifs d'un
zèle, moins dû au souci de l'intérêt pu-
blic qu'au simple désir d'être lu par ses
électeurs.
La parole est au Sénat.
Le projet a été voté dans la nuit de
vendredi - à samedi, vers une heure du
matin. Quelques instants plus tard, M.
Vincent Auriol quittait la Chambre es-
corté de trois jeunes collaborateurs de
l'inspection des Finances. Dans la cour
de Bourgogne, le groupe se dirigea vers
une automobile non officielle : un des
jeunes gens ramenait à son domicile son
ministre et ses deux camarades.
Avant de monter en voiture, il y eut
un bref dialogue :
— Ça a marché, disait l'un.
— Oui, répondit M. Vincent Aurioi.
Mais au Sénat, ce sera autrement dif-
ficile !
Le ministre des Finances s'attend, en
effet, à une assez vive résistance de la
part de la Haute Assemblée sur certains
articles. Le projet de réforme simplifie
en effet beaucoup le régime fiscal actuel;
d'autre part, il introduit plus de justice
dans la perception des impôts. Il cher-
che notamment à frapper la « richesse
acquise » (successions, gros revenus).
Mais il comporte des mesures -
comme la carte d'identité fiscale — qui
risquent de susciter l'hostilité des séna-
teurs.
Certains députés, qui n'ont pas osé
voté « contre », confiaient même, dans
* les couloirs de la Chambre, qu'ils comp-
taient sur le Luxembourg pour « sa-
brer » un certain nombre d'articles.
Le statut démocratique du droit de
grève.
M. Léon Blum, dans son discours du
Vélodrome d'Hiver, a annoncé son inten-
tion de réaliser « l'organisation démo-
cratique du droit de grève ».
Il s'agirait de réglementer l'exercice
de ce droit : la grève ne pourrait plus
être décidée que si une forte majorité —
par exemple les deux tiers des employés
ou ouvriers d'une entreprise — était
favorable à la cessation du travail; Cette
législation nouvelle empêcherait réclo-
sion constante de conflits plus ou moins
motivés et qui ne sont souvent voulus
que par une infime minorité.
Pour justifier son dessein, M. Léon
Blum a invoqué l'autorité de Jules
Guesde : il aurait pu, s'il l'avait voulu,
avoir recours à celle de M. Alexandre
Millerand.
Une autre référence.
En 1900, M. Alexandre Millerand était,
on le sait, socialiste. 11 fut appelé par
Waldeck-Rousseau, lorsque celui-ci for-
ma son fameux gouvernement, au minis-
tère des Travaux publics. Peu de temps
après, il déposait un projet de loi qui
avait pour but « la réglementation obli-
gatoire du droit de grève ».
Ce projet s'inspirait des idées que
nous venons d'indiquer : le travail ne
pouvait cesser que si la décision était
adoptée par une forte majorité d'em-
ployés. Par contre, pour qu'il reprît, il
suffisait du vote favorable de la moitié
plus un des intéressés.
Manie légiférante.
De quoi s'agissait-il, quand on parlait
de réformer la loi sur la presse?
Primo, de porter les procès par quoi
les calomniés se défendent contre les
calomniateurs devant le tribunal correc-
tionnel, plutôt que devant le jury.
Deuxièmement, d'autoriser toujours le
diffamateur à faire la preuve de ses dif-
famations afin que les arrêts du tribu-
nal blanchissent vraiment les diffamés.
Pourquoi donc ajouter à ces disposi-
tions tant de textes, mal élaborés ?
Pourquoi dire qu'un journaliste est pu-
nissable quand il reproduit une nou-
velle fausse, comme s'il lui était toujours
possible de la vérifier ? Pourquoi faire
entrer en jeu l'intention, dont il est dif-
ficile qu'aucun tribunal soit jamais juge?
Nous-mêmes, nous ne parvenons pas
à juger les intentions du gouvernement.
Nous ne croyons pas qu'elles fussent
mauvaises.
Nous croyons simplement, chez lui,
comme chez d'autres, en ce domaine
comme en d'autres domaines, à la « ma-
nie légiférante ». Celle-cj ne va point
sans danger.
Histoire américaine
Un crabe était amoureux d'une cre-
vette, mais celle-ci ne voulait rien en-
tendre de lui.
— Je n'aime pas les gens qui marchent
de travers ! disait-elle.
Mais un jour — ô miracle - elle
le vit qui marchait droit. Il passa d'ail-
leurs fièrement à côté d'elle, sans la
regarder.
Le lendemain, quand elle le rencontra,
elle lui reprocha son attitude :
— C'est ainsi que vous m'ignorez
quand vous marchez droit ?
— Si c'est d'hier que vous voulez par-
ler, ne faites pas attention : hier, j'étais
saoul.
DANS CE NUMÉRO:
Marcel Achard
Pierre Bénard
Pierre Bost
Georges Duhamel
Doussia Ergaz
Ramon Fernandez
G. de la Fouchardière
Anatole de Monzie
Suzanne Normand
Jean Rostand
et
Le Roman des Rats
par Robert Goffin
Sir Basil Zaharoff
,1m.
A vie de sir Basil Zaharoff peut le-
nir en trois mots. Il fut l'homme
d'une machine, d'une idée et
d'une femme.
La machine (dont il n'était pas
l'inventeur) le rendit riche et cé-
lèbre. L'idée ne se réalisa jamais T ,l'Y femme ne
le fit pas heureux.
La machine, c'était la mitrailleuse.
Invention anonyme due, probablement, à quel-
que petit ingénieur anglais. Zaharoff trouva le
brevet dans les paperasses de la Maxims, une
modeste société anglaise que son patron, M. Nor-
denfeldt, acheta en 1882. Il sentit tout de suite
le parti qu'il pourrait tirer de cette machine à
tuer, souple, précise et rapide. Il s'en fit le dé-
monstrateur, le propagandiste, le prophète. Il ne
vécut que pour elle.
1889-1914 vingt-cinq ans de luttes, de démar-
chee, d'intrigues pour imposer l'usage de la mi-
trailleuse anglaise dans le monde. Trois démons-
trations décisives : guerre gréco-turque, guerre
hispano-américaine, guerre russo-japonaise. Des
montagnes de cadavres. Des centaines de mil-
lions dépensés en pots de vin. Des milliers de
réputations piétinées. Des suicides d'hommes
d'Etat. « Quand on fait une omelette », dira plus
tard Zaharoff à M. Balinsky, un de ses familiers,
« il faut savoir casser les œufs ».
Pendant toute cette période de combat et de
fièvre, Zaharoff mène, impassiblement, la vie
brillante du boulevardier « fin-de-siècle ». Ganté
et guêtré de clair, un gardénia à la boutonnière,
il commandite des écuries de courses et des dan-
seuses, il bâille aux premières de Meilhac et
Halévy, il purge son foie à Vichy. Un monstre ?
Non pas, un inconscient. Ce petit Levantin cir-
conspect et courtois circule à travers lé monde
à la manière d'une vapeur homicide. Il tue sans
s'en apercevoir.
C'est alors que cet inconscient, que cet auto-
mate se * met à penser. Et qu'il revient à la grande
idée qui, au temps de sa jeunesse, vers 1877,
enflammait les Grecs de Constantinople.
Cette idée ? Reprendre Constantinople aux
Turcs, restituer Sainte-Sophie au Christ, chasser
le croissant au fond de l'Asie. ressusciter Byzan-
ce, l'impériale Byzance des Comnène et des Pa-
léologue.
Avec Venizelos, tant que Venizelos lui obéit,
avec Constantin quand Venizelos le trahit, il
poursuit la conquête de l'Asie-Mineure. Il sacrifie
des millions. Il sacrifie des armées. Mais un
homme se lève, et barre la route : un petit offi-
cier turc, Mustapha Kemal. L'envahisseur grec
est refoulé, jeté à la mer.
Il cherche alors, en vain, une dernière conso-
lation. Il épouse la femme qu'il aima toute sa
vie. Maria del Pillar, marquise de Villafranca,
princesse de Bourbon. Pendant trente ans, cette
Espagnole sculpturale, aux yeux marrons, lumi-
neux et humides, lui a servi de démarcheuse,
d'agent de publicité. Il veut maintenant en faire
une femme heureuse.
Peine perdue. Maria del Pillar meurt après
quelques mois de mariage.
Un succès — dans la mort. Deux échecs -
dans la vie. Tel fut le destin de ce milliardaire
envié.
ATROCITES.
Dans le massif de la Guadarrama, un milicien vise un nationaliste.
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